Imana est un maître juste, mais sa justice ne se règle pas sur le bien en soi ; elle ne venge que des injures personnelles. Le mérite et le démérite des humains ne sont pesés qu’à la balance des devoirs envers lui et envers ses mandataires, le mwami, les chefs, le père de famille.
Le péché (icyaha) contre Imana, c’est la désobéissance, la rébellion contre toute autorité, la violation de la foi jurée ou simplement le manque de confiance et les murmures ; bref, la félonie qui prend ici un caractère d’impiété et encore tout ce qui y conduit : l’orgueil, l’outre-guidance, la complaisance en soi-même. En revanche, ce qui attire le plus les faveurs d’Imana, c’est l’abandon du fidèle serviteur à son maître, accompagné de la défiance en ses propres lumières, expression la moins équivoque de la piété.
Sans doute on ne peut nier que le Munyarwanda ait une conscience, mais cette conscience diffère de celle du chrétien en ceci que ce dernier peut raisonner sa morale en la ramenant à des principes, à un Législateur suprême, tandis que lui, qui ne songe pas à considérer Imana comme la source de la loi, en est réduit à faire appel à la tradition sans plus ; tradition dont il ne cherche à établir, ni la valeur, ni la source primitive. Violer
la tradition, les coutumes, c’est mépriser les ancêtres, les fondateurs du clan. Ces coutumes imposent comme obligation positive la politesse envers tous. A l’occasion l’indigène sait compatir aux détresses variées de ses semblables. Ces mêmes coutumes interdisent et punissent le vol, l’inconduite dans certains cas, l’homicide et la violation des devoirs envers le clan naturel ou le clan d’adoption. Elles permettent cependant le suicide et l’approuvent même dans certaines circonstances.
Partout au Rwanda, on entend que soit respectée la propriété personnelle, reconnue au moins pour les biens meubles : ustensiles de ménage, outils, et l’usufruit du gros bétail, dont la possession reste entre les mains des chefs Batutsi.
Mais dans la vie pratique, le vol, les fautes de luxure, etc. ne portent à conséquence que si on a le malheur de se faire prendre en flagrant délit.
Il faut savoir que pour avoir fidèlement observé les règles fixées par la coutume, le Munyarwanda n’escompte aucune récompense dans l’autre vie, et les sanctions d’outre-tombe ne troublent pas davantage la sérénité des coupables, dont l’unique préoccupation consiste à se ménager l’impunité ici-bas.
Les châtiments dans l’autre monde, si tant est qu’ils existent, suivent non les fautes ordinaires, mais seulement l’indifférence ou le mépris envers les Imandwa, esprits supérieurs, qui partagent avec le grand Lyangombe, favori d’Imana, les honneurs de son culte, le Kubandwa. Bien plus, l’initiation dans ce culte jette un voile épais sur les dérèglements des adeptes (Lyangombe est un personnage qui, selon la légende, aurait vécu autrefois au Rwanda. Partout on l’honore d’un culte spécial, le kubandwa. Ce culte fut sans doute introduit dans le pays par les Batutsi (Hamites). D’autres personnages partagent les honneurs de ce culte, ce sont : Binego, son fils, Mugasa, son gendre, Mashyira, un devin, Nyakiliro, sa demi-soeur, Muzana et Mutwa, ses serviteurs, etc. (voirie chapitre qui traite du culte de Lyangombe).

Pour le Munyarwanda tout n’est pas fini avec la mort ; car si le corps n’est rien, il n’en est pas de même du muzimu qui lui survit. Selon la croyance populaire, ce muzimu continue à séjourner un certain temps dans les lieux où son corps a vécu, et tout particulièrement à l’ombre de l’édicule construit par les proches parents en son honneur.

