1. Populations du Lithique.

Le nombre relativement élevé de découvertes d ’instruments lithiques et leur dissémination sur tout le Territoire, incline à croire que le Ruanda-Urundi fut occupé de bonne heure par des populations vivant aux époques paléolithique, mésolithique et néolithique. On trouva des pierres trouées intitulées kwé, dans la plaine de la Ruzizi, dans la vallée colmatée de la Kizanye à Rwinkwavu ; des instruments en pierre taillée : couteaux, grattoirs, haches, pointes de flèche à Rwaza, Nyundo, Mugera, etc. A Kabgayi, à fleur de marais, le géologue chanoine SALEE recueillit, en 1922, une hache amygdaloïde en quartzite du type acheuléen. M. et Mme BOUTAKOOF découvrirent huit gisements en territoire de Shangugu, vers Mibirizi. Les pierres taillées, la plupart microlithiques, en quartz, cristal de roche, quartzite, Chalcédoine, de facture moustérienne, ont rapport à la chasse et à la préparation des peaux. A Ruhimandyalya, sous deux mètres de terre arable, ils découvrirent, mêlés a des cendres de foyer et à des ossements subfossiles, des tessonsde céramique, varies de galbe et riches de décoration.

De nombreuses découvertes ont été effectuées ces derniers temps au Moso (Urundi) : haches, pointes de flèche, grattoirs. En 1950, nous avons trouvé au Migongo (Kibungu) un demi-bracelet d’archer en pierre finement taillée et polie. Le Dr HIERNAUX de l’Institut pour la recherche scientifique au Congo belge a effectué d’importantes récoltes d’instruments remontant au néolithique et au paléolithique.

Bien qu’on n’ait pas retrouvé de squelette fossile au Ruanda-Urundi, il convient de signaler que des découvertes furent effectuées dans la région des Grands Lacs au Kenya et au Tanganyika.

Avec les hommes fossiles découverts dans cette région, apparaissent certains caractères négroïdes, confondus toutefois avec ceux que présentent les ≪Hamites ≫ actuels de l’Est africain. Il s’agit des squelettes d ’Oldoway, de Nakoura, d ’Elmenteita, de Bromhead, d’Eyassi. Le premier, decouvert par RECK en 1913, se signale par une taille élevée (1,80), une forte dolichocéphalie(66), une face haute et étroite, un palais étroit et allongé. Les deux suivants ont été découverts par LEAKEY. Ils sont du même type que le précèdent, et d’allure beaucoup plus hamitoïde que négroïde. Le dernier seul est franchement négroïde, mais en raison de sa taille, il évoque plutôt les Pygmées que les Noirs vrais.

L’Afrique orientale et méridionale présente, à cote d ’exemplaires sans relation spéciale avec la race noire, trois genres d ’hommes fossiles qui peuvent être aisément considérés comme ancêtres des Boschimans, Pygmées et hybrides hamito-noirs actuels. Il n’y a pas sur cette portion du continent d’ancêtres caractérisés des Noirs. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, c’est en dehors de l’aire de l’Afrique noire contemporaine qu’on trouve des exemplaires proches des Noirs, en l’espèce des types de Grimaldi et d ’Asselar ; et a un degré moindre, des types négroïdes d ’Afrique du Nord.

KOHL-LARSEN a mis à jour, en 1935, au bord du lac deNjara (Tanganyika Territory), des fragments de cranedont les formes rappellent le Sinanthrope ; il s’agit d ’untype distinct de l’Homo neanderthalensis, caractérisé par une forte visière orbitaire, un front fuyant, une voute aplatie, des apophyses mastoïdes réduites, un trou occipital incliné comme chez les grands singes. Ce spécimen, classé sans certitude au Pléistocène moyen, a reçu le nom d’Africanthropus njarasensis; il ne présente aucun caractère négroïde.

