RECONQUETES ET ANNEXIONS NOUVELLES EN DIRECTION DE L’EST

(Cyilima II Rujugira et Kigeli HI Ndibarasa, + de 1675 à 1741)

1°. LE REGNE DE CYILIMA II RUJUGIRA. Le 16ème Roi, de 1675 à 1708.

a) Opposition des princes Mem et NNama ; la Reine mère retrouvée.

227. Lorsque Karemera I Rwaka eut abdiqué, les Dépositaires du Code intronisèrent immédiatement son demi-frère Rujugira; sous le nom de Cyilima. II. Cet événement, comme il fallait s’y attendre, provoqua de profondes divisions dans le pays, car les partisans de Rwaka pouvaient tout craindre du nouveau Roi. Pour commencer, l’opposition se déclara chez les fils du démissionnaire. Son aîné appelé Bicura, qui gouvernait comme Chef le Bwanamukali, prit les armes : il jugeait qu’il lui revenait de succéder à son père. Ne pouvant cependant prévaloir sur son rival, il s’exila an Burundi, espérant revenir plus tard appuyé par les guerriers de ce dernier pays qu’il comptait s’allier. Il devait longtemps, avec Ses compagnons d’exil, se distinguer dans le commandement des Barundi contre le Rwanda.

228. L’opposition qui eut cependant une plus profonde répercussion fut celle du prince Nama, demi-frère de Rujugira.„ dont la mère s’appelait Gahogoza. Il était chef du Bugarnba, lorsque Rwaka abdiqua ; apprenant que le « Tambour » avait été donné à Rujugira, il déclencha contre ce dernier une guerre de compétition au trône. Il eut même l’impudence et l’imprudence de s’avancer à la
tête d’une armée contre la région centrale du Rukoma, où le nou-veau Roi venait de fixer sa résidence. Les guerriers de la Cour furent envoyés à la rencontre de Nama : la bataille s’engagea sur La Bakokwe, cours d’eau entre les anciennes provinces du Rukoma et du Ndiza. Le prince Nama, en ce même endroit, dans la localité appelée Kiyonza, perdit la guerre et la vie. Il se serait suicidé par noyade dans la Bakokwe, afin de ne pas tomber vivant entre les mains de ses ennemis.

229. Cette lutte interne terminée, Cyilima II vint se fixer à Mpushi, localité située à la pointe Nord de l’ancienne province du Nduga. Il avait été intronisé avec sa tante maternelle, appelée Tara, parce* que la mère du Roi était censée avoir été exécutée par le bourreau, sous le règne précédent. Ce fut en cette localité de Mpushi que le Mutwa Busyete vint avertir le Roi que sa propre mère Kirongoro, était encore en vie : il l’amenait enfin de la cachette où elle se terrait depuis des années. L’affaire de Nama étant finalement liquidée, le Mutwa en question jugeait qu’il ne pouvait plus craindre des représailles et il s’était hâté de découvrir la faute heureuse de naguère, commise contre la volonté de Yuhi III. Le nouveau Roi fut tout heureux de revoir enfin celle qu’il croyait morte depuis bien longtemps. Elle fut immédiatement intronisée Reine Mère et Tulira rentra dans le commun. Le Mutwa Busyete fut magnifiquement récompensé : il fut anobli, reçut d’immenses commandements et des femmes de la noblesse. Il devint l’ancêtre’ éponyme des Abasyete, vaste Famille dont les membres ne présentent plus, après tant de générations, aucun caractère physique de leur ethnie d’origine.

b) Coalition contre le Rwanda et la tactique de Cyilima II.

230. Lorsque Cyilima II prit le pouvoir, le Rwanda était dans une situation critique. Kimenyi IV Getura, nous le savons déjà, régnait au Gisaka, et Gahaya II Muzora au Ndorwa. Après un règne incolore de Mwezi III Kavuyimbo, successeur de Ntare III, le Burundi avait intronisé Mutaga III Sebitungwa, monarque d’envergure, émule de son grand-père. Nos Mémorialistes ne citent pas encore le nom de celui qui régnait sur le Bugesera, pays désormais devenu une espèce de protectorat du Burundi. Les quatre monarchies citées s’étaient liguées contre le Rwanda, on ne précise pas pour quelle raison. La plaque tournante de la coalition semble avoir été Kimenyi IV Getura : sa mère Mahehure était princesse du Bugesera : il avait lui-même épousé Nyiragasumba, fille de Ntare III
et il avait donné la main de sa propre fille à Gahaya II du Ndorwa. Bien entendu, ces alliés n’avaient qu’un seul plan concerté : attaquer le Rwanda chacun de son côté ; à voir le déroulement des actions guerrières, ils ne songèrent même pas à attaquer simultanément. Seul le Bugesera n’intervint pas en ces luttes ouvertes ; mais à certains stades de la lutte, des batailles entre Rwandais et Barundi se déroulèrent sur son territoire.

