LES ÉCOLES DE CATÉCHISTES

  1. Pourquoi des catéchistes ?

Dès 1869, Mgr Lavigerie avait écrit :

Si les missionnaires s’établissent dans le centre de l’Afrique, comme je l’espère, le sud de l’Algérie deviendra plus tard pour eux un asile où ils pourront constituer, dans un climat à peu près semblable, des établissements d’éducation chrétienne Four les enfants des missions intérieures qui leur auraient été confiés. Ces enfants, élevés par l’Église, formés à ses vertus, instruits dans les arts manuels, retourneront ensuite dans leur pays et au milieu de leurs peuples respectifs, pour y prêcher la foi et la civilisation par leurs exemples et par leurs paroles. Ce serait, à proprement parler, comme on l’a dit, la régénération de l’Afrique par elle-même, le seul moyen “Vraiment efficace d’atteindre un but aussi désirable ».

Nous l’avons déjà souligné, telle était bien la méthode suivie par les Spiritains au Sénégal et à Zanzibar ; telle était la substance du fameux plan de Mgr Comboni. Le Mémoire secret de Mgr Lavigerie avait repris cette idée en développant le projet de former des médecins-catéchistes.

Il n’est donc pas étonnant de constater que les Pères Blancs arrivés en Afrique centrale, aient rapidement jeté les bases d’organismes destinés à former des auxiliaires. À l’origine, nous l’avons vu, ces derniers furent recrutés soit parmi les élèves des orphelinats, soit parmi les anciens des premières écoles missionnaires. C’étaient de jeunes néophytes, sommairement formés, qui devaient assister les missionnaires dans leurs différents travaux. On pourrait les appeler « aides-catéchistes, ou catéchistes-bénévoles ». Ils restèrent Souvent longtemps en fonction et jouèrent un rôle important dans la première phase de l’action missionnaire. Beaucoup de pères les estimaient hautement.

Les responsables de la mission pensaient toutefois que ces auxiliaires devaient recevoir une formation plus poussée pour pouvoir accomplir leur tâche avec plus d’efficacité. En 1883 par exemple, le P. Guillet, supérieur intérimaire du Tanganyika, écrivait déjà à Maison-Carrée qu’il lui faudrait « quelques enfants choisis, qui, par leur intelligence et leur conduite », pourraient aider les missionnaires comme catéchistes. « Nous leur donnerions une éducation plus soignée », notait-il. Le P. Bridoux relança la question quelques années plus tard. Mais, l’impossibilité de constituer des chrétientés en dehors des stations missionnaires ne permettait pas de développer l’oeuvre des catéchistes. Ce n’est qu’après 1892 environ, que les vicaires apostoliques purent faire de la formation de ces auxiliaires, une de leurs principales préoccupations.

  1. Au Tanganyika

Lorsque Mgr Lechaptois prit la direction du vicariat du Tanganyika en 1891, il s’efforça de donner à la formation des catéchistes un cadre stable et permanent. En septembre 1895, il put mettre son projet à exécution. Une vingtaine d’enfants « choisis parmi les meilleurs élèves des écoles » furent rassemblés à Mambwe. L’endroit ne remplissait cependant pas les conditions requises pour l’établissement d’une école d’une certaine importance. Le pays était peu peuplé et les vivres manquaient souvent.

Quelques mois plus tard, on décida de transférer l’oeuvre à Utinta sur les bords du Tanganyika. Le P. Boyer fut chargé de l’enseignement

« Les cours, si le mot n’est pas trop prétentieux, écrivait-il à Livinhac, ont été ouverts au mois d’octobre 1896. Une cinquantaine d’enfants, choisis parmi les mieux doués des diverses stations, y reçoivent une instruction religieuse plus développée, des leçons de lecture, d’écriture, de grammaire, d’arithmétique, de géographie et de chant, en attendant que nous puissions commencer l’étude du latin ».

Cette dernière remarque est importante parce qu’elle révèle nettement l’orientation particulière qui est donnée à l’école dès sa création. Un des pères enseignants de l’institut exprime également cette option quand il note :

« J’occupe depuis près d’une année une chaire de professeur à l’école des catéchistes. Notre oeuvre s’appelle école de catéchistes, mais en réalité, c’est un petit séminaire en germe. Pour moi, je ne puis croire que le Bon Dieu ne se choisisse pas des prêtres parmi des enfants aussi bien doués. Ils sont intelligents et, ce qui est mieux encore, ils sont pieux ».

On le voit, à l’origine, le terme « école de catéchistes » est ambigu. Les auxiliaires que les pères veulent former ne sont pas seulement des catéchistes, mais aussi de futurs prêtres. Pendant plusieurs années, la plupart des écoles de catéchistes dans les différents vicariats furent ainsi en même temps, des petits séminaires.

En 1899, l’école d’Utinta fut transférée à Karema. Le diaire du poste nous en explique la raison. e Monseigneur tient à avoir près de lui des jeunes gens à la formation desquels il attache la plus haute importance et qui lui fourniront un si précieux secours pour l’évangélisation ». Mgr Lechaptois se préoccupait donc beaucoup de la bonne éducation de ces auxiliaires. Il voulait contrôler personnellement l’oeuvre qu’il considérait comme très importante dans le développement de son vicariat.

Établie à Karema dans des’ bâtiments nouveaux, l’école SaintJoseph se développa rapidement. Les pères professeurs étaient en général satisfaits de la conduite et de l’esprit des élèves. Pour certains de ces derniers, le séjour à Karma fut toutefois difficile à supporter. Le rapport du poste de Mpimbwe par exemple, note que plusieurs élèves de la région étaient entrés à l’école des catéchistes.

« Deux seulement sont restés à Karema, signale le rédacteur. Les autres pris de nostalgie, n’ont pas craint de s’enfuir les uns après les autres. Les moqueries ne leur ont pas manqué au retour. Que leur importait, puisqu’ils goûtaient derechef leur chère liberté ».

La station de Galula signalait le même phénomène.

« Les élèves-catéchistes se mettent en route pour Karema, mais sept d’entre eux renoncent à y retourner, rapporte le diaire. Les parents, le distance, l’inconstance semblent les causes de leur défection ».

Ces abandons semblent toutefois n’avoir été que des exceptions.

Dès le début de l’école, les pères avaient séparé un groupe de jeunes du reste de leurs condisciples pour leur enseigner le latin. En 1911, quinze jeunes sur quarante-sept suivaient ce dernier cours et trois parmi eux étaient sur le point « de finir leur latin dans deux ans ». De fait, en 1913, deux de ces trois latinistes avaient terminé avec fruit leurs études latines. Aussi est-et avec fierté que les pères annonçaient à Maison-Carrée que « les deux séminaristes d’Utinta allaient recevoir la tonsure à Karema en octobre de cette année ». Nous reparlerons de la question des séminaires dans le chapitre suivant. Revenons maintenant aux catéchistes.

Le programme de l’école des catéchistes connut une certaine évolution. Puisqu’on voulait former des collaborateurs directs des missionnaires, il est normal de trouver en premier lieu parmi les matières enseignées, des cours d’Histoire Sainte et de religion. Après quelques années, les pères introduisirent dans l’école, des classes d’allemand, estimant, sans doute, que de futurs catéchistes, instituteurs ou prêtres auraient certainement besoin de cette langue. En 1908, l’horaire se présentait de la façon suivante :

Le matin, de 8 à 9 heures : classe d’allemand, de 9,15 à 10,30 heures : classe d’Histoire Sainte et de swahili,

à 11 heures : classe d’allemand aux latinistes les plus avancés.

L’après-midi, de 1,15 à 2,30 heures : géographie ou arithmétique,

de 2,45 à 3,30 heures : catéchisme,

de 3,45 à 4,30 heures : étude de latin pour les latinistes.

Les autres élèves s’occupent pendant ce temps de travaux manuels, à 4,30 heures : classe de latin pour les plus avancés.

Deux, puis trois pères, aidés d’un catéchiste, s’occupaient de l’enseignement.

