TERRITOIRE D’ASTRIDA

 

  1. Le 7 novembre 1959 un commis à la TSF engagea à l’insubordination un soldat de la Force Publique congolaise allant déposer des télégrammes de service et lui tint le langage suivant:

Pourquoi les soldats veulent-ils tuer nos frères? Si les Européens rentrent en Europe vous pouvez les suivre. C’est à ce moment-là que vous aurez des ennuis avec nous. C’est beaucoup mieux de tuer les Européens. Ne fais pas ce qu’ils disent, c’est mauvais.

(Cdg RU, 12/12/59, Président LAMY).

 

33 à 35. Le dimanche 8 novembre, à la mission de Cyanika, dans la chefferie du Bufundu, peu avant midi, une troupe d’indigènes vint réclamer MUKWIYEPOLEPOLE qui, ayant appris qu’on venait pour l’arrêter, se réfugia immédiatement dans une classe des écoles de la mission. Les pères, avertis de ce qui se passait, se rendirent là où POLEPOLE s’était réfugié et, sous leur protection, le conduisirent se réfugier dans un parloir. Puis le Révérend Père DE JAMBLINNE et ses collèges parlementèrent durant près de deux heures avec les indigènes qui exigeaient la victime pour l’arrêter et l’envoyer à Nyanza. Devant cette foule de plus en plus hostile et décidée à opérer l’arrestation de la victime, le Révérend Père DE JAMBLINNE suggéra d’aller lui-même conduire celle-ci dans son véhicule et un ou deux hommes du groupe à Nyanza d’où, d’après les affirmations des gens, l’ordre était venu. C’est ainsi que le Père rédigea un papier dans lequel il s’engageait de la sorte. Grâce à ce document écrit, ceux qui discutaient avec le Père acceptèrent que POLEPOLE soit embarqué dans le véhicule avec deux escorteurs.

Cependant un peu plus bas le Père rencontra sur la route un barrage et fut assailli par une grêle de pierres lancées par d’autres indigènes qui paraissaient beaucoup plus excités que ceux qui avaient parlementé avec lui. Force lui fut de s’arrêter et de sortir de la cabine de sa camionnette, ce qui provoqua l’arrêt immédiat du jet de pierres dans sa direction. POLEPOLE tenta alors de fuir par l’arrière du véhicule mais fut immédiatement poursuivi et frappé de tous côtés à coups de lances, machettes et massues. Le Père tenta encore de libérer la victime mais, à partir de ce moment, la foule était à ce point excitée qu’aucune intervention n’était plus possible. La malheureuse victime se traîna encore jusqu’à la colline Ngoma où elle fut achevée. Il fut constaté qu’elle avait été martyrisée et portait de nombreuses blessures infligées sur tout le corps par des armes tranchantes et contondantes ainsi que par des pierres et qu’elle fut achevée par un coup de lance qui lui avait traversé la gorge.

En même temps que ce massacre, deux frères, un beau-frère et un oncle de POLEPOLE furent aussi arrêtés. L’un des deux frères de POLEPOLE fut tué et les autres personnes arrêtées arrivèrent vers 9 heures du soir à l’Ibwami où elles furent placées avec d’autres dans un cachot. Du dimanche au mardi après-midi ces hommes durent, sans boire ni manger, vivre dans une sorte de cachot, sous la garde brutale des Twa qui les astreignaient aux besognes les plus viles, les frappaient et les injuriaient parce qu’ils étaient Aprosoma.

Parmi les bandes armées et hostiles qui furent envoyées dans le Bufundu pour arrêter MUKWIYE POLEPOLE une autre branche se dirigea vers Gikongoro où la victime qui était commerçant avait son magasin. Ce groupe pilla et dévasta de fond en comble le magasin tenu par la femme de la victime. Il apparaît nettement que les troupes levées pour l’arrestation de POLEPOLE et venant de Nyanza se sont divisées en deux armées, une allant vers Miko et conduite par le chef twa RWAMBIBI tandis que l’autre partait vers Gikongoro. Ces groupes en avançant ont entraîné avec eux les gens du pays en déclarant qu’il fallait sauver le Mwami et en dénonçant comme révoltés POLEPOLE et les siens.