231. Comment Cyilima II s’y prit-il devant ce danger ? Quoique les fonctions attachées à son nom dynastique fussent pastorales et non guerrières, il se montra un excellent organisateur de Milices combattantes. La tactique qu’il adopta alors dota le Rwanda d’une organisation guerrière des plus appropriées, et ses successeurs ne firent que la renforcer. C’est à partir de lui que prévalut l’adage guerrière : u Rwanda ruratera, ntiruterwa = c’est au Rwanda qu’il revient d’attaquer, il ne peut être attaqué. Cyilima II adopta donc la tactique suivante :

1) Le Burundi était le plus fort des adversaires en présence : il ne servirait à rien de s’opposer à lui sur son propre territoire, mais il fallait simplement lui interdire d’envahir le Rwanda. En conséquence, le monarque plaça plusieurs Milices en camps permanents ingerero, le long de la frontière en face du Burundi. Les Indilira =les Suppliant (d’aller au combat), sous les ordres du prince Muciye fils de Yuhi III ; les Abadahemuka = les Très-fidèles, sous les ordres du Chef Rubona, fils de Rusimbi, et les Nyaruguru = les Palatins, commandés par le prince Rwamahe, fils de Cyilima II. Ces trois Milices s’échelonnèrent sur la frontière Sud de l’actuelle Préfecture de Gikongoro. (cfr le Poème n° 24, dans. Introduction aux genres lyriques, p. 190-216). Nyakare = les Précoces, commandés par Nkoko, de la Famille des Abashingo, Indara = les Campeurs, sous les ordres de Rwasamanzi fils de Mukungu (celui-ci fils de Yuhi III) et Ababanda = les Escladeurs sous les ordres de Nyarwaya-Karuretwa, fils de Yuhi III : ces trois Milices couvrirent la frontière Sud et Sud-Est. de l’actuelle Préfecture de Butare. Abalima= les Ravangeurs, du prince Gihana fils de Cyilima II, faisaient face à la frontière de l’actuelle région du Bugesera. Il n’était donc plus question d’expédier une Milice vers la frontière envahie : chaque Milice devait se trouver sur place, divisée en plusieurs Compagnies. 14 camp des Marches = Urugerero avait son hinterland déterminé. Dès que l’ennemi se présenterait, les Compagnies du camp engageraient le combat et le tambour d’alarme appellerait au secours du camp les habitants de l’hinterland. Les attaques du Burundi furent ainsi endiguées; sans plus aucune possibilité d’envahir le Rwanda.

2) Le Plan conçu contre le Burundi était défensif : il était destiné à laisser les mains libres à Cyilima II pour régler leur compte aux monarques de l’Est, Moins fort que le voisin du Sud. Le prince Sharangabo, fils de Cyilima II, à 1a tête de la Milice Àbakemba =les Découpeurs fut chargé de combattre le Gisaka dans la région sise au Sud du lac Muhazi.

De son côté, le prince Ndabarasa était chargé d’attaquer le Ndorwa. Il commandait personnellement deux Armées : Ababito = les Pointes acérées, et Intarindwa = les Irrésistibles. Le Chef Kamali, fils de Gahulira, lui était adjoint, à la tête de trois Armées : Abatanguha = les Jamais-félons, Igicikiza = Ceux-qui-acculent-l’adversaire et Imanga = le Précipice. Les deux princes dirigés respectivement vers l’Est et vers le Nord devaient se livrer à une guerre de Mouvements, envahir les deux Pays et reconquérir an premier chef les territoires de son berceau que le Rwanda avait jadis perdus.

232. Ceci est le plan global, tel qu’il se montre à nous dans les récits du temps. Il fallait le présenter en bloc, tout en opinant qu’il fut conçu formellement comme tel. Mais il ne fut pas mis à exécution à la même époque. Le Burundi attaqua le premier et il se heurta eux camps des Marches disposés le long de sa frontière. Au cours de ces luttes, le prince Gihana ayant été tué en Libérateur contre le Burundi, alors le Gisaka entra en action. Ce fut en ce moment que le plan vers l’Est se déclencha à la fois contre le Gisaka et contre le Ndorwa, ce dernier pays n’ayant procédé à aucune provocation que les récits nous aient transmise. On peut donc en conclure que le plan oriental visait en bloc les territoires de l’ancien Rwanda à reconquérir. (cfr La Poésie Dynastique, p. 154, note 200 et les notices des poèmes n° 41 à 46).

c) La mise à exécution du « plan.» offensif et défensif.

1) Lutte défensive contre le Burundi.

(1) Le dispositif de défense et les forces en présence.

233. Le cours supérieur de la Kanyaru formait alors la frontière entre les deux pays, de manière que tout le Buyenzi était territoire du Burundi. La résidence royale de Mutaga III se trouvait justement à Nkanda, dans ladite région. Cette frontière de la Kanyaru supérieure était gardée par les Milices Nyaruguru au Sud, Indilira au centre (dont le camp était à Runyinya près Kinyovu)ét Abadahertuka, autour du mont Giseke. Les Mémorialistes ne nous ont renseignés que sur la Milice Indilira de récente formation, qui ne comptait que trois Compagnies. Les deux autres plus anciennes et jugées plus aguerries, devaient en compter davantage. Comme nous l’avons dit plus haut, le ‘ Commandant des Indilira était le prince Muciye, demi-frère de Cyilima II. Son lieutenant, Chef responsable du camp et directeur des combats, était Migisha, fils de Mihanda.

234. Mutaga III résidait donc à Nkanda. Sa Garde royale se divisait en deux dénominations, dont on ne sait si elles désignaient des Milices au sens Rwandais, ou de simples Compagnies : Intarindwa = les Irrésistibles et Ibenga = les Eaux-engloutissantes. Le monarque était lui-même un grand héros « de son propre arc » et ses guerriers étaient réputés. Leur commandant en chef était Budengeli, fils de Ndabarinze, un Rwandais qui s’était exilé avec le prince Bicura. Mutaga III l’avait désigné à ce Poste à cause de la connaissance qu’il avait du Rwanda, et à cause de sa loyauté garantie par le pro
jet qu’il nourrissait de revenir triomphant pour placer Bicura sur le trône.