Pendant quelques années, l’école se développa normalement. Les pères responsables se félicitaient régulièrement du bon esprit de leurs élèves. Dès 1899, les premiers catéchistes formés à SaintJoseph étaient déjà au travail dans différentes stations. L’oeuvre semblait donc bien lancée et promettre pour l’avenir. Mgr Lechaptois y comptait bien, car, écrivait-il, « un besoin de plus en plus pressant de catéchistes se fait sentir, puisque les postes se multiplient et que les écoles du vicariat comptent près de trois mille élèves ». Et il concluait en notant : « ce ne serait pas trop d’avoir une dizaine de ces précieux auxiliaires à placer tous les ans »

À partir de 1907, cependant, on constate dans les rapports annuels que certains pères se plaignent « de la défection de l’un ou l’autre de ces auxiliaires ». Un bon nombre de missionnaires se mirent bientôt à douter de la valeur de l’oeuvre. Lors de la réunion du synode du vicariat en 1908, quelques pères exprimaient même le désir de supprimer l’école et de se contenter des aides-catéchistes comme par le passé. Mgr Lechaptois maintint l’école, mais insista sur la nécessité de n’y envoyer que des sujets d’élite. Le nombre des catéchistes qui quittèrent le service de la mission restait cependant assez élevé. En 1912, un missionnaire remarquait encore : e avec l’école des catéchistes on a eu à compter avec bien des déceptions les années dernières ». Comment expliquer ces abandons? Certains pères estimaient que la cause devait se chercher « dans la mollesse des habitants du pays ». D’autres, au contraire, comme le P. Pineau, croyaient que « Tes défections nombreuses parmi les catéchistes étaient peut-être, en partie, aussi à ramener à ce mouvement général qui porte une foule de gens vers la côte et le chemin de fer ». Nous avons déjà traité de ce problème d’exode rural, propre à l’Afrique orientale allemande, qui poussait les jeunes les plus actifs a quitter les campagnes pour se rendre dans les nouveaux centres de la colonie.

Les missionnaires se trouvaient comme désemparés devant cette situation. Que faire pour garder les instituteurs-catéchistes en place? La mission avait absolument besoin d’eux. Les pères se demandaient maintenant s’ils n’avaient pas poussé trop loin la formation de ces auxiliaires. Aussi décidèrent-ils d’abandonner l’enseignement de l’allemand « pour se restreindre au catéchisme, histoire sainte, calcul et les notions générales de géographie». « Par contre, pensait-on, la connaissance d’une langue européenne étant absolument nécessaire à de futurs prêtres, les latinistes ou ceux destinés à le devenir, devraient faire une année d’allemand avant de commencer le latin ».

L’année 1912 voit ainsi apparaître dans l’école Saint-Joseph une plus grande et plus nette distinction entre la formation des futurs catéchistes et celle des futurs prêtres. Pour les premiers, on fait un pas en arrière, espérant par là les garder plus longtemps et plus solidement au service de la mission. Une autre innovation vint encore s’ajouter à la première en cette même année. « Depuis Pâques, indique le rapport de 1912-1913, nous avons un élève qui tranche sur tous les autres puisqu’il est marié ». Et le même document remarque un peu plus loin : « avec des élèves mariés, on aura peut-être plus de chances de former de bons catéchistes ». Pourquoi cela? « On a pensé, indique la même source, que des hommes mariés et un peu mûris par l’expérience de la vie, offriraient de meilleures garanties au point de vue de k persévérance et aussi de l’influence que le catéchiste doit avoir, dès le début, dans les villages où il est placé ».

Il devint maintenant de plus en plus évident qu’on pouvait difficilement garder deux oeuvres si diverses dans le même établissement. Dès l’année suivante, Mgr Lechaptois décida de scinder l’école. Il n’y aurait plus à Karema que des s enfants étudiant le latin ». e La séparation de ces élèves avec les élèves catéchistes ne pouvait être que très avantageuse à l’une et à l’autre oeuvre notait un des professeurs de Karema. L’école des catéchistes fut transférée à Zimba et l’on n’y accepterait plus que des jeunes gens mariés. Ceux-ci y reçurent une formation religieuse importante, mais pas beaucoup plus. Les missionnaires espéraient ainsi en faire de bons et fidèles responsables des communautés chrétiennes villageoises.

Conclusion

L’école des catéchistes du Tanganyika avait été lancée avec enthousiasme par Mgr Lechaptois et ses missionnaires. Après 1907- 1908, l’euphorie du début céda cependant le pas à une certaine déception: les résultats n’étaient pas tels qu’on se les était imaginés. Certains pères se demandèrent même s’il ne fallait pas supprimer l’oeuvre. Mais, vu la nécessité de disposer de bons catéchistes, on avait quand même cru bon de maintenir l’école.

À partir de 1912, on remarque que cette école perd toutefois un peu de son intérêt pour les missionnaires. Le petit séminaire s’est considérablement développé. En 1913, les deux premiers séminaristes reçoivent la tonsure et entament leurs études de théologie.

L’attention de la mission se porte maintenant de plus en plus vers la formation des futurs prêtres. Ceux-ci sont considérés comme des auxiliaires plus sûrs et plus durables que les catéchistes. La formation de ces derniers peut donc être réduite au minimum.

  1. Dans l’Unyanyembe

Dès 1894, comme au Tanganyika, certains missionnaires de l’Unyanyembe exprimaient le désir de fonder une e oeuvre des catéchistes ». Il faut cependant encore attendre quatre ans avant qu’on signale qu’un père est chargé d’une école « de catéchistes qu’on va enfin essayer d’organiser ».

Le but de ce centre restait à ce moment assez vague : préparer e les jeunes gens qu’on aura reconnus capables d’aller instruire leurs frères noirs ». Quant au programme, il n’est guère plus élaboré. Le père chargé de l’école devait donner aux élèves « des instructions plus développées ».

Dès le début du fonctionnement de cette œuvre, les documents parlent e d’école cléricale, où quelques enfants commencent à apprendre le latin en vue du sacerdoce, s’il plaît à Dieu, ou du moins pour en faire des catéchistes ». Ce n’est donc pas aux catéchistes seuls qu’on songe. Les missionnaires désirent former des prêtres. Les candidats qui n’arriveront pas au bout de leurs études, pourront accomplir une tâche de catéchiste.

L’école « cléricale » de l’Unyanyembe ne connut pas de développement rapide. En 1905 encore, le rapport du vicariat à la Propagande notait que « cette école n’est encore qu’à l’état d’embryon ». Ce ne fut finalement qu’en 1908 qu’une véritable école fut fondée à Ushirombo en vue de former des auxiliaires pour la mission. Un nouveau bâtiment situé à un quart d’heure de la station, accueillit les premiers élèves. Le P. F. Van den Eynde, chargé de l’oeuvre, les avait choisis dans l’orphelinat d’Ushirombo. Mgr Gerboin vint ouvrir solennellement l’école Saint-Charles, le 30 novembre 1908. À cette occasion le rapport du vicariat rappelait le but de l’institut : « former des prêtres indigènes si possible ». Mais, ajoutait le rédacteur, « ce sera sans doute dans un avenir tout à fait éloigné ». À cause de cela, l’école envisageait de travailler d’abord à la formation de catéchistes, « ce qui paraît plus pratique et de plus facile exécution ; et ensuite à la constitution d’une chrétienté plus instruite et sachant mieux sa religion ».

L’école s’organisa. Un règlement, en grande ligne semblable à celui qui existait dans toutes les maisons de formation des Pères Blancs fut adopté. Les élèves devaient se lever à 5,30 heures du matin, se rendre à la chapelle un quart d’heure plus tard pour la méditation, suivie de la messe. Après une courte étude, le petit déjeuner et une récréation, les enfants entraient en classe à 8 heures. L’avant-midi était consacré à l’étude de l’allemand, du latin et de la religion. Une heure de travaux manuels coupait l’avant-midi, de dix à onze heures. Avant le dîner, les enfants passaient à la chapelle pour « l’examen particulier ». Après le repas de midi et une brève récréation, ils récitaient le chapelet et se rendaient ensuite à l’étude. À deux heures, les classes reprenaient. On enseignait maintenant l’allemand, l’arithmétique et la calligraphie. De quatre à cinq heures, les élèves faisaient du travail manuel. Ensuite suivait une « classe de solfège ou de musique religieuse ». Une récréation et une étude précédaient une conférence ou « lecture » spirituelle d’une demi-heure, donnée par le père directeur. À sept heures et quart, les enfants passaient à table. Après une dernière récréation, la prière du soir clôturait la journée à huit heures trente.

Comme on peut le constater, les jeunes élèves avaient un programme bien chargé. Leur temps était partagé entre la prière, l’étude et le travail manuel. Le tout était imprégné de piété et de religion. Les pères considéraient que c’était ainsi qu’on formait de bons auxiliaires pour la mission.

« Le but principal de l’école, écrivait le P. Van den Eynde en 1910, est toujours jusqu’à présent de faire de bons catéchistes, et pour cela nous insistons avant tout sur la piété et ce qui s’y rapporte. Les méditations, les lectures spirituelles, les leçons de catéchisme ne tendent qu’à leur donner une idée exacte d’une vertu solide et à leur indiquer les moyens de l’acquérir ».