Signalons enfin les découvertes de l’Afrique du Sud, notamment de l’Australopithecus africanus datant de plus de 600.000 ans, que l’on classe près des hominides {Homo sapiens, Homo neanderthalensis et le Pithecanthrope) et qui se place dans un groupe ayant vécu au Transvaal, au Pléistocène inferieur quaternaire inferieur), parmi les australopithèques ou paranthropiens dont on possède à l’heure actuelle les vestiges d ’une douzaine d’individus des deux sexes découverts au Bechuanaland et au Transvaal. La boite crânienne est extrêmement petite, sa capacité est assez voisine de celle des plus grands singes anthropoïdes. Le prognathisme est tellement prononcé qu’il en résulte un vrai museau qui n’est cependant pas autant développé que celui des grands singes ; d ’un autre côté, les caractères anatomiques qu’on a pu vérifier jusqu’à présent sont humains : le cerveau d’une capacité de 600 à 700 cm3, contre 1400 à 1500 cm3 chez l’Européen, est plus humain que celui d’un chimpanzé (500 cm3) ou d ’un gorille (600 cm3), les arcades sourcilières manquent totalement, les dents sont typiquement humaines. D’après BROOM et DART, les australopithèques auraient donne directement naissance sur place aux Hottentots et aux Boshimans qui ont des caractères anatomiques si particuliers.

2. Barenge

Il s’agit vraisemblablement d ’une peuplade de paléo-négridesqu’on ne retrouve plus à présent au Ruanda d’où elle fut chassée par les envahisseurs bahutu, mais qui subsisterait au Moso, en Urundi. Faut-il voir l’existence de Barenge à l’ile Idjwi sous l’étiquettede Binyerenge?
En tous cas on retrouve une enclume monumentale et des scories qui leur sont dues, en face d’Idjwi, à Gishyita (Rusenyi) au Ruanda. Il est àprésumer que les Barengevivaient au Ruanda-Urundi en des villages éparpillés au sein de la forêt comme le font les Bantous du Congo : en effet, on retrouve les restes de leur industrie du fer en des points séparés encore à l’heure actuelle par la forêt Congo-Nil : d ’une part a Muramba (Kingogo), Karama et Kansi (Mvejuru), et d ’autre part à Bumazi (Impara) et Gishyita (Rusenyi), pour n’en citer que quelques-uns.
On retrouva d’eux de gros blocs de scories et, à plusieurs mètres sous terre parfois, des haches en fer, des briques, des tessons de cruches trèsépaisses, et des houes. En 1953, le musée de Kabgayi a reçu trois houes, dites des Barenge, découvertes sous terre à Karama ; le fer de chacune d ’elles mesure 30 centimètres de longueur sur 20 de largeur tandis que la soie est longue de24 a 30 centimètres, leur poids est de 2 kg ; elles ont toutes une forme lancéolée. Ces houes prouvent objectivement que les Barenge étaient à la fois forgerons et cultivateurs et, en conséquence, qu’ils étaient Bantous et non Batutsi comme on l’a parfois écrit ; elles attestent enoutre que le Ruanda-Urundi connut l’âge du fer avant les immigrations des Bahutu et des Batutsi.

Deux versions ont cours au sujet de la disparition des Barenge du Ruanda. Selon l’une, ils auraient fusionnéavec les premiers immigrants Bantous Basinga. Selon uneautre, ils auraient été battus et refoulés par Mashyira,mwami muhutu, chef des Babanda, qui régna au Nduga
et au Ndiza sous le règne du mwami mututsi MibambgweI -Mutabazi , avant que celui-ci n’eut mis le pied auNduga. En conséquence, ils n’auraient été chassés duRuanda que bien après la première vague d ’immigrationmuhutu comprenant les Bazigaba, les Bageseraetles Basinga. KIMARIétait alors chef des Barenge. Sadéfaite aurait eu lieu à Mara près de Save (Astrida). KIMARI, à ce qu’on dit, régnait à la fois sur le Ruanda et l’Urundi.

Les descendants de RULENGE, ancêtre éponyme des Barenge, sont désignés erronément sous le nom de Kimezamuryango: origine de toutes les familles (s. e. du pays) ; intitulés Barenge au Ruanda, ils auraient pris le nom de Barengween Urundi. En Urundi, le petit-fils de KIMARI,appelé JABWE fils de KABATA, lui aurait succédé et résidéaux environs de Bururi ; il aurait combattu et défait NSORO RWA NTWERO, roitelet muhimadu Bututsi septentrional.

Il faut tenir pour pure légende le fait que NYAMUSESA ,fille de JENE et petite fille de RULENGE , aurait été l’une des épouses du roi mythique GIHANGA, union de laquelle seraient nés KANYABURUNDI, ancêtre éponyme des Barundi, lequel serait devenu NTARE Ier -RUSHATSI, premier mwami de l’Urundi, et KANYARWANDA, alias GAHIMA Ier,ancêtre éponyme du Ruanda qui aurait régné sous le nom de RUGANZU.