Cette organisation prouve bien la volonté nette et précise de vouloir par tous les moyens s’emparer de POLEPOLE, puisque tous les lieux susceptibles de le trouver furent visités par les bandes et furent l’objet de destructions systématiques, pillages, arrestations brutales et lynchages.

Il y alieu de distinguer d’une part le groupe des Twa conduits par leur grand chef, le prévenu HARERINK.A, et d’autre part le groupe des Hutu et des Tutsi de la région du Bufundu qui ont été entraînés dans ce mouvement. Dès le début de l’enquête les Twa et surtout leur chef ont été dénoncés comme étant ceux qui vinrent de Nyanza pour l’exécution de cette tâche et qui surtout tuèrentPOLEPOLE.

Examinons enfin le cas de RUKEBA, leader de l’Unar, et relevons les conclusions du Conseil de guerre à son sujet:

Ce prévenu au cours de l’instruction préparatoire, a été accusé dans l’affaire du Bufundu (où POLEPOLE et son frère MUBOYI ont trouvé la mort et ont eu leurs biens saccagés) d’avoir été celui qui avait donné au prévenu HARERINKA l’ordre d’aller attaquer cette région. Il subsiste sur ce chef d’accusation retenu contre le prévenu RUKEBA un certain doute qui doit lui profiter. Par contre ce doute n’existe nullement dans le cas de l’ordre donné par RUKEBA d’aller arrêter le commerçant hutu qualifié Aprosoma SECYUGU (affaire numéro 16). Suite à cet ordre, son exécution fut immédiate et radicale même, car SECYUGU fut tué par RWEVU et ses hommes. D’ailleurs cette même après-midi RUKEBA, dans ses discours du haut de la barza du Mwarni, aux dires de très nombreux témoins, donna l’ordre général d’aller arrêter les Aprosoma. Même tous ces témoins reprirent d’une façon très fidèle les paroles de RUKEBA: « Partez arrêter les Aprosoma depuis le grand frère au petit frère du Mwami. Amenez-les au Mwami. Ne tuez personne » (Cdg RU, 22/2/60, Président LAMY).

Cette même affaire adonné lieu à deux autres jugements du Conseil de guerre:

  1. Les autres prévenus ont participé à la fin du pillage et de la dévastation des biens de MUKWIYE POLEPOLE en ravissant son bétail. Cependant, dés le lendemain, un parent de POLEPOLE se rendit chez les prévenus qui, après avoir d’abord refusé de restituer le bétail, le lui remirent suite à l’intervention du sous-chef local (Cdg RU, 15/1/60, Président LAMY).
  2. Lors de l’assassinat de MUKWIYE POLEPOLE quelques magasins et habitations sis à Miko, chefferie du Bufundu, furent attaqués par les habitants de l’endroit qui se livrèrent à des actes de vandalisme (Cdg RU, 8/3/60, Président GUFFENS).
  3. Le 8 novembre 1959 à Musha un sous-chef fit arrêter un véhicule et ordonna au chauffeur de se rendre à divers endroits pour procéder à l’arrestation de trois personnes qui furent désignées en raison de leurs opinions politiques parce qu’elles étaient accusées d’appartenir au mouvement Aprosoma. Les victimes furent soumises à des tortures corporelles (Cdg RU, 24/2/60, Président GUFFENS).
  4. Dans la journée du 9 novembre 1959 à Kirehe, chefferie Bufundu, une bande armée dont les membres portaient pour la plupart des feuilles de bananiers, s’attaqua au magasin d’un commerçant. Tandis que la bande détruisait son véhicule, le commerçant se barricada dans son magasin et fut invectivé par les assaillants qui lui reprochaient d’être un ennemi du Mwami et du pays. Le sous-chef local arriva sur les lieux et ordonna aux gens de se disperser, mais en vain. Il alla chercher le chef qui ne parvint qu’à grand-peine à calmer les assaillants en leur affirmant que le Mwami n’avait pas ordonné d’attaquer ce commerçant. Finalement les autorités coutumières durent aller chercher du renfort à Astrida pour rétablir l’ordre (Cdg RU, 24/2/60, Président GUFFENS).
  5. Un sous-chef est accusé d’avoir menacé par gestes un policier de le tuer et d’avoir hébergé une personne dont il savait qu’elle avait participé à l’agression contre POLEPOLE (affaire numéro 33). Le Conseil de guerre a estimé les faits non établis (Cdg RU, 8/3/60, Président GuFFENs).
  6. Le 10 novembre 1959 le chef de secteur de Kayanza, au Burundi, est averti de ce que KANYARUKA, secrétaire du parti hutu Aprosoma, s’est réfugié depuis la veille chez son frère RENZAHO qui habite au Burundi non loin de la frontière. Le soir du même jour il reçoit l’annonce que KANYARUKA a été tué par une bande de Banyarwanda.