Un des problèmes auquel l’école Saint-Charles fut confrontée dès sa création, fut celui du recrutement des élèves. On a déjà signalé que les premiers jeunes à entrer dans l’institut, furent choisis dans l’orphelinat d’Ushirombo. Le P. Van den Eynde regrettait cette situation, mais il était difficile de faire autrement. Les habitants de la région se montraient très méfiants vis-à-vis de la nouvelle école. Cette défiance dura même plusieurs années. « D’aucuns disaient, notait le père responsable en 1908, que nous voulions leur enlever leurs enfants pour les envoyer en Europe » L’année suivante, le même missionnaire remarquait que le recrutement était e encore assez difficile, à cause des préjugés des parents qui se figurent que c’est envoyer leurs enfants à la mort que de les laisser sortir de chez eux ». On ne s’étonnera donc pas que le nombre d’élèves ne fut guère élevé à Saint-Charles. En 1912, l’institut comptait quatre élèves dans le cours supérieur, huit dans le cours moyen et dix-huit enfants dans la classe inférieure. Ce n’était pas beaucoup, mais la « rentrée de septembre s’annonçait bonne », indique le rapport de 1912-1913, on « comptait sur une quinzaine de recrues bien préparées ».

En 1910, les missionnaires introduisirent dans l’école une pratique qu’il nous semble important de signaler. »

« Jusqu’ici la langue obligatoire était le kiswahili que tous parlent couramment, notait le supérieur de l’école. Depuis trois ou quatre mois les plus grands de nos élèves, c’est-à-dire tous ceux de la première section doivent parler l’allemand, au moins le matin car l’après-midi, ils ont encore la permission de s’entretenir en kiswahili avec les petits ».

La connaissance de la langue allemande par les élèves de Saint-Charles était considérée comme très importante par les pères. Il fallait que les futurs auxiliaires de la mission acquièrent une connaissance aussi bien théorique que pratique de l’allemand. Les missionnaires insistaient sur ce fait et des sanctions étaient prévues pour ceux qui ne respectaient pas ce règlement. Les enfants qui ne parlaient pas le swahili ou l’allemand au moment où l’obligation leur en était faite, recevaient un livret. « Les possesseurs des carnets redoutés balayent le mercredi et le samedi, et ce n’est pas peu de chose, remarquait un père de l’école, car à deux ils ont à nettoyer le dortoir, les deux classes et la cour ». Il n’est donc pas étonnant que ce règlement fut bien observé.

Conclusion

On peut difficilement parler d’une véritable école de catéchistes dans le vicariat apostolique de l’Unyanyembe. Saint-Charles est plutôt un séminaire, ou, comme les missionnaires l’appellent eux-mêmes, une école cléricale. La finalité ultime et réelle de l’institut parait bien avoir été la formation de prêtres. La formation à la piété, les cours d’allemand et de latin surtout, le démontrent clairement.

Les élèves qui n’atteindraient pas cet objectif final — et c’était la grande majorité à l’époque — pourraient toujours rendre service à la mission. Dans ce sens, l’école cléricale Saint-Charles d’Ushirombo formait aussi des catéchistes.

Les responsables de l’oeuvre attachaient une grande importance à la connaissance de la langue allemande. Comme on voulait surtout former des prêtres, il semblait indispensable aux supérieurs de l’école de pousser le savoir des élèves.

 

  1. Au Nyanza méridional

Mgr Hirth qui avait jeté les bases d’un petit séminaire au Nyanza septentrional dès 1893, songea évidemment à créer une œuvre similaire dans son nouveau vicariat. Le diaire de la station d’Ukerewe signale une première initiative semblable lancée par le vicaire apostolique dès 1898. « Sa Grandeur a décidé, rapporte ce document, que nous commencerions une petite école pour la formation de nos catéchistes. Nous tâcherons de recruter nos élèves catéchistes dans les villages assez rapprochés de la mission pour qu’ils puissent tous les jours retourner chez eux ». Une quinzaine de jeunes gens venaient ainsi passer la matinée à la station missionnaire où ils apprenaient à lire, à écrire et où ils recevaient surtout une instruction religieuse plus soignée et plus développée. Cette initiative ne s’étendit pas. Il ne s’agissait finalement que de la formule ancienne des « aides-catéchistes » ou auxiliaires bénévoles qui recevaient une formation plus approfondie et qui aidaient les missionnaires occasionnellement et souvent localement.

Ce ne fut qu’en novembre 1903 qu’une véritable école centrale de catéchistes vit le jour dans le vicariat. Elle fut établie d’abord à Kyanja (Kagondo), au sud-ouest du lac Victoria. Mgr Hirth tint à être présent pour l’ouverture de ce centre et il y resta quinze jours pour mettre l’oeuvre en marche. Il s’intéressait donc vivement à cette école qui devait lui donner de précieux auxiliaires.

L’école, confiée au P. Armand Riollier, compta, à ce moment vingt-cinq élèves, originaires de toutes les parties du vicariat, sauf du Rwanda, « parce que, selon Mgr Hirth, les jeunes gens de cette dernière région s’acclimataient difficilement à l’altitude de 1.200 mètres seulement ».

« L’instruction religieuse a la place d’honneur, écrivait le supérieur du centre. Chaque jour, nos étudiants ont une instruction sur la doctrine chrétienne, suivie d’interrogations. Ils doivent aussi rédiger des explications. Par suite de la multiplicité des dialectes du vicariat, les élèves se livrent surtout à l’étude de la tangue kiswahili. Les plus anciens, tout en se perfectionnant dans cette étude, commencent à aborder les premières notions du latin, et à l’heure actuelle, ils sont tout heureux de voir les beautés de « l’Epitomae Sacrae»[sic]. Une fois par semaine, ils ont un cours de liturgie sur les diverses fonctions de l’enfant de chœur. Les autres études portent sur la géographie, l’arithmétique, le chant religieux, etc. Ces dernières études resteront bien élémentaires durant quelques années, car nous manquons de livres ».

On le voit, l’étude du latin figure en bonne place parmi les cours. Le but ultime de l’école est ici aussi d’amener des jeunes au sacerdoce. À cette époque, cependant, le supérieur de Kagondo envisageait aussi la formation d’autres auxiliaires, et en tenait compte dans l’élaboration du programme. « Comme la plupart de ces enfants seront sans doute catéchistes, écrivait le père Riollier, deux fois par semaine les plus âgés, divisés en trois groupes, consacrent leur sortie à visiter les villages et à s’initier ainsi à l’exercice du zèle ». L’école se développa rapidement. En 1904, le nombre des élèves s’élevait à soixante. Vingt-six d’entre eux étudiaient le latin, les autres, phis jeunes, s’appliquaient surtout à l’étude du swahili. En novembre de cette même année, l’oeuvre fut transférée à Rubya. « Cette station est située sur un beau plateau, salubre et bien peuplé, notait le vicaire apostolique. C’est ce que nous avions de mieux à offrir aux élèves du Rwanda ». Le site pouvait maintenant accueillir les enfants de l’ensemble du territoire de Mgr Hirth. Ce dernier tenait beaucoup à la présence de jeunes Rwandais dans son école centrale. La mission y était en pleine expansion et promettait pour l’avenir.

Conclusion

À partir de 1904, l’école centrale de Rubya est appelée presque exclusivement petit séminaire. Le vicaire apostolique désire former des prêtres. Déjà au Buganda, il avait créé un réel petit séminaire. Son but explicite est donc bien de déboucher un jour, sur le sacerdoce. Il nous semble donc plus logique de poursuivre l’étude de l’école de Rubya dans le chapitre suivant consacré aux séminaires Nous n’avons décrit ici l’origine de cette oeuvre que parce qu’elle était appelée école de catéchistes, lors de sa création, et que son premier supérieur, le père Riollier envisageait à ce moment de former des catéchistes. Bientôt cependant, cet aspect de l’école fut entièrement éclipsé par le souci unique d’amener le plus grand nombre possible de jeunes à la prêtrise.

  1. Au Haut-Congo

Le P. V. Roelens, à peine arrivé dans la mission du Haut-Congo en 1892, soumit à Mgr Livinhac le projet de fonder, dans la région, une école de catéchistes. « Mgr Lechaptois et le R. P. Marqués sont tous les deux d’avis qu’il faut essayer une fondation de ce genre, écrivait-il, afin d’avoir quelques chrétiens instruits, pour les envoyer dans les villages où les pères ne peuvent se rendre habituellement ».

Nommé administrateur apostolique l’année suivante, Roelens fonda à Mpala un établissement spécial pour la formation de catéchistes. Les débuts furent difficiles. Comme dans l’Unyanyembe, les habitants se montraient très méfiants et refusaient de se séparer de leurs enfants. Il fallut commencer l’oeuvre avec des élèves sortis de l’orphelinat.

Petit à petit l’école s’organisa, et en 1898, le vicaire apostolique pouvait déjà écrire à son supérieur général qu’il disposait « de dix-huit catéchistes sortis de l’école normale de Mpala », et que « ces suppléants dirigeaient dix écoles, où 1.275 enfants recevaient journellement des leçons de lecture, d’écriture et de religion ».