NTARE RUSHATSI aurait vaincu et tué son oncle maternelJABWE, dit-on, à la colline qui s’intitule depuis lorsJabwe.

D’après le chef BARANYANKA, les Barenge se seraient rétirés dans le sud-est de l’Urundi, au Moso de Bururi notamment, ou ils constituent à l’heure actuelle une population différente de celle du Ruanda-Urundi, très disséminée : 15 habitants au km², de taille plus petite et parlant une langue bantoue relativement différente: le Kimoso; il s’agit de paléonégrides tropicaux. SIMONS signaleles Barenge dans sa nomenclature des clans bahutu del’Urundi. Selon les renseignements que nous avons purecueillir, ces Bamososeraient fondeurs de minerai de feret forgerons à raison de quarante pour cent des hommes. Entre autres houes, ils continuent àfabriquer, notamment àKinyinya (Ruyigi), la houe à long fer et à longue soie.
Ils possèdent peu de gros bétail, leurs vaches intitulées inyaruguru, terme équivalent de l’inkukudes Bahutu de l’intérieur, sont de petite taille et portent des cornes relativement courtes. Tout en étant agriculteurs en même temps que pasteurs à l’occasion, les Bamosos’adonnent couramment à la chasse. Ils mangent de toutes les viandes hormis celle de reptile ; ni les moutons ni les poules ne constituent des tabous alimentaires pour eux.

J. HIERNAUXconsidère que les Bamosoont précédéles Bahutu dans l’occupation de l’Urundi. Quelques Batwa potiers vivent en symbiose avec eux.

1. Batwa.
A. Caractéristiques somatiques et culturelles.

On retrouve ces Pygmoïdes un peu partout en Afrique, désignés sous le nom de Batwa ou de ses variantes : Baswa, Batua, Baroa, Botoa, Botshwa, etc. Jusqu’à présent, aucune étymologie valable n’a été proposée pour expliquer ce nom ; faudrait-il y voir une forme passive du verbe guta (jeter) que l’on retrouve aussi bien au Ruanda-Urundi qu’à l’ouest du Congo, et par laquelle on aurait désigné ceux qui sont rejetés de la société, attendu qu’ils vivent partout en parias ? Chose curieuse, le vocable Botwa sert à désigner les Pygmées ou Pygmoïdes chasseurs de la côte de Malabar aux Indes.

Le Dr CZEKANOWSKY, ethnologue de la commission d’études du duc de Mecklembourg, constata en 1907, au Ruanda, la taille moyenne de 1,61 m. Chez les Batwa des volcans, le R.P. Schumacher releva les tailles moyennes de 1,53 m chez les hommes et de 1,44 m chez les femmes. Le Dr J. HIERNAUX trouva des tailles variant de 1,37 à 1,71 m avec la moyenne de 1,55 et un indice céphalique de 75,50.
Ils sont au nombre de plusieurs milliers, mais nous ne disposons pas de recensement précis à leur sujet, eu égard à leur tendance d ’échapper à tout contrôle administratif et au paiement des impôts.

Aux abords de la forêt, ils vivent souvent en petits groupements ou hameaux de huit à dix huttes, nettement séparés des habitations des autres indigènes. Leur tête est courte, les bras sont longs, les jambes sont courtes. Habituellement, plusieurs plis horizontaux ou un pli vertical leur barrent le front au-dessus du nez, donnant l’impression d ’une tension extrême de l’attention. La peau est souvent moins noire que chez les Bantous, elle est plutôt brun-foncé. Les cheveux sont crépus et poussent par petites touffes. Le nez est en règle générale platyrrhinien, sa largeur atteint parfois, mais rarement, celle de la bouche ; la racine est toujours profondément déprimée, la pointe et l’extrémité des narines se présentent parfois comme trois boules d’égale grosseur, la pointe étant située plus haut que les ailerons. La tête est mésocéphale avec tendance à la brachycéphalie et également à la dolichocéphalie chez les Batwa bâtards.