Il dut y avoir plusieurs engagements, mais les Mémorialistes ne nous ont transmis que deux des plus mémorables sur cette frontière. Le deuxième sera celui au cours duquel Mutaga III fut tué ; le premier est la fameuse expédition contre le camp des Marches des Indilira, que nous allons résumer. Au témoignage des récits, ledit camp fut choisi explicitement pour l’attaque, à cause du fait que la jeune Milice était de récente formation et ne devait pas être aguerrie. Une fois anéanti ce camp du centre, Budengeli et son maître projetaient de s’attaquer ensuite aux deux autres camps. Le jour de l’attaque, le prince Muciye avait soustrait la 3ème Compagnie, les Impama = Grelots pour une excursion sur le mont Nyakibanda. Le camp n’était gardé que par la 1ère Compagnie, les Indilira, celle qui a donné le nom à toute la Milice, et la 2éme les Indengera -= les Franges.

235. L’attaque du camp obligea les défenseurs à s’y enfermer, ce qui n’était pas un désavantage pour eux, puisqu’ils étaient protégés par la palissade dense, tandis que les assaillants étaient à découvert. Le tambour du camp se mettant à retentir, les Impama rebroussèrent chemin, et il n’est pas douteux que les habitants de la zone accoururent en renfort ; mais le poème ne s’occupe que des combattants officiels. Finalement les assiégés sortirent du camp et livrèrent le combat en rase campagne. Les assaillants furent refoulés des abords du camp et la bataille se stabilisa dans la validé au pied du Runyinya. Le ruisseau de cette vallée fut rougi du sang des morts et des blessés. Aussi lui imposa-t-on depuis lors le nom mémorial de Amazatukura (contraction de : amazi atukura) = les Eaux-ensanglantées, en souvenir de cette bataille mémorable. Mutaga III lui-même fut blessé d’un coup de lance et les Barundi se retirèrent vaincus. (cfr Introduction aux genres lyriques, p. 77-88).

(2) La Phase des Libérateurs.

236. Les Barundi durent harceler le Rwanda d’une manière inquiétante, pour que Cyilima II décidât de donner un grand coup ! .Afin de briser les armes entre les mains de Mutaga III, en effet, il décida d’envoyer contre lui un Libérateur d’envergure qui verserait librement son sang sur le sol du Burundi et provoquerait tous les malheurs. Ce Libérateur, arme secrète jusque-là tenue, en réserve, était le prince Gihana, fils de Cyilima II et chef de la Milice Abalima. Le désigné s’avança sur le territoire du Burundi, à la tête d’un grand nombre de guerriers destinés à former le cadre du sacrifice suprême. Mais les espions du Burundi veillaient : partout où se présentait le prince, les guerriers le fuyaient comme une peste, parce qu’on avait appris la nouvelle : il ne fallait pas le tuer ! Ce serait assassiner son propre pays, que de verser le sang porte malheurs d’un Libérateur, surtout de ce rang. Comme le prince perturbait les affaires du Burundi en vue justement de provoquer l’ire du pays et sa mort, Mutage, III et ses conseillers trouvèrent enfin la solution : à la suite d’oracles divinatoires, un contre-libérateur fut désigné. Ce fut Rurinda, fils de Gakamba, cousin du Roi. Il attaquerait le prince Gihana et son propre sang versé dans les mêmes conditions annulerait les effets funestes ‘qu’aurait dû provoquer celui du Rwandais. Les deux libérateurs se mesurèrent en un combat singulier dans la localité appelée Kabacuzi kurinda tua 16 prince Gihana e se suicida ensuite sur son cadavre, en l’endroit depuis lors désigné sous le nom de mu lya Gihana na Rurinda = lieu de Gihana et Burinda. Cé n’était pas au Burundi à cette époque, mais sur le territoire du Bugesera. Ce double sacrifice s’accomplit dans le cadre d’une vaste bataille, au cours de laquelle périrent de nombreux compagnons jurés des deux Libérateurs, et du côté du Rwanda le prince Karara, file de Cyilima If, et Mparaye, dont la mère était Mitunga, fille du monarque. Ces deux personnages avaient simplement pris part à l’expédition et ne furent tués que fortuitement.

237. Dans la suite, une grande sécheresse vint s’abattre sur le Burundi. Ce malheur fut attribué au sang royal du prince Gihana, qui seul avait été tué en Libérateur, tandis que le contre-libérateur Rurinda avait lui-même versé son sang; sans être tué. A la suite-de consultations divinatoires, la Cour du Burundi aboutit à une solution ingénieuse : il fallait mystifier l’esprit du prince; lui faire croire que le Burundi était son pays. On lui éleva une résidence en une
localité qu’on appela Muyange, nom du lieu où s’élevait au Rwanda la résidence du Libérateur. On lui créa une Milice qui fut appelée Abalima, comme la sienne du Rwanda, ainsi qu’un troupeau de vaches appelé Nyamumbe = le Noir-de-jais, correspondant de même à l’appellation de ses bovidés au Rwanda. Enfin, la nouvelle résidence du nouveau Muyange fut confiée à une femme dont le nom fut changé en celui de la veuve la plus aimée du prince. Le culte de Gihana s’organisa ainsi au Burundi, et les pluies qui fini-rent bien par arroser le pays furent attribuées à la satisfaction du prince.

