{:fr}Le mariage est une union entre un homme et une femme de telle sorte que les enfants qui en naissent sont socialement reconnus comme les descendants légitimes des deux partenaires. Au Rwanda, la légalité du lien matrimonial dépendait du paiement d’un prix de mariage par lequel l’époux et, d’une manière plus éloignée mais très réelle, le groupe de parenté auquel il appartenait acquéraient un droit exclusif sur la faculté de reproduction de l’épouse et sur les enfants qui naissaient d’elle. Le transfert du prix de mariage était suivi de cérémonies qui assuraient la publicité au contrat qui venait d’être conclu mais dont l’accomplissement n’était pas de nature à constituer à lui seul un mariage légal. Si le prix de mariage n’avait pas été payé, les enfants étaient inkuri ou kurinkobwa: ils appartenaient au lignage de leur mère.

Le prix de mariage consistait en plusieurs prestations dont la plus importante, appelée kwano, était le transfert d’une vache qui constituait la norme idéale. Nombreuses étaient toutefois les possibilités qui s’offraient à ceux qui ne possédaient pas ide gros bétail ou qui ne pou nt s’en dessaisir: ils pouvaient par exemple prêter une génisse ou une vache jusqu’à ce qu’elle eût un veau qui était laissé au père de la jeune fille, ou ils payaient le kwano en chèvres ou en houes. Les dons en bière, qui s’ajoutaient à la prestation principale et qui étaient destinés aux membres du groupe de parenté de la jeune fille et à sa mère étaient considérables; dans certaines régions, ils étaient équivalents au prix de mariage proprement dit ou le dépassaient même en valeur. Un pauvre pouvait aller travailler chez son futur beau-père pour obtenir une femme. La durée du travail n’était que vaguement déterminée. Au Rwanda central, en particulier chez les Tuutsi, un homme était souvent dispensé de payer le prix de mariage. C’était pour l’entrant une marque de très grande bienveillance. La fiancée, dans ce cas, s’appelait umugeni w’ubuntu, « fiancée d’amitié, fiancée-cadeau ».

Le père de la jeune fille, aidé par son groupe de parenté, donnait à l’époux et à son lignage des contreprestations qui étaient souvent presque aussi importantes que le prix de mariage. Elles consistaient en bétail, équipement, vivres et bière; chez les Rera, il était commun que l’époux reçoive une terre qu’il pouvait léguer à ses descendants masculins.

C’était le père de famille, d’accord avec son chef de « maison » ou de lignage dans les régions où celui-ci était fonctionnellement important, qui choisissait une épouse pour son fils et engageait avec le père de la jeune fille les pourparlers au sujet du prix de mariage prouvant le choix fait par son père; il n’était pas rare qu’il avait suggéré à son père le nom de la jeune fille qu’il aimait. La jeune fille pouvait avec succès, semble-t-il, refuser son consentement au mariage proposé chez les Twa hunyu; la chose était plus difficile chez les Hutu et surtout chez les Tuutsi. Lorsque le candidat déplaisait à la jeune fille tuutsi, celle-ci se laissait marier afin de ne pas porter atteinte aux relations amicales entre les groupes de parenté intéressés ; mais elle divorçait quelque temps après le mariage. On considérait alors que la rupture était due aux enfants et non pas aux groupes de parenté.

Les pourparlers entre les pères des futurs époux, le transfert du prix de mariage et la célébration des cérémonies nuptiales constituaient la voie habituelle du mariage. Lorsque deux jeunes gens s’aimaient et que leurs parents ne voulaient pas donner suite à leur désir de se marier, ils pouvaient exercer une certaine pression sur leur groupe de parenté en le mettant devant un fait accompli. La jeune fille allait cohabiter avec le jeune homme ou celui-ci accomplissait par ruse un rite figurant dans les cérémonies de mariage ou qui avait une valeur semblable à un rite nuptial (par exemple cracher du lait ou frotter du beurre sur la poitrine de la jeune fille, la toucher avec une petite branche de momordique, etc.). Le jeune homme pouvait aussi enlever la jeune fille. La cohabitation de fait des jeunes gens ne constituait pas pour autant un mariage légal. Mais généralement les parents étaient disposés à donner et à recevoir le paiement de mariage qui régularisait l’union de fait. A moins que, comme cela arrivait fréquemment chez les Rera, le cas ne fût décidé par les armes.