La lèvre supérieure est toute différente de celle des Nègres : au lieu d ’être retournée, éversée, elle est relativement fine, mais fait partie d ’un ensemble convexe, se moulant sur la saillie de la mâchoire supérieure. La bouche est largement fendue, le menton est peu développé. Retrait du menton et convexité de la lèvre supérieure sont deux traits simoïdes à retenir. Les yeux sont grands, très enfoncés et toujours vifs. Les mains sont petites et fines. Les pommettes sont généralement fort saillantes. Ils sont très agiles et les chasseurs sont parfaitement adaptés à leur milieu. Le front est bien souvent droit. La face est toujours prognathe, si le front n ’était droit, elle aurait la forme d ’un museau. Le corps est très velu. Les Bahutu et les Batutsi disent d’eux :ni abana si abantu (ce sont des enfants, ce ne sont pas des hommes) ; aussi leur permettent-ils, même à la cour du mwami, de s’exprimer en toute liberté, de rire, de faire rire, voire d’insulter. Excessivement observateurs, ils se montrent insurpassables dans l’art de la mimique. Il faut les avoir vus à l’œuvre, imitant la démarche et les cris du buffle, de l’éléphant, du phacochère, du gorille ; ou imitant le digne Mututsi drapé dans sa toge, fumant et crachant appuyé sur son long bâton et discourant inutilement, tout en agitant les mains. Psychologiquement, ils sont défiants, instables, dénués de scrupules et de parole ; ils sont mendiants, voleurs, maraudeurs et trahissent un naturel cynique et cruel. A la chasse, ils se montrent courageux jusqu’à la témérité, n’hésitant pas à attaquer le buffle et l’éléphant à la lance. Ils sont traités en parias, personne ne voudrait manger, boire avec eux ni s’abriter dans leur demeure. Cette répugnance tire-t-elle son origine dans le fait que les Batwa mangent constamment des viandes considérées comme impures tant par les Bahutu que par les Batutsi ?
Ils sont parmi les rares indigènes du Ruanda-Urundi à manger du mouton. Ils pratiquent des dessins cicatriciels et ignorent la circoncision.

Contrairement à ce qui existe chez les Bahutu et les Batutsi, le lit n ’est pas suspendu sur des pieux, mais confectionné à même le sol par un matelas d’herbes et de feuilles recouvert d’une natte. La hutte est d ’un modèle réellement exigu, d ’environ deux mètres cinquante de diamètre, hâtivement construite en forme de coupole à l’aide de branchages et d ’herbes. Il convient de diviser les Batwa au point de vue de l’habitat, de l’évolution et de l’acculturation, en plusieurs classes :

i) Ceux qui, près des volcans du nord-ouest du Ruanda, résident en bordure de la forêt, y vivant principalement des produits de la chasse, les échangeant chez les Bahutu contre des produits vivriers agricoles, de la bière et des instruments en fer forgé. Ils s’occupent peu d ’agriculture. Ils pratiquent l’apiculture et le dressage de chiens de chasse pour le compte de Bahutu et de Batutsi ;

ii) Les Batwa acculturés qui vivent en symbiose directe avec les Bahutu agriculteurs dont ils épousent bien souvent les filles. Ils s’occupent principalement de poterie dont ils se sont créé un monopole ; ils laissent à leurs femmes le soin d ’établir quelques cultures vivrières. Ils possèdent parfois des chèvres et du gros bétail. Chez les Batwa céramistes, la femme confectionne également des pots ;
iii) Les Batwa qui précédemment vivaient d’une condition serve auprès des grands chefs batutsi et du mwami auxquels ils servaient de miliciens, de porteurs de hamac, de musiciens, de danseurs, de bouffons et d ’exécuteurs des hautes œuvres ;

iv) Enfin les Batwa anoblis occupant des charges politiques et ayant épousé des femmes batutsi. Au premier abord, on les prendrait à s’y méprendre pour de véritables Batutsi dont grâce aux métissages, ils ont acquis la taille, le faciès, les manières ; et dont ils ont reçu du gros bétail.

Le premier Mutwa anobli au Ruanda, un Mugesera, fut le nommé Buskyete [Busyete] qui donna naissance au clan des Baskyete.
Il était au service du mwami YUHI MAZIMPAKA, puis de CYILIMA RUJUGIRA qui l’anoblit pour une raison au sujet de laquelle on fournit plusieurs versions, eu égard à son aide précieuse dans des circonstances difficiles. Cyilima-Rujugira donna comme épouse à BUSKYETE[Busyete] une fille du clan royal des Banyiginya. De son côté, Cyilima-Rujugira aurait épousé Nyirangabo, fille de Buskyete ; il aurait voulu, dit-on, par ce geste, enlever tout mépris voué aux Batwa. En 1950, trois Baskyete étaient sous-chefs en fonction au Ruanda tandis que deux autres étaient prêtres.