238. La nouvelle de ce culte et de cette mystification vint à être connue au Rwanda : l’irritation fut grande à la Cour. Comment arriverait-on à détromper le prince et à rallumer son courroux contre le Burundi ? La solution fut trouvée : le Chef Rubona, fils de Rusimbi, le grand commandant de la Milice Abadahemuka, – sur sa propre proposition, affirment les traditions, – irait se livrer en Libérateur. Une fois mort, son esprit irait tout droit auprès du prince pour le rappeler aux réalités en lui révélant que les Barundi l’avaient mystifié. La décision une fois prise, la Milice Abadahemuka traversa la Kanyaru et attaqua les guerriers qui campaient en face dans la localité appelée Kivu, (dans l’actuelle Commune du même nom, au Buyenzi, en Préfecture de Gikongoro). Là Même, le Chef Rubona fut tué en Libératetr, décidé à aller accomplir sa mission dans l’au-delà. Le lieu où il tomba et fut enterré était indiqué par un bosquet dont nous pouvions voir les vestiges jeu en ces dernières années.

239. La Cour du Burundi finit par apprendre que Rubona avait été tué en Libérateur. Il fut décidé d’annuler les effets de cette mort par une réplique appropriée : le prince Kivumajoro, fils de Mwambutsa II Nyarushumba et demi-frère de Ntare III Kivimira, fut désigné comme Libérateur. Il feignit de s’exiler au Rwanda. Mais une fois sur place, il prit ses informations et alla se noyer dans les puits salins du Muhanga avec l’intention de provoquer toutes les pestes sur les vaches du Rwanda. Pour annuler les effets supposés de ce sacrifice, la Cour du Rwanda désigna le nommé Ntabyera, parent de Rubona : il alla en Libérateur se noyer dans le même puits. On en retira ensuite les deux cadavres qu’on alla secrètement enterrer sur le territoire du Burundi.

240. Une grande famine s’abattit sur le Burundi, peut-être à la suite de la sécheresse antérieure dont il a été parlé. Les décisions des Barundi, bien entendu, étaient prises en réalité pour des raisons inconnues du Rwanda. Ce qu’en disent nos Mémorialistes n’est qu’un ensemble de conclusions en soi probables, mais qu’ils présentent sur un ton de certitude que nous ne pouvons entièrement partager. Ils nous disent qu’arrivée à ce stade des luttes prolongées, en présence de cette terrible famine que le sacrifice de tant de Libérateurs n’avait pu conjurer, la Cour du Burundi aurait conclu : « Le sang royal de Gihana, issu du régnant Rwandais, est plus fort que le sang de simples Libérateurs non royaux. Pour sauver le Burundi de l’effondrement et de sa conquête par le Rwanda, il faut qu’un sang royal soit répandu pour neutraliser, à armes égales, le sang royal. Ce serait dans ces conditions que, à la suite d’oracles divinatoires, la mort Libératrice de Mutaga III aurait été décidée.

(3) Mutaga III est tué en Libérateur.

241. Du côté du Rwanda, une nouvelle Milice venait d’être ajoutée à celles qui faisaient face aux guerriers de Mutaga III: à savoir les Urwasa-bahizi= les Concasseurs-des-rivaux. Elle venait d’immigrer du Gisaka, partageant les aventures de son Chef Rutanda, fils de Ntara, tombé en disgrâce auprès dé Kimenyi IV. Cette Milice était armée de flèches empoisonnées, que Cyilima II avait commandées au Bujinja par l’intermédiaire de Kimenyi IV, dont il ignorait à l’époque les sentiments hostiles. Kimenyi IV avait intercepté les flèches et les avait distribuées aux Urwasa-bahizi. Au moyen d’intrigues bien orchestrées, Cyilima II parvint à jeter la suspicion sur Rutanda auprès de son maître, ce qui détermina le Chef à se mettre en sûreté de l’autre côté de la frontière: Cyilima II établit immédiatement la nouvelle Milice en face de Mutaga III: Ayant appris que le monarque du Burundi se trouvait à Nkanda depuis un certain temps sans s’entourer d’innombrables guerriers, la Cour du Rwanda donna aux Abadahemuka et aux Urwasa-bahizi,rordre d’attaquer Mutaga III et de le tuer si cela était possible. C’était les deux Milices que les oracles divinatoires avaient désignées, car on ne pouvait tuer un monarque sans une consultation magique positivement favorable.

242. Le monarque sortit à la rencontre, des assaillants : quelques fidèles compagnons désignés pour l’escorter dans son sacrifice tombèrent à ses côtés. Il fut tué par Rutanda en personne, d’une flèche visée au front. Il était du clan des Abagesera, ce qui poussa les Barundi à l’invention d’un nouveau verbe : kugesera = tuer un Roi, ou se rendre coupable d’un crime sans nom. Avec la mort de Mutaga III, célébrée par maints Aèdes dynastiques de l’époque, le Rwanda eut désormais les mains libres vers l’Est et le Nord, car le harcèlement des Barundi prit fin pour longtemps. La tactique initialement adoptée par Cyilima II les avait neutralisés (cfr La Poésie Dynastique au Rwanda, notices des poèmes n° 47-49). Mais à partir de la mort de Gihana et de Mutaga III. l’opposition entre les deux pays devint inexpiable. Le Gisigo n° 32 : Iminsi myiza irasa= les beaux jours se ressemblent, dédié à Cyilirna II par son Aède Bagorozi fils de Nzabonaliba, nous apprend (aux vers 38-39) que le successeur de Mutaga III (à savoir Mwambutsa III Mbonuburundi) était un jeune enfant. De son côté le Gisigo n° 49 Liratukuye ishyembe icumita ibindi bihugu = elle est ensanglantée la corne qu’il enfonce au sein des autres pays, repris par le même Bagorozi justement à l’occasion de la mort de Mutaga III, ,nous apprend, aux vers 144-148, que la Cour du Burundi envoya des messagers, pour solliciter la reconduction de l’ancien pacte de non-agression ; mais la proposition fut repoussée, en raison de la mort de Gihana.