Le lendemain il se rend sur place, découvre les cadavres de KANYARUKA et de RENZAHO et apprend que tout leur bétail et leurs biens ont été emportés. Le médecin qui l’accompagne constate que KANYARUKA a reçu 53 coups de lance, 9 coups de machette et un coup de couteau et que RENZAHO porte 51 coups de lance dispersés sur tout le corps. Les Barundi regrettent de n’avoir pu intervenir vu le nombre impressionnant des assaillants Banyarwanda.

L’enquête permet d’établir que le chef MBANDA a usé d’émissaires (moyen coutumier pour donner des ordres plus qu’un écrit compromettant) pour ordonner à deux sous-chefs d’aller assassiner KANYARUKA. Comme émissaires le chef MBANDA a eu recours aux Abahevyi, descendants de guerriers garde-frontière, gens naïfs et fiers de leurs fonctions d’antan, qui, à l’appel de quiconque auraient répondu.

Chez l’un des deux sous-chefs les Abahevyi essuyent un refus. Devant l’ordre très grave qui lui était donné, ce sous-chef exigea un écrit qui ne lui fut évidemment pas remis et, ayant pris l’avis de son conseil, il refusa de s’exécuter. Quant à l’autre sous-chef, ce ne fut qu’après hésitation et entraîné par l’enthousiasme des Abahevyi qu’il se décida finalement à conduire dans ses derniers actes le raid guerrier.

Appréciant la gravité des faits reprochés à MBANDA, donneur d’ordre, le Conseil de guerre conclut:

Cet ordre a été donné à froid et constituait, pour le prévenu, une action efficace bien cachée mais qui pouvait, si la situation devenait nettement favorable à la faveur des troubles, lui donner par la suite d’énormes avantages, sans que cependant, si la situation tournait mal, il ne soit guère inquiété. Cette façon prudente et sournoise d’agir rend encore cet ordre plus odieux et prouve le cynisme et l’esprit calculateur de son auteur. Dès lors le prévenu ne mérite pas le bénéfice de circonstances atténuantes, d’autant plus qu’il entraîna dans le crime de nombreux autres prévenus ou plus naïfs ou tenus par le caractère impératif de cet ordre (Cdg RU, 18/1/60, Président LAMY).

MBANDA, condamné à la peine de mort par pendaison, s’étant pourvu en appel, le Conseil de guerre d’appel du Ruanda-Urundi conclut:

Il est demeuré établi en instance d’appel que le prévenu MBANDA, chef de la chefferie Nyaruguru, a fait venir en sa résidence de Runyinya une vingtaine d’abahevyi (guerriers anciennement chargés de la défense des frontières) et, le 10 novembre 1959, vers 8 heures du matin, leur a donné ordre de tuer KANYARUKA et, à cet effet, de s’assurer le concours des sous-chefs G. et R., de la chefferie Buyenzi, puis de se rendre en Urundi, à la colline Mwogere où, venu la veille de Save, au Ruanda, KANYARUKA s’était réfugié chez son frère aîné RENZAHO ; que MBANDA, membre de l’Unar (parti tutsi), a fait tuer KANYARUKA, membre du parti hutu Aprosoma et du moins cousin de GITERA, leader influent et secrétaire de ce parti, pour supprimer un adversaire politique réputé ennemi du Mwami.