L’abbé Kagame signala que Biganda, cinquième successeur de Buskyete, fut un grand chef détenteur d’innombrables commandements territoriaux ; en outre, il dressa une liste de quarante Batwa qui furent sous-chefs au Ruanda. Batutsi et Bahutu doivent obéir à ces sous-chefs comme s’ils étaient de noble extraction, les Bahutu doivent les porter ainsi que leurs bagages. Toutefois, ces sous-chefs ne pourraient jamais partager ni les repas ni la boisson de leurs administrés non-Batwa. Les Batwa non anoblis ne connaissent ni serviteurs ni esclaves.
Nous nous préoccuperons spécialement, dans les alinéas suivants, des Batwa-chasseurs, les seuls chez lesquels, étant demeurés relativement homogènes, l’on pourrait s’attendre à trouver des vestiges d ’une civilisation qui leur fut propre .
Les hommes construisent la hutte, chassent, coupent le bois, tandis que les femmes puisent l’eau, cuisinent et cultivent un peu. Ils possèdent le bouclier en lianes tressées (isuri) et le bouclier en bois (ingabo) des Batutsi. Ils pratiquent le travail du tressage, la préparation des peaux par séchage au soleil et connaissent la boissellerie rudimentaire : ruches, arcs, flèches. Ils ignorent la sculpture sur l’ivoire. Ils ont perdu l’usage de la cueillette directe.

Comme instruments de musique, ils possèdent l’inzenzi, genre de mandoline à une corde dont la caisse de résonance est constituée par une calebasse ; l’inanga, espèce de cithare à six ou sept cordes, les grelots et l’olifant ; ils chantent et pratiquent la danse. En Urundi, ils emploient en outre le likembe, d ’exportation congolaise. Ils exerçaient le droit de vengeance comme les Bahutu et les Batutsi.
Les naissances sont les bienvenues, on en compte jusqu’à douze dans la vie d’une femme, mais la mortalité infantile atteindrait jusqu’à 50%. Les avortements sont attribués à l’action d’esprits malfaisants. Il n ’existerait pas de devins parmi les Batwa-chasseurs qui s’adresseraient à cet effet aux Bahutu. Comme chez les Bahutu et les Batutsi, le père doit récompenser (guhemba) sa femme en bois, bière et viande, lorsqu’elle accouche, afin d’obtenir un titre de légitimité à la paternité. Les monstres seraient enterrés vivants tandis qu’on craint les naissances gémellaires. La dation du nom a lieu le huitième jour, non seulement par le père, mais également par la mère, chacun d’eux imposant un nom à l’enfant.

La puberté se déclare entre douze et quatorze ans, mais le mariage n’a lieu que vers vingt ans chez les hommes et dix-huit ans chez les femmes. La morale sexuelle est observée : la fille-mère est expulsée du groupement. La société est patrilocale et la succession patrilinéaire. Les enfants relèvent légitimement de celui qui a versé les gages matrimoniaux, soit une dizaine de chèvres et de nombreuses cruches de bière. Le rituel du mariage est identique à celui pratiqué chez les autres indigènes du Ruanda-Urundi : umwishywa, imbazi, libations, danses, chants et larmes de circonstances de la mariée. Comme chez les autres Banyarwanda, il incombe aux parents de la mariée de lui fournir son trousseau ibirongoranywa. Les fiancés peuvent se voir et se parler, mais seulement en présence d ’une tierce personne. En principe, on pratique l’exogamie par rapport à la phratrie : un Mugesera ne peut épouser une Mugesera mais recherchera femme chez les Bazigaba. On ne peut épouser sa nièce. La dot de la mariée, indongoranyo, constituée par une tête de gros bétail chez les Bahutu et les Batutsi, est inconnue chez les Batwa. En principe, les Batwa sont monogames, sauf leurs patriarches. Le divorce suit les mêmes règles de droit que chez les Batutsi et les Bahutu. A la mort du mari, la femme subit la pratique du lévirat.