2) Kimenyi IV du Gisaka fait déclencher les hostilités.
.
(I.) La déclaration de guerre.

243. Notre récit est resté sur les luttes entre le Rwanda et le Burundi : c’était question d’en finir avec le voisin du Sud. En réalité, tandis que Cyilima II luttait contre le Burundi, la guerre avait entre temps commencé sur deux autres fronts, à partir de la mort du prince Gihana. En apprenant ce triste événement, en effet, Kimenyi IV Getura avait cru le moment venu d’entrer en lice, pour spécialement reprendre le Bwanacyambwe que son ancêtre Kimenyi III Rwahashya “(n° 201-202) avait rétrocédé à Kigeli II Nyamuheshera. Il voulait, en somme, se libérer de l’état d’infériorité qui avait résulté des circonstances ayant entouré et suivi le retour de cette pro-. vince au Rwanda. Il envoya à Cyilima II 60 vaches laitières, comme cadeau, en apparence, de condoléances, mais en réalité destinées à formuler une injure grave, qui provoquerait infailliblement la guerre. Le moment lui paraissait hautement favorable, puisque deux fils de Cyilima. Il, dont le fameux Gihana, venaient d’être tués au Burundi. Il croyait y voir le signe de la supériorité de ses alliés.

244. A ses serviteurs, chargés de remettre les 60 vaches de condoléances, il avait donné l’ordre suivant : « Dès que vous aurez présenté les vaches, vous lâcherez les génisses qui téteront leurs mères, mais vous vous abstiendrez de réclamer les pots à lait pour traire. Si l’on vous en parle, vous répondrez ceci devant le Roi : « Les vaches ne peuvent être traites, car il en va ainsi lorsque les troupeaux n’ont plus de trayeur ! » Ils firent ainsi à la Cour de Cyilima dans la localité de Ntora. Ce langage, en symbole pastoral, voulait dire clairement que Cyilima II n’avait plus d’héritier, le trayeur des vaches du Rwanda (c.à.d. le gardien du bien commun en toute la nation, que, par antonomase, exprime la « vache »). En d’autres mots : Gihana, votre héritier vient de mourir ; votre Dynastie est éteinte, plus de trayeur au Rwanda. Ayant entendu le message symbolique de Kimenyi IV, le monarque Rwandais donna à l’assistance l’ordre de traire les vaches. Il confia ensuite aux messagers la réponse à transmettre à leur maître : « Vous répondrez à Kimenyi qu’il s’est lourdement trompé. Dites- lui que le Rwanda conservé son Trayeur : quant à votre maître, dites-lui que je le tuerai après l’avoir privé de sa progéniture ! »

245. L.’Aède Muhabura consacra un Gisigo à la provocation de Kimenyi IV : c’est le n°43 : Ulilira uwiyishe = Lorsqu’on pleure celui qui est cause de sa mort ; le monarque du Gisaka s’est ainsi suicidé. Sa politique lui est inspirée par une femme, sa favorite, princesse du Burundi. Depuis Kigeli II Nyamuheshera, le Gisaka était
protégé par le Rwanda : le félon va se repentir de son geste. — L’Aède Nyabiguma y alla de son poème, n° 44 : Umwami azira kubeshya = Il est fatal aux Rois d’être félons. Il y reprend les mêmes événements et reproche à Kimenyi IV de s’être allié au royaume du Ndorwa, qui avait tué la mère de Kimenyi III Rwahashya et de s’attaquer au Rwanda, dont le monarque Kigeli II Nyarnu-heshera avait justement vengé cette Reine et restauré la Dynastie du Gisaka. L’Aède Bagorozi, dans son poème no 45 : Igitutsi kiru-ta ikindi Une Insulte dépasse une autre en gravité, reproche à Kimenyi IV de suivre la politique inspirée par une femme, et se moque bien de ses prétentions de considérer Cyilima II comme un usurpateur aux dépens des fils de Rwaka. L’Aède Kagaju, qui ne manquait vraiment pas d’imagination, nous présente le tambour Kalyenda du Burundi donnant au Rukurura du Gisaka le conseil de se soumettre sans attendre que les Armées du Rwanda le prennent de vive force, puisqu’elles remporteront la victoire immanquablement. Ceci nous est raconté dans le poème n° 46 : Ndaje nkubalire inkuru Nyankurwe = Je viens te raconter une nouvelle, ô Karinga.

246. Un magnifique poème héroïque nous montre ensuite le Roi assis au sommet du mont Kigali, entouré de ses fils et de ses courtisans. Il contemple le panorama des régions qui s’étendent à perte de vue et il s’adresse à son fils Sharangabo : « Toi, Sharangabo, qui commandes la Milice Abakemba, je te livre le Gisaka. Suis ton chemin vers le Buganza et vas demander ‘à Kimenyi ce qui l’a rendu si hardi ! » S’adressant ensuite à son fils Ndabarasa : « Toi, Ndabarasa, à la tête de tes Milices, je te livre le Ndorwa ». -Les deux
princes se mirent en campagne pour exécuter l’ordre de leur père.