Prohibitions De Mariage

Les mariages inter-caste n’étaient pas défendus entre Tuutsi et Hutu mais il ne semble pas qu’ils aient été très fréquents. Toutefois, il arrivait souvent que des hommes tuutsi eussent des concubines hutu. On affirme que des unions entre Twa et membres des deux autres castes étaient presque impensables. Comme nous l’avons déjà noté, il n’existait pas de prohibition générale de mariage entre des membres d’un même patriclan. On pouvait aussi se marier avec des femmes de n’importe quel patriclan à moins qu’il n’y eût une défense particulière à ce sujet dans tel clan ou tel lignage.

Les prohibitions de mariage relevant de la parenté étaient coextensives avec les prohibitions sexuelles; leur transgression était considérée comme incestueuse (-hene). Il y avait des variations régionales dans ces interdictions mais leur importance ne saurait être mesurée aussi longtemps que les prohibitions valables au centre et dans les diverses régions ne seront pas relevées et systématisées complètement. Au Rwanda central, le mariage était défendu entre membres d’un lignage (ryango), entre membres d’une « maison » (zu), entre sortants aussi longtemps qu’on se rappelait les liens (féminins seulement) qui les reliaient à deux soeurs, entre membres et (premiers?) sortants de la première et deuxième génération descendante, mais pas entre un membre et un premier sortant de même génération. Cette liste n’est pas complète. Dans les régions hutu du nord-ouest, les prohibitions étaient plus complexes et peuvent être systématisées dans les trois règles suivantes.

1). Le mariage est défendu entre membres d’un lignage ou d’une « maison ».

2) En ce qui concerne le mariage entre membres et sortants:

(a) si l’homme est membre et la femme sortant, il y a une corrélation avec l’exogamie du groupe zu: si le sortant féminin descend d’une femme qui appartient à la « maison » ou qui est assimilée à un membre de celle-ci, le mariage est défendu;

(b) si l’homme est sortant et la femme membre, le mariage est toujours défendu, sauf  si la femme appartient à la première génération descendante.

3) Le mariage est toujours défendu entre sortants aussi longtemps qu’on est conscient des liens qui les relient au lignage initial. Chez les Twa hunyu, le mariage était défendu entre membres. En outre, un Twa ne pouvait pas épouser un premier sortant féminin de sa génération, à moins que le père du jeune homme fut décédé ou que la résidence du jeune couple fut néolocale. A la base de cette défense, il y avait l’interdiction très stricte de toute cohabitation d’un membre masculin et d’un premier sortant féminin de la génération suivante.

Chez les Hutu du nord-ouest et les Twa hunyu, la cousine croisée paternelle était donc exclue des partenaires possibles.

Types De Mariage Préférentiel

Au Rwanda central, il n’y avait pas de mariage préférentiel. Toutefois, il était socialement très approuvé qu’un homme épouse sa cousine croisée (soit dans la relation de membre masculin à premier sortant féminin, soit dans la relation de premier sortant masculin à membre féminin, lorsque celle-ci ne trouvait pas facilement un autre partenaire, par exemple à cause d’une déformation physique. Dans les régions hutu du nord-ouest, il existait deux types de mariage préférentiel. Le premier (a) était l’union entre un premier sortant masculin et un membre féminin de la même génération (matrilateral cross-cousin marriage). Le deuxième (b) type de mariage la première génération descendante, le premier type préférentiel étant supposé être réalisé déjà, de sorte qu’un homme épousait la fille du « frère » de sa première femme; toutefois, un mariage de cette sorte pouvait être réalisé et constituer un type préférentiel (b) indépendamment du type a.