Lors de la mort, le corps n ’est jamais ramené de vive force dans la position foetale, il est étendu ou accroupi et enveloppé dans une natte, puis déposé au sein d ’une grotte ou dans un hypogée simple sans logette latérale. Le mort y est couché sur le côté, la tête en haut : « comme on dort ». On le protège contre les incursions des carnassiers par des pierres obturant la grotte ou par une couche d’herbe et de terre remblayant la tombe. Le patriarche est enterré à proximité des habitations ; au préalable, on lui coupe les poils et on lui rase la tête (rite de purification). Au retour des funérailles, on se purifie les mains et les pieds à l’eau. La purification de la hutte du défunt est opérée en y brûlant, durant quatre jours, une branche d’umutobotobo et une autre d ’érythrine, arbustes épineux. Nous nous trouvons ici en présence d’un rite de la plus pure magie ayant pour but de préserver les survivants contre les incursions des esprits malveillants, à commencer par celui du mort, qui sont neutralisés par l’effet de l’umutobotobo alias umurembe (de kuremba : rendre impuissant) et de l’umuko alias umurinzi (de kurinda : prendre garde, protéger). On disperse les cendres de ces branchages calcinés, au loin et secrètement, afin d’éviter que des maléficiers ne s’en servent pour pratiquer l’envoûtement des parents du mort.

Les Batwa ne possèdent pas de langue qui leur soit propre ; ils parlent un kinyarwanda ou un kirundi identique, au point de vue grammatical et du vocabulaire, à celui des Bahutu et des Batutsi. Les divergences portent sur les articulations, la phonétique restant la même ; ainsi, ils diront injenji pour inzenzi, kwikara pour kwicara, kwita pour kwica, etc.

Avant l’occupation européenne, les Batwa-chasseurs vivaient assez indépendamment du mwami bien qu’ils dussent lui apporter, au titre de tribut mitigé, car compensé par un cadeau, des peaux de léopard, de colobe, de loutre, ainsi que les défenses d’éléphant ; par contre, ils percevaient une dîme sur les voyageurs de passage au travers de la forêt qu’ils « trayaient » selon leur expression. Entre eux, les Batwa sont d’une hospitalité proverbiale.

Il n ’y a pas trace chez les Batwa d’un âge de la pierre ni d ’un âge du fer qui leur furent personnels. Il y a chez eux absence de dessin, de peinture et de sculpture hormis la poterie. L’arc est leur instrument le plus important ; ce sont des archers de la plus grande habileté. Alors que la civilisation des Pygmées se caractérise ailleurs en Afrique par le manque de poterie, il est remarquable de constater qu’au Ruanda-Urundi les Batwa bâtards des milieux Bahutu et Batutsi la pratiquent comme un véritable monopole ; il s’agit de toute évidence d ’une industrie empruntée au fonds bantou.
Ils ont la connaissance d’un grand dieu Imana qu’ils n ’invoquent toutefois pas. Ils pratiquent le culte des esprits de leurs ancêtres ainsi que celui de l’esprit divinisé de Ryangombe. Ils portent des amulettes et des talismans comme tous les primitifs de ce pays et croient à la puissance maléfique des esprits vindicatifs avides de mort. Les Batwa des abords de la forêt des volcans croient qu’après la mort les bons esprits se rendent au Karisimbi, couvert de neige et hanté par la divinité Ryangombe, tandis que les mauvais esprits se dirigent vers le Nyiragongo toujours en feu, et que de leurs querelles résultent les éruptions volcaniques et les tremblements de terre.

En magie protectrice, ils emploient notamment les dents de phacochère, les pointes d’éléphant et les cornes de certaines antilopes qu’ils portent comme amulettes contre le rhumatisme.

Leur régime alimentaire comporte, outre la viande de chasse, de bœuf, de chèvre et de mouton, toutes les plantes vivrières cultivées dans le pays : sorgho, patates, pois, haricots, bananes, etc, le sel qu’ils extraient des herbes de marais, la bière de banane, de sorgho et l’hydromel. La nourriture est cuite par les femmes dans des poteries. Elles mangent à l’écart des hommes. Tous se purifient les mains à l’eau avant et après les repas. Les viandes se conservent boucanées.

Comme les Bahutu, ils connaissent l’allume-feu composé de deux bois frottés l’un dans l’autre. Ils se mettent à l’abri des fauves en allumant de grands feux.

B. Nomenclature des clans batwa.

i) Ruanda.
Le R. P. Schumacher releva les clans suivants parmi les Batwa chasseurs : Abagesera — Abazigaba — Abanasimba-Abahoma — Ababanda-Abasinga — Abalera — Abungura — Abashaka — Abaskyete — Abasindi — Abarerera — Abagiri — Abagara — Abasigi — Abashabarara — Abashenge — Abahonja.

