LES SÉMINAIRES

Au Nyanza septentrional

 

La fondation

Très vite après leur arrivée en Afrique centrale, les Pères Blancs songèrent à former sur place des collaborateurs. Cela avait été une des grandes idées de leur fondateur. Les missionnaires s’efforcèrent de l’appliquer le plus rapidement possible. Nous venons de voir comment des écoles de catéchistes avaient été créées à cette fin dans les différents vicariats. C’est dans la même optique aussi qu’allaient naître les séminaires. Le premier territoire à mettre sur pied une oeuvre de ce genre fut l’Uganda.

On se souvient qu’en 1888 déjà, le vicaire apostolique de l’époque, Mgr Livinhac, avait chargé le jeune père Hirth de la gestion d’une petite école « cléricale » établie à Kamoga dans le Bukumbi. On estimait que les années passées « au petit séminaire grec de Sainte Anne de Jérusalem » l’avaient bien préparé pour s’occuper d’une œuvre semblable en Afrique centrale. Ce fut toutefois une expérience sans lendemain. Les bouleversements divers qui agitèrent la région dans les années qui suivirent interdirent toute initiative dans ce sens.

Dès le rétablissement de la paix clans le pays, le nouveau vicaire apostolique, qui ‘n’était autre que Mgr Hirth, se hâta de reprendre cette œuvre à laquelle il attacha une très grande importance. Son professorat d’une durée de cinq ans dans le séminaire grec-melchite de Jérusalem d’abord et dans l’école apostolique de Saint-Eugène ensuite, lui avait sans doute fait apprécier la valeur d’un petit séminaire dans la vie d’une Église. Au début de l’année 1893, le vicaire apostolique invita le P. Jean Marcou à ouvrir une école cléricale à Villa-Mariya.

« Il faut, écrivait celui-ci, que les missionnaires se forment dans ce pays des collaborateurs car les ouvriers apostoliques vertus d’Europe ne s’accroissent pas en nombre dans les proportions où s’élargissent les champs du Père de famille ».

Le programme des cours au début était des plus simples : lecture, écriture, langue swahili, calcul, et « une instruction religieuse aussi complète que possible ». Notons que dès ce moment, le père annonçait aussi qu’il se préparait à enseigner le latin « pour ceux qui dans quelques mois en seraient capables ». Dès le début, on orienta donc l’établissement vers une formation cléricale.

Bientôt « la peste et une grippe infectieuse » imposèrent le transfert de l’école à Rubaga. Dès le mois de décembre 1893, on put s’installer dans é un premier bâtiment provisoire qui servait de salle d’étude, de salle de classe, de dortoir, de réfectoire, et même de salle de récréation ». Ce ne fut cependant pas pour longtemps que le séminaire demeura dans la capitale du pays. En juillet 1895, le nouveau vicaire apostolique, Mgr GuilIermain, décida de transférer l’établissement à Kisubi, au sud du vicariat, sur les bords dg- lac Victoria. Pourquoi ce nouveau changement?

« Les principales raisons qui nous obligent à ôter de la capitale notre petit séminaire, écrivait le père Marcou, sont la rareté de la nourriture ; les trop nombreuses distractions que les enfants y trouvent (…) ; la proximité du Lubili ; les tentatives que font les chefs pour attirer les enfants chez eux et en faire leurs suivants ».

Bief, le centre de Rubaga semblait aux responsables de l’école peu indiqué pour y faire fonctionner normalement un petit séminaire. Leurs élèves n’allaient-ils pas tous succomber aux tentations diverses de la vie de la capitale et quitter l’école? Les missionnaires préféraient l’isolement de la campagne aux distractions de la ville, afin de préserver davantage les jeunes séminaristes.

On n’est pas étonné de cette attitude quand on sait que l’ensemble des missionnaires du vicariat se montraient très sceptiques vis-à-vis de cette oeuvre naissante, ce qui explique que les responsables du séminaire voulaient démontrer coûte que coûte que leur travail n’était pas inutile et qu’il porterait sans doute un jour des fruits. Beaucoup de pères trouvaient, en effet, qu’il était prématuré de vouloir fonder un séminaire dans un territoire, qui ne comprenait encore que cinq stations. Ils critiquaient cette initiative aussi à cause de la grande dépense qu’elle occasionnait et ensuite parce que le séminaire « soustrayait à la mission des prêtres qui seraient si nécessaires pour le ministère ». Le père Bajard qui venait d’être nommé à Kisubi pour seconder le P. Marcou renseigna lui aussi Mgr Livinhac sur cet état d’esprit.

« Les confrères du vicariat sont presque tous bien opposés au petit séminaire, écrivait-il. Ils n’y envoient des enfants qu’à regret, parce qu’ils y sont obligés. C’est bien inutile d’avoir un séminaire dans un pays nègre, disent les uns ; écoles de futurs chefs, disent les autres. Puisque Rome désire qu’il y ait un séminaire, qu’il y en ait pour la forme et qu’il n’y ait qu’un père qui perde son temps. Il est bon qu’il y ait un séminaire où les élèves apprennent le latin, etc., mais lorsqu’ils auront vingt ans il faut tous les marier ; puis, lorsqu’ils seront dégoûtés du mariage, on les reprendra pour en faire des prêtres. Dans les premiers siècles de l’Église on ne laissait entrer dans les ordres sacrés que des gens mariés, il doit en être de même ici, etc., etc. ».

Beaucoup de missionnaires émettaient donc des doutes très sérieux quant à l’efficacité du petit séminaire. Un grand nombre de pères pensaient qu’il était même impossible à des jeunes Ganda de garder le célibat et de devenir prêtre dans l’Église catholique. Les responsables de l’école, s’ils n’adoptaient pas une position aussi extrême, doutaient cependant eux aussi de la finalité de l’oeuvre dont ils devaient s’occuper. « Si on n’en fait pas des prêtres, notait le père Marcou, ce qui ne se fera peut-être jamais, on en fera certainement de bons catéchistes ». C’est grâce à ce dernier espoir que l’oeuvre subsista. Les supérieurs des différentes missions réunis en conférence à Rubaga au mois d’août 1896, se prononcèrent tous pour le maintien du petit séminaire « espérant en recevoir des catéchistes, mais aucun n’espérant des prêtres ».

L’oeuvre ne se développa que lentement. On enseignait surtout le catéchisme aux jeunes élèves, mais on maintint également le latin. « Pour le latin, en ce moment, nos enfants traduisent l’Évangile et l’apprennent de mémoire », notait le père supérieur en 1896. Le sacerdoce n’était donc exclu ni de la formation ni de la finalité de l’oeuvre. Mais, le but immédiat de l’école de Kisubi était en 1898 de procurer au vicariat « d’excellents catéchistes ». Mgr Streicher lui-même écrivait dans ce sens aux pères du séminaire. « Dans la formation intellectuelle et morale des enfants, ne perdez pas de vue, remarquait-il, que le but immédiat de l’éducation que la mission donne à cette jeunesse, est la formation d’auxiliaires sérieux qui, dans les divers postes où ils sont répartis, seconderont les missionnaires dans les travaux secondaires de leur ministère, en attendant le jour désiré où le divin Maître leur dira, il nous faut bien l’espérer, ascende superius ».

L’opposition au séminaire demeura longtemps encore très forte parmi les pères du vicariat (4 ). Elle fut encore renforcée par l’opinion de certains chefs catholiques, tel Stanislas Mugwanya. Ce dernier •Whésitait pas à dire à certains missionnaires : e Jamais vous n’arriverez à faire de nous ou de nos fils des prêtres comme il faut. ous Baganda, nous sommes indépendants et passionnés par nature » (5 ).Mgr Streicher, que cette opposition irritait, réagit en écrivant une lettre dans laquelle il rappelait aux pères du vicariat eur obligation de soutenir le séminaire.

« Après de si longs et de si grands sacrifices de missionnaires et d’argent, remarquait-il, le petit séminaire n’a encore donné que de simples catéchistes, dont plusieurs même ont déserté le service de la mission (…). Je n’hésite pas à croire, mes biens chers confrères, que vous êtes pour quelque chose et même pour beaucoup dans cette lenteur d’efflorescence ».

Le vicaire apostolique reprochait ensuite à plusieurs pères de se désintéresser de l’école cléricale. Certains n’y avaient envoyé aucun sujet, d’autres, des élèves très jeunes et peu préparés à poursuivre des études.

