LES ÉCOLES CATHOLIQUES DU TANGANYIKA

Mgr Adolphe Lechaptois à Karema

Une décision de la Congrégation de la Propagande du 30 décembre 1886, confirmée par un bref pontifical daté du 11 janvier 1887, avait érigé en vicariat la mission du Tanganyika, mais avait détaché de sa juridiction les territoires destinés à former les nouveaux provicariats de l’Unyanyembe à l’est et du Haut-Congo, à l’ouest. Un décret du 10 décembre 1895 remania ces dispositions « pour les faire mieux coïncider avec les divisions politiques et ethniques ». Le vicariat du Tanganyika avait ainsi pris la forme qu’il garderait longtemps. Il englobait toute la zone côtière orientale du lac dont il tirait son nom, et se situait entièrement dans l’Afrique orientale allemande.

Très étendu, ce territoire n’avait qu’une population clairsemée. Les missionnaires l’estimaient à l’époque à environ 200.000 habitants. Comme sur la rive opposée, les autorités locales ne gouvernaient que de minuscules États, et aucun chef important ne pouvait revendiquer une autorité sur un ensemble très vaste. En 1892, un seul poste missionnaire catholique était ouvert : Karema. Les Pères Blancs l’avaient hérité de l’Association Internationale Africaine en 1885.

Au milieu des bouleversements nombreux des années 1885-1890, les missionnaires s’y étaient surtout occupés du rachat de jeunes esclaves, de la constitution d’un orphelinat et de l’installation d’un village chrétien. Le vicariat en était donc encore à ses débuts lorsque le P. Adolphe Lechaptois arrivait à Karema au mois de juillet 1891. C’est là qu’il apprit sa nomination de vicaire apostolique.

Mgr A. Lechaptois, né le 6 juin 1852 à Cuillé (Mayenne), avait étudié la philosophie au Grand Séminaire de Laval. Avec d’autres séminaristes, dont François Gerboin, le futur vicaire apostolique de l’Unyanyembe, il entra dans la Société des Pères Blancs d’Afrique en octobre 1872. La jeune congrégation manquait de personnel, aussi fut-il immédiatement après son noviciat, nommé professeur au Petit Séminaire de la Société. En novembre 1875, après deux ans d’enseignement, il reprit ses études théologiques et fut ordonné prêtre par Mgr Lavigerie, le 6 octobre 1878. Il retourna alors enseigner à l’école apostolique, puis passa comme professeur au noviciat, devint supérieur du Petit Séminaire, pour reprendre enfin la tâche d’enseignant au noviciat. Au chapitre de la Congrégation en 1883, il fut nommé assistant du supérieur général, et, l’année suivante, il devint maître des novices.

En 1886, le jeune père quitte ses fonctions d’enseignant, et est nommé provincial de Kabylie. Sa charge consiste à stimuler la mission par l’animation des équipes missionnaires et par des directives concrètes pour orienter le travail des pères. Il se dévoua ainsi à favoriser la constitution de villages chrétiens. Quelques jeunes Kabyles venaient d’être baptisés. Il fallait les mettre « à l’abri de la misère et des dangers que courrait leur foi, s’ils restaient isolés au milieu de leurs compatriotes musulmans». H fallait donc les regrouper. La solution idéale pour le père Lechaptois, semblait consister en villages, constitués près des missions, dans lesquels les jeunes ménages pourraient s’épanouir.

Ce passage dans les maisons de formation cléricale en Afrique du Nord, comme sa brève expérience missionnaire auprès des Kabyles d’Algérie, eurent certainement une influence sur son travail ultérieur en Afrique centrale, où il devait se rendre maintenant. En 1889, le cardinal Lavigerie chargea le P. Lechaptois de la direction d’une caravane de missionnaires qui devaient fonder la mission du Nyassa. Nous avons déjà traité de cette entreprise hasardeuse ; inutile donc d’y revenir. Les pères ne demeurèrent guère dans cette région. Le 16 juin 1891, la mission de Mponda fut abandonnée, et les missionnaires s’établirent à Mambwe, poste situé entre les lacs Nyassa et Tanganyika. Le 8 septembre suivant, le père Lechaptois qui venait de rejoindre le poste de Karema, recevait notification d’un décret de la Propagande qui le nommait vicaire apostolique du Tanganyika. Il resta en même temps chargé de la mission du Nyassa.