Les Batwa bâtards ou assujettis aux Batutsi ont bien souvent pris le nom de clan de leurs maîtres : Abanyiginya, Abega, etc. Ils ont parfois pris des noms de clans bahutu. Cette remarque est valable également pour l’Urundi.

ii) URUNDI.

Abanyakarama — Abahondogo — Abahiza — Abenengwe — Ababanda — Abanyagisaka — Abajiji — Abasafu — Abashoka — Abarango — Abagubere — Abashoma — Abahimba — Abakabije — Abaroha — Abagomba — Abacabyoya — Ababaza — Abega — A bahanga — A bayogoma — A bougera — Abasature — Abadara — Abavumu — Aborere — Abarima — Abatsindagire — Abasinga — Abanyabugufi — Abahisho — Abazage — Abana ou Abaryabwonko (litt. : les mangeurs de cervelle) (1).

C. Origine immédiate des Batwa du Ruanda-Urundi.

Le problème qui se pose au Ruanda-Urundi consiste à savoir si les Batwa ont vécu avant les immigrants bahutu et batutsi et ont été assujettis, absorbés et acculturés par eux, ou bien s’ils y ont été amenés par ces Bantous. Les avis sont partagés quant à l’origine immédiate des Batwa. Pour les uns, ce sont des immigrés, pour les autres, ce sont de véritables autochtones, les tout premiers occupants du pays et l’on n ’hésite pas à ajouter, sans en fournir la moindre preuve, qu’ils y vivaient au sein des forêts. Cette dernière thèse ne repose sur aucune donnée historique ni même légendaire et ne résiste pas à la confrontation des arguments suivants :

i) Aucune fouille archéologique en forêt n ’en a jamais fourni la preuve ;
ii) On ne trouve, nulle part au Ruanda-Urundi, des clans batwa ni des individus vivant isolément au sein de la grosse forêt : même les Pygmoïdes chasseurs, qui forment une infime minorité, résident toujours à l’orée et en dehors de la grande sylve où ils ne séjournent que pour la chasse. Ils habitent à proximité immédiate des agriculteurs bantous dont ils dépendent pour leur subsistance en légumes, bière, céréales ainsi que pour leurs armes en fer forgé. Il apparaît clairement qu’ils ont suivi les agriculteurs bahutu au fur et à mesure que ceux-ci abattaient la forêt. Ils dépendent encore des Bahutu à qui ils doivent comme tribut la moitié des produits de leur chasse en location de chiens;

iii) Les Batwa ne possèdent aucune civilisation qui leur soit propre : ni langue, ni religion, ni institutions, ni magie, ni vêtements, parures, instruments ; les grands rituels de la naissance, de l’éducation, du mariage, du décès, du deuil et des funérailles sont à quelques détails près, absolument identiques à ceux pratiqués par les Bahutu et les Batutsi ;

iv) Les Batwa portent des noms des premiers clans bahutu, batutsi, et même bahunde, qui se fixèrent dans le pays : Bagesera et Bazigaba ; de là à conclure qu’ils seraient venus en même temps qu’eux, il n ’y a qu’un pas à franchir, attendu qu’ils vivent en symbiose étroite avec ces indigènes ;

v) La légende veut pour le surplus qu’ils soient venus au Ruanda en même temps que les Batutsi : l’on prétend en effet que lorsque Sabizeze alias Kigwa-Kimanuka, l’ancêtre de la famille régnante, son frère et sa sœur atterrirent à Rweya au Mubari, ils étaient accompagnés du Mutwa Miwabaro et de sa femme ;

vi) Tout porte donc à croire que les Batwa s’insérèrent dans les grandes migrations qui amenèrent les Bahutu et les Batutsi au Ruanda-Urundi avec lesquels ils vécurent côte à côte en Afrique, selon toute vraisemblance, durant des millénaires. Ils s’amenèrent vague après vague, les premiers accompagnant les Bahutu Bagesera et Bazigaba, les autres suivant les Batutsi Banyiginya. On ne connaît pas de Batwa assujettis aux vrais pasteurs Bahima. Certains noms de clans donnés aux Batwa de l’Urundi trahissent leur immigration dans ce pays : Abanyagisaka (ceux venus du Gisaka) — Abanyarwanda (du Ruanda) — Abanyabugufi (duBugufi) — Abaha (duBuha).