Même s’ils n’étaient pas effectivement réalisés, les types préférentiels avaient une grande influence sur la terminologie de parenté et le comportement des personnes qui se trouvaient dans une situation de mariage préférentiel possible: ils anticipaient dans leur comportement l’attitude normative qui suivrait la réalisation des divers types (par exemple: attitude respectueuse d’un premier sortant masculin vis-à-vis d’un membre masculin de la première génération ascendante, appelé « beau-père », et évitement strict d’un entrant féminin, « belle-mère », par un premier sortant masculin et un entrant masculin de la même génération.

Types De Famille

 Le type de famille dépendait de la nature du lien qui unissait un homme et une femme; selon que ce lien était socialement sanctionné ou non, la famille était légale ou purement naturelle. La famille naturelle était représentée par le concubinat d’une jeune fille ou d’une femme mariée. Si le prix de mariage n’avait pas été payé pour une jeune fille, ses enfants n’appartenaient pas socialement à leur genitor mais au lignage de leur mère; si une femme mariée n’avait pas été répudiée régulièrement par son mari, ou, après le décès de celui-ci, par le lignage auquel il appartenait, les enfants qu’elle avait avec un autre homme que son levir ou son mari pouvaient être réclamés au genitor par le mari ou son lignage,

La famille légale reposait sur le paiement du prix de mariage ou sur l’accord qui en dispensait l’époux dans certains cas. Nous distinguons la famille nucléaire, la famille composée ou polygyne, la famille léviratique et le concubinat contrôlé d’une veuve.

La famille nucléaire (urugo) était composée d’une femme, d’un homme et de leurs enfants non mariés s’il y en avait, parfois aussi d’une femme et de ses enfants quand le mari était décédé ou d’un homme et de ses enfants quand son épouse était décédée ou divorcée. La résidence de la famille nucléaire, appelée urugo également, était généralement patri virilocale chez les Hutu, souvent néolocale chez les Tuutsi. La famille polygyne comprenait un homme, ses femmes (généralement deux chez les Twa et les Tuutsi, trois ou quatre chez les Hutu) et leurs enfants non mariés. Elle ne peut être considérée comme un simple agrégat de familles nucléaires car la présence d’un seul mari donnait aux divers éléments un type d’intégration particulier. Chez les Hutu et les Tuutsi, chaque femme avait sa hutte et ses greniers propres, soit dans le même ensemble d’enclos, soit dans des rugo séparés. Le mari n’avait pas d’habitation propre mais visitait ses femmes à tour de rôle. Le statut des femmes entre elles était égal en ce sens qu’aucune ne pouvait donner des ordres à une co-épouse. Chez les Rera, la femme qui avait été épousée la première était la plus importante dans le domaine rituel. C’est avec elle que le mari devait accomplir les copulations prescrites en certaines circonstances et seul le décès de sa  première femme entraînait une impureté rituelle pour lui. La polygynie sororale n’était pas très populaire au Rwanda.

La famille léviratique ne se créait point par un nouveau mariage de la veuve après le décès de son mari. Par le paiement du prix de mariage, le groupe zu et le lignage du mari avaient acquis des droits sur elle. Si la veuve était encore jeune, un membre du lignage du mari défunt (généralement de même génération que celui-ci, parfois de la génération suivante, et du même groupe zu) était tenu de cohabiter et d’engendrer avec elle des enfants qui étaient socialement reconnus comme les enfants du mari défunt, le levir n’étant que leur génitalet le pro-époux de leur mère. La famille léviratique avait donc une composante légale et une composante naturelle. L’élément légal était constitué par le mari défunt, la femme et ses enfants, y compris ceux qui avaient été engendrés par le levir; l’élément naturel était constitué par la femme, ses enfants et le levir. Dans la vie quotidienne, ce dernier était considéré comme l’époux de la veuve et le pater de ses enfants mais légalement il ne l’était point. Le type de la famille léviratique illustre la subordination de la famille naturelle à la famille légale et de cette dernière au groupe zu et au lignage. Il existait chez les Tuutsi et les Hutu du nord-ouest. Il est distinct de l’héritage des veuves; par cette institution, l’homme qui cohabitait avec la veuve devenait le véritable époux de celle-ci et le pater des enfants qu’il engendrait avec elle; elle aurait existé chez les Hutu du Rwanda central.

