Le Kinyaga et le centre du Rwanda: Les premiers contacts.

Les études sur le Rwanda supposent souvent qu’avant l’arrivée des Européens, le pouvoir de l’État rwandais s’étendait uniformément à la plupart (ou à toutes) des régions du royaume. De telles études tendent également à laisser entendre que les caractéristiques de la société rwandaise observables dans les années 50 – monopolisation du pouvoir par les Tuutsi, relations politiques et sociales extrêmement inégales et contrôle des terres et du bétail par les autorités politiques tuutsies – étaient des caractéristiques primordiales de la politique rwandaise. Dans ces études, la domination des Tuutsis et la subordination des Hutu sont souvent présentées comme des caractéristiques immuables du passé rwandais. Mais les histoires familiales de Kinyagans de divers milieux sociaux et économiques décrivent une vision très différente des relations sociales et politiques précoloniales. Ces données jettent un nouvel éclairage sur la dynamique de la pénétration de la cour centrale dans une région; ils soulèvent également des questions fondamentales pour comprendre la croissance du pouvoir tuutsi dans d’autres régions du pays. Ce chapitre, qui sert de base à la reconstruction de t tels processus en Kinyaga, explore le caractère des premières populations kinyaganes et discute de la nature de leurs relations avec l’État du centre du Rwanda. Les personnes originaires de régions qui font maintenant partie du Rwanda se sont installées dans les collines et dans les péninsules de Kinyaga à partir du XVIIIe siècle au moins. Ils vivaient aux côtés de groupes locaux dont la culture ressemblait à celle des peuples vivant à l’ouest du lac Kivu, ils commerçaient avec eux et se mêlaient à eux. Certaines familles kinyaganes ont revendiqué des liens avec la cour royale rwandaise et se sont installées sur quelques collines qu’elles prétendaient «gouverner». Mais ilI n’y avait pas d’autorité politique englobant toute la région et la population de Kinyaga jouissait d’une autonomie substantielle par rapport à la cour royale du Rwanda. Le pouvoir de l’Etat central et de ses délégués était encore assez limité dans cette région frontalière.Vers le dernier quart du XIXe siècle, cette situation a considérablement changé. Les deux chapitres suivants décrivent certaines des modifications apportées aux structures administratives (aspects de la construction de l’État et de l’expansion du pouvoir central) qui ont marqué le passage du Kinyaga d’une position d’autonomie relative à une position de gouvernement central intrusif. Ce n’est que dans le contexte de ces transformations politiques plus larges que la croissance du pouvoir tuutsi et son impact sur les relations de classes rurales, peuvent être compris.