Mbanda a prémédité son dessein criminel. Il a, en effet, convoqué les exécutants et a pu, en attendant leur arrivée, mûrir à loisir sa décision. MBANDA a directement provoqué l’assassinat de KANYARUKA non par abus de pouvoir — les exécutants n’étant point ses subordonnés — mais par abus de la puissance de fait qu’il avait sur les exécutants, c’est-à-dire par abus d’autorité. Pour les motifs exposés par le premier Juge et que la juridiction d’appel fait siens, aucune circonstance atténuante ne peut être retenue à la décharge du prévenu en ce qui concerne l’assassinat; notamment le motif politique ne constitue pas pareille circonstance (Cdg Appel RU, 11/2/60, Président SACRE).

40 à 45. Le mardi 10 novembre 1959 la colline Munazi fut attaquée par des bandes armées venant de la colline voisine de Zivu par le nord d’une part et de Gisagara par le sud-est d’autre part. Dans le groupe venant de Zivu se trouvaient des hommes habitant les collines Musha et Mugusa, situées plus au nord encore. Les hommes de Musha et Mugusa ont été appelés le matin du 10 novembre par les tambours d’un sous-chef qui les conduisit à Zivu, lieu de résidence du sous-chef RWAKAYIRU, et les remit au commandement de ce dernier puis s’en alla. RWAKAYIRU ordonna ensuite aux hommes de sa sous-chefferie et au groupe venu de Musha et Mugusa d’attaquer la colline Munazi. Il indiqua personnellement les huttes qui devaient être pillées, dévastées ou brûlées. Au moment de l’attaque de Munazi une bande arriva du sud-est venant de Gisagara, chef-lieu de la chefferie Buhanga-Ndara, et fit sa jonction avec les troupes de RWAKAYIRU à Munazi même. RWAKAYIRU leur donna également des ordres de pillage, de dévastation et d’incendie.

Le bilan des destructions s’élève à environ une centaine de huttes détruites et pillées. Les hommes refusèrent toutefois dans la plupart des cas d’incendier les cases. Les prévenus venus de Musha et Mugusa affirment tous qu’ils furent convoqués sous le prétexte que RWAKAYIRU était attaqué sur la colline Zivu et qu’ils devaient se rendre au combat pour anéantir les ennemis du Mwami. Arrivés à Zivu, ils purent constater que la colline n’avait nullement été l’objet d’assauts de l’extérieur ni subi des dégâts causés par des ennemis du sous-chef. Ils se mirent néanmoins sous les ordres de RWAKAYIRU.

L’enquête a permis d’établir que, dès le dimanche 8 et dans la nuit du 9 novembre, RWAKAYIRU et les autres chefs de bandes qui attaquèrent Munazi tinrent conseil. Le Conseil de guerre conclut:

Il résulte de tous ces éléments que l’attaque de Munazi a été orchestrée et étudiée à l’avance afin que les phases successives se déroulent en même temps et de côtés différents (Cdg RU, 24/12/59, Président GUFFENS).

L’attaque de la colline Munazi a donné lieu à quatre autres jugements du Conseil de guerre, les affaires n’ayant été disjointes que pour des raisons d’instruction. L’une d’elles (affaire numéro 42) concerne, outre les faits de dévastation et de pillage, le meurtre de deux personnes, une autre (affaire numéro 41) le meurtre d’une personne.

41.Cdg RU, 29/2/60, Président GUFFENS.

42.Cdg RU, 29/2/60, Président GUFFENS.

43.Cdg RU, 24/6/60.

44.Cdg RU, 13/5/60.

 

  1. Le 10 novembre à Zivu, chefferie Mvejuru, un Hutu est arrêté, conduit chez le sous-chef RWAKAYIRU et torturé (Cdg Ruanda, 24/10/60).
  2. Le 9 novembre 1959 vers 19 heures à Remera, chefferie Mvejuru, les tambours donnèrent pour une attaque contre Mugombwa,colline voisine de Save. Auparavant déjà les sous-chefs du Mvejuru avaient réuni leurs gens pour annoncer que des attaques de Twa allaient avoir lieu incessamment pour punir et tuer les Aprosoma qualifiés d’abagome. Les sous-chefs interdisaient en même temps à la population d’intervenir pour aider qui que ce soit sous peine d’être considéré comme abagome. Le 9 au soir le sous-chef de Remera, qui avait fait donner les tambours pour une attaque générale contre Mugombwa dut y renoncer parce qu’un sous-chef qui devait appuyer cette attaque en prenant Mugombwa à revers n’avait trouvé pour tous soldats que deux ou trois hommes. Lorsque le sous-chef de Remera alla le voir il était déjà couché. Le lendemain le sous-chef de Remera lança de nouveaux appels au tambour. Cette fois il y eut assez de monde.