Une assez grande liberté de fait était laissée à la veuve qui était mère, Elle pouvait choisir entre les levirs possibles et même préférer garder son statut de veuve qui était élevé, surtout en milieu tuutsi. Parfois, un étranger y venait cohabiter avec elle. Ce qui a été dit au sujet de la signification du prix de mariage fait comprendre que cela ne pouvait arriver qu’avec le consentement du lignage dans lequel la femme était entrée. Le concubin était habituellement un homme pauvre et obtenait l’accord du lignage moyennant quelques prestations en travail ou en bière, Comme le levir, il n’était que le pro-époux de la veuve et le genitor des enfants qu’il engendrait; mais contrairement au levir, il n’avait aucun contrôle sur les biens de la veuve ni sur l’avenir de ses enfants.

Fonctions De La Famille

Outre sa fonction économique précédent, la famille rwandaise remplissait trois fonctions principales: la reproduction, la satisfaction des besoins sexuels et amoureux des époux et la socialisation des enfants. La famille nucléaire peut être considérée comme le modèle type pour l’accomplissement de ces différentes tâches, les autres types de famille s’y conformaient. Toutefois, il importe de ne pas isoler la famille du reste du groupe zu et du lignage.

Un enfant était toujours le bienvenu dans la famille. Il semble qu’on ne connaissait pas de procédés anticonceptionnels. Les Rwanda aimaient les enfants comme une valeur en soi mais aussi parce qu’ils représentaient des moyens d’atteindre certains objectifs sociaux comme le pouvoir, la considération et la sécurité. Le mariage d’une fille permettait d’étendre les alliances d’un lignage avec d’autres groupes de parenté. Les fils, chez les Tuutsi, représentaient leur père à la cour du roi et des gouvernants; ils augmentaient la puissance combative des lignages hutu dans les régions indépendantes du nord. Les lignages nombreux jouissaient d’une grande réputation aussi bien chez les Hutu que chez les Tuutsi. Au Rwanda central, les Hutu cherchaient surtout la protection d’un seigneur. Devenir client impliquait de nombreuses prestations qui nécessitaient la production d’un surplus économique auquel le travail des enfants contribuait.

L’activité sexuelle ne procurait pas simplement un plaisir physique aux époux, elle leur servait aussi de moyen d’expression de sentiments affectifs. Bien qu’une grande partie des mariages étaient conclus sans que les sentiments des partenaires fussent pris en considération par les groupes intéressés, il ne faut pas sous-estimer le nombre d’époux qui après un certain temps de vie conjugale, développait de réels sentiments d’affection. En troisième lieu, la sexualité était un moyen de participer aux sentiments collectifs et aux rythmes de la nature; ainsi, la copulation était prescrite lors d’un mariage dans le lignage, d’une naissance, de la purification après le deuil, de la mort et de l’avènement d’un roi, lors des semailles et des récoltes. Toutefois, l’activité sexuelle n’était pas exclusivement liée au statut légal des époux au sein de la famille. En ce qui concerne la troisième fonction de la sexualité, tous les hommes mariés ou non devaient, en susdites circonstances, accomplir la copulation avec leur femme ou une partenaire privilégiée que le devin pouvait indiquer parmi les partenaires possibles. L’exercice de la sexualité était à ce point de vue en corrélation aussi bien avec une certaine position dans le système de parenté et d’affinité (notamment dans les relations membres masculins: entrants féminins et membres: sortants au Rwanda central, membres masculins: entrants féminins et sortants masculins: membres féminins de même génération chez les Hutu du nord-ouest qu’avec la famille. La vie sexuelle prémaritale des adolescents était assez libre; ils pouvaient avoir des relations avec leurs partenaires privilégiées mariées, avec des concubines et avec des femmes divorcées ou des filles vagabondes (inzererezi; icyomanzi) qui cherchaient des rencontres fortuites et se faisaient donner des cadeaux. On était plus sévère pour les jeunes filles mais il semble que la défense à leur égard était plus inspirée par la crainte d’une grossesse qui devait à tout prix être évitée et qui pouvait être sanctionnée par l’exil ou la mort, que par un rejet de la sexualité prémaritale elle-même.