Mgr Lechaptois entreprit sa nouvelle tâche sans perdre de temps. Dès le mois de mai 1892, il fonda un deuxième poste dans son vicariat. Il visita ensuite les diverses stations du Haut-Congo : Mpala, Kibanga et Baudouinville, qui faisaient, à ce moment encore partie de sa juridiction. En décembre, il prit la route de la côte pour se rendre à Maison-Carrée et prendre part au chapitre de la Congrégation. Après cette réunion, il fut sacré évêque, le 20 mai 1895, par Mgr Dusserre. Au mois d’octobre suivant il était de retour dans son vicariat ; il avait amené avec lui quelques Sœurs Blanches, qu’il installa à Karema. De 1894 à 1899, cinq nouvelles stations furent créées : celles de Kirando, d’Utinta, de Zimba, de Mkulwe et de Kiwele, qui fut transférée plus tard à Galula.

Mgr Lechaptois fut un vicaire apostolique dévoué et actif. On peut comparer son action aussi bien à celle de Mgr Hirth, qu’à celle de Mgr Gerboin. Du premier, il avait le zèle et l’énergie, du second la simplicité et la bonté. Chaque année, il visitait, au moins une fois, chacune des stations de son vicariat. Ce voyage était long et éprouvant ; souvent, il durait plus de trois mois. De plus, à l’occasion de chaque nouvel an, et également, en d’autres circonstances, Mgr Lechaptois écrivait des lettres circulaires à ses missionnaires, dans lesquelles il donnait des instructions précises au sujet des différentes tâches missionnaires. Mais le vicaire apostolique n’apparaissait pas seulement comme un homme dynamique, il passait aussi pour un homme très charitable. « Tous ceux qui l’ont connu, écrit un père au lendemain de sa mort, ont gardé l’impression qu’il était bon, extrêmement bon. Il fut bon avec ses missionnaires, qui ont toujours trouvé en lui le meilleur des pères ; il le fut surtout avec les indigènes ». Enfin, Mgr Lechaptois était resté, durant toute sa vie, un homme d’étude. « Monseigneur achetait beaucoup de livres, note un autre missionnaire, et, ce qui est mieux, les lisait et les étudiait assidûment ». Mgr Lechaptois avait aussi les défauts de ses qualités. Trop préoccupé du bien des autres, il prenait facilement des allures paternalistes. Signalons aussi que son zèle alla quelquefois jusqu’à l’obsession.

« De nombreux Européens passaient à Karema, note son biographe. La plupart ne pratiquaient pas. C’était pour Monseigneur la cause d’une immense douleur. Aussi s’occupait-il à ramener à la foi l’un ou l’autre d’entre eux […]. Tel fut le cas d’un ingénieur belge. Mgr avait entrepris de le ramener à Dieu. Malheureusement cet excellent monsieur a été victime d’un tragique accident. Quelques heures après, Mgr était lui-même frappé de l’attaque d’apoplexie qui l’a emporté […]. Dans son délire, il revenait sans cesse sur la mort de cet ingénieur. Il ne semble pas douteux que c’est cette grande émotion qui a déterminé l’attaque ».

Mgr Lechaptois possédait en tout cas d’excellentes qualités. On ne sera donc pas étonné qu’avec un tel vicaire apostolique, le Tanganyika apparaissait comme un vicariat discipliné et bien organisé.

Les écoles au Tanganyika

Ce qui frappe d’emblée dans ce vicariat, ce sont les rapports d’étroite collaboration entre les missionnaires et l’autorité coloniale allemande. Dès 1896, on rapporte dans les postes de Karema et d’Utinta que le commandant d’Ujiji a donné de « sages conseils aux divers chefs qui sont venus le voir », entre autre, que e les enfants devront suivre l’école très régulièrement ». À Kala et à Kirando, on entend un même son de cloche : « L’autorité allemande, écrit un missionnaire, aime voir les pères ouvrir des classes. Les classes amènent les catéchismes. C’est la mission qui se fait ». Cette conclusion dénote une nouvelle fois, la préoccupation essentielle des missionnaires : faire le catéchisme. Or, pour eux, comme pour les missionnaires des autres vicariats, l’école est un moyen apparemment idéal pour atteindre ce but.