La troupe s’ébranle vers Mugombwa où les Hutu sont prêts et nombreux. L’un d’eux possède un revolver d’alarme et court de droite à gauche en tirant pour faire croire à l’arrivée de la Force Publique. Le stratagème réussit. L’armée du sous-chef de Remera se disperse en partie effrayée, en partie aussi dégoûtée de la mission que l’on veut lui imposer.

Quant au sous-chef de Remera, le Conseil de guerre conclut:

Le sous-chef est donc coupable de tentative d’attentat ayant pour objet le pillage, la dévastation et le massacre et en outre d’avoir réuni des groupes armés dans une période insurrectionnelle.

Quant au sous-chef qui l’a assisté dans son dessein, le Conseil de guerre termine sur une note humoristique:

Nous venons de voir son rôle. Il a tenté de recruter des soldats et en a en fait trouvé trois ou quatre. Tel don Quichotte, car ce dossier n’est finalement qu’une pantalonnade sinistre, il promettait de tuer au moins soixante Hutu. N’ayant trouvé que quatre personnes pour le suivre, il alla cependant se recoucher. Le lendemain, appuyé et entouré par les troupes nombreuses du sous-chef de Remera, il ose marcher mais fuit avec les autres au bruit du pistolet d’alarme (Cdg RU, 6/5/60).

  1. Le 10 novembre 1959, vers 7 heures du matin, le sous-chef de Nyaruhengeri, accompagné de deux autres sous-chefs, quitta sa colline en direction de Save à la tête d’une troupe estimée à plusieurs centaines d’hommes, tous armés et porteurs de feuilles de bananier. Ces hommes ont déclaré, lorsqu’ils furent arrêtés dans leur marche à Muyira, qu’ils se rendaient à Save pour combattre et détruire les ennemis du Rwanda et que l’ordre leur en avait été donné par leurs sous-chefs.

Notons que l’attaque de l’armée de Nyaruhengeri coïncide avec celle déclenchée le même jour et à la même heure, à quelques kilomètres au nord, par le sous-chef RWAKAYIRU sur Munazi (affaire numéro 40) et que ces opérations avaient le même but: attaquer les membres de l’Aprosoma, le parti hutu. Le Conseil de guerre conclut:

Ces différentes agressions ne peuvent se comprendre que comme des phases distinctes mais simultanées d’un vaste mouvement d’ensemble devant envelopper Save et ayant pour but de détruire l’Aprosoma dans le territoire d’Astrida. Il faut également insister sur le fait qu’il s’agit ici d’une agression et non d’une défense et que la colline où réside une solide communauté hutu Save a déjà été rasée deux fois dans l’histoire du Ruanda et constituait ainsi un véritable symbole (Cdg RU, 24/2/60, Président GUFFENS).

  1. Le 10 novembre 1959, à la colline Save, chefferie Mvejuru, les hommes d’une famille de Tutsi ont été sauvagement tués par une bande émeutière de Hutu. Précisons immédiatement que la colline Save est à très forte prédominance hutu et est le lieu où le leader hutu Aprosoma GITERA et les principaux membres de ce parti ont leur résidence. Ce même jour cette colline, fief de la cause hutu, était sur le point d’être attaquée de plusieurs côtés par des bandes tutsi venant de Munazi dirigées par le sous-chef RWAKAYIRU (affaire numéro 40) et aussi par des gens de la chefferie du Buhanga-Ndara. Si la colline ne fut pas finalement attaquée et dévastée ce fut, d’une part, grâce à l’intervention de la Force Publique, jointe à celle de l’Administration et aussi, d’autre part, parce que les gens de Save en très grand nombre paraissaient nettement décidés à se défendre sur place.