Dès les premières années du fonctionnement de l’institut, Mgr Roelens tenait à donner à ses futurs catéchistes une formation sérieuse. « On n’envoie à Mpala que des enfants choisis parmi les meilleurs dans les orphelinats, écrivait-il dans son rapport à la Propagande. On les y forme pendant quatre, cinq ou six ans, selon leur âge, à la science et à la vertu ; on tâche de développer dans leurs cœurs le zèle apostolique ». Tout n’était cependant pas terminé après ces années passées dans l’établissement. Le vicaire apostolique estimait qu’il serait fort imprudent de laisser partir des jeunes gens sans expérience. Quand les élèves avaient donc terminé les cours à Mpala, la mission se chargeait de les marier. Ensuite, ces nouveaux catéchistes devaient accomplir un stage dans les environs de l’école, tout en continuant à y suivre les leçons de catéchisme. Après cette première période de probation, ils étaient placés comme instituteurs dans une station centrale, où ils travaillaient sous la surveillance immédiate des missionnaires. « Quand on a des preuves suffisantes de leurs aptitudes et de leur vertu, notait Mgr Roelens dans l& même document, on les place, en compagnie de quelques anciens chrétiens, dans un centre païen qu’ils doivent évangéliser ».

Comme on peut le constater, le vicaire apostolique du Haut-Congo désirait transformer radicalement les jeunes qui gravitaient dans l’entourage de la mission. La formation qu’il leur donnait, était longue, exigeante, et dépassait largement le cadre scolaire. Les catéchistes du vicariat se trouvaient ainsi liés à la mission et entièrement dépendants d’elle.

La fonction du catéchiste était, de fait, très exigeante. Dans une lettre à Mgr Livinhac, le P. Huys, supérieur de l’école, décrivit une journée type d’un de ces auxiliaires. Il nous semble intéressant de nous y attarder un moment.

« Chaque catéchiste, notait le père, rayonne à quatre même à six lieues à la ronde, besogne qui certes demande non seulement un sentiment du devoir, mais du zèle pour la conversion de leurs congénères. Le matin, après avoir récité la prière en commun avec la population de sa résidence et des villages environnants, il aura pour première occupation, l’enseignement du catéchisme aux adultes ; il instruit alternativement les catéchumènes et les postulants. Après quoi, il fera le catéchisme aux enfants. Ce n’est qu’alors que le temps lui permettra de faire ses classes, depuis les premiers éléments de la lecture jusqu’aux classes plus complètes d’écriture, d’arithmétique. Voilà que ces diverses occupations requièrent la présence du catéchiste jusque vers 11 heures. Ce n’est qu’alors qu’il pourra se mettre en route pour aller instruire les habitants des villages plus éloignés. À son retour, il aura encore à exercer les enfants au chant des cantiques religieux pour finir In journée par la prière du soir en commun ».

Une tâche aussi exigeante demandait une conviction religieuse profonde. C’est celle-ci que l’école de Mpala voulait transmettre aux candidats-catéchistes. Le programme des études fut conçu en fonction de cette finalité. Un horaire-programme plus ou moins fixe prit forme vers les années 1898-1899. Divers essais avaient préparé ce résultat. La matière principale était, bien sûr, le cours journalier de religion qui devait durer une heure et demie. Le but de ce premier cours était, d’après le P. Huys, de former « des chrétiens éclairés et convaincus, fortifiés dans la foi et dans la pratique régulière des bonnes œuvres ». On avait ajouté à cette première classe un cours complet d’arithmétique « pour leur former le jugement et élargir leurs idées ». Le P. Huys notait avec fierté que ses élèves résolvaient « les problèmes les plus divers sur les quatre opérations fondamentales et sur le système métrique », qu’ils s’intéressaient « vivement à toutes les explications de la cosmographie fondamentale », et que e la géographie détaillée de tous les pays de l’Afrique et de chacun d’eux en particulier » leur ouvrait des horizons nouveaux. Il y avait encore d’autres matières inscrites au programme de l’école. Le père directeur les décrivait de la façon suivante :

« Les phases de l’histoire ecclésiastique montrent à nos élèves la préparation, la fondation et l’inépuisable vitalité de l’Église du Christ ; une classe de pédagogie les instruit sur la formation à donner à leurs futurs élèves tant pour le cœur que pour l’esprit et le bon maintien ».

Nous retrouvons une description semblable de ce programme dans un long rapport que Mgr Roelens adressa en 1902 au secrétaire d’État de l’État Indépendant du Congo. Le vicaire apostolique y expliquait en plus, comment dans l’école de Mpala, comme dans l’ensemble des établissements scolaires du vicariat, tout l’enseignement était donné en swahili. Il justifiait cette façon de faire de la façon suivante : e nous avons adopté cette langue pour nos écoles, parce que c’est la seule qui soit généralement connue dans toute l’étendue de notre mission et la seule qu’on puisse faire accepter par tout le monde. Les autres idiomes sont employés chacun exclusivement dans une tribu. Les gens d’une autre tribu ne consentiraient pas à s’en servir, parce qu’ils les considèrent comme des idiomes sauvages, tandis que le kiswahili est réputé la langue noble, parlée par les hommes libres et civilisés ».

Mgr Roelens exposait ensuite pourquoi il n’avait pas adopté le français dans ses différentes écoles. Trois raisons avaient guidé son choix. L’introduction de cette dernière langue aurait d’abord exigé un personnel européen dont le vicariat ne disposait pas ; l’apprentissage du français aurait ensuite imposé un travail long et considérable pour des résultats sans doute médiocres ; et enfin, « dans les circonstances actuelles, écrivait l’évêque, la connaissance de cette langue chez les Noirs de ce pays, serait non seulement inutile mais nuisible ».

Les élèves de l’école des catéchistes parcouraient normalement un cycle d’études de trois ans d’abord, et de quatre années à partir de 1903. La plupart des candidats-catéchistes recommençaient cependant les classes deux fois et restaient ainsi à l’école « au moins jusqu’à leur mariage » .

A partir de l’année 1898-1899, une initiative importante fut prise par le père Huys. Celui-ci regroupa les élèves-catéchistes les plus pieux et les plus intelligents pour leur apprendre les premiers éléments de la grammaire latine (9. En 1903, une douzaine de jeunes « parmi les plus doués consacraient au moins deux heures par jour à l’étude de cette langue, et les plus avancés parmi eux traduisaient très convenablement les chapitres de l’histoire de Rome par Tite Live ». Dès cette première année, les missionnaires séparèrent les deux groupes d’élèves. Il y avait ainsi à Mpala dès 1899, un petit séminaire à côté de l’école des catéchistes. Nous reparlerons de cette oeuvre du séminaire dans le chapitre suivant. Signalons toutefois ici qu’en 1905, un élève avait déjà entamé les cours de philosophie.

En 1905, l’école fut transférée à Lusaka. La maladie du sommeil qui sévissait sur les bords du Tanganyika rendait impossible le bon fonctionnement d’un établissement scolaire important. C’est à Lusaka que l’oeuvre des catéchistes comme le petit séminaire allaient se développer maintenant d’une façon considérable.

Une innovation assez importante fut introduite dans le programme des cours en 1906-1907. Le français fit son apparition dans les classes, suite, sans doute, comme le fait très justement remarquer W. Blondeel, aux dispositions de la convention entre le Saint Siège et l’État Indépendant du Congo. On se contenta pendant ces premières années d’un cours de français « pour les élèves de la classe supérieure » seulement. La reprise du Congo par la Belgique en 1908, poussa les pères à accroître l’importance de cette branche. « Il a été donné satisfaction aux desiderata du gouvernement au sujet de l’enseignement méthodique de la langue française, écrivait Mgr Huys en 1909. Et dans le rapport de l’école pour l’année 1909-1910, on indique qu’« après la religion, le français est maintenant devenu la branche principale dans l’école de Lusaka ».

À partir de 1910, il est question dans la correspondance des missionnaires d’une reconnaissance officielle de l’institut. Le compte rendu de l’école pour l’année 1910-1911 signale d’ailleurs que « le gouvernement semblait disposé à reconnaître le titre officiel d’école normale pour la formation d’instituteurs indigènes et à octroyer au corps professoral le droit de décerner aux élèves qui auraient subi avec succès leurs examens de sortie, le diplôme d’instituteur ». Ce fut chose faite en 1911. Le ministre Renkin communiqua la décision à Mgr Roelens dans une lettre du 18 février 1911. Une allocation annuelle de 10.000 francs était octroyée à l’école, considérée à partir de ce moment « comme une école agréée ». L’institut devait remplir certaines conditions. Il était soumis à l’inspection de l’État ; le programme des cours tel qu’il existait était reconnu valable, mais le ministre désirait y voir introduire un cours d’histoire du Congo belge, un résumé de l’histoire contemporaine de la Belgique et enfin des notions d’agriculture.

Les subsides furent versés régulièrement chaque année à l’institution qui s’appelait maintenant « école normale de Saint-Jacques de Lusaka » pour les missionnaires, et pour le Ministère des Colonies u l’école normale agréée de Lusaka». Les deux partenaires semblaient contents de cet arrangement. C’est en tout cas l’impression qui ressort d’une lettre que M. Renkin envoya au vice-gouverneur général du Katanga à la fin de 1911.