La finalité de l’école apparaît donc, ici aussi, d’une façon très nette. Si un missionnaire de la station de Kala l’exprime d’une façon plutôt simpliste en écrivant que la classe est nécessaire « pour arracher complètement de la tête des nègres la croyance aux diableries », Mgr Lechaptois explique dans un rapport à la Propagande que les « missionnaires n’ont point la prétention de faire des savants s’ils cherchent à apprendre à lire, à compter et un peu à écrire aux enfants de leurs écoles », mais que « c’est uniquement dans le but de leur ouvrir l’intelligence et d’élever un peu leur cœur et leurs sentiments ». Et il ajoute : « les écoles sont de plus un moyen de réunir plus facilement et plus régulièrement les enfants et par la suite de les mieux instruire de la religion ». Dans son rapport de 1899, l’évêque rapporte que « les écoles sont avant tout, bien entendu, des écoles de religion où les enfants apprennent à connaître Dieu et sa loi », et que « les écoliers et leurs parents eux-mêmes l’entendent si bien que, pour eux, aller à l’école, c’est déjà se déclarer chrétiens ». Le but de l’école est donc double : d’une part, former l’enfant intellectuellement, pour que, d’autre part, il puisse mieux être imprégné des vérités de la doctrine chrétienne. Être écolier et pratiquer la religion chrétienne sont pratiquement devenu synonymes. Le vicaire apostolique revient plusieurs fois sur cette idée de conversion par l’école. Il écrit par exemple :

«L’expérience nous a appris, que le plus sûr moyen de convertir les enfants et de les attacher fortement à la religion, est de les attirer à l’école, où avec quelques notions de lecture et d’écriture, on leur donne des leçons de catéchisme et d’Histoire Sainte ».

Au Tanganyika, une autre raison encore pousse les pères à développer rapidement le système scolaire. C’est la présence de missionnaires protestants dans le vicariat. Les écoles vont servir cette fois à l’occupation du terrain.

« Menacés de tous côtés comme nous le sommes par les protestants, écrit un père, et à la veille de nous voir enlever la plus grande partie de notre troupeau, nous avons songé à prendre possession du pays d’une manière plus efficace que par le passé, par la construction d’écoles et de chapelles ».

La mission de Mukulwe, par exemple, fut ainsi vraiment quadrillée d’établissements, desservis par des maîtres-catéchistes, afin de contrôler l’ensemble du territoire et de barrer par là, la route à ceux qu’on appelait les « envahisseurs protestants ». On agit de même à Ubungu, où un père fait bâtir une école dans un village éloigné « afin de prendre possession du pays ». Le même missionnaire remarque que « la région n’est pas encore occupée par les protestants », mais qu’il vient d’apprendre « que ces derniers veulent s’y établir ».

Ces différentes finalités attribuées à l’école poussaient donc Mgr Lechaptois et ses missionnaires à rechercher auprès de l’autorité coloniale l’appui nécessaire à l’établissement de centres scolaires. Dans cette optique, l’aide du colonisateur était considérée comme quasi indispensable, parce que la puissance allemande était la seule à pouvoir exercer une pression contraignante sur l’ensemble de la population. Ceci ne semble pas avoir trop inquiété les missionnaires. Pour eux, le but ultime à atteindre, permettait de nombreux compromis. Dans ce sens, on peut comprendre un père de Karema quand il écrit :

« Plus de cent cinquante enfants vont en classe […] Plaise à Dieu que ces pauvres noirs persévèrent dans leurs bonnes résolutions. Et si la crainte des fusils allemands a été pour eux le commencement de la sagesse, que la crainte des jugements de Dieu les rende de plus en plus souples maintenant à l’action de la grâce ».

De même, à Kirando, un missionnaire note dans le diaire du poste qu’ « une fois de plus, les indigènes ont pu remarquer l’entente qu’il y a entre le gouvernement et les missionnaires. Aussi, espérons-nous, ajoute-t-il, que l’unité de vues servira beaucoup au développement de notre sainte religion ». Les missionnaires sont profondément convaincus que cette collusion entre la mission catholique et l’État colonial portera ses fruits. « Dans vingt ans, écrit l’un d’eux, si le Bon Dieu continue à prodiguer ses grâces, la majeure partie des indigènes de Kirando seront instruits et transformés ».