« Pour que cet établissement devienne prospère, il lui faudrait de bons sujets, poursuivait Mgr Streicher. Or, le choix de bons sujets, c’est vous seuls qui êtes capables de le faire ».

L’oeuvre n’en continua pas moins.

« Jusqu’à ces derniers temps, écrivait le P. Marcou en 1901, le nombre des élèves internes qui y consacraient toutes leurs journées à l’étude oscillait entre soixante et soixante-dix. L’année dernière, nous fûmes obligés de restreindre provisoirement le nombre de nos élèves à trente-cinq à cause de la famine dont nous eûmes tant à souffrir ».

Ce chiffre n’augmenta que lentement. En 1906, par exemple, le petit séminaire ne comptait encore que quarante-huit jeunes gens : Ceux-ci, originaires des différentes régions du vicariat, étaient envoyés à Kisubi par les supérieurs des stations. On se souvient des recommandations adressées par le vicaire apostolique à ses missionnaires pour qu’ils envoient des sujets valables à Kisubi: L’appel de l’évêque porta des fruits. Citons à titre d’exemple la station de Bukumi, où en 1903, quelques écoliers « mieux partagés du côté de l’intelligence et du cœur » recevaient « des notions supplémentaires de calcul, de calligraphie et de géographie», et étaient préparés ainsi à entrer au petit séminaire de Kisubi. Dans le poste de Bujuni, on agit de la même façon. « Un groupe d’une douzaine d’enfants choisis parmi les plus intelligents suit un celui à part, indique le diaire de la station. Ils y apprennent à faire correctement une dictée, après quoi on leur enseigne quelques notions de géographie et d’histoire. C’est de ce groupe que partiront les enfants destinés au petit séminaire lorsque nous aurons saisi en eux quelques marques de vocation sacerdotale ». Les statuts synodaux de 1909 rappelaient à tous les missionnaires l’obligation de préparer les enfants au petit séminaire : « Il n’y aura de poste, qui ayant une école supérieure et bien tenue, ne voudra avoir un groupe d’enfants d’élite dont l’instruction littéraire et la formation à 1a piété seront l’objet de soins particuliers ». Le programme des études était, en 1903, encore fort orienté vers la formation de catéchistes. Écoutons le responsable de l’école :

« Dans les travaux d’étude, écrivait-il, l’instruction religieuse tient la première place. Nos élèves reçoivent tous les matins une instruction sur le catéchisme et sur la manière de l’expliquer. Ils rédigent cette instruction et ont des exercices hebdomadaires pour s’essayer eux aussi à faire le catéchisme ».

Les autres branches du programme portaient sur la géographie, l’histoire et le calcul. fis étudiaient en plus le swahili, le latin, et depuis 1901, l’anglais.

En 1902, les plus grands élèves du petit séminaire avaient passé près de dix ans dans l’établissement. On ne pouvait pas les garder là indéfiniment. Le temps était venu de continuer l’oeuvre jusqu’au bout. Les responsables de la mission décidèrent de commencer la formation supérieure des futurs prêtres. Aussi, dans son rapport à la Propagande, Mgr Streicher pouvait-iI écrire fièrement :

« L’événement le phis important de l’année 1903 est l’ouverture d’un grand séminaire. Six jeunes gens âgés de 18 à 30 ans, dont les aptitudes intellectuelles et les attraits surnaturels pour les vertus sacerdotales ont été sérieusement éprouvés durant les huit années qu’ils ont passées au petit séminaire, ont abordé l’étude de la philosophie et revêtu l’habit ecclésiastique ».

Un nouveau déménagement fut imposé au séminaire en cette année 1903. La maladie du sommeil venant de faire son apparition sur les bords du lac Victoria, Je petit séminaire était obligé de quitter Kisubi pour aller se fixer à Bukalasa près de Villa-Mariya, résidence de l’évêque. Le grand séminaire resta encore un an à Kisubi, puis se déplaça à Bikira, pour venir rejoindre enfin, en 1905, le petit séminaire à Bukalasa.

Au grand séminaire, les cours de philosophie avaient commencé depuis le mois de décembre 1903.

« Monseigneur a choisi sept élèves des plus forts et des mieux doués, écrivait le directeur de l’établissement (…). Le plus âgé peut avoir 25 ans, le plus jeune, 20 ans. Tous savent assez le latin pour comprendre le Nouveau Testament et les leçons du bréviaire. Voilà tout leur bagage intellectuel, avec quelques notions d’histoire ecclésiastique, de géographie, d’arithmétique. Vous devinez s’il y aura du travail pour expliquer en rouganda la philosophie et la théologie ».

Il est intéressant de souligner ici le fait que c’est précisément au moment où le grand séminaire commençait à fonctionner que Mgr Streicher chargeait le père van Wees de créer une école de catéchistes. Le petit séminaire devenait ainsi d’une façon plus exclusive un établissement préparatoire à la formation sacerdotale Le cours le plus important devint maintenant le latin. On y con-, sacra une part importante du temps des élèves.

Cette orientation plus cléricale du petit séminaire amena encore une autre mesure qui peut paraître étonnante. L’enseignement de l’anglais fut supprimé. Mgr Streicher estimait que la connaissance de cette langue n’était point nécessaire pour de futurs prêtres, et constituait en plus, et surtout, une grave tentation pour les jeunes séminaristes. N’allaient-ils pas tous ou en grande partie quitter l’établissement pour s’engager comme secrétaire, ou interprète dans les bureaux de gouvernement ? Rappelons-nous que Si. Mary’s school venait d’être fondée à Rubaga. « Les élèves de cette école seront assez nombreux, estimait le vicaire apostolique, pour briguer les places auprès de gouvernement, sans qu’on expose nos séminaristes à se mettre sur les rangs des compétiteurs ».

Le petit séminaire Sainte-Famille de Bukalasa

À partir de 1903, les deux institutions connurent une évolution assez distincte. C’est pour cette raison que nous les suivrons maintenant séparément.

À Bukalasa, le petit séminaire connut un développement lent mais progressif. De nouvelles constructions furent érigées. Le règlement fut légèrement modifié. Il restait néanmoins fondamentalement le même qu’auparavant, axé principalement sur les exercices de piété, les classes et 1e travail manuel. Nous avons déjà signalé que l’enseignement du latin était devenu primordial depuis 1903. En octobre 1907, à la rentrée scolaire, on inaugura, sur la demande expresse de Mgr Streicher, e les conversations latines e. Les élèves devaient parler cette langue durant la récréation du matin. Le vicaire apostolique tenait beaucoup à cette mesure. Il renouvela encore cet ordre au début de l’année scolaire suivante. Cette insistance sur la connaissance du latin provenait du fait que les pères du grand séminaire s’étaient plaints auprès de l’évêque des grandes difficultés qu’ils rencontraient auprès de leurs élèves, suite à leur faiblesse dans cette langue.

À partir de 1909, on ajouta pour la même raison une année de latin en plus au petit séminaire. Les élèves devaient parcourir maintenant cinq classes avant de pouvoir accéder au grand séminaire. Pendant les trois premières, ils devaient apprendre la grammaire, et dans les deux dernières, ils étudiaient e les meilleurs auteurs chrétiens : Saint Cyprien, Lactance, et Saint Jérôme ». Dans le projet de programme des études pour l’année 1909, on retrouve la même préoccupation au sujet de l’enseignement du latin.

« Après l’instruction religieuse, peut-on lire dans ce document, l’étude la plus importante au séminaire est celle du latin (…). Les auteurs que l’on mettra entre les mains des enfants ne seront, en principe, que les classiques chrétiens, les Pères de l’Église et la Sainte-Écriture ».

L’obligation de parler le latin pendant les temps libres s’était encore renforcée. « Aux récréations du midi et du soir, écrivait le supérieur de la maison, trois cours s’exercent à parler latin. Sans doute, ils ont quelque peine à trouver le mot propre et à faire l’accord ; mais il n’y a pas lieu de s’étonner si l’on considère combien le génie de la langue latine diffère de celui de leur langue ».