« Les catéchistes des Pères Blancs, notait le ministre, reçoivent une formation plus complète que dans les autres missions puisque le programme de l’école normale comporte pour les enfants qui savent déjà lire et écrire, quatre années d’études et que le catéchiste qui a rempli ce programme doit encore faire un stage complémentaire de deux ans. Il résulte de cette organisation que les Pères Blancs assument une tâche que le gouvernement ne saurait prendre sur lui et qu’il y a par conséquent lieu de favoriser par tous nos moyens ».

Et M. Renkin continuait sa missive en insistant auprès du vice gouverneur pour qu’il soutienne l’action scolaire des Pères Blancs dans la région. Mgr Huys, quant à lui, s’empressa d’annoncer à Maison-Carrée que l’institut de Lusaka était devenu une école normale agréée par l’État. La mission avait remporté ainsi un réel succès.

Mgr Roelens qui tenait énormément à cette oeuvre et désirait en rester maître entièrement, déplora cependant l’orientation nouvelle de l’école de Lusaka. Ce qui heurtait en partie le vicaire apostolique, c’était la place si importante accordée au français dans l’horaire des cours. Il s’en ouvrit au ministre Renkin qui, dans sa réponse, fit remarquer à Mgr Roelens « que cette branche n’avait pas été imposée par le gouvernement mais proposée par Mgr Huys ».

Cette lettre du ministre des Colonies au vicaire apostolique du Haut-Congo est intéressante parce qu’elle dévoile les idées du gouvernement colonial au sujet des langues employées dans les écoles du Congo. Selon le ministre, « en dehors des grands centres comme Borna, Léopoldville, etc., l’enseignement du français ne devait pas être généralisé ». Dans les écoles élémentaires, la langue locale seule devait figurer au programme, tandis que dans « les écoles centrales ou normales », le français « devrait être enseigné à quelques jeunes gens intelligents, constituant une élite ». Le ministre estimait, en effet, que l’enseignement de cette langue présentait, à ce moment des inconvénients nombreux, mais que d’autre part, on ne pouvait le proscrire d’une façon radicale et qu’il fallait admettre « la possibilité d’une civilisation plus avancée des jeunes Noirs particulièrement intelligents ». M. Renkin rejoignait ainsi en partie les vues de Mgr Roelens. Ce dernier prônait cependant une conception beaucoup plus restrictive encore quant à l’utilisation du français. N’avait-il pas écrit au ministre en 1910 qu’il n’avait réservé une large place à l’enseignement du français dans l’école de Lusaka, que pour se conformer au désir du gouvernement, mais qu’il l’avait fait à contrecœur, car il était opposé à la « diffusion des langues européennes parmi les populations indigènes de la colonie ». Selon le vicaire apostolique, l’enseignement de la langue française devrait être limité aux seules écoles spéciales dans lesquelles on formerait « des clercs, comptables et autres employés de l’administration ». Comme la langue française n’était-nullement nécessaire dans les écoles primaires, les instituteurs ne devraient pas la connaître.

Une des raisons qui rendait Mgr Roelens tellement méfiant vis-à-vis de l’enseignement du français, était la crainte que la connaissance de cette langue n’entraîne des défections dans les rangs de ses catéchistes. Ceux-ci n’allaient-ils pas quitter la mission pour rechercher « dans les centres européens des positions de clercs et de comptables »? Nous avons déjà rencontré ces mêmes problèmes dans les autres vicariats et en particulier dans celui du Tanganyika. Dans ce dernier territoire, on avait à un certain moment même supprimé l’enseignement de l’allemand pour éviter l’exode des jeunes catéchistes vers les centres.

Le ministre Renkin, dans sa lettre du 9 octobre 1912 à Mgr Roelens, exposait des idées quelque peu différentes. Les jeunes gens, formés par la mission et en état de gagner leur vie allaient-ils nécessairement se perdre, s’ils quittaient leur poste auprès des pères? Certes non, estimait M. Renkin. Pour appuyer ses dires, ce dernier rappelait à Mgr Roelens les contacts épistolaires que Mgr Huys avait eus en 1910 avec le vice-gouverneur général du Katanga. À ce moment, il avait été question d’instituteurs de la mission du Haut-Congo qui viendraient travailler à Elisabethville. « Vous pouvez être tranquille au point de vue de leurs besoins religieux, avait écrit le vice-gouverneur. Les pères bénédictins assurent le service de la cure d’Élisabethville et je veillerai à ce que les intéressés soient employés ici même ». Et Mgr Huys avait répondu : a Si quelque jeune homme veut aller se mettre à la disposition du gouvernement d’Élisabethville, je le ferai avertir que M. le gouverneur facilitera l’accomplissement de ses devoirs religieux en le gardant dans les environs de la mission des pères bénédictins ». Voilà la vraie marche à suivre vis-à-vis des jeunes gens élevés dans une mission, écrivait maintenant le ministre. 11 faudra veiller sur eux en les plaçant dans des centres où existera une mission pouvant s’occuper d’eux au point de vue moral e.

Il semble fort improbable que cette argumentation ait pu convaincre Mgr Roelens. Ce dernier voyait, sans doute, dans les départs des catéchistes vers les centres, des pertes pour le vicariat lui-même. C’étaient autant d’hommes formés pendant de longues années par et pour la mission, qui la quittaient.

Si l’introduction et le développement du cours de français dans l’école de Lusaka, énervait quelque peu Mgr Roelens, l’importance attribuée par l’établissement au swahili agaçait légèrement le ministre des Colonies.

« Je n’aime guère la généralisation de la langue kiswahilie (sic), écrivait celui-ci dans la même lettre du 9 octobre 1912. De bons esprits sont d’avis que la diffusion du kiswahili est une faute politique grave, parce que cette langue est d’origine arche et peut servir de véhicule à la propagation des idées islamiques. Mais, continuait le ministre, j’accepte néanmoins l’enseignement du kiswahili parce qu’il est impossible d’enseigner dans leur propre langue à tout les enfants fréquentant une école »

Renkin rejoignait donc ici l’argumentation de Mgr Roelens que nous avons exposée plus haut Dans une région aussi étendue que le vicariat du Haut-Congo, peuplée de peuplades parlant des idiomes divers, il fallait bien accepter, même si c’était à contrecœur, une langue commune, admise par tous.

L’école normale de Lusaka se développa maintenant normalement et progressivement. Elle comptait cent dix élèves en 1913. Une dizaine de jeunes gens achevaient chaque année les cours et étaient placés comme catéchistes-instituteurs dans les diverses missions et chapelles-écoles du vicariat. Les missionnaires comptaient sur ces auxiliaires. Grâce à eux, les stations pouvaient élargir leur rayon d’action. C’est ainsi, par exemple, que Mgr Roelens espérait en 1913 pouvoir étendre la mission de Kasongo par la fondation de nouvelles chapelles-écoles.

On n’attendait pour exécuter ce projet que le retour de Lusaka des premiers enfants envoyés de Kasongo à l’école des catéchistes ».

Conclusion

Le vicariat du Haut-Congo occupe une place particulière parmi les différents territoires des Pères Blancs. Nous avons déjà signalé ce phénomène. Il faut le rappeler ici. De fait, Lusaka est devenue à ce moment, une école normale agréée par le pouvoir colonial. C’est un fait exceptionnel dans l’ensemble des missions de l’Afrique centrale confiées aux Pères Blancs.

D’une institution où les missionnaires voulaient former des catéchistes, l’établissement s’est transformé progressivement en une école normale où l’on travaillait à la formation d’instituteurs et où l’accent est mis de plus en plus sur le caractère officiel de l’oeuvre. Mgr Roelens accepta cette évolution, mais on ressent dans sa correspondance une légère déception et surtout une crainte : cette œuvre ne va-t-elle pas lui échapper? Les instituteurs-catéchistes ne vont-ils pas abandonner leur poste?

Le gouvernement colonial qui voyait dans l’institut de Lusaka surtout une école qui forme les instituteurs et commis de couleur », soutint l’établissement de toute son autorité. N’avait-il pas tout intérêt à le faire?

  1. Au Nyanza septentrional

Depuis l’arrivée des missionnaires catholiques au Buganda, un nombre sans cesse croissant de catéchistes était entré au service de la mission. À la fin de l’année 1900, 720 de ces auxiliaires, choisis parmi les plus instruits et les plus pieux » travaillaient dans les différentes stations. Ces catéchistes n’avaient reçu aucune formation particulière. Ils étaient suivis de près par les pères, et n’étaient finalement que des exécutants, sans beaucoup de responsabilités.