(2) Forces en présence et luttes au Sud du lac Muhazi

La Compagnie d’élite de la Milice Abakemba est alors appelée Uburunga= le Rouge-écarlate. Le prince Sharangabo fixa son camp à Jurwe, dans l’actuelle Commune de Rubungo, limite alors du Bwanacyambwe. Le Chef du camp et directeur des combats en est Cyoya, fils de Rukiza, surnommé le Kigeli d’entre les Uburunga. Un morceau de cithare de l’époque a conservé plusieurs noms et éloges guerriers des principaux membres de la Compagnie. La deuxième Compagnie dont le nom initial n’a pas été conservé, se distinguera dans l’attaque de la résidence « quartier général » des Banyagisaka ; elle en recevra le nom de Imvejuru, et deviendra le noyau d’une Milice distincte de ce nom, sous le règne suivant.
Les guerriers du Gisaka, en face des Abakemba, portaient le nom de Imbogo = les Buffles, dont le commandant en Chef était Mudiligi, fils de Karemera. Les noms et éloges guerriers des principaux d’entre eux ont été également conservés dans un poème épique que nous possédons.

247. Ces guerriers durent se mesurer en plusieurs rencontres, mais les Mémorialistes ont été très sobres. En plus du raid confié aux Imvejuru qui incendièrent la résidence de Mudiligi, à Ntunga près Munyiginya, ils ne nous ont rapporté que la vaste bataille de Gasabo. Le prince héritier du Rwanda, Ndabarasa était venu au secours de son demi-frère Sharangabo, et la Milice Abariza = habitant du Buriza, commandé par son Chef Cyabakanga mwiru-roi du mont Nyarnweru- (cfr n° 91) y prit part. Le Chef Cyabakanga y fut tué, et le nommé Rwangirahe fils de Balihe s’y distingua grandement. Du côté du Gisaka, le prince Yoboka, surnommé Kirenga= le Farneux, y fut fait prisonnier. Cyilima II se souvint de son. message à Kimenyi IV ; il envoya à ce dernier la tête de son fils porté en hamac et fixé dans l’orifice d’une cruche. Après la défaite des Banyagisaka, le prince Sharangabo avança son camp et le fixa à Shenga, dans la Commune actuelle de Gikoro, au Buganza. Il avait obligé le Chef Mudiligi à se replier vers l’Est.

Le prince Sharangabo mourut du vivant de son père, laissant ses commandements à son fils Ruzamba. Ce fut peut-être sous ce dernier que le camp des Abakemba fut fixé finalement à Munyaga, la Milice ayant reconquis tout l’ancien territoire du Rwanda primitif au Sud du lac Muhazi. Le camp de Munyaga domine justement le massif comprenant la localité de Nkungu, où Ruganzu I Bwimba avait été jadis tué par les guerriers de Kimenyi I Musaya.

3) Le prince Ndabarasa contre le royaume du Ndorwa.

(1) Une préparation magique à long terme.

248. La reconquête des anciens territoires du Rwanda annexés par le Ndorwa et même la conquête pure et simple de ce pays, avaient été magiquement préparées de longue date. Sous Yuhi III Mazimpaka, lorsque les notables du Rwanda se réfugiaient à l’étranger, le nommé Makara, du clan des Abega, s’exila au Ndorwa avec son fils Gahondogo. A celui-ci naquit un fils, appelé Gahulira, qui grandit dans le Nclorwa dont il connut parfaitement la langue. Ces exilés rentrèrent dans la suite au pays. Cyilima II renvoya Gahulira au Ndorwa, sous les apparences d’exil, mais en réalité pour y remplir une mission : il devait chercher à épouser une princesse de ce pays, qui fût proche parente de Gahaya II Muzora. Il devait en avoir un fils, et ce but atteint Gahulira rentrerait au Rwanda. De fait Gahulira épousa Nyirantabwa, en eut deux fils, Kamali et Mugozi. Il rentra ensuite au Rwanda avec ses deux enfants. Quel était le sens de cette « mission » ? Une croyance voulait qu’aucune lignée ne pouvait résister efficacement contre un adversaire issu de son sang (cfr n° 80 et 134). Ainsi l’un des fils de Gahulira était prédestiné à jouer un rôle essentiel dans les luttes éventuelles contre le Ndorwa. — Bien plus, les traditions rapportent que le prince Ndabarasa séjourna quelque temps à la Cour du Ndorwa, du temps où les relations entre ce pays et le Rwanda étaient encore amicales. Blessé par une épine au pied qui avait gonflé, il rentra au Rwanda pour être soigné d’une manière plus appropriée. Son séjour, nous affirme-t-on, était une prise de Possession préliminaire magiquement symbolisée.

249. Le Chef Kamali dirigeait les Milices Igicikiza, Imanga, Abatanguha, et un peu plus tard Abarota (cfr n° 231,2). Il était intimement lié au commandement suprême du prince Ndabarasa : ou mieux, il était le commandant magique de l’expédition dont Ndabarasa était le directeur visible. Pour le départ contre le Ndorwa, le Chef Kamali construisit une résidence au sommet du mont Bumbogo dans le Bwanacyambwe (Commune actuelle de Rubungo, en Préfecture de Kigali). Il la construisit de manière que l’entrée fût tournée vers le Nord, en direction du Ndorwa. Il n’y passa qu’une nuit, et le jour suivant le prince Ndabarasa vint l’inaugurer pour son propre compte. Il en sera de même durant toute l’expédition : Kamali construira une résidence à l’avant-garde, l’entrée tournée vers le Ndorwa ; il y passera une nuit et le lendemain le prince Ndarabasa viendra l’inaugurer comme sienne.
(2) La reconquête du Rwanda primitif vers le Nord.