La collaboration entre les autorités religieuses et la puissance coloniale dans le vicariat se maintint et se renforça même. Si, dans certaines stations, comme à Karema par exemple, on se félicitait de la bonne marche des établissements scolaires, en remarquant que « depuis la présence des Allemands clans le pays, les gens comprennent que l’instruction est nécessaire », ailleurs, surtout à partir des années 1901-1903, on commençait à se plaindre du manque de persévérance et de l’irrégularité des enfants. L’autorité allemande vint au secours des pères, et proposa des mesures qui, selon toute apparence, devaient remédier à ces inconvénients. À Rukwa, le commandant de l’endroit annonça à la population qu’il exempterait de l’impôt les parents qui enverraient leurs enfants à l’école. « Mais, note un pèle, cela n’a pas l’air de les toucher beaucoup ». Et un père du poste d’Ubungu déclare que de telles décisions ne soulèvent aucun enthousiasme dans la population, parce que, écrit-il, « nos gens ne savent pas encore ce qu’est l’impôt ». Dans d’autres stations, on eut recours, avec l’accord de la puissance colonial, à des punitions, pour amener les jeunes à l’école. Un manquement à la classe ou au catéchisme méritait une matinée de travail sans salaire et la sanction pour une « absence obstinée » représentait vingt-quatre heures d’incarcération. Le rédacteur du diaire de Kala justifie cette décision en écrivant : « Avec ces mesures, un peu sévères, il est vrai, mais nécessaires, nous pouvons faire venir les enfants assez régulièrement en classe et au catéchisme »

Dans d’autres postes enfin, on adopta le système des rétributions pour la présence à l’école. Les missionnaires payaient les enfants en monnaie de la mission. « Avec cela, les enfants assez exacts pourront se procurer deux étoffes par an », rapporte le diaire de Mukulwe. Ce dernier système semblait finalement encore le meilleur, car dans les stations où il était appliqué, la fréquentation scolaire était relativement persévérante.

L’école introduite par les missionnaires en Afrique centrale représente donc dans ce monde culturel particulier une telle innovation que ni les menaces ou les cadeaux de la puissance coloniale, ni les sanctions, ne parvinrent à la faire accepter. Les pères étaient les premiers à le constater, et à s’en plaindre. « Malgré nos efforts, nous constatons tous les jours de nombreuses absences à l’école, constate un missionnaire. Menaces, douceurs, tout est inutile ». Les pères continuaient cependant à tenir à leurs écoles, et Mgr Lechaptois recommandait vivement la création de nombreux établissements scolaires. Mais, on comprend aussi que nombreux furent les missionnaires dont le zèle pour l’enseignement se refroidissait sensiblement. Aussi, à partir des années 1903-1904, un certain relâchement s’insinua progressivement dans l’effort scolaire du vicariat. Beaucoup de missionnaires ne s’occupaient de l’école que comme d’un catéchuménat. Le vicaire apostolique le remarqua et rappela ses missionnaires à l’ordre en leur adressant à ce sujet une circulaire. Il commence par attirer l’attention des pères sur le but premier de l’école, qui consiste à amener les enfants à un niveau élémentaire de connaissance. Il insiste beaucoup ensuite sur la finalité annexe de l’établissement scolaire qui doit chercher à former des catéchistes et commencer enfin la préparation lointaine des jeunes gens qui se destinent au sacerdoce. Ces considérations doivent suffire, selon Mgr Lechaptois, pour que dorénavant on s’occupe activement de l’école. « Il n’est pas aussi difficile qu’on se l’imagine d’attirer les enfants à l’école, poursuit-il. Il y a des stations où l’on a parfaitement réussi à le faire, sans autre moyen que celui des encouragements ». À partir de cette date, le vicaire apostolique revient à maintes reprises sur la nécessité de s’occuper attentivement des écoles. Le recrutement des élèves et leur régularité doivent être obtenus par la douceur et non pas par la contrainte. En décembre 1906, Mgr Lechaptois transmet à ses missionnaires les recommandations du père visiteur. Celui-ci avait constaté que les écoles étaient souvent mal tenues et le progrès des élèves peu en rapport avec le temps qu’ils passaient en classe. Aussi, l’évêque insistait-il une nouvelle fois sur l’obligation des missionnaires de s’occuper personnellement des écoles.

Les nombreuses difficultés rencontrées par les pères dans les écoles des diverses stations, comme les interventions du pouvoir colonial dans ce domaine, montrent clairement le caractère étranger du système scolaire de type européen que les missionnaires introduisent dans la région. Nous avons rencontré un peu partout ce même schéma d’opposition. Partout l’école vient bouleverser le cadre économico-social traditionnel par le rassemblement des enfants dans les classes de l’institution scolaire ; partout aussi, l’instruction dérange le contexte culturel local par l’introduction de notions nouvelles. Pourtant, partout, les missionnaires continuent à promouvoir cette oeuvre. Au Tanganyika, le vicaire apostolique la considérait comme indispensable parce qu’elle forme, selon lui, l’enfant intellectuellement et moralement, et que celui-ci pourra ainsi plus aisément assimiler les vérités chrétiennes. L’école sert l’Église catholique d’abord. C’est cette dernière que les missionnaires veulent implanter en Afrique.