Il ressort de cette insistance sur l’apprentissage du latin une double impression. La langue latine semble d’abord avoir été vraiment considérée comme un nec plus ultra. On le comprend un peu quand on sait qu’aucune langue européenne n’était enseignée dans le séminaire et que la langue de base des études du grand séminaire était le latin. Le petit séminaire ne voulait donner ensuite, qu’une formation purement cléricale. C’était un enseignement à finalité : on ne voulait former que des prêtres. Les statuts synodaux de 1909 sont d’ailleurs explicites sur ce point : « Le but du séminaire étant unique, exclusif de tout autre but, à savoir : la formation progressive à l’état ecclésiastique, on n’y admettra et on n’y gardera aucun élève en qui ses maîtres reconnaîtront des signes positifs de non-vocation ».

Mgr Streicher disposait ainsi de trois établissements post-primaires nettement distincts et à vocation propre : le séminaire pour former des prêtres, l’école des catéchistes pour recycler les catéchistes, SI. Mary’s school pour enseigner l’anglais aux futurs employés du gouvernement colonial. Les deux premières institutions avaient de loin la préférence de l’évêque. La preuve : il s’en occupait constamment.

Nous avons déjà parlé de ses nombreuses interventions dans l’école des catéchistes. Pour le séminaire, Mgr Streicher se sentait plus préoccupé encore. C’est lui qui ordonna de faire parler le latin aux élèves et qui intervint dans les modifications du règlement. À. un certain moment, ces ingérences dans les affaires internes du séminaire étaient Même tellement nombreuses, que les responsables de l’établissement s’en plaignirent. « Mgr ne tient pas compte de l’avis des pères du séminaire quand il s’agit de mesures disciplinaires » écrivait un professeur au P. Malet. Ce fut également l’avis des autres missionnaires qui s’occupaient de l’oeuvre. Le P. Malet intervint avec sa sévérité habituelle. Il commença par avertir Maison-Carrée.

« D’après ce que je vois et entends, je crains tout simplement des folies de la part de Mgr Streicher, écrivait-il. On ne saurait concevoir une pression plus forte et sur les maîtres et sur les élèves pour arriver à avoir des prêtres au plus tôt (…). Le vicaire apostolique organise tout dans son séminaire sans consulter personne ».

L’évêque fut interpellé à ce sujet par le père visiteur et invité à laisser aux responsables de l’école le soin de former les séminaristes. Il accepta cette remontrance et s’inclina, à contrecœur sans doute, devant les remarques du P. Malet.

II nous semble important de nous attacher encore un instant au programme des études. On a déjà traité de l’importance accordée à l’instruction religieuse et au latin. Étudions maintenant davantage les méthodes d’enseignement et leur évolution. Un des problèmes importants qui s’étaient posés aux pères dès le début de l’oeuvre, était celui des manuels. Comme aucune langue européenne ‘était inscrite au programme hormis l’anglais pendant quelques années, l’enseignement du latin devait se faire en langue ganda. Dès 1894, le P. Marcou avait commencé de composer une grammaire latine en ganda. Ce travail dura plusieurs années. Puis, il – fallait songer à des dictionnaires, des exercices, etc. -. En 1905, on décida de changer de méthode.

«II a été décidé, notait un des professeurs de l’école, d’introduire au petit séminaire la méthode d’instruction adoptée par les Prêtres des Missions Étrangères dans leurs écoles indigènes : c’est-à-dire mettre entre les mains des enfants des livres latins d’où se tirent les leçons à étudier, après que le père les a lui-même traduites et expliquées dans la classe qui précède. C’est ce que nous avons fait ; nous avons été fidèles à parler et à faire parler latin, au moins en ce qui concernait la récitation de la grammaire latine, et les examens semestriels nous ont apporté la joie d’entendre une bonne partie de nos élèves réciter couramment, en latin, les numéros de grammaire qu’ils avaient appris, voire même quelques essais d’explication dans la même langue ».

La nouvelle méthode ne fut cependant pas une panacée. Les résultats en latin demeuraient faibles, et les pères continuèrent à rédiger des manuels en ganda.

Les élèves n’avaient à ce moment que deux classes par jour, chacune d’une heure et quart, le reste du temps était occupé par les exercices de piété (environ deux heures), le travail manuel (environ deux heures), et l’étude (trois heures et demi). Le temps passé à l’étude fut sans doute jugé peu profitable aux élèves, car, en 1908, les pères décidèrent d’adopter ici aussi un nouveau système.

« Les élèves, notait l’un d’eux, passent maintenant toute leur journée dans des classes particulières et les professeurs sont avec eux, excepté pendant le temps qu’ils doivent consacrer à la récitation du bréviaire. Cette méthode produira sans doute de bons résultats et pour l’instruction, et pour l’éduction des petits séminaristes ».

Les pères professeurs espéraient de cette façon améliorer en partie le niveau de l’école, car il restait toujours bien bas. Si on était assez content des résultats obtenus dans les branches secondaires, la connaissance du latin restait faible. La plupart des professeurs attribuaient ce maigre résultat à l’absence de bons manuels, Un seul parmi eux, le père Joseph Sali m estimait que la vraie cause du peu de progrès des enfants dans la langue latine n’était pas seulement le manque de livres, mais surtout le fait qu’on voulait tout enseigner en ganda. « Les pères de Mill—Hill, écrivait-il, enseignent tout en anglais à partir de la troisième année. Le moyen serait radical, mais c’est précisément ce moyen efficace qu’on rejette ».

Nous avons signalé que l’horaire prévoyait aussi du travail manuel. Comme la plupart des Pères Blancs, les missionnaires du Nyanza septentrional attachaient une grande importance à ce point du règlement, et cela pour deux raisons. Cette façon de faire visait d’abord la formation même des élèves, non pas tellement parce que le travail manuel serait source d’épanouissement de la personnalité de ces enfants, mais plutôt parce qu’il permettait de « faire pratiquer aux séminaristes la vertu d’humilité », et qu’il favorisait la sauvegarde de leur santé. Une deuxième raison qui poussait les pères à estimer ce point du règlement, était plutôt d’ordre économique. « Il y a un moment déterminé pour le travail manuel, indique le rapport de l’école, pour ne pas laisser perdre une habitude qui plus tard, sera peut-être pour eux et une sauvegarde et un moyen de subsistance »

Les missionnaires voulaient certainement de cette façon éviter de former des « déclassés ». Nous avons déjà rencontré cette tendance dans les autres vicariats. Ici dans le Nyanza septentrional, les pères du séminaire tenaient le même langage. Le travail manuel était important, « car, écrivaient-ils, tel, en devenant intellectuel, n’aime plus les travaux matériels, et tel autre, qui manie la plume avec dextérité, n’éprouve plus que du dédain pour la pioche ». Maintenir dans l’horaire de l’école un temps pour travailler manuellement était donc considéré par les professeurs comme un élément très important dans l’éducation et la formation des séminaristes. Ceux-ci étaient amenés « à pratiquer l’humilité », et se préparaient « un moyen de subsistance ». Le petit séminaire de Bukalasa évolua dans la suite sans grandes innovations. En juillet 1913, 74 élèves y étudiaient.

« Quel jugement porter sur nos séminaristes au point de vue intellectuel, se demandait le P. Cadet à cette époque ? À Bukalasa, il n’est question ni de grec, ni de langues vivantes, ni d’histoire de l’Europe, ni d’algèbre, ni de géométrie. Le programme d’études est donc peu chargé. Malgré cela, il faut bien l’avouer, les résultats obtenus dans l’étude du latin sont modestes. Comment s’étonner, quand on songé aux difficultés de la langue latine, au peu d’instruction des enfants qui entrent au séminaire, et au court espace de temps passé parmi nous. Heureusement que les cinq années de Bukalasa sont suivies de dix autres au grand séminaire, qui leur permettent de compléter leurs connaissances ».

C’est de cette dernière institution que nous allons traiter maintenant.

Le grand séminaire Saint-Thomas-d’Aquin

C’était à Kisubi en octobre 1903 que les premiers cours de philosophie furent donnés à six élèves. Le grand séminaire ne resta pas très longtemps dans cette localité. Le 30 janvier 1904, le vicaire apostolique décida de le transférer à Bikira, en raison de la maladie du sommeil. L’année suivante, nouveau déménagement : les deux séminaires furent réunis à Bukalasa sous l’autorité d’un directeur commun, mais avec deux sections distinctes. Il y avait à ce moment huit grands séminaristes ; trois d’entre eux se préparaient à entamer l’étude de la théologie.