Le processus intégral de la socialisation d’un Rwandais débordait le cadre de la famille. Il était en partie assuré par la famille, en partie zu, le lignage et l’armée; la socialisation se poursuivait dans la structure de clientèle et à la cour des grands. Mais la famille était à la base de toute éducation. Sous l’autorité du père et de la mère, les enfants apprenaient toutes les techniques qui étaient nécessaires pour subsister et une grande partie des impératifs de la vie sociale.

Divorce

 L’initiative du divorce pouvait être prise par la femme ou par le mari, mais c’était toujours la femme qui quittait le foyer. Les raisons de divorce reconnues socialement étaient, pour le mari, la négligence par sa femme de devoirs domestiques et des infidélités répétées; pour la femme, les mauvais traitements, l’incapacité du mari de l’entretenir et le refus de cohabiter. Des séparations temporaires (kwahukana) précédaient habituellement le divorce (gusenda). Les pères des époux et même les deux groupes de parenté intéressés essayaient d’aplanir les difficultés qui existaient entre les époux. Lorsqu’un lignage répudiait une veuve, cet acte équivalait à un divorce. Le prix de mariage n’était restitué qu’au cas où la femme n’avait pas donné d’enfants à son mari ou au lignage ou si les contreprestations n’avaient pas été échangées. L’enfant né d’une femme divorcée appartenait au lignage de sa mère : toutefois, le genitor pouvait acquérir l’enfant moyennant le paiement d’un prix de naissance.

Rôles De Parenté Et D’Affinité

Par sa position dans une famille et par son mariage, le Rwandais était intégré dans un système de parenté et d’affinité qui comportait de nombreux rôles, Voici les plus importants.

Membres: membres.

On attendait qu’il y eût une certaine égalité, une attitude de sincère cordialité et des sentiments fraternels entre membres d’une même génération. Toutefois, la distinction de sexe et d’âge, qui s’exprimait aussi dans la terminologie, était importante. Les cadets devaient témoigner du respect à leurs aînés similaires; les garçons devaient être respectés par les filles; le garçon aîné, dans chaque famille, avait droit à plus d’estime encore. Les membres masculins d’une même famille nourrissaient souvent des sentiments de méfiance les uns à l’égard des autres; tous voulaient obtenir la faveur du père. Les enfants de même père mais de mères différentes partageaient en général les rivalités qui existaient entre les mères. Entre membres polaires, les relations devenaient plus distantes après la puberté. Chez les Rera, les membres féminins mariés pouvaient en certaines circonstances terroriser leurs co-membres masculins par des moyens rituels.

Une attitude de grand respect et d’obéissance était normative dans les relations avec les membres (et entrants masculins) de la première génération ascendante. Entre membres masculins et membres féminins de la génération suivante, cette attitude était un peu moins contrainte mais entre similaires masculins elle ne changeait pas, même pas après le mariage du membre de la génération suivante. Les femmes de la première génération ascendante avaient droit à plus de respect encore que les hommes. Elles pouvaient, comme un père, maudire les membres de la génération suivante, L’autorité d’une femme de la première génération ascendante était particulièrement forte sur les filles barera dont elle devenait souvent la belle-mère ou la co-épouse.

Des relations de plaisanterie (appelées guterana ubwuzukuru, « se lancer la relation», chez les Rera) caractérisaient les rapports entre membres (entrants et sortants) de générations alternes. Elles consistaient en jeux de mains et conversations dont les thèmes principaux étaient d’ordre sexuel, voire scatologique.

