L’exposé du Général Mobutu sur la politique du recours à l’authenticité

 

  1. « Après le brillant Discours de bienvenue prononcé par le Recteur Nsanzimana, le Chef de l’Etat rwandais prit la parole pour présenter son illustre hôte. Il souligna qu’il était très heureux de présenter à toute la population universitaire un visiteur de marque. Les paroles du Recteur, dit-il, ont suffisamment mis en relief son importance, sa capacité de travail et sa volonté pour la promotion des africains. Je n’ai pas de discours spécial à faire aujourd’hui, enchaina-t-il, mais je vous dirai simplement un petit mot : le Général Mobutu me ressemble ou je lui ressemble. Quand je parlais de l’Académie Rwandaise de Culture, de culture proprement rwandaise et africaine il a parlé de l’authenticité. C’est pourquoi je l’invite plutôt à prendre la parole pour vous parier de ce thème »

Le Général Mobutu visiblement dispos et heureux de pouvoir exposer devant l’élite rwandaise de demain un thème très cher à son cœur, se leva et, très souvent interrompu par des applaudissements et des acclamations frénétiques, fit ab abrupto un exposé magistral sur sa politique de recours à l’authenticité». (Id. p. 5. 7-8).

« Monsieur le Recteur, Messieurs les Doyens des Facultés, Messieurs les Professeurs, Citoyennes étudiantes, Citoyens étudiants, Je me félicite très sincèrement de l’occasion qui m’est donnée  ce jour, de me trouver face à face avec l’élite rwandaise de demain et de lui adresser quelques paroles.

Pour commencer, merci beaucoup, Monsieur le Recteur, merci du fond du cœur, pour les quelques paroles combien bienveillantes, combien sympathiques, combien élogieuses que vous venez d’avoir à mon endroit. Je sais qu’à travers ma personne, ma modeste personne, ces paroles s’adressent au peuple zaïrois tout entier.

Chers amis étudiants, je sais que vous n’êtes pas toujours un monde facile, mais je crois me féliciter de cette occasion qui m’est fournie aujourd’hui de vous voir, de m’adresser à vous, de me faire voir moi aussi, parce que cela a son importance.

Le Rwanda n’est pas tellement une terre étrangère à la République du Zaïre. Nous sommes deux peuples frères, nous sommes deux peuples condamnés à coopérer, deux peuples condamnés à vivre ensemble.

Lorsque je vois sur les armoiries de la République sœur du Rwanda l’inscription : « Liberté, Coopération, Progrès », cela dit beaucoup. Je crois que cela devrait aussi être la devise de la jeunesse rwandaise, de cette élite de demain, car la jeunesse est l’avenir d’un pays. Et lorsque mon frère m’invite à m’adresser à vous, en me demandant de vous parler de l’authenticité, cela me met tout à fait à l’aise. Tout à fait à l’aise, parce que je m’adresse à l’élite rwandaise de demain, celle qui est appelée à prendre en main les rênes, c’est à dire à diriger, le Rwanda lorsque mon frère ici présent ne sera plus là, lorsque au Zaïre Mobutu ne sera plus chef de l’Etat.

L’authenticité, mes chers amis, c’est ce que vous êtes, c’est ce que vous représentez.

J’ai fait allusion, il y a quelques instants, à la devise de la République soeur Rwandaise. Je vois le Vice-Recteur, certains membres du Corps Professoral, certains Doyens qui sont venus au Rwanda dans le cadre de la coopération pour y travailler. Je dis bien dans le cadre de la coopération. Mais ils ne sont pas venus pour vous transformer en Canadiens, pour vous transformer en Belges, en Français. Vous n’êtes pas Français, vous n’êtes pas Canadiens.

Malgré la licence que chacun de vous aura demain, malgré le titre de docteur que vous aurez ; chacun de vous doit rester rwandais. Chacun de vous doit posséder l’âme rwandaise.

Pour moi, mes chers amis, c’est très important. Voyez, on disait Joseph-Désiré, aujourd’hui, Mobutu Sese Seko. Qu’est-ce à dire ? Ce n’est pas de l’invention. Le premier parmi mes ancêtres à avoir porté le nom qui est mien aujourd’hui s’appelait Mobutu Sese Seko KukuNgbendu Wa Za Banga. Sur ce plan, malgré la présence de certaines Révérendes Sœurs, malgré la présence de certains Révérends Pères, -je m’excuse beaucoup – je suis sûr que celui qui a porté ce nom de Mobutu Sese Seko KukuNgbendu Wa Za Banga doit se trouver au ciel quelque part.

Avec l’arrivée des premiers colonisateurs, Sese Seko KukuNgbendu a disparu et, maintenant, on dit Joseph-Désiré, double prénom et ces prénoms sont occidentaux.

Vous m’avez suivi à la Radio hier, lorsque je me suis adressé à mon frère ici présent, le Docteur Grégoire Kayibanda, au peuple frère du Rwanda. J’ai parlé longuement de l’authenticité. L’authenticité, par là il faut simplement entendre ceci : le respect qu’on doit à tout être humain, c’est à dire prendre n’importe quel humain là où il est, comme il doit être. On doit le respecter tel qu’il est. Il est noir, il faut le prendre comme noir. Il est américain, il faut le respecter comme américain, il est japonais, il faut le respecter comme japonais.