Comment former ces jeunes gens ? Telle était la question que les responsables de l’oeuvre se posaient en ce moment. On comprend mieux leur embarras quand on sait qu’ils étaient les premiers missionnaires catholiques de l’Afrique centrale à commencer un grand séminaire. Le problème fut cependant assez facilement résolu. La marge de liberté d’action était fort restreinte dans l’Église catholique de l’époque. Aussi n’est-on guère étonné de lire dans le rapport de l’institut que « faute d’expérience personnelle, c’est le règlement des grands séminaires d’Europe qui a été adopté ». Ce programme ressemblait très fort à celui qui était appliqué dans le scolasticat des Pères Blancs et que nous avons déjà retrouvé dans les écoles de catéchistes et les petits séminaires. La seule différence se situe dans la durée des exercices.

« La journée de nos élèves commence à cinq heures du matin, écrivait le supérieur de l’époque, pour finir, le soir, à neuf heures moins le quart. Une prière faite en commun, une méditation de vingt minutes préparée la veille (…), la sainte messe, une lecture en latin du Nouveau Testament, l’examen particulier, le chapelet, la visite au Très Saint Sacrement et une conférence spirituelle (…), tels sont les exercices communs de piété ».

Quant aux cours, la grande difficulté que les professeurs rencontraient chez leurs élèves, était, nous l’avons signalé, « leur connaissance fort imparfaite de la langue latine ». Aussi une classe quotidienne de latin était-elle inscrite au programme. À côté des cours d’histoire de l’Église et d’Écriture Sainte, considérés comme secondaires, la philosophie occupait une place de choix. Trois élèves venaient d’ailleurs de terminer l’étude de cette science. « Si nos élèves n’ont pas approfondi les grands problèmes de philosophie, notait le supérieur, — ce qui n’est pas nécessaire pour eux — ils ont du moins acquis les notions pratiques nécessaires pour commencer l’étude de la théologie, et surtout ont formé leur esprit à la réflexion ».

Dés 1907, trois grands séminaristes se mettaient à l’étude de la théologie. Il est sans doute intéressant de jeter un coup d’œil sur la liste des manuels utilisés à cette époque au grand séminaire, telle qu’elle est publiée dans le rapport du séminaire :

« Compendium Theologiae dogmaticae auctoribus Depierre et Turgis, du séminaire de Hong-Kong ; il a été fait pour les séminaristes chinois. Elemenia Pltilosophiae scolasticae, par Depierre ; même origine et même usage que plus haut. Hermeneutica sacra seu Introductio in omnes et singulos libros sacros, auctore P. Janssens. Rubricarum Breviarii, missalis, ritualis romani explanatio, auctore Dieusoltbéni de Hong-Kong. Manuale clericorum, auctore Schneider. Meditationes, auctore Avancino. Theologia moralis, auctore Marino.Tous ces manuels, écrivait le supérieur du séminaire, s’ils ne sont pas parfaits, sont au moins plus que suffisants, et facilitent la besogne aux maîtres et aux élèves ».

On le voit : les pères se sont inspirés de ce qui se pratiquait dans d’autres territoires de mission, où la formation d’un clergé local était plus avancée.

En 1911, le grand séminaire se sépara entièrement du petit. Les locaux de Bukalasa étaient jugés insuffisants par suite de l’augmentation du nombre des élèves. Le nouveau grand séminaire fut placé sous les auspices de Saint-Thomas-d’Aquin et l’on désigna pour son emplacement la colline de Katigondo à quelques centaines de mètres de Bukalasa.

Le synode qui se tint en cette même année introduisit au séminaire quelques innovations. On décida d’ajouter à l’enseignement existant, des cours e de sciences physiques et naturelles », et cela pour deux raisons : « pour développer l’intelligence pratique des élèves » d’abord, ensuite pour mettre u le prêtre catholique indigène au même niveau que ses compatriotes qui étudient dans les écoles supérieures ».

L’année suivante, une nouvelle initiative vit le jour à Katigondo. Les pères y établirent « une petite menuiserie ». « Le but, notait un père, est d’apprendre aux élèves les premiers éléments de cet art si pratique. Il leur sera utile plus tard dans leurs postes séparés des nôtres, de savoir fabriquer une caisse, redresser une table, raccommoder une chaise ». Ce cours s’inscrit dans la ligne du travail manuel prévu au programme du petit séminaire. L’aspect pratique domine maintenant. Il faut rendre les futurs prêtres de l’Uganda habiles et leur permettre de se débrouiller seuls.

Une question resta cependant ouverte pendant plusieurs années, et donna lieu à d’âpres discussions : fallait-il oui ou non enseigner une langue européenne vivante aux séminaristes? Et si oui, laquelle? Nous avons déjà signalé que Mgr Streicher était opposé à l’étude de l’anglais ou du français dans le séminaire. Il craignait voir partir les élèves, tentés par des situations bien rémunérées dans l’administration, le commerce ou l’industrie naissante. Les responsables du séminaire, comme plusieurs missionnaires du vicariat, ‘étaient d’un avis contraire. Le problème se posa une première fois d’une façon assez précise et urgente en 1908, au moment où les deux premiers grands séminaristes devaient commencer leur probation. Le P. van Wees, qui était supérieur du séminaire à l’époque, estimait que ces deux jeunes gens devaient apprendre le français. La connaissance de cette langue lui semblait plus utile que l’anglais, puisqu’un grand nombre de missionnaires ne parlaient pas cette dernière langue. Les grands séminaristes étaient appelés à avoir des relations nombreuses et suivies avec les pères de la station, où devaient se dérouler leurs deux années de probation. Ne devaientils pas connaître le français pour pouvoir s’entretenir avec les missionnaires? Mgr Streicher jugea sans doute que la langue ganda ou le latin pouvait suffire à ces relations, car aucune innovation ne fut apportée à ce moment au règlement du séminaire.

La question rebondit dès 1911. La probation était terminée, et l’ordination des deux premiers prêtres ganda était proche. Le nouveau directeur de Katigondo, le P. Michel Franco fit part de ses préoccupations à son supérieur général.

« Voilà deux séminaristes, écrivait-il, Bazilio Lumu et Victorio Womeraka, qui peut-être dans deux années et demi seront prêtres et, en conséquence, en relation suivie, peut-être dans la même maison que les pères de la Société. Quelle langue parleront-ils? Le luganda, le latin, l’anglais, le français ? (…) Nous n’avons maintenant ni anglais, ni français au grand séminaire. Je ne sais pas encore comment feront les supérieurs et quand commenceront pour eux ces classes de langues vivantes (…). Ils devraient en savoir une au moins ».

La décision fut prise finalement à Maison-Carrée. Mgr Livinhac, ainsi que le chapitre de 1912, décidèrent que les séminaristes de, l’Uganda devaient apprendre l’anglais. La même année, le cours fut introduit à Katigondo. Le P. Prentice, venant de SI. Mary’s school de Rubaga, en devint le premier titulaire.

Le grand séminaire de Katigondo avait maintenant pris de plus en plus les allures de n’importe quel séminaire catholique de par le monde. Les missionnaires tenaient d’ailleurs à se conformer le plus possible aux directives romaines. Le P. Franco s’efforça d’appliquer les normes de Pie X pour les séminaires d’Italie à l’établissement qu’il dirigeait. C’est ainsi, par exemple, qu’un directeur spirituel et confesseur ordinaire fut nommé à Katigondo. Le pape n’avait-il pas écrit : « moderatores ac professores instituti prohibeantur a munere magistri pietatis vel confessarii ordinarii simul gerendo». L’introduction dans l’horaire des cours des classes de physique et de sciences naturelles fut également justifiée en partie par le même souci de « suivre les intentions du Saint-Père ». Mgr Streicher résumait bien cette attitude en écrivant au supérieur général :

« Nous continuerons à appliquer le plus intégralement possible, à notre séminaire indigène les directives pontificales données aux séminaires d’Italie, avec la persuasion qu’un bon clergé noir s’obtient par la même éducation, la même discipline, la pratique des mêmes vertus d’où sort un bon clergé européen et que la voie la plus sûre, la plus directe pour arriver à cette fin est précisément celle que tracent les instructions et directives que le Pape a fait siennes ».