C’est donc dans cette ambiance que la famille du Tutsi NYAGATARE qui, elle, ne participa pas à la défense de la colline Save, fut assaillie par une bande hutu vers 15 heures, alors que, déjà à cemoment, grâce à l’action de la Force Publique et de l’Administration, les dangers courus par les gens de cette colline surpeuplée étaient écartés suite à l’arrêt des assaillants à la colline voisine de Munazi. Les Hutu se sont donc retournés contre cette famille tutsi tant à cause de la peur que les Tutsi leur faisaient subir depuis plusieurs jours qu’à raison du fait que la famille NYAGATARE n’avait pas participé à la défense de la colline.

Une attaque massive fut lancée contre les victimes et les assaillants se mirent à dévaster, piller et incendier les biens de NYAGATARE et des siens. Voyant leurs rugo entourés et mis à feu, les attaquants armés et terriblement menaçants qui leur jetaient des pierres, NYAGATARE et les siens tentèrent une sortie au cours de laquelle ils blessèrent deux Hutu, dont l’un assez sévèrement. Cette contre-offensive désespérée des victimes poussa les assaillants au massacre des six occupants mâles des rugo de la famille de NYAGATARE (Cdg RU, 18/1/60, Président LAMY).

  1. Dans la fièvre de troubles graves un groupe de Tutsi et Hutu non homogène se forme et détruit, pour des motifs politiques contradictoires, des habitations de Tutsi et de Twa.

Le 10 novembre, dans le début de l’après-midi, sur la colline Cyarwa, chefferie Mvejuru, la maison du sous-chef de l’endroit, les habitations de cinq autres personnes ainsi que les cases de trois Twa furent détruites. Ces faits doivent être restitués dans l’ensemble de ceux qui se déroulèrent au cours de cette journée aux environs du centre administratif d’Astrida. En effet, durant cette journée, la colline Save, considérée comme le centre de l’Aprosoma, fut l’objet d’attaques de toutes part, ces attaques n’ayant pas abouti.

Concernant les destructions assez peu nombreuses de Cyarwa, il y a lieu de constater que les victimes qui sont toutes Tutsi ou Twa, n’étaient pas de même tendance avant les faits. En effet le sous-chef dont l’habitation fut détruite avait défendu contre deux autres personnes dont l’habitation fut également détruite les pauvres occupants de cette colline très surpeuplée, alors que ces derniers, gros propriétaires de terrain, bloquaient surtout un marais et entravaient ainsi, au détriment des pauvres Tutsi et Hutu, les cultures nécessaires à leur subsistance. Mais le sous-chef et l’une des autres victimes des dévastations étaient, par ailleurs accusés d’être traîtres au Mwami parce qu’ils avaient signé la circulaire du Vice-Gouverneur Général, interdisant aux autorités coutumières de s’occuper de politique.

Le Conseil de guerre conclut:

Dès lors ces réactions violentes à la colline Cyarwa partagent de plusieurs mobiles assez contradictoires et semblent plus constituer une sorte de règlement de compte soudain qui a pu se réaliser à la faveur des troubles qui s’étaient développés durant cette journée fertile en événements graves (Cdg RU, 12/4/60, Président LAMY).

  1. Le 10 novembre 1959 à Mugogwe, chefferie Busanza, trois personnes furent arrêtées de force chez elles par une bande tutsi et en même temps eurent à déplorer de la part de cette bande le pillage et la dévastation de leurs biens (Cdg RU, 12/3/1960, Président LAMY).
  2. Le 10 novembre vers 16 heures le prévenu qui exerçait les fonctions de chef de la chefferie Busanza et circulait dans une camionnette sur la route de Mwulire vers la grand-route Astrida-Nyanza fut arrêté par un officier de police judiciaire qui lui demanda ce qu’il faisait à cet endroit. L’officier qui revenait de Munazi-Zivu, où précisément ce même jour, avaient eu lieu des attaques contre les Aprosoma (affaire numéro 40), avait été intrigué par le fait que le prévenu tournait le dos à sa maison et se trouvait en dehors des limites de sa chefferie. Il remarqua dans le fourgon de la camionnette un indigène armé d’une lance et la poitrine barrée de feuilles de bananiers et ordonna à cet homme de sortir, mais au contraire celui-ci referma la porte. Le prévenu appelé se montra réticent à vouloir ouvrir l’arrière de la camionnette. L’officier lui en intima l’ordre et découvrit, cachés dans le bac arrière de la camionnette, environ une quinzaine d’indigènes armés de lances, flèches, arcs, machettes et serpettes. De plus des feuilles de bananier gisaient par terre.