« Le grand nombre de nos catéchistes, écrivait un missionnaire, n’a pas eu de formation spéciale pour cette charge qui demande pourtant une instruction solide et une vie chrétienne exemplaire. Lorsque moi-même j’ai commencé l’école des catéchistes en 1902, j’étais frappé par le peu de culture que possédaient les jeunes gens qu’avaient présentés les missionnaires comme leurs meilleurs sujets ».

Mgr Streicher, conscient de cette situation et, sans doute, influencé par ce qui se passait dans les autres vicariats depuis plusieurs années, décida en 1902 de fonder à Rubaga « une école spéciale dans le dessein d’y grouper l’élite des catéchistes ». Notons immédiatement que depuis 1893 déjà, un séminaire qui comptait amener des jeunes au sacerdoce, fonctionnait dans le vicariat. La nouvelle école de Rubaga voulait être un centre réservé uniquement à la formation de catéchistes. Le Nyanza septentrional se distingue ainsi, par cet aspect, des autres vicariats. Dans le territoire de Mgr Streicher le séminaire d’une part, et l’école des catéchistes d’autre, sont deux institutions bien distinctes, dès leur fondation.

Le P. Pierre van Wees, premier supérieur de la nouvelle école, rassembla à Rubaga dans des bâtiments provisoires, une trentaine de jeunes catéchistes, originaires des différentes stations du vicariat. Le programme était encore assez vague en cette ‘première année. Le cours principal était, bien sûr, la religion. On y avait ajouté des classes d’arithmétique et de géographie.

En septembre 1903, Mgr Streicher adressa à ses missionnaires une circulaire au sujet de la nouvelle école. « Me voici à la veille de congédier dans les postes d’où ils sont venus, écrivait-il, les jeunes gens que vous m’avez adressés en décembre dernier. Je vous le rends grandis en science et en vertu ». Le vicaire apostolique développait ensuite une série de recommandations au sujet des élèves qui venaient de terminer le centre. « N’employez pas ces jeunes gens comme simples répétiteurs de la lettre du catéchisme, remarquait-il, ni même comme maîtres d’école avec unique mission d’enseigner la lecture et l’écriture ; mais plutôt donnez-leur une position qui réponde au but que nous poursuivons et que nous avons tâché de réaliser en eux. Ce but, vous le connaissez : c’est d’avoir des catéchistes-instructeurs qui vous suppléent dans l’explication de la doctrine catholique dans les catéchuménats éloignés de nos postes de mission e. Les jeunes sortants de ce nouvel institut devaient donc, selon Mgr Streicher, recevoir des responsabilités importantes dans le travail missionnaire et remplacer les pères dans les campagnes éloignées.

Dans le même document, le vicaire apostolique traitait ensuite des conditions d’admission dans le centre. Chaque station pouvait y présenter trois ou quatre candidats.

« Choisissez-les parmi les catéchistes les plus sérieux de votre district, recommandait Mgr Streicher. Peu importe qu’ils soient mariés ou non, l’important est qu’ils soient sérieux, d’une bonne intelligence, de mœurs intègres, et qu’ils sachent lire et écrire ».

Le 31 décembre 1903, trente-trois nouveaux catéchistes se présentèrent, non plus à Rubaga, mais à Mitala-Mariya, où l’école venait d’être transférée. L’oeuvre semblait donc bien lancée et Mgr Streicher s’en félicitait. Le programme des cours s’était légèrement élargi, mais il gardait les mêmes caractéristiques fondamentales.

« On y fait marcher de front la formation de la piété et celle de l’esprit, note le diaire du poste. On initie nos catéchistes à l’excellente habitude de l’examen particulier. Le soir, conférence spirituelle dans laquelle on leur fait comprendre ce qu’est la vie chrétienne. À cela s’ajoutent l’assistance à la Sainte Messe, la visite au Saint Sacrement et la récitation quotidienne du Rosaire. On joint à la formation de l’âme celle de l’esprit. Le premier et principal travail est de leur donner une solide instruction religieuse. À cet effet, ils assistent chaque jour à une instruction catéchistique d’une heure ; ils y étudient à fond le catéchisme du matin et celui du soir ».

À côté de cette initiation à la catéchèse, les élèves recevaient en plus u des classes de géographie, d’arithmétique et de liturgie ». Un cours d’histoire ecclésiastique devait leur apprendre « la connaissance des luttes et des triomphes de notre sainte religion ». Un cours d’exégèse enfin, leur donnait « quelques notions sommaires mais suffisantes de la Sainte Écriture et de son importance ».

Comme on peut le constater, la formation à la piété était sensiblement la même que celle que nous avons rencontrée dans les autres écoles de catéchistes. Nous l’avons déjà signalé : c’était le cadre religieux de toutes les maisons de formation des Pères Blancs et correspondait à la vie de prière que les pères devaient mener dans leurs communautés. Plusieurs heures par jour étaient ainsi consacrées à la piété.

La formation de l’esprit ressemblait également à ce que nous avons déjà rencontré ailleurs. Remarquons cependant qu’ici, au Nyanza septentrional, on n’enseignait aucune langue européenne aux catéchistes. L’enseignement se faisait entièrement en langue locale. Comme l’école ne visait qu’à la formation exclusive de catéchistes, il est normal aussi de ne pas y rencontrer de cours de latin.

En 1905, le centre fut transféré une nouvelle fois dans un autre poste. La difficulté de se procurer la nourriture nécessaire pour les élèves avait déterminé le directeur, le père Ambroise Fauconnier, qui venait de succéder au père van Wees, à transporter l’école à Bikira-Mariya. De nouveaux bâtiments y furent construits à la hâte et l’oeuvre put continuer sans grand dommage. Il est intéressant, nous semble-t-il, de nous arrêter un instant à la façon dont cette institution était gérée. Dans le rapport pour l’année 1905, le supérieur de l’institut nous décrit la gestion et la vie quotidienne de son oeuvre, de la façon suivante.

« L’école, notait-il, se compose d’abord d’une longue maison en torchis, et une petite chambre d’étude pour le père directeur. En avant de cette maison et donnant sur la cour, un hangar ouvert servant à la fois de salle à manger et de salle de récréation ; à l’arrière, le dortoir des catéchistes non mariés ; enfin à quelque distance, au milieu des cultures, une rangée de huttes indigènes ; c’est là que demeurent les catéchistes mariés, avec leurs femmes et leurs enfants. Chacune de ces huttes dont je viens de parler est entourée d’un petit jardin, entretenu par la maitresse de la maison ; elle y cultive quelques légumes qui agrémentent un peu le menu de chaque jour. La nourriture ordinaire se compose, à midi, de patates, le soir, de bananes. Pour les patates, un champ assez grand, cultivé par les femmes des catéchistes, a pu nous les fournir pendant environ sept mois ; puis, à la saison sèche, sont apparues les terribles chenilles qui, dévorant les feuilles de ce tubercule, ont amené avec elles la famine ».

L’école des catéchistes formait ainsi un petit monde à part et pouvait vivre en grande partie de ses propres revenus.

L’importance de cette oeuvre pour le développement de l’Église catholique dans l’Uganda ne fut cependant pas pleinement perçue par tous les missionnaires. Certains de ces derniers semblaient plutôt partisans de l’ancienne méthode, lorsque chaque mission se débrouillait seule pour former ses catéchistes. Il est évident qu’il y eut parmi les élèves sortis de l’école de Bikira des défections. Ceci avait donné lieu à des critiques sur la valeur de l’institut. Mgr Streicher dut rappeler aux pères des différents postes que ce n’était pas seulement un droit, mais surtout un devoir pour chacun d’eux d’envoyer des candidats valables à l’école des catéchistes. Ces candidats devaient e savoir lire et bien écrire »; ils ne pouvaient pas être trop jeunes, et il était nécessaire qu’ils aient « déjà acquis un peu d’expérience par une année au moins de ministère ».

Les responsables de l’école de Bikira désiraient recruter des élèves d’un certain âge, et, de préférence mariés, même si l’acquisition de nouvelles connaissances s’avérait quelquefois difficile «pour des hommes déjà âgés, peu habitués à la réflexion ». On considérait que ces candidats possédaient des avantages bien plus grands que des sujets plus jeunes. « Ils ont l’expérience acquise, notait le supérieur de l’école. Ils ont tous en effet catéchisé une, deux années et plus, avant de venir à l’école ; puis on n’est pas exposé à avoir tant de défections ; en troisième lieu, il n’y a pas les difficultés des préparatifs du mariage, souvent funestes aux jeunes gens et toujours cause de longs soucis ; j’ajouterai aussi le péril d’un jeune homme non encore marié, et ce n’est pas la moindre des raisons ».