Le 29 juin 1913, deux grands séminaristes de Katigondo, Bazilio Lumu et Victorio Womeraka Mukasa, furent ordonnés prêtres. Le premier, né vers 1878 à Bulamazzi près de la mission de Katende, entra très jeune en contact avec les premiers missionnaires catholiques. Baptisé à Rubaga, il s’attacha aux pères et suivit ceux-ci lorsqu’ils quittèrent l’Uganda en 1888. Au retour, en 1889, Bazilio fut confié par les pères Lourdel et Denoit à un chef chrétien. C’est de la maison de ce dernier qu’il entra au séminaire en 1893, l’année même de sa fondation. Il y passa vingt ans à se préparer au sacerdoce. Victor Womeraka naquit au Buddu, près de Bikira vers 1883. C’est dans cette dernière mission qu’il reçut le baptême. Il y fréquenta l’école primaire, jusqu’au jour où les pères l’envoyèrent au séminaire en 1895. L’oeuvre du grand séminaire du Nyanza septentrional était donc bien lancée.

Conclusions

Les Pères Blancs en arrivant en Afrique centrale voulaient former sur place des auxiliaires. Ils créèrent des écoles de catéchistes, mais c’est surtout vers la constitution d’un clergé local que s’est orientée leur action.

Cette œuvre connut bien des péripéties. Elle s’est caractérisée par une longue période de recherches et d’hésitations. On parla beaucoup d’adaptation, mais on se tourna finalement vers le type universel du petit et grand séminaire catholique. Parmi les caractéristiques particulières de l’établissement de l’Uganda, signalons l’absence de l’usage de langues vivantes européennes, et l’introduction en 1912 d’un cours pratique de menuiserie.

Le séminaire se développa pendant plusieurs années au milieu d’une assez forte opposition des pères du vicariat. Ces derniers acceptaient difficilement que dix missionnaires s’y occupaient de quarante élèves seulement. L’ordination des premiers prêtres en 1913 calma un peu les esprits. On comprend mieux l’énervement e plusieurs pères quand on sait que Bazilio Lumu et Victor Womeraka étaient les deux seuls élèves à avoir atteint le sacerdoce, sur plus de quatre cents jeunes gens qui s’étaient succédés au séminaire. Parmi tous ceux qui quittèrent l’établissement, un nombre assez important exerçait certes la fonction de catéchiste, mais certains avaient rompu toute attache avec l’Église. C’est ce dernier fait qui irritait profondément plusieurs missionnaires.

La formation dans le séminaire se déroulait en vase clos. Les jeunes séminaristes ganda étaient séparés entièrement de leur milieu. Il leur était même défendu, pendant leur temps de probation, d’entretenir des relations e avec les domestiques de la maison, avec les fermiers du village et avec tous les gens du dehors en général ».

Les rapports avec leurs familles étaient réduits au minimum. Les vacances se passaient au séminaire ou dans les postes de mission, et durant le temps de probation, les séminaristes ne pouvaient recevoir leur famille qu’au parloir. Le long séjour au séminaire devait faire d’eux des hommes profondément différents de leurs compatriotes. On peut se demander, par exemple, ce que connaissait encore de la vie du peuple ganda, un Bazilio Lumu après avoir séjourné vingt ans dans un tel isolement.

Au Nyanza méridional

Naissance du séminaire de Rubya

Nous avons vu comment Mgr Hirth avait fondé à Kagondo d’abord, à Rubya ensuite, une école «cléricale », destinée à former des auxiliaires pour les missions.

Cet établissement était devenu rapidement un véritable séminaire. Le vicaire apostolique écrivait lui-même à ses missionnaires en novembre 1905: s l’école des catéchistes ouverte en 1903 se transforme de plus en plus en petit séminaire ». Mgr Hirth voulait des prêtres. N’avait-il pas fondé le séminaire de l’Uganda en 1893? Il est donc normal qu’il ait voulu agir de la même façon dans son nouveau vicariat.

En novembre 1905, 53 élèves se trouvaient à Rubya. Ils étaient répartis en trois cours : les deux derniers comprenaient les enfants plus âgés « qui passaient la grande partie de la journée à étudier le latin »; le premier cours était destiné aux nouvelles recrues qui commençaient le séminaire et s’initiaient au latin et surtout à l’allemand. Le P. Corneille Smoor, qui avait amené les élèves du Rwanda à l’école de Rubya, fut chargé des classes d’allemand.

Notons que dès le début de l’oeuvre, l’enseignement de l’allemand fut inscrit au programme. Mgr Hirth s’empressa même de signaler ce fait à l’autorité coloniale et à inviter le résident de Bukoba à faire une visite à l’école centrale de Rubya. « Le résident a fait passer une heure et demi d’examen aux élèves, écrivait le vicaire apostolique à Maison-Carrée, et a fait son rapport au gouvernement en vue d’une prime à faire décerner à la mission ». La langue allemande prit une place de phis en plus importante dans le programme du séminaire du Nyanza méridional. Elle devint, dès 1907, la langue courante de l’établissement. « La chose au reste, notait Mgr Hirth, me paraît aussi facile que le français à Sainte. Anne de Jérusalem ».

Les autres branches, enseignées à Rubya étaient à peu près les mêmes que celles inscrites au programme des séminaires des autres vicariats : latin, swahili, histoire, géographie, arithmétique et calligraphie. En 1907, Mgr Hirth supprimait le cours de swahili, et recommandait aux professeurs d’intensifier les classes de latin et d’allemand (a). Ces deux dernières matières devenaient ainsi les, plus importantes de l’école. Il va sans dire que l’instruction religieuse et la formation à la piété restaient cependant les toutes premières occupations des missionnaires.

Mgr Hirth tenait énormément à son oeuvre de Rubya. En 1907, il adressa, par exemple, une longue circulaire de onze pages manuscrites à ses missionnaires pour expliquer la raison d’être du séminaire, réfuter les objections qui pouvaient circuler parmi les pères, et surtout pour exhorter les responsables des diverses stations, à envoyer à Rubya des enfants bien choisis et bien préparés. Là même année, le vicaire apostolique fixa sa résidence au séminaire et s’occupa dorénavant d’une façon encore plus active de la direction de l’oeuvre. Il en devint le directeur réel, et chaque soir, par exemple, il faisait une conférence aux élèves.

Le père Malet n’appréciait guère cette façon d’agir de l’évêque. « Mgr se charge de tout, écrivait 1e père visiteur à Maison-Carrée (…). C’est très grand dommage qu’il ne puisse faire lui-même la visite canonique des postes ». Nous avons déjà signalé plus haut comment Mgr Hirth avait concentré son action sur la mission du Rwanda et surtout sur son séminaire de Rubya, négligeant le reste de son vicariat. Le père Malet voulait remédier à cette situation et demandait au supérieur qu’on envoie « quelqu’un pour diriger l’école de Rubya ». « D’autre part, ajoutait-il, il faudrait un Allemand, car les élèves font tant de progrès en cette langue qu’un, père français ne pourrait jamais les suivre ».

Mgr Hirth resta cependant tellement attaché à son séminaire qu’il ne put se résigner longtemps à en confier la direction à un missionnaire. Après un séjour de quelques mois en Europe, pendant lequel un père exerça la fonction de responsable, le vicaire apostolique, à son retour, reprit « la direction immédiate de l’école de Rubya ».

Deux raisons le poussaient maintenant à diriger lui-même son séminaire. Il venait notamment d’obtenir de Rome un évêque Mgr Joseph Sweens. Ce dernier se chargea de la visite des stations du vicariat. Un deuxième mobile qui influença a décision de Mgr Hirth fut le fait qu’en novembre 1909, on entama lés cours de philosophie à Rubya. Nous en reparlerons un peu plus loin.

Le petit séminaire de la Présentation

En 1910, soixante-dix jeunes gens, originaires des différentes régions du vicariat, étudiaient au petit séminaire de Rubya. Notons en passant quel c’étaient les élèves « venus du Rwanda qui tenaient le premier rang tant au point de vue de la science que sous le rapport de l’énergie et du caractère ».

L’année 1910 amena aussi quelques modifications « suggérées par l’expérience » dans le règlement de la maison (5. Jusqu’à cette ‘date l’école était divisée en trois cours d’étude d’une durée de deux ans chacun. Les élèves passaient donc successivement deux ans dans le cours inférieur, deux dans le cours moyen et deux dans le cours supérieur. Ce système avait été introduit parce qu’à l’origine, faute de sujets assez nombreux, les rentrées ne se faisaient que tous les deux ans. Bientôt cependant, un petit groupe de jeunes candidats se présentait chaque année à Rubya. On avait mélangé alors pendant quelques années, les nouveaux avec les anciens de la première section, ce qui ne favorisa point le progrès intellectuel des élèves e). Mgr Hirth décida donc, à la rentrée de 1910, de créer six cours. Les élèves devaient parcourir maintenant six classes successives avant de pouvoir entrer au grand séminaire.