Cette façon de se vêtir durant les événements qui se sont déroulés à travers le Rwanda en novembre était un signe certain que les porteurs de feuilles de bananiers partaient en guerre (Cdg RU, 23/12/59, Président LAMY).

 

  1. Le 9 novembre 1959 à Mugusa, chefferie Buhanga-Ndara, douze personnes furent arrêtées par le sous-chef local sous l’inculpation d’avoir fait partie de l’Aprosoma et furent placées dans un hangar à semences jusqu’au mercredi 11 au matin, bien que plusieurs d’entre elles fussent très sérieusement blessées. Le mercredi le sous-chef conduisit ces prisonniers chez un autre prévenu qui les emmena à Nyanza où le Mwami les fit conduire immédiatement au territoire d’où les blessés furent conduits à l’hôpital (Cdg RU, 27/5/60).

 

  1. Le 11 novembre 1959 un indigène vint affolé au territoire d’Astrida annoncer que GASHUGI, chef du Buhanga-Ndara, et son frère, s’apprêtaient à venir attaquer les Hutu de Ndara, lieu limitrophe de la chefferie de Gashugi et que, pour empêcher une intervention des forces de l’ordre, ces deux prévenus avaient fait placer en travers de la route un arbre abattu. Un adjudant de la Force Publique et l’Administrateur de territoire s’y rendent, trouvent la barricade et des gens, porteurs de feuilles de bananiers, qui s’enfuient. Ils vont à l’habitation de GASHUGI et y rencontrent encore des gens porteurs de feuilles de bananiers qui s’enfuient.

Le Conseil de guerre expose d’autre part:

Il y a lieu de préciser aussi que le 4 novembre, suite aux graves événements qui éclataient dans le Ndiza, l’Administrateur du territoire avait réuni tous les chefs de son territoire, les principaux leaders hutu, son personnel européen, pour discuter de l’attitude à prendre. Lors de cette réunion où les chefs eurent le loisir d’exprimer leurs avis le plus librement, il fut décidé de ne pas faire des«inama» (réunions) d’information dans les chefferies qui étaient, suivant l’avis des chefs, calmes et qu’il n’était pas opportun d’y organiser des promenades militaires. De plus il fut décidé que tous les responsables avertiraient immédiatement les autorités territoriales de tous incidents. Certes cette façon d’agir prouve que l’administration cherchait avec les autorités coutumières et les partis une collaboration loyale. Il ne semble pas, par contre, que le prévenu GASHUGI ait voulu suivre cette voie. Sans doute le 8 novembre il signalait des faits à MUSHA mais par contre le 11 novembre il ne fit rien pour avertir l’administration (Cdg RU, 23/12/95, Président LAMY).

54.Le 14 novembre 1959 à Gisange, chefferie Mvejuru, un Tutsi qui a participé à l’attaque de la colline Munazi (affaire numéro 40) va incendier la hutte d’un Hutu qui l’avait dénoncé à la justice. Ce dernier furieux lui porte des coups mortels (Cdg RU, 23/1/60, Président GUFFENS).

  1. Le 15 novembre 1959, lors de l’enquête au sujet de l’assassinat de POLEPOLE (affaire numéro 33), il fut constaté qu’un pont sur la route Astrida-Bufundu, chefferie où l’assassinat fut commis, avait été détruit, empêchant toute circulation routière venant d’Astrida, chef-lieu du territoire. Deux des prévenus reconnurent que le pont avait été détruit dans la nuit du 14 au 15 novembre, soit une semaine après l’assassinat de POLEPOLE, empêchant ainsi la justice de poursuivre éventuellement son action et ses enquêtes dans cette partie du Bufundu (Cdg RU, 24/2/60, Président GUFFENS).
  2. Le 18 novembre 1959 à Cyanda, chefferie Mvejuru, dix Hutu pillent une habitation tutsi (Cdg RU, 15/4/60).