Le fait que la plupart des élèves de Bikira était des hommes mariés eut encore une autre conséquence : la présence d’un nombre important de femmes de catéchistes. Ceci était important. Nous l’avons déjà signalé : c’était grâce à elles en partie que l’école pouvait fonctionner. « Ce sont les femmes qui entretiennent une grande partie des bananeraies, remarquait le P. Déléry en 1909, et qui cuisent la nourriture journalière ». Ceci nous fait comprendre que le directeur du centre insistait auprès des supérieurs des postes pour que # les femmes des catéchistes mariés devaient venir avec leur mari ».

Les missionnaires se rendaient toutefois bien compte qu’on ne pouvait pas confiner ces épouses dans un rôle de servante.

« Si elles ne prennent pas à cœur la vocation de leur mari, elles seront souvent des obstacles à ses travaux, constatait un père. Si, au contraire, elles comprennent leur rôle, tout en étant une sauvegarde pour le catéchiste, elles se montreront par leur bonté et leur bon exemple, des modèles de femmes vraiment chrétiennes ».

On décida donc dès 1908 de « leur faire une instruction spéciale chaque semaine ».

En 1910, Mgr Streicher décida d’étendre « à deux années entières » le stage que faisaient à Bikira les élèves de l’école. Après des vacances d’une durée de deux mois, les catéchistes qui venaient de passer une année au centre, devaient y revenir pour parfaire leur formation. Le vicaire apostolique justifiait cette décision en écrivant : e Des catéchistes solidement instruits de la religion, formés à une piété éclairée et à la connaissance pratique des devoirs de leur état, quel soulagement pour un supérieur de poste, chargé d’une vaste mission ». Cette extension de la durée du stage devait donner aux catéchistes une meilleure formation. Dès la fondation de l’école, les responsables de celle-ci s’étaient rendu compte qu’il était très difficile de transmettre en dix mois des connaissances nouvelles à des élèves qui avaient été si peu scolarisés préalablement. Ce fut un des grands problèmes auxquels se heurtait la direction de l’institut. En 1913, par exemple, le responsable de Bikira décrivait cette situation dans une lettre adressée à Mgr Livinhac. « Il y a encore parmi nos étudiants deux groupes assez différents, notait-il. L’un, de jeunes gens plus intelligents, destinés à l’enseignement dans les écoles rurales ou des postes ; l’autre, d’hommes plus âgés qui ne font ici qu’un peu de progrès en instruction religieuse ». Le père émettait ensuite l’espoir de voir arriver dans son établissement « des recrues susceptibles de certain perfectionnement intellectuel », car, écrivait-il, « les autres sont presque décourageants surtout aux classes de lecture, d’écriture et d’arithmétique ».

Pour stimuler l’ardeur des élèves, Mgr Streicher introduisit quelques mois plus tard dans l’école un examen final donnant droit à un diplôme ou brevet. « Je crois que la perspective de cette épreuve excitera beaucoup les sentiments d’émulation », notait le directeur. En juin 1913, le vicaire apostolique lui-même vint présider les interrogations, et cinq élèves sur dix-huit obtinrent leur certificat. L’année suivante, le P. Gorju fut désigné comme examinateur.

« Il donna d’abord deux devoirs écrits, indique le rapport de l’établissement, l’un de religion qui lui permettait de contrôler en même temps que l’instruction religieuse, l’écriture et l’orthographe, l’autre de mathématiques. Dans le premier, les élèves devaient faire à de petits enfants un catéchisme sur la Sainte Trinité, leur citer les paroles dont Notre-Seigneur s’est luimême servi pour révéler ce mystère, faire voir en quoi il consiste, et le faire saisir par des exemples et des comparaisons. Ensuite, ils avaient à réfuter un hérétique prétendant que le protestantisme vient des apôtres, et à lui prouver que la religion catholique seule est apostolique. Venaient enfin quelques questions sur la restitution ».

On peut également se faire une idée des connaissances en mathématiques des élèves, en jetant un coup d’œil sur une des questions de l’examen dans cette branche.

« Je cite aussi, continue le même rapport, l’un des trois problèmes posés : ce n’était pas le plus difficile. Un père meurt et lègue ses biens à ses 7 enfants ; à savoir : 35 bœufs de 54 roupies chacun, 75 chèvres de 250 roupies. Malheureusement, il a une dette de 175 roupies qu’il faut acquitter. Que reviendra-t-il à chacun? ».

Sept élèves, e qui étaient aussi les meilleurs sous le rapport de la conduite et de la piété », furent admis au brevet.

Conclusion

Le vicariat du Nyanza septentrional disposa depuis 1902 d’une véritable école de catéchistes. Mgr Streicher désirait donner aux nombreux auxiliaires en fonction dans son territoire, une formation ample et profonde.

L’établissement évolua dans un sens de plus grande exigence. Après quelques années de fonctionnement, les élèves étaient obligés de passer deux années dans le centre, et en 1913, un examen final vint clôturer le stage.

Le vicaire apostolique tenait à cette œuvre. Dans les statuts synodaux du vicariat, élaborés en 1911, un long chapitre est consacré à l’« école normale Saint-Joseph de Bikira ». On y rappelle le but de l’oeuvre : « donner aux districts des instructeurs et éducateurs chrétiens stylés à ce ministère difficile ». Ensuite le document insiste auprès des missionnaires pour que chaque poste soit représenté à l’école « par deux stagiaires au minimum ». Deux autres éléments encore sont à retenir dans ces pages : d’abord, les articles qui traitent du programme. Les rédacteurs insistent sur trois éléments dans la formation des catéchistes : en premier lieu, les classes quotidiennes de religion et des s connaissances littéraires et pédagogiques s; un cours d’ascétisme ensuite, qui doit former « les élèves à une piété solide, éclairée et vraiment apostolique »; « l’apprentissage des travaux manuels » ensuite, qui a pour but de rendre les catéchistes aptes plus tard à e mettre en valeur la propriété dont ils auront l’usufruit et à améliorer leur condition matérielle ».

L’article 224 des statuts est ensuite consacré aux épouses des catéchistes. « Elles vaquent aux travaux des champs et de la cuisine ». Mais, l’école doit s’efforcer d’apprendre à lire à « celles qui en sont capables », et de leur faire comprendre « leurs obligations d’épouses et la nature du concours qu’elles peuvent prêter’ au ministère de leurs maris catéchistes ».

L’œuvre des catéchistes semblait donc bien lancée dans le vicariat. Les restrictions imposées à la mission par la première guerre mondiale vinrent cependant arrêter l’entreprise, et en novembre 1914, l’école de Bikira dut fermer ses portes.

 

  1. Au Nyassa

Dès 1905, le père Mathurin Guillemé, visiteur des missions du Haut-Congo, du Tanganyika et du Nyassa, pressa Mgr Dupont d’établir dans son vicariat une école de catéchistes.

Le P. Guillemé avait travaillé dans le Haut-Congo avant de devenir visiteur, et il y avait participé à la création de l’établissement de Mpala. Il n’est donc pas étonnant de rencontrer chez le père la conviction profonde qu’une école de catéchistes était une oeuvre indispensable pour chaque territoire de mission. C’est dans cette optique, qu’il élabora en cette même année 1905, un plan complet en vue de créer un centre pour la formation de ces auxiliaires dans le poste de Chilubula.

Il proposa de recruter dans les écoles des diverses missions « les enfants les mieux doués, sachant lire et écrire et le plus jeune possible », et de les rassembler à Chilubula, où deux pères devaient s’occuper d’eux. Le programme d’études est à peu près le même que celui de l’école des catéchistes de Mgr Roelens. « Au moins cinq heures de classe par jour, du travail manuel dans la soirée, des congés réguliers », voilà les grandes lignes du règlement. Les matières enseignées comprendraient la lecture et l’écriture, le catéchisme, les mathématiques, la géographie, le chant et la pédagogie. Notons toutefois une exception par rapport aux cours enseignés au Haut-Congo : ici est inscrit au programme un cour d’anglais. La présence des nombreuses écoles protestantes influença sans doute le choix de cette matière.

« Les études finies, écrivait encore le P. Guillemé, les élèves retournent dans la mission à laquelle ils appartiennent. Ils doivent être éprouvés pendant quelques années avant de recevoir une fonction fixe dans la mission même. Il faut toujours les marier avant de les envoyer à l’extérieur ». On remarque encore ici clairement l’influence des façons d’agir du Haut-Congo.

L’exécution de ce projet précis du père visiteur traîna cependant pendant plusieurs années. Le vicaire apostolique, Mgr Dupont, n’était pas disposé à entreprendre l’oeuvre, apparemment sans aucune raison valable. Le P. Guillemé signala cet état de chose à Maison-Carrée et l’expliquait par l’incapacité de l’évêque de diriger normalement son vicariat. e Nous avons eu ensemble de fréquents entretiens, notait-il, durant lesquels j’ai invariablement été obligé de voir la raison mise en miettes et le bon sens en charpie ».