Une deuxième innovation concernait la méthode d’enseignement. « Elle est empruntée aux procédés actuellement en usage en Europe, écrivait un professeur de l’école, celle de faire apprendre une langue par cette langue elle-même. En sixième, il est vrai, nos élèves apprennent l’allemand par le kiswahili et en cinquième, le latin par l’allemand ; mais à partir de la quatrième, le latin s’enseigne par le latin, l’allemand par l’allemand, je veux dire que les interrogations se posent et que les explications se donnent en latin pour le latin en allemand pour l’allemand. Nos séminaristes seront ainsi préparés à parler latin au grand séminaire et dès maintenant ils seront familiarisés avec l’usage de la langue allemande ».

Cette nouvelle technique d’enseignement porta sans doute ses fruits, car, l’année suivante, le père visiteur signalait à Maison-Carrée que, si les missionnaires de Rubya s’appliquaient admirablement à leur tâche d’éducateurs, aucun d’eux n’était malheureusement capable de parler convenablement la langue allemande et que plusieurs en savaient moins que les élèves des classes avancées.

Les élèves du petit séminaire du Rubya — ils étaient quatrevingt-cinq en 1911 —, consacraient donc la plus grande partie de leur temps à apprendre l’allemand et le latin. Comme instruments de travail, ils disposaient pour l’apprentissage de cette dernière langue, des ouvrages suivants : l’Épitome historiae sacrae pour la cinquième et la quatrième ; les Flores historiae ecclesiasticae pour la troisième et la poésie. Dans la classe terminale, les séminaristes étudiaient les psaumes et hymnes du bréviaire.

Ces manuels utilisés par les séminaristes montrent clairement le but poursuivi par l’école de Rubya : former les auxiliaires pour la mission. On ne s’écartait pas du latin ecclésiastique et on attachait une importance très grande aux histoires édifiantes contenues dans ces livres. Certains professeurs auraient aimé voir s’élargir un peu ce programme. Ils objectaient par exemple, que les textes proposés aux élèves n’étaient pas assez gradués, et que c’était sans doute une – -des causes pour lesquelles ceux-ci avaient tant de difficultés à parler latin. On ne changea cependant rien au programme. Mgr Hirth, et Mgr Sweens ensuite, estimaient que les études étaient amplement suffisantes pour les élèves. D’autant plus, que, d’après les responsables du vicariat, le séminaire ne devait pas seulement former des jeunes gens destinés au sacerdoce. Nous rencontrons ici une nette différence d’orientation d’avec le séminaire du Nyanza septentrional. Dans ce dernier, tous les jeunes gens étaient censés s’orienter vers la prêtrise. Au Nyanza méridional au contraire, on partait du principe : «Ne renvoyer personne, à moins de danger pour les mœurs, ou des preuves évidentes d’incapacité notoire ». Pourquoi avait-on adopté cette attitude? Tout simplement parce que, comme l’indique le rapport de l’école, plusieurs élèves ne pourraient pas parvenir au sacerdoce et que le séminaire se proposait d’en faire de bons catéchistes-instituteurs. « Ceux qui n’arrivent pas au terme de Leurs études au séminaire pour une raison ou pour une autre, notait,  un père, peuvent rendre dans les missions de grands services comme instituteurs ou catéchistes, à condition que les missionnaires des différentes stations sachent bien les soutenir et les diriger, surtout dans les premiers temps toujours critiques de la sortie du séminaire ».

N’oublions pas qu’il n’y avait pas, dans le vicariat d’écoles spéciales pour former ces derniers auxiliaires. « On aurait voulu faire une section à part pour préparer des catéchistes, écrivait Mgr Hirth, mais le manque de personnel nous en a empêché ». Le vicaire apostolique avait clairement opté pour la formation d’un clergé africain, la préparation à d’autres fonctions devenait ainsi forcément secondaire.

Signalons enfin, qu’à partir de 1912, Mgr Hirth, qui venait de prendre la direction du vicariat du Kivu, créa son propre petit séminaire, à Nyaruhengeri (Kansi) au sud du Rwanda. L’année suivante, il fit revenir les élèves originaires de son nouveau vicariat, de l’école de Rubya, et transporta son nouveau séminaire à Kabgayi. Des bâtiments y avaient été construits à la hâte pour abriter aussi bien le grand que le petit séminaire.

Mgr Hirth s’occupa ici aussi activement de cette oeuvre à laquelle il tenait tant, laissant à son vicaire délégué, le P. Léon Classe, le soin de visiter les stations. Ce dernier partageait d’ailleurs les vues de son évêque. En 1914, il rédigea une circulaire dans laquelle il recommandait vivement l’oeuvre du séminaire. Il insistait auprès des missionnaires du vicariat pour que ceux-ci s’occupent, dans chaque station, d’une section spéciale « d’enfants destinés au séminaire ». Ces derniers devaient recevoir durant deux ans une préparation adaptée qui leur permettrait de suivre avec fruit, les cours de l’école de Kabgayi. C. Le grand séminaire Saint-Léon

« Entrés au petit séminaire en 1903, indique le rapport de l’étole de Rubya, nos philosophes actuels achevaient donc régulièrement en septembre 1909, leur sixième année d’études secondaires. La question du grand séminaire se posait tout naturellement et était aussitôt résolue. Séparés de leurs condisciples, Tes philosophes eurent un régime à part (…) et le règlement du scolasticat, sauf de minimes divergences, était appliqué »

Le grand séminaire du Nyanza méridional s’inspirait donc directement des maisons de formation des Pères Blancs : mêmes exercices de piété, même horaire et même orientation. Il montrait, de ce fait même, de fortes ressemblances avec celui de son voisin du nord.

Les pères optèrent cependant pour une direction plus originale dans le domaine des études. Le manuel Elementa philosophiae de Hong-Kong leur semblait beaucoup trop abstrait.

« Ne serait-il pas à propos d’employer la méthode orientale, écrivait le supérieur de l’époque ? On donnerait d’abord avec les détails les plus nombreux et les plus circonstanciés un exemple pris dans le milieu même où sont nés et ont vécu nos grands séminaristes ; et de cet exemple concret, on tirerait des conclusions qu’on condenserait facilement en un de leurs proverbes ».

On n’indique guère dans la suite si cette méthode a été utilisée. Mais, à la fin de la première année, le rapport de l’école note que les résultats des élèves philosophes étaient largement satisfaisants. ‘Lorsqu’en 1910, les séminaristes entamaient l’étude de la théologie, a même question se posait au sujet des ouvrages à utiliser.

« Quel auteur adopterait-on ? se demandait Te responsable du séminaire. Fallait-il se contenter du Compendium theologiae dogmaticae de Hong-Kong ou choisir un auteur plus développé, comme aussi plus au courant des méthodes nouvelles et mieux adapté aux nécessités créées en ce pays par le développement croissant du protestantisme ».

On opta finalement pour Tanquerey, « à cause de son style simple, de ses divisions claires, de ses idées nettes, et aussi de sa tendance apologétique le poussant à orienter toutes ses thèses dans le sens d’une réfutation des erreurs protestantes ».

Dans le domaine plus spécifique de la formation, les pères décidèrent de donner à leurs élèves, à l’intérieur du séminaire bien sûr, une marge assez large de liberté.

« Il faut faire de nos philosophes des hommes de conscience, non des mannequins sans personnalité, écrivait un père. C’est pourquoi la surveillance est en générai si réduite au séminaire, et pourquoi notamment durant les longues heures d’études, il n’y a pour tout surveillant que les bons anges ».

On maintint également un temps consacré au travail manuel. Chaque séminariste avait un petit champ à cultiver, « tous les jours de quatre heures à quatre heures trente, entre la classe et l’étude du soir ». e Les seuls travaux peu en harmonie avec le port de la soutane, ajoutait le rapport du séminaire, comme chercher du bois ou de l’eau, cuire la nourriture, sont supprimes ». Pourquoi attachait-on une importance au maintien de ce travail de la terre? Pour exercer les séminaristes « à la vertu, spécialement l’humilité », indiquait le supérieur de l’établissement. Le travail manuel était ainsi considéré par les pères comme un moyen de formation. Nous avons rencontré cette même tendance au Nyanza septentrional: On peut cependant songer également à une certaine implication économique, puisque les récoltes des élèves devaient servir à la subsistance de l’institut.