« Prenez le cas de 107.000.000 de Japonais qui existent et qui n’ont pas de prénoms ; 800.000.000 de Chinois qui n’ont pas de prénoms. Où iront-ils ? Posez la question aux Soeurs et aux Pères.

Mes chers amis, la question que je soulève est fondamentale. Je ne m’appelle plus Joseph-Désiré, mais je reste catholique croyant et j’irai au ciel.

Suivez ce que St. Paul lui-même a dit, lorsqu’il a quitté la Terre Sainte pour aller prêcher l’EvangiIe : « Grec avec les Grecs, Romain avec les Romains ». Il est allé non pas pour changer les Romains, pour les rendre juifs, mais pour vivre avec eux. Lui-même s’est transformé en Romain, lui-même s’est transformé en païen pour enseigner aux païens.

Lorsqu’on vient chez nous au Rwanda, il faut vivre comme les Rwandais. Ne cherchez pas à transformer les rwandais pour qu’ils deviennent canadiens, français, belges. C’est non ! C’est ce que nous disons recours à l’authenticité.

Certaines mauvaises langues dans la presse à l’étranger disent : Ah ! Pourquoi Mobutu porte-t-il encore des lunettes ? Pourquoi porte-t-il encore une montre ? Mais ça c’est la science, la technique. Nous sommes pour la technique, la technologie. La raison est simple. Pour venir au Rwanda, je suis venu par avion et j’ai besoin de l’avion pour venir au Rwanda. Pour me présenter devant vous, je dois être quand même habillé ! Je ne peux plus me promener torse nue ! Mais cela n’a rien à avoir avec l’aliénation mentale.

L’aliénation mentale c’est quoi ? Lorsqu’on nous dit civilisation, civilisation signifie tout simplement : venir chez quelqu’un lui imposer son authenticité, c’est tout. Lorsque les Belges sont venus nous coloniser on parlait de la civilisation belge, mais c’est de l’authenticité belge qu’on nous imposait — Maintenant que nous sommes devenus pays indépendants, il faut, d notre part, un petit effort de réflexion.

Bon. Pourquoi est-ce que nous étions des Joseph, des Désiré ? Joseph est un nom propre juif. Marie est un nom propre juif.

Pendant 12 siècles, l’Eglise a existé sans prénom. Et pendant ces 12 siècles, il y avait des saints dans l’Eglise catholique. Lorsqu’on dit Jean, mais c’est le nom propre de l’époque, un nom propre juif, etc. Mais comment voulez-vous — parce qu’on est venu nous imposer une certaine authenticité — que nos enfants puissent s’appeler : Marie-France, Marie-Aurore, alors que nous avons nos noms ? Nous avons besoin de notre dignité.

Hier soir, dans les jardins de mon frère, j’ai assisté à une soirée culturelle rwandaise. Cette soirée a mis en vedette les richesses culturelles traditionnelles du Rwanda, c’est très important ! Mais si mon frère m’avait invité à un bal dansant, comme on le fait en Europe, je le prendrais plutôt pour un français, un belge, alors qu’il n’est pas français, qu’il n’est pas belge, qu’il est plutôt rwandais. Respecter chaque être humain, c’est le prendre tel qu’il est, mais pas comme on voudrait qu’il soit. C’est ça l’authenticité. On ne peut pas dire de quelqu’un qu’il est civilisé, parce qu’il vit comme un canadien, comme un français, comme un belge alors qu’il a sa propre civilisation. S’il essaye de respecter les traditions de ses ancêtres, s’il respecte les valeurs culturelles de ses ancêtres, certains diront : ah ! il est « musenji », il n’est pas civilisé, il n’est pas moderne. Mais c’est faux !

C’est pourquoi, m’adressant aujourd’hui à vous, citoyennes étudiantes, Citoyens étudiants, j’ai une seule recommandation à vous faire : Malgré le diplôme, malgré la technique, restez surtout vous-mêmes, c’est à-dire restez Rwandais. On vous respectera plus, parce que vous respectez vos traditions, parce que vous respectez votre propre culture.

« Peut-être on vous le dit dans les écrits, dans les livres, qu’il y a des peuples sans culture. Malgré mes nombreuses lectures, je ne connais pas un peuple sans culture ici-bas. Chaque peuple a sa propre culture, ses valeurs traditionnelles. Chaque peuple doit mettre en valeur, en exergue ses valeurs culturelles.

Cela étant, Monsieur le Recteur, Messieurs les Doyens, Messieurs les membres du Corps Professoral, citoyennes étudiantes, citoyens étudiants, je tiens, au nom de mon collègue, le Docteur Gr. Kayibanda Président de la République Rwandaise, au nom de ma délégation, en mon nom personnel, à vous remercier très sincèrement de l’accueil fraternel que vous nous avez réservé ici à l’UNR. Ce sera un des meilleurs souvenirs de mon passage ici au Rwanda. Je suis sûr, puisque j’ai des micros ici devant moi tout ce que je vous dis est enregistré; cela sera très fidèlement rapporté à vos soeurs, à vos frères de la République du Zaïre, qui auront à apprécier, à sa juste valeur, l’accueil que l’UNR a réservé au Président de la République du Zaïre.

Sur ce, merci beaucoup encore une fois pour votre accueil, je dois prendre congé de vous, parce qu’on me laisse entendre que le programme est très bref. Encore une fois, merci beaucoup pour l’accueil, et au plaisir un jour de nous revoir.