L’organisation du système scolaire au Tanganyika ressemble très fort à celui des autres vicariats. Les orphelinats y existent toujours. En 1897, il y en avait cinq, un pour les filles, tenu par les religieuses de Karema et quatre de garçons, dirigés par les pères. À cette date, deux cents enfants peuplaient ces institutions, mais environ quatre cents autres orphelins vivaient dans des familles chrétiennes. On avait estimé à un certain moment, que l’éducation de ces jeunes dans des familles offrait de gros avantages. Mais, dès 1898 déjà, la tendance s’était de nouveau renversée en faveur des établissements spécialisés, parce que « sous le rapport moral, estimait-on, la formation apparaissait comme plus complète et meilleure ». C’est ainsi, qu’en 1899, 186 orphelins vivaient placés dans des familles et que 210 enfants habitaient dans des orphelinats. Le nombre total de ces derniers allait cependant en décroissant.

L’oeuvre des rachetés, qui avait été si importante au début de la mission, devint alors tout à fait secondaire.

Comme dans les autres vicariats, dans chaque mission, une école au moins, dirigée par un père accueillait les enfants des environs. Dans chaque village, les catéchistes-instituteurs avaient la responsabilité des écoles locales. Notons en passant que dans le poste de Kala, le maitre principal de l’école n’était autre que le médecin-catéchiste Adrien Atiman, formé à Malte.

A côté de ce réseau d’écoles élémentaires, le vicariat disposait depuis 1895, d’une école de catéchistes ; établie à Mambwe d’abord, elle fut transférée à Utinta ensuite. Dès 1899, cet établissement est installé à Karema, où réside le vicaire apostolique. On débuta à cette date, avec une classe de latin pour « les élèves les mieux doués sous le rapport de l’intelligence et de la vertu, dans l’espérance que Dieu daignera peut-être se choisir parmi eux quelques prêtres ».

Au Tanganyika, l’organisation scolaire avait commencé dans une sorte d’euphorie, et les bulletins de victoire annonçant les réussites scolaires avaient été nombreux. Dès 1902 cependant, une certaine lassitude s’était fait jour parmi l’ensemble des missionnaires : les enfants venaient en petit nombre et d’une façon fort irrégulière à l’école, les résultats étaient plutôt médiocres. Il faut alors toute l’énergie de Mgr Lechaptois pour maintenir les établissements scolaires à un certain niveau. Beaucoup de pères avaient tendance à ne voir dans l’école qu’un catéchuménat pour enfants et jeunes gens. En 1905-1906, les statistiques officielles signalent que le vicariat compte septante sept écoles de postes et de villages, fréquentées par 2.705 garçons et 2.231 filles. Nous ne disposons malheureusement pas d’autres chiffres, il faut donc être très prudent dans l’analyse de ceux-ci. On constate toutefois, que le Tanganyika est le territoire où le nombre de filles inscrites à l’école est proportionnellement le plus élevé. Ceci provient sans doute du fait, d’une part, de la présence des sœurs dans le vicariat, et, d’autre part, des recommandations de Mgr Lechaptois d’insérer les épouses des catéchistes dans le circuit scolaire en tant que monitrices.

La progression du nombre d’écoles et des élèves inscrits est constante. La fermeté et les recommandations multiples du vicaire apostolique y ont certainement contribué. Ce dernier est convaincu de la nécessité des écoles. Il est un des premiers à écrire que « les missionnaires sont venus en Afrique pour convertir les âmes » (…), mais qu’« ils n’oublient pas qu’ils doivent aussi jeter les premiers germes de civilisation parmi ces peuples sauvages ». Il ne définit point cette notion de « civilisation »,-mais il prône comme moyen d’y parvenir les « travaux utiles et l’école ».

Répandre le catholicisme et la civilisation chrétienne par l’école, devait nécessairement ébranler la culture locale. Les recommandations de Lavigerie au sujet de l’adaptation, on voulait bien les observer, mais elles étaient tellement grevées d’ambiguïtés fondamentales qu’elles devaient éclater au contact de la réalité quotidienne. L’école bouleversait et, finalement, préparait la désintégration totale de l’ensemble culturel de la population. L’exécution des instructions de Lavigerie se réduisait ainsi pour les missionnaires à la connaissance de la langue du pays, et au maintien de cette langue dans l’enseignement. Rappelons-nous toujours que, pour les missionnaires, la fin ultime de toutes leurs actions ne vise qu’à la conversion d’abord, et à la propagation de l’Église catholique romaine ensuite.