Sortants: sortants.

Au Rwanda central, les premiers sortants de même génération se comportaient dans l’ensemble comme des membres, mais le fait qu’ils appartenaient à des lignages différents supprimaient des causes de discorde possibles. Chez les Rera, il en était de même pour tous les sortants réciproquement.

Les relations entre sortants de deux générations voisines ou alternes n’ont pas été examinées au Rwanda central. Chez les Rera, les attitudes normatives étaient semblables à celles qui existaient entre des membres et des premiers sortants des première et deuxième générations descendantes.

Membres: sortants.

Au Rwanda central, l’attitude normative qui existait entre un membre masculin et un premier sortant féminin n’était pas différente du comportement prescrit entre un membre féminin et un premier sortant masculin. Dans les deux cas, il y avait des relations de plaisanterie (guterana ububyara) qui s’exprimaient par des farces et des jeux amoureux (caresses, mais pas de relations sexuelles aussi longtemps que la partenaire n’était pas mariée). Le fait que les deux relations envisagées étaient indiquées par le même terme (-byara) était significatif au Rwanda central; il ne l’était point dans les régions hutu du nord-ouest. Entre un membre masculin et un premier sortant féminin, les relations devaient être très réservées et semblables au comportement de membres polaires après la puberté. Au contraire, les rapports entre un premier sortant masculin et un membre féminin étaient dénués de toute contrainte; les relations de plaisanterie étaient plus libres encore qu’au centre du pays. Cette distinction était fonction du type a de mariage préférentiel. Entre premiers sortants et membres similaires, les relations de plaisanterie étaient permises.

Une attitude d’affection respectueuse caractérisait les relations entre les membres féminins et les premiers sortants de la génération suivante (ainsi que celles entre entrants féminins et membres de la génération suivante); entre similaires féminins, les relations étaient même confidentielles. Une grande discrétion marquait, au Rwanda central, les rapports entre un premier sortant masculin et un membre similaire de la première génération ascendante; le sortant aurait porté malheur au membre. Chez les Hutu du nord-ouest, ces deux personnes devaient se comporter comme beau-père et beau-fils en vertu du premier type de mariage préférentiel, même s’il n’était pas réalisé.

Les sortants et les membres de la deuxième génération ascendante avaient un comportement semblable à celui qu’avaient les membres entre eux.

 Relations d’affinité.

 Nous considérerons seulement les relations d’affinité les plus importantes, notamment celles qui existaient entre entrants et membres de même génération, entre entrants et membres de la première génération ascendante et entre entrants polaires de même génération.

 Entrants et membres,

L’entrant devait un très grand respect aux membres (et entrants) de la génération ascendante. Entre similaires, cette attitude respectueuse s’exprimait par la réserve du langage et l’absence, de toute familiarité. Un entrant féminin ne pouvait pas prononcer les noms d’affins similaires de la génération ascendante. La distance était plus grande encore entre affins polaires, au moins entre un entrant masculin et un membre (ou entrant) féminin de la génération ascendante. Ils devaient s’éviter autant qu’ils le pouvaient et n’étaient pas autorisés à prononcer les noms les uns des autres; les relations sexuelles entre eux étaient considérées comme incestueuses. La défense du nom existait aussi pour un entrant féminin par rapport à un affin masculin de la génération ascendante mais des relations sexuelles entre eux n’étaient pas incestueuses.

A ces relations d’affinité, il faut assimiler l’attitude respectueuse due, chez les Rera, par un premier sortant masculin un membre masculin et un entrant féminin de la génération ascendante.