Ce ne serait qu’après ce séjour temporaire parmi les vivants, que le muzimu va se fixer définitivement dans le séjour des morts.
Il arrive qu’Imana châtie mais seulement en cette vie. Ce n’est pas impunément en effet qu’on lui désobéit ou qu’on se moque de lui. C’est folie, disent les Banyarwanda, de rire de lui (Nta useka Imana: On ne rit pas d’Imana), de le mépriser (Nta wanga Imana: On ne s’oppose pas Imana) ou de s’insurger contre lui (Nta ugomera Imana : On ne résiste pas à Imana), car celui qui lui résiste ne vivra pas vieux. (Nta wanga Imana uramba) (Le verbe kwanga a plusieurs sens : refuser, résister, s’opposer, haïr, détester ; quant au verbe kugomera , il signifie : refuser obéissance, se révolter, se mutiner).
Et on aurait tort de croire que l’on pourrait se mettre hors de sa portée, car il a les bras longs (Imana ifite amaboko maremare), ce qui revient à dire qu’il atteint le coupable où qu’il soit. Il serait sot également de conclure à son impuissance, quand il tarde quelque peu à
punir (Imana muyigaye guheranwa, ntimuyigaye gutinda). D’ailleurs, il se venge habituellement en se taisant, c’est-à-dire sans crier gare (Imana ihora ihoze) ; il sait choisir son heure. Mais il arrive, lorsque Imana s’est vengé, que les mânes des ancêtres crient victoire comme si c’était eux qui s’étaient vengés (Imana igahora, abazigo bakivuga) !
D’autre part, l’on entend fréquemment les parents dire à un enfant insubordonné : «Imana te punira, car il te voit » (Imana izaguhana, irakubona) : et un malheureux, victime d’une injustice, adresse le même avertissement à son malfaiteur.

CONCLUSION
Comme on a pu le constater, en lisant les pages précédentes, il y a incontestablement au Rwanda un culte intérieur, spirituel et individuel d’Imana.
Les Banyarwanda sont pénétrés du sentiment de la présence immédiate et universelle de la divinité. Ils sont intimement persuadés que rien n’arrive dans le monde sans son ordre ou sans sa permission et que le bonheur terrestre est entièrement entre ses mains.
Il est des auteurs qui on écrit que c’est à la légère qu’ils prononcent les expressions comme « ku Mana: à Dieu », etc ; mais c’est là une affirmation tout à fait gratuite, car la pensée d’Imana leur est beaucoup plus présente qu’à nous ; on peut vraiment dire qu’ils ont le nom d’Imana continuellement dans le coeur et sur les lèvres et qu’ils le respectent. Le blasphème et tout ce qui pourrait s’en rapprocher est chose inconnue au Rwanda.
Après tout ce qui vient d’être dit, il en est qui s’étonneront:

1) Qu’Imana, objet de foi, d’espérance et d’amour, n’a au Rwanda, ni autel, ni temple, ni offrande, ni sacrifice, ni emblème, ni fête. Comment expliquer cette anomalie ? Si vous interrogez l’indigène, il vous répondra : « Pourquoi construirions-nous un temple à celui qui est partout ? Il n’y a pas de lieu où il ne soit pas (Ntaho Imana itaba). Pourquoi lui offririons-nous des offrandes et des sacrifices, puisqu’il est au-dessus de tout
besoin, étant riche de tout ; il en est comme repu (Umudabagizi) et ne peut donc être que satisfait (Umutesi) (Umudabagizi se dit d’un homme qui est repu et qui par conséquent ne peut être que pleinement satisfait (Umutesi).
Il n’a donc besoin de rien, ni de personne (Ntivunwa : il ne peut être aidé, secouru). D’ailleurs tout ce que nous possédons, vient de lui et lui appartient toujours ; en outre, il n’attend rien en retour des bienfaits qu’il nous prodigue. Imana iraguha, ntimugura: Imana nous donne sans rien nous demander en échange.

2) Que les Banyarwanda ne font aucune mention d’Imana dans le séjour des morts, mais, comme ils le disent, ils ignorent tout de l’au-delà. On peut féliciter les Banyarwanda, comme d’ailleurs tous les Bantu, d’appartenir à des peuplades où l’on a gardée intacte l’idée d’un Dieu unique et transcendant. Ils ont par là une supériorité éclatante sur les anciens peuples de l’empire gréco-romain d’où est sortie la civilisation occidentale. Ceux-ci avaient, comme on sait, un panthéon de dieux bigarés et immoraux aux légendes absurdes et fantaisistes. La ferme croyance des indigènes en un Dieu créateur, maître de la vie et de la mort, est autrement élevée et digne d’un être raisonnable.
On peut leur dire qu’en admettant ainsi un Dieu unique et transcendant ils sont d’accord avec les plus grands génies des peuples antiques, qui, par leur réflexion et leur intelligence, se sont élevés au-dessus des fausses croyances de leurs compatriotes et que la raison spontanée, si elle n’est pas faussée par une civilisation décadente et pervertie, s’élève sans effort vers le Créateur.