L’ensemble des missionnaires de la région souhaitait l’érection d’une école de catéchistes. « Tant que nous n’aurons pas cette école bien organisée, écrivait un père, nous aurons toujours à craindre de voir nos écoles fermées et les âmes nous échapper. L’école des Catéchistes est à fonder dans le vicariat. Ce doit être l’avis de tous les missionnaires. Il semble que Mgr Dupont soit le seul à ne pas être rallié à cette idée ».

En décembre 1909, le conseil du vicariat décidait enfin la création de deux écoles de catéchistes, rune au nord, dans le pays bemba, a Chilabula, l’autre dans l’Angoniland au sud, à Ntakataka. Le vicaire apostolique dut bien s’incliner devant les pressions nombreuses qui le poussaient à l’érection de ces établissements.

Il restait cependant assez réticent devant ces innovations. Dans son rapport à la Propagande de 1910, il annonçait la création de ces deux centres, mais il ajoutait : « Si nous avons ‘à combattre l’ignorance, nous devons aussi redouter les déclassés et les pédants ». Voilà sans doute la raison profonde qui l’avait retenu jusque là de donner son assentiment à cette oeuvre. Mgr Dupont craignait l’école. La constitution d’un groupe de catéchistes formés l’effrayait. Comment allait se comporter cette nouvelle « classe d’hommes »? Ne valait-il pas mieux garder le statu quo? Le vicaire apostolique regrettait sans doute les temps anciens et regardait les transformations de la société africaine avec appréhension.

Le 16 mai 1910, l’école de Ntakataka ouvrit ses portes avec une quarantaine d’élèves (5. Ce n’était pas à proprement parler une école de catéchistes. Ce poste possédait déjà une école élémentaire un peu plus développée que celles des autres stations de la région. Aussi, l’idée du premier directeur était de créer maintenant un établissement scolaire ouvert à des jeunes gens « parmi les mieux doués », mais « parfaitement libres de choisir leur carrière ». L’école de Ntakataka voulait donc être plus qu’un centre pour la formation de catéchistes. « Bien que destiné à l’éducation de futurs auxiliaires de la mission, écrivait le supérieur de l’école, l’établissement n’est pas exclusivement ouvert pour eux ».

La grande raison qui poussait le père à agir de la sorte était la présence de nombreuses écoles protestantes importantes dans la région. Les jeunes catholiques se sentaient en infériorité par rapport aux élèves des autres écoles.

« La mission de Ntakataka avait besoin d’un établissement supérieur; notait le même missionnaire Sans cela, plusieurs jeunes gens déjà plus avancés auraient été forcés d’aller chercher une instruction plus relevée dans les missions voisines ».

Cette situation n’allait cependant pas durer très longtemps. En février 1911, l’établissement de Ntakataka fut transféré à Mua. Pourquoi ce déménagement?

« Parce que, notait le supérieur de l’école, les locaux y sont plus « scolaires s; parce qu’on avait le dessein d’imposer aux élèves le travail manuel, chose impossible à Ntakataka ; parce que peut-être, on a voulu enlever à l’oeuvre un air trop prononcé de prétendue high school qu’elle affectait nécessairement, l’an passé, aux yeux de la jeunesse intellectuelle de Ntakataka ».

Cette dernière observation est à retenir. Elle montre clairement que le but de l’oeuvre évoluait dans un sens plus exclusif. Les autorités du vicariat voulaient que Mua devienne une véritable école de catéchistes et rien de plus.

Cette évolution s’accentua encore l’année suivante. « La prochaine rentrée aura lieu fin février, écrivait le P. Joseph Mazé, nouveau directeur de l’école, en 1912. Il y aura une réforme capitale dans le recrutement. On a décidé de n’admettre à l’école que des catéchistes actuellement en fonction ». Le centre de Mua devenait ainsi un établissement destiné exclusivement à compléter la formation des catéchistes. « Nous éviterons ainsi de faire des déclassés sans emploi, notait le même père, et nous pourrons espérer d’élever peu à peu, par cette espèce de noviciat renouvelé, le niveau religieux et intellectuel de nos auxiliaires ». L’école de Mua s’orientait ainsi vers le même modèle que celui qui existait en Uganda : un centre pour le recyclage de catéchistes en fonction.

L’oeuvre avait cependant de la peine à bien démarrer. Nous lisons, en effet dans le diaire du poste, qu’en juillet 1913, on avait déjà dû interrompre les cours dans l’établissement. « Les constructions empêchaient cette école de marcher régulièrement, indiquait le chroniqueur. Dès que ce sera possible, Monseigneur a bien l’intention de relancer une oeuvre si importante».

Entre temps, dès le mois d’avril 1912, le P. Mazé avait commencé l’enseignement du latin dans l’école. Comme partout ailleurs, le père directeur avait ici aussi rassemblé dans ce but, les jeunes élèves les plus intelligents de l’établissement. Très vite, les deux « écoles » se séparèrent, et l’attention des pères professeurs se porta principalement sur les latinistes, dont on espérait un jour faire des prêtres. En janvier 1913, une douzaine de petits séminaristes se trouvaient à Mua ; en juillet, ils étaient vingt-cinq. Comme cette oeuvre était particulièrement chère aux missionnaires, elle se maintint au milieu des difficultés. Tandis que l’école des catéchistes dut interrompre ses activités dans le courant de 1913, le séminaire continua à fonctionner. L’année suivante, le P. Mazé put écrire à Maison-Carrée que l’esprit qui régnait chez les enfants était bon, et qu’il espérait donc en amener quelques-uns au moins au sacerdoce. L’école des catéchistes semble un peu oubliée. L’oeuvre du séminaire a, pour ainsi dire, éclipsé le travail de formation des catéchistes.

Nous avons parlé un peu plus haut, d’une deuxième école de catéchistes, située à Chilubula. Ici aussi, il faut bien le reconnaître, les choses tramèrent en longueur. Dans son rapport à la Propagande pour l’année 1910, Mgr Dupont annonçait la création d’une école importante à Chilubula, mais il la décrivait en même temps, comme un établissement d’une quarantaine d’élèves, tous externes « qui ont six heures de classe par jour et touchent une indemnité de 60 centimes par semaine ». De fait, Chilubula ne semble avoir disposé que d’une école élémentaire un peu plus importante peutêtre que celles des autres stations. Il est donc bien difficile dans ce cas, de parler d’un établissement secondaire en vue de former des auxiliaires pour la mission.

Ce ne fut que deux ans plus tard, que le nouveau vicaire apostolique, Mgr Larue reprit l’idée de créer une véritable école de catéchistes. « Elle va être fondée, écrivait le supérieur de Chilubula à Mgr Livinhac. Les catéchistes feront leur stage à tour de rôle et y recevront cette instruction profane dont ils ont grand besoin ». Le centre de Chilubula resta cependant un petit établissement où les catéchistes des stations environnantes recevaient un complément de formation. La situation était encore telle au début de l’année 1914. « La fondation de deux oeuvres est urgente, écrivait à cette époque Mgr Larue. Celle du petit séminaire et d’une école profane pour l’élite de la jeunesse ». Rien d’important n’avait donc été réalisé à cette date.

Conclusion

En 1914, le petit séminaire de Mua était la seule école d’une certaine importance qui fonctionnait dans l’ensemble du territoire du Nyassa.

Cette situation est d’autant plus étonnante qu’on sait que le Nyassa était la région où les écoles de villages étaient très nombreuses. On pouvait donc s’attendre à trouver ici, au moins un centre important pour la formation des enseignants. Or, il n’en est rien. La mission se contenta pendant de longues années de recruter à la hâte dans les écoles élémentaires des stations, des instituteurs catéchistes sommairement formés.

Comment expliquer ce phénomène contradictoire? On a l’impression que c’est, en grande partie, la crainte de voir surgir une nouvelle classe de jeunes intellectuels qui a freiné l’action des pères. Ces ‘derniers redoutent apparemment de créer et de développer des écoles plus importantes. Mgr Dupont d’abord, le P. Mazé ensuite parlent du danger de former des « déclassés sans emploi » ou des pédants ». Il y a dans cette attitude comme une méfiance profonde envers le développement normal d’une société et finalement envers l’oeuvre que les pères eux-mêmes étaient en train de réaliser. Nous rencontrons ici cet éternel dilemme entre le respect du milieu et’ de la culture locale et la volonté de transformer ce même milieu à la prédication chrétienne. Mgr Dupont, plus que d’autres peut-être, était un homme profondément attaché aux Bemba tels les avait rencontrés au début de son action missionnaire. Voir ce peuple qu’il aimait tant se transformer dans un sens qui ne correspondait pas à sa propre vision, le heurtait et l’effrayait. De là, cette crainte de voir surgir parmi eux des « déclassés » et des e pédants »; de là aussi ce désir de ne créer que des externats afin que les enfants gardent un contact étroit avec leur milieu familial.

Le résultat final de cette façon d’agir fut, comme nous l’avons déjà signalé plus haut, le clivage de la société nouvelle entre une -élite protestante et une paysannerie catholique.