Entrants et membres,

Un tout autre comportement existait entre membres et entrants de même génération. Des relations de plaisanterie (guterana uburamuet uburamukazi) et des privilèges sexuels prenaient la place des attitudes respectueuses. Les relations de plaisanterie étaient permises aussi bien entre polaires qu’entre similaires. Elles consistaient en jeux de mains parfois rudes, injures, expressions osées et farces souvent scabreuses. Cette hostilité fictive devait exprimer la bonne entente et la familiarité. Il y avait, entre polaires, un privilège sexuel. Une partenaire sexuelle privilégiée, pour un homme, était une femme mariée en principe, dont il attendait qu’elle répondrait favorablement à ses avances amoureuses, lorsque les circonstances le permettaient ou l’imposaient (par exemple lors des copulations rituelles) sans qu’il eût à faire des efforts notoires pour gagner ses faveurs. Les femmes qui entraient en considération comme partenaires privilégiées étaient pour un homme: I) les femmes entrantes de sa génération; 2) les co-membres féminins de son épouse. Pour les femmes de la première catégorie, le privilège sexuel reposait sur le prix de mariage par lequel l’époux mais aussi ses co-membres acquéraient un droit sur l’entrant féminin; pour les femmes de la deuxième catégorie, il reposait sur une assimilation des co-membres féminins de l’épouse à celle-ci. Il serait faux de conclure à partir de l’existence du privilège sexuel que les Rwandais pratiquaient une sorte de communisme sexuel dans le lignage. Seul le mari avait l’entièreté des droits maritaux sur son épouse. Les relations privilégiées n’étaient en fait que tolérées et donnaient en général lieu à des tensions sérieuses entre membres et entre co-épouses.

Au Rwanda central, le privilège existait aussi entre membres et premiers sortants polaires. Chez les Hutu du nord-ouest, seule la relation entre premiers sortants masculins et membres féminins (mariés en principe) était privilégiée; ces personnes se considéraient toujours comme affins potentiels en ce sens que, dans le système des alliances, le premier sortant masculin était l’entrant idéal.

Adoption

Un enfant trouvé (cas fréquent lors d’une famine) dont on ignorait à quel lignage il appartenait ou l’enfant d’une femme faite prisonnière pendant une campagne guerrière pouvaient être adoptés et incorporés dans la famille de l’adoptant. Les cas d’adoption semblent avoir été assez fréquents. En théorie, les enfants adoptés jouissaient des mêmes droits que les propres enfants du père adoptif. On fait cependant remarquer que la plupart des garçons, devenus adultes, fuyaient dans l’espoir de retrouver un parent qui 1eur était propre. Il arrivait également qu’un homme qui craignait de mourir sans fils pour continuer sa lignée adoptait, dans son lignage, un membre de la première génération descendante dont il devenait le pater, dans l’acception complète de ce terme. Les Rera, dans ce cas, adoptaient également des entrants masculins de la génération suivante.

Servitude Domestique

L’esclavage était inconnu au Rwanda. Des hommes très pauvres ou des captifs de guerre, hommes et femmes, pouvaient se voir contraints à la servitude domestique, les femmes souvent au concubinat. Il arrivait fréquemment que leur maître les traitait plus ou moins comme ses propres enfants, particulièrement en se préoccupant de leur trouver un mari ou une épouse pour laquelle il payait le prix de mariage.

Frères De Sang

Le pacte du sang (-nywanyi, « action de se boire mutuellement » était très répandu au Rwanda. Il était conclu entre hommes de lignages différents et n’était pas limité à des membres de la même caste. Au Rwanda central, beaucoup de Tuutsi avaient des frères de sang hutu. Il était moins fréquent que des Tuutsi ou des Hutu conclussent ce pacte avec un Twa. Les cérémonies étaient célébrées devant des témoins. Les concluants avalaient un peu de sang l’un,de l’autre. On pratiquait pour cela une petite incision sur l’abdomen. Le pacte obligeait, d’une manière irrévocable, les frères à une entraide inconditionnée. Des sanctions immanentes terribles (par exemple la Lèpre ou la mort sans postérité) menaçaient celui qui le trahissait. On ne sait pas clairement si, entre un homme et la femme de son frère de sang, il y avait nécessairement un privilège sexuel. Avoir de nombreux frères de sang procurait un sentiment de sécurité dans les conditions incertaines de la vie matérielle et sociale.

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