Les deux grands séminaires, celui de Rubya, comme celui de Kabgayi amenèrent bientôt des jeunes gens au sacerdoce. Dans les deux vicariats, l’année 1917 fut celle des premières ordinations.Conclusion

L’histoire des séminaires du Nyanza méridional se présente d’une façon plus simple et plus stable que celle de l’Uganda. Ici, point de déménagements fréquents, peu d’hésitations aussi dans la formation des élèves.

Une autre différence assez notoire concerne l’importance accordée aux langues européennes. Au Nyanza septentrional, Mgr Streicher s’était acharné à écarter l’introduction de l’anglais dans son séminaire. Il vivait dans la crainte de voir son établissement préféré se vider de ses élèves. Au Nyanza méridional par contre, dès le début de l’oeuvre, l’allemand est introduit dans l’école et en devient vite la langue principale. On n’indique nulle part que les séminaristes aient déserté Rubya pour cette raison. Il faut toutefois ajouter ici que l’Uganda était un pays en pleine croissance économique, tandis que les régions de Bukoba et du Rwanda surtout, restaient très rurales.

Signalons ensuite le fait que dans les documents concernant les séminaires du Nyanza méridional, on ne parle jamais des directives de Pie X pour les séminaires d’Italie. En Uganda, semblaient considérées comme capitales, et extrêmement importantes pour la formation des élèves. Dans le vicariat de Mgr Hirth, on ne les mentionnait pas. Était-ce la nationalité des pères qui jouait? Le P. Franco, de Katigondo, était fort attaché aux habitudes ecclésiastiques de son pays. Le père visiteur van Wees le lui avait reproché « Le P. Franco est trop porté à croire que la formation cléricale des séminaires d’Italie est supérieure à celles d’autres pays », avait-il écrit à Maison-Carrée.

Ce qui frappe enfin dans cette histoire des séminaires du Nyanza méridional, c’est l’attitude de Mgr Hirth. Celui-ci voulait des prêtres; et cela à n’importe quel prix. À un certain moment, il sacrifia même une importante partie de son vicariat à cette oeuvre. Il s’établit à Rubya et quitta peu l’établissement. Il prit une part ‘très importante dans la direction du séminaire. Il est frappant également de constater qu’aucune école de catéchistes ne fut fondée dans ce vaste vicariat. Les élèves de Rubya qui n’arrivaient pas au bout de leurs études étaient considérés comme des catéchistes, probables. Peu cependant remplirent cette fonction. Mgr Hirth, Comme beaucoup de responsables ecclésiastiques de l’époque, voulait construire une Église cléricale, et sacrifiait tout à cet idéal.

Au Tanganyika

Le petit séminaire de Karema

Dès 1911, les pères de l’école Saint-Joseph, avaient totalement séparé la section des séminaristes de celle des catéchistes. -Des cours intensifs de latin et d’allemand devaient préparer les premiers a l’entrée au grand séminaire. Comme dans le Nyanza méridional, les responsables de l’oeuvre avaient ici aussi opté, sans grandes discussions, pour une formation basée sur la langue allemande.

« Nous avons commencé à nous servir pour l’enseignement du latin, du cours allemand-latin d’Ostermanns que l’on suit dans nos établissements d’Allemagne, notait le supérieur du séminaire. Il y a bien quelque inconvénient à faire apprendre à nos élèves la langue latine au moyen de la langue allemande, mais- nous croyons que les avantages de cette méthode rem: portent sur ces inconvénients. Les élèves suivent ainsi une méthode graduée et sûre (…). Il est vrai que nous sommes obligés ainsi de pousser beaucoup nos enfants dans l’étude de la langue allemande, mais il n’y a là que des avantages, car, nos futurs prêtres auront absolument besoin de la connaître à fond. Heureusement encore que l’expérience nous a déjà prouvé que nos élèves apprennent cette langue bien plus facilement que nous le croyions tout d’abord. L’année prochaine déjà, nous pensons pouvoir introduire l’allemand comme langue de conversations et bientôt aussi comme moyen d’enseigner toutes les autres matières ».

Très vite se fit sentir la nécessité de recruter des enfants mieux préparés. Trop d’élèves rencontraient des difficultés quasi insurmontables en entrant au séminaire. Leur première formation était trop sommaire : ils savaient à peine lire et écrire. Mgr Lechaptois invita les pères de son vicariat à mieux s’occuper des candidats pour l’école de Karema.

« Pour le recrutement du petit séminaire, écrivait-il, je voudrais, autant que possible, qu’il y eût, dans chaque station, une petite école cléricale où l’on préparât quelques enfants bien doués sous le rapport de la piété, du caractère et de l’intelligence ».

Les pères du séminaire se félicitaient de cette initiative. a La rentrée parait un peu plus élevée cette année-ci grâce à l’école cléricale que Mgr a fait installer dans les postes », notait un des professeurs du séminaire.

Le nombre des élèves restait peu important. D’une quinzaine. en 1911, ils étaient passés à vingt en 1914. Ces chiffres s’expliquent en partie par le fait qu’à ce moment le vicariat ne comptait encore que douze stations, dont plusieurs de fondation relativement récente. Rappelons-nous, en plus, que la région était peu peuplée, et que la population vivait dispersée sur une très grande étendue: Comme dans les autres séminaires, on insistait à Karema sur le travail manuel.

« Nous regardons l’application et l’entrain pour le travail manuel comme au moins aussi important que le travail intellectuel, notait un professeur et c’est pour cela que nous pouvons fonder un espoir sérieux sur un grand nombre de nos enfants. S’ils ne deviennent pas tous prêtres, ils auront au moins appris à ne pas craindre la peine ».

Le grand séminaire d’Utinta

Au mois de septembre 1911, les deux premiers élèves de Karema entamèrent l’étude de la philosophie.

« Le grand séminaire de Karema commence avec d’excellents éléments, écrivait le père Joseph Birraux. Je connais encore peu nos deux séminaristes, mais la première impression est excellente. Le plus âgé (vingt-deux ans) est d’Utinta. Né de parents païens, il n’a naturellement rien trouvé dans sa famille qui puisse favoriser sa vocation. Elle n’en sera que plus sérieuse. L’autre n’a que dix-huit ans. C’est le fils de notre médecin-catéchiste, Adrien Atiman ».

Les deux candidats prêtres vivaient à la mission même de Karema. On leur avait aménagé quelques locaux dans la résidence des missionnaires. Ces derniers s’occupaient de la formation des séminaristes et s’étaient partagé les cours.

« Avec les leçons de philosophie, qui comme de droit tiennent la première place, notait encore le P. Birraux, ils ont des leçons d’Écriture Sainte, de chant sacré, d’allemand, d’histoire ancienne et naturelle, en sorte que les pères qui, plus ou moins, s’occupent d’eux, sont au nombre de quatre. À cela ajoutons un peu de travail manuel chaque jour et nous aurons une idée du règlement du séminaire ». Et le père ajoutait pour expliquer la raison de ce travail manuel obligatoire : « le travail manuel, comme c’est pénible à un noir, tant soit peu intellectualisé ».

En 1912, le grand séminaire se déplaça à Utinta. Pourquoi ce changement? « Parce que les séminaristes y trouveraient plus de tranquillité et des pères qui auraient plus de temps à leur consacrer ». Le rapport du séminaire y ajoutait encore une troisième raison : « ils y trouveront une très jolie église et tout le recueillement désirable pour leurs études et pour leur formation ».

L’année suivante, les deux séminaristes achevèrent leur philosophie et purent se mettre à l’étude de la théologie (4 ). La guerre retarda l’aboutissement normal de leurs études, et ce ne fut que dix ans plus tard, en janvier 1923, que Mgr Birraux conféra le sacerdoce dans l’église de Karema à ses anciens élèves, les deux premiers prêtres du vicariat.

Conclusion

L’oeuvre des séminaires se déroula au Tanganyika d’une façon beaucoup plus modeste que dans les deux vicariats du Nyanza. La région de Mgr Lechaptois était peu peuplée et la mission n’y avait point connu le développement extraordinaire de celui des rives du Victoria.