Les opérations guerrières s’ouvrirent par la reconquête de l’enclave dite de Gasura, nom qui couvre les localités voisines telles que Sha, Nduba, Butare et celles situées à l’Est en face de Zoko, ce massif-ci se trouvant alors au Ndorwa. Cette enclave signalée par des Récits héroïques, dont le poème dont il est question ci-avant, a été confirmée par le Poète dynastique contemporain, Bagorozi fils de Nzabonaliba, dans le Poème no 29 : Zerneye inganzo ingongo = les Muses ont reconnu le compositeur de talent, (aux vers 198-199). On peut lire le texte intégral de ce morceau dans notre Introduction aux genres lyriques p. 228-242. Il constitue l’information de base, sans une autre de même type en parallèle (cfr ibd. note 319, p.p. 298). Ladite enclave a été examinée plus haut, n° 161.

250. Les guerriers du Ndorwa étaient commandés par un Chef du nom de Nyabarega. Nous avons vu que, tout en le combattant, le prince Ndabarasa vint soutenir son frère Sharangabo à la bataille de Gasabo (n° 247). Une fois les Banyagisaka défaits et leur commandant le prince Yoboka fait prisonnier, une résidence Kamali-Ndabarasa fut érigée à Gasabo même. Cette victoire sur le Gisaka, en rendant au Rwanda le massif de Rutunga et de Gasabo, ramenait le Royaume à ses sources premières. Non seulement Gasabo avait été la première capitale connue du pays, mais encore la colline RWANDA (c.à.d. la grande extension) d’où le nom du pays tirait ses origines, se trouvait là aux abords de ladite localité. Nyabarega ne put résister davantage à l’avance de Ndabarasa au Nord de la Nyabugogo-Munyeli : le massif du Rutare fut conquis. Enfin, après tant de générations, le tombeau de Kigeli I Mukobanya situé à Nyansenge, contre-fort du mont Rutare, se trouvait de nouveau au Rwanda. Une nouvelle résidence magique Kamali-Ndabarasa fut inaugurée au Kabira, sommet du massif Rutare. Le poème dynastique n° 29, ci-avant cité, — aux vers 187-189, — nous apprend qu’en la localité de Matyazo les Rwandais subirent un échec
sérieux, mais qu’ils eurent leur revanche à Mwendo (Commune actuelle de Rutare, Préfecture de Byumba). Les guerriers de Nyabarega furent balayés du massif de Giti et rejetés en celui de Muhura, où ils établirent leur dernier camp des régions hautes. Ce fut là à Muhura que le Chef Nyabarega fut assassiné par un exilé du Rwanda, Sendakize fils de Nkomero, qui apporta au prince Ndabarasa la tête de son adversaire.

251. Dans Les Milices, p. 84, nous avons résumé l’existence mouvementée de ce Sendakize. Prince au Gisaka, il engagea une lutte de compétition au trône contre Kimenyi IV Getura. Vaincu par ce dernier, il se réfugia au Burundi, où il devint un guerrier fameux. Au cours d’une vaste bataille contre les Rwandais à Nyaruteja, il épargna le prince Ndabarasa qu’il aurait pu tuer. Ceci fut rapporté au Roi du Burundi qui décida d’exécuter le félon. Mais Sendalçize fut averti à temps du danger qu’il courait. Il se réfugia au Rwanda, où il fut reçu avec les honneurs dus à son rang. Il reçut des fiefs et la main d’une fille de haut rang. Mais la Cour du Burundi ne se tint pas pour battue : elle envoya le nommé Ruhanga sous pré-texte d’exil. Arrivé au Rwanda, ce dernier accusa Sendakize d’a-voir été délégué pour tuer Cyilima II. Sendakize fut alors arrêté
– et condamné à mort par noyade dans le confluent de la Nyabarongo et de la Kanyaru. Reconnaissant, le prince Ndabarasa donna au bourreau l’ordre de le jeter à l’eau sans le ligoter, afin qu’il pût atteindre à la nage la rive du Bugesera. D’humeur querelpiir, Sendalçize aurait tué un Chef de ce pays et il se réfugia au Ndorwa. Lorsqu’éclatèrent les hostilités entre ce pays et le Rwanda, Sendakize prit part aux combats ; ses anciens compagnons à la Cour du Rwanda finirent par être frappés par sa ressemblance avec lui-même. Informé de la chose, le prince Ndabarasa chargea les espions d’identifier ce guerrier. Il s’avéra qu’il s’agissait bien de Sendakize. Le prince l’invita, par le truchement des espions, et ils se retrouvèrent à un rendez-vous nocturne. Sendakize fut informé que, après sa condamnation, Ruhanga s’en étant retourné secrètement au Burundi, Cyilima II avait été fort affligé d’avoir été induit en erreur. Le prince exhorta Sendakize à rentrer au Rwanda. Le héros s’en retourna au camp de Muhura et tua Nyabarega dont il apporta la tête au prince. Parmi ses enfants restés jeunes au Rwanda, le nommé Muhuzi avait été enrôlé dans la Milice Ababi-ta. C’est probablement dans le cadre des récompenses réservées à son père, que Muhuzi fut promu à la dignité de Chef d’Armée.

(3) Un second front contre le Gisaka et la guerre civile au Ndorwa.