Selon les historiens des Bashi (Kivu), les Bahutu de Rutshuru et les habitants du Nkole, de très nombreux Batwa, Pygmoïdes ou Pygmées, auraient vécu jadis dans le pays compris entre le lac Albert et la Semliki à l’ouest, et le lac Victoria-Nyanza à l’est ; ils ignoraient, dit-on, l’arc et la flèche et n’étaient armés que d’un bâton pointu durci au feu. Lorsque les tribus bantoues Bungura, Barega, les Basinga, Barenge, Bakonde et les Bazigaba après avoir traversé le déversoir du lac Victoria vers le Nil venant du nord, du nord-est et de l’est, sont venues occuper les territoires actuels du Ruanda et du Nkole, il n’y avait selon la tradition pas de Pygmées dans ces pays.

Pour Mœller, l’association des trois éléments Batutsi, Bahutu et Batwa serait antérieure à leur installation dans le pays. Les Batwa du Ruanda et du Kivu ne seraient pas autochtones, mais auraient accompagné les envahisseurs, eux-mêmes refoulés, peut-être par les conquêtes des Babito, dans le Bunyoro, le Toro et le Nkole. Il est certain que la présence des Batwa dans la vallée du Nil vers l’Équateur, fut connue dès la plus haute antiquité.

L ’écrivain arabe Masudi, surnommé I’Hérodote des Arabes, signalait l’existence en son temps, soit au Xe siècle, en Afrique orientale, au-delà du pays des Noirs de la côte ou Zendjis installés jusqu’à Sofala, un pays des Wak-Wak (ou Batwa Baka-Baka) où l’on produisait de l’or.

C’est sans doute dans ces régions ou dans des régions voisines (oasis du Soudan), que les Pharaons faisaient rechercher les Pygmées qu’ils exhibaient à leur cour et qui étaient chargés de les distraire, au troisième millénaire avant notre ère.

Il est impossible de se faire une idée aujourd’hui de ce que fut la culture des Batwa et de ce que fut leur langue, dans l’hypothèse où ils auraient eu une langue et une culture propres. Pour VANDERKERKEN , les Pygmoïdes et les Pygmées du Ruanda-Urundi sont incontestablement des variétés du Nègre bantou : ils en ont notamment les cheveux et la peau noire. Comme nous l’avons vu, les Batwa du Ruanda-Urundi ne présentent guère, en dehors de certains tabous alimentaires qu’ils n ’observent pas, de caractéristiques propres, ils se sont métissés non seulement aux Bahutu mais également aux Batutsi. Dans ces conditions peut-on encore parler d’une race pure de Batwa au Ruanda-Urundi ?
Czekanowski ne donne pas pour de vrais Pygmées les Batwa du territoire circonscrit par les Grands Lacs ; ils ont un type beaucoup moins net que ceux de la forêt de l’Ituri.

D. Origine éloignée des Pygmées.

Pour SELIGMAN, les vrais Batwa devraient être considérés comme représentant un type humain infantiloïde aussi bien physiquement que mentalement. Baumann estime que la race des Pygmées est « unanimement » reconnue comme constituant une race à part.

Le Dr MONTANDON divise les Pygmées de partout, ou race pygméenne, en sous-race négrille (Afrique) et en sous-race négrito (Asie-Océanie). En Asie, on les retrouve aux Iles Andaman, à la presqu’île de Malacca, aux Philippines, en Nouvelle-Guinée et aux Nouvelles Hébrides.

Les Pygmoïdes ne forment pas un chaînon ancestral, mais un rameau aberrant, détaché du tronc humain commun qui, depuis son détachement, a accentué ses caractères pygméens. Les rattacher simplement aux Négroïdes est artificiel ; leur dispersion parle magnifiquement pour leur formation ubiquitaire car s’ils existent encore aujourd’hui du Gabon à la Nouvelle-Guinée, on en a trouvé des squelettes en Europe méditerranéenne et centrale ainsi qu’en plusieurs points de l’Amérique (Argentine, Chili, Pérou, Guyane, Guatemala). La grande race pygmoïde peut être conçue comme étant le résultat d ’une différenciation essentielle, ologénétique, dans l’espèce humaine ; les représentants de cette grand-race sont nés sur toute l’étendue de la Terre.