252. Les reconquêtes sur le Ndorwa avaient déjà posé un problème aux Rwandais : en reprenant les massifs du Rutare, de Giti et de Muhura, ils se trouvaient en face du Gisaka en sa zone située au Nord du lac Muhazi. Fallait-il continuer vers le Nord en laissant des Milices à la garde de cette nouvelle frontière ? Ou bien fallait-il ouvrir les hostilités contre le Gisaka en cette zone également ? Ce fut cette dernière solution qui s’imposa : la milice Intarindwa fut détachée du groupe commandé par Ndabarasa contre le Ndorwa ; elle fut confiée audit Muhuzi, fils de Sendakize, chargé de s’attaquer au Gisaka, tandis que Ndabarasa et Kamali continueraient leur marche vers le Nord, talonnant les Banyandorwa. Un poème épique narrant l’une des expéditions de la Milice Intarindwa nous a conservé les noms et les éloges guerriers des principaux d’entre ses héros. Le Gisaka fut ainsi obligé de combattre sur deux fronts et dut reculer au même rythme de part et d’autre du lac. Une Ode guerrière du héros Rubayi fils de Tyaka, nous laisse entendre que les Abakemba (front au Sud du lac) en arrivaient à faire jonction avec les Intarindwa, du vivant peut-être du prince Sharangabo. – Contre quel Chef du Gisaka les Intarindwa luttaient-ils au Nord du lac ? Il n’est pas mentionné dans le cadre du poème héroïque dont il est ci-avant question. Il semble que ce fut Ruzina, contre qui fut organisée une expédition spéciale, au cours de laquelle il fut tué par le héros Sebuharara, fils de Rugine, qui, à l’époque, ne faisait pas encore partie de la Milice (cfr l’Histoire des Armées-bovines, no 101, p. 61).

253. Au cours de ces hostilités, Gahaya II Muzora vint à mourir. Nos Mémorialistes prétendent qu’il n’avait pas désigné son successeur légitime, du fait que ses fils engagèrent une guerre intestine de succession. Ces luttes à l’intérieur du Ndorwa, comme bien l’on pen-
se, favorisaient les opérations de Ndabarasa : il se trouva en face du Mazinga (c.à.d. les îles), royaume désigné plus communément sous l’appellation du Mubali, où régnait Biyoro, dont la mère était Nyirabiyoro. Ce royaume jusqu’alors en dehors des plans rwandais ne fut pas inquiété de suite. Le prince Ndabarasa amorça même des relations provisoirement amicales avec la Cour de Biyoro, par l’intermédiaire de son espion Magenda, fils de Cyatwa. Nous verrons bientôt que, une fois achevée la campagne du Ndorwa, le prince Ndabarasa s’attaquera au Mubali.

254. Le prince avait en vue le Ndorwa et voulait sans doute profiter des dissensions intestines en cours en ce pays. Ayant ainsi conquis les régions montagneuses qui le bordaient au Sud, il déboucha dans le plat pays du Mutara. Un poème héroïque consacré à la Compagnie Urukatsa = le Concasseur, de la Milice Ababito, nous laisse entendre qu’il y eut des batailles dans la combe du Bukomane près Nyakayaga, et dans la localité appelée Rwata près Gahabo. Tout le Mutara fut enlevé, peut-être en sa totalité et le cours du Warufu-Ruterana devint virtuellement la frontière entre le Ndorwa et les conquêtes du prince. Ce fut en ce moment que toutes, les Milices furent mises à la disposition du Chef Kamali qui attaqua Rubunda, fils de Gahaya, qui venait d’affermir son autorité comme successeur de son père. Il venait d’ériger sa résidence à Mugongo, aux confins du Mutara, avec l’intention d’endiguer les Rwandais. Il commandait spécialement trois Compagnies qui venaient de faire ses preuves, les Ibihunde (étymologie inconine), les Ibijugu = les Grelots et les Ubugili = les Puissants. Kamali les attaqua, les vainquit et Rubunda fut tué dans sa résidence nouvellement inaugurée, nous dit le poème n°56 : None wamaze ubuhingwa = Puisque tu as. achevé les labours, de l’Aède Musare, contemporain des événements. Ce même poème nous détaille tous les potentats vaincus à longueur d’années au cours de Cette expédition qui devait durer indéfiniment, du fait que Ndabarasa avait l’intention de s’établir en cette région pour la rendre vraiment une conquête rwandaise parfaitement assimilée.

(4) Le prince Ndabarasa co-régnant. Mort de Cyilima II.

255. Arriva l’époque prévu par le Code ésotérique, où Cyilima II dut publier le nom de son corégnant (cfr. N° 113-114). Il intronisa Ndabarasa sous le nom dynastique de Kigeli (III). De son côté Kigeli III désigna son futur successeur en la personne de son fils Mutabazi. On le surnommait vulgairement Mpwera-zikamwa = Je succombe-de-faim malgrél’abondance-de-lait, tellement il était étique. Comme cependant il devait plus tard régner sous le nom de Mibambwe (cfr n° 204), il fallait préparer un surnom qui le distinguerait de son ancêtre. Ainsi prévalut le surnom jadis imposé par
son grand-père, celui de Sentabyo = le se-réduisant-à-peu-de-chose : même signification que le surnom précédent.

256. Cyilima II mourut très vieux, ne laissant en vie, parmi ses nombreux fils, que son successeur, et peut-être aussi le prince Mudenge sur lequel aucune précision explicite n’a été transmise à ce sujet Le décès du monarque eut lieu à, Ntora, devenu Gisozi = (lieu mortuaire de Roi); en face de l’actuelle capitale de Kigali. Momifié d’abord à. Joma., en la Commune actuelle de Rushashi au Bumbogo, son corps fut ensuite transféré à Gaseke, (Commune actuelle de Rutobwe, en Préfecture de Gitarama), où il était destiné à recevoir le culte dû aux monarques Cyilima et Mutara qui s’y succédaient (cfr n° 194).