Le vicaire apostolique tint à son séminaire, mais il n’alla pas jusqu’à y consacrer la plus grande partie de son temps. Il est frappant de noter d’ailleurs, que le grand séminaire passa de Karema à Utinta. Or, Karema était la résidence de l’évêque. Mgr Lechaptois ne retint cependant pas ses séminaristes auprès de lui, et préféra les établir dans le calme et la tranquillité d’Utinta.

À côté du séminaire, l’école des catéchistes continua à fonctionner à Zimba, et l’évêque y attacha une grande importance. Le vicariat put ainsi compter sur un nombre relativement important d’auxiliaires bien formés.

La formation des élèves du grand et petit séminaire s’est déroulée dans un climat calme et serein. On ne rencontra pas, au Tanganyika, de ces discussions acharnées concernant les langues européennes à utiliser ou non, autour du pour ou du contre concernant le règlement des séminaires d’Italie, etc. Les élèves de Karema étudiaient l’allemand; on considérait que c’était nécessaire et bienfaisant pour eux. Ils suivaient le règlement des séminaires et scolasticats des Pères Blancs ; les responsables de l’oeuvre jugèrent cela comme allant de soi. Les grands séminaristes, vu leur nombre très restreint, étaient formés comme en famille ; ils vivaient dans la résidence des missionnaires de Karema d’abord, d’Utinta ensuite, et leur règlement correspondait en grandes lignes à celui du poste.

Haut-Congo

Le petit séminaire de Lusaka

Un petit séminaire, né de et dans l’école des catéchistes, fonctionnait au Haut-Congo depuis 1899. « Avec la permission et les encouragements de notre vicaire apostolique, et après un essai qui a réussi, nous inaugurons définitivement un cours de latin », rapporte le diaire de Mpala de cette année. « Nos élèves, au nombre de six Seulement, sont pris dans le cours supérieur des catéchistes ». Cette oeuvre, qui se développa à l’intérieur même de l’école des -Catéchistes, prit rapidement une certaine importance, et en 1904 déjà, plusieurs petits séminaristes terminaient leurs études secondaires « par la traduction des discours de Cicéron ». Notons d’emblée 1a présence des auteurs antiques dans le programme du séminaire. C’est la première fois que nous rencontrons ce genre d’auteurs dans le programme d’un petit séminaire. Dans les autres institutions de ce genre, que nous avons étudiées jusqu’à présent, On ne mettait entre les mains des élèves que « les classiques chrétiens, lés Pères de l’Église et la Sainte-Écriture ». Mgr Streicher avait beaucoup insisté sur ce point. Au Haut-Congo, cette préoccupation n’apparaît nulle part. Les responsables du séminaire s’inspiraient Apparemment de modèles différents de ceux de leurs confrères des ‘autres vicariats. Belges pour la plupart, les pères du vicariat de Mgr Roelens reprenaient sans doute, pour l’enseignement du latin tout au moins, le programme des cours, tel qu’il existait dans les séminaires et collèges de leur pays d’origine.

Le petit séminaire — fait unique dans l’ensemble des territoires confiés aux Pères Blancs — resta incorporé à l’école des catéchistes durant de longues années. C’est ainsi que le séminaire suivit cette dernière institution à Lusaka en 1905, au moment où la maladie du sommeil rendait dangereux le séjour au bord du lac. Dans le domaine des programmes aussi bien que dans celui des cours, il y avait un lien étroit entre les deux établissements. Les classes de latin seules distinguaient les élèves du séminaire de leurs condisciples apprentis catéchistes. Le supérieur, le P. Joseph Weymeersch, décrivit cette situation particulière dans le rapport de l’école pour l’année 1907-1908.

« Pour satisfaire la curiosité légitime des confrères, notait-11, je me propose d’indiquer le programme que nous suivons ici. 1° Religion : pendant deux ans, les élèves y consacrent tous les jours une heure ou une heure et demie ; 2° Histoire : histoire sainte, histoire de Notre Seigneur et des apôtres ; 3° Géographie Afrique et Europe ; 4° Grammaire kiswahili ; 5° Arithmétique : opérations fondamentales et système métrique ; 6° Chant et cérémonies; 7° Cours de français : pour les élèves de la classe supérieure; 8° Cours de latin : il comprend sept à huit années. Les élèves suivent à peu près tous les auteurs latins que l’on a coutume d’étudier en Europe : Epitome Historiae Sacrae, De viris illustribus, Flores e Patribus, Caesar, Cornelius Nepos, Tite-Live, De amicitia et quelques autres discours choisis de Ciceron ».

En dehors du cours de latin, les séminaristes recevaient donc une formation en tout identique à celle des futurs catéchistes.

La formation des futurs prêtres devait nécessairement s’étaler sur de longues années. Le petit séminaire a lui seul gardait les élèves pendant sept ou huit ans. Les responsables de la formation étaient d’avis qu’on devait recruter les enfants très jeunes, vers l’âge de huit à neuf ans de préférence. Cela, non seulement parce que les années préparatoires au sacerdoce étaient nombreuses, mais aussi parce que les missionnaires estimaient que les jeunes enfants étaient encore plus aptes à être formés, ayant gardé une plus grande malléabilité. Mgr Huys exposa ses idées dans un document qu’il envoya à Maison-Carrée. Il est intéressant de nous y attarder un moment. « Une fois que les jeunes élèves catéchistes ont une idée de la grammaire kiswahili, écrivait-il, l’on tâche de savoir qui parmi eux aimerait de suivre les classes de latin ». Mgr Huys insistait beaucoup sur la nécessité de maintenir les jeunes dans un climat de confiance et surtout de liberté. Il fallait, estimait-il, laisser à ces enfants qui avaient opté pour le latin, la liberté suffisante, pour se montrer tels qu’ils étaient. Après avoir achevé les six ou huit années d’études latines, il était important, toujours selon Mgr Huys, de ne point forcer les jeunes gens à continuer leur marche vers le sacerdoce. Ici encore, il fallait les laisser entièrement libres de leur choix. L’évêque auxiliaire proposait pour cette raison de ne pas commencer immédiatement la formation au grand séminaire, mais de prévoir d’abord pour le candidat, un stage de deux à trois ans comme catéchiste. Le futur séminariste, tout en instruisant les catéchumènes pourrait continuer à s’appliquer au latin et au français. Si après ce temps le désir d’entrer au grand séminaire restait réel chez le candidat, celui-ci pourrait commencer les cours de philosophie.

Avant d’entamer l’étude du grand séminaire, attardons-nous encore un instant à deux aspects de la formation des petits séminaristes.

Nous venons de voir comment Mgr Huys attachait une grande importance à la liberté dans l’éducation des futurs prêtres. Dans le même sens, on insistait pendant cette période de leur formation sur la nécessité d’entretenir des contacts avec la population locale et avec leur famille.

Mgr Roelens écrivait plus tard dans ses souvenirs, qu’il lui semblait important que les séminaristes entretiennent de bonnes relations avec leur famille, et cela pour trois raisons : l’affection des parents pour leur enfant d’abord devait influencer positivement la formation que le jeune séminariste recevait au séminaire. Ce dernier pourrait en plus acquérir ainsi une connaissance plus approfondie « de la vie indigène »; il apprendrait à regarder son milieu « avec des yeux de chrétien » et à y déceler le bon et le mauvais. Enfin, ce contact avec les proches du futur prêtre était considéré par Mgr Roelens, comme un excellent moyen de propagande chrétienne. L’attitude bienveillante, polie et charitable du jeune séminariste n’allait-elle pas influencer en bien le comportement des gens du village? Le vicaire apostolique en était convaincu. Les rapports annuels de 1908-1909 notent par exemple que « la piété solide, l’obéissance et les vertus des séminaristes étonnent tous les chrétiens».

Les élèves de Lusaka partaient donc régulièrement en vacances chez eux : deux semaines à Pâques, et six semaines à la saison des pluies. Mgr Roelens tenait beaucoup à ce contact entre les élèves de Lusaka et leur milieu naturel. Il y voyait comme une application de la recommandation de Lavigerie au sujet de l’adaptation.

À côté de ce désir de ne point séparer totalement les jeunes gens de leurs familles, les responsables du séminaire insistaient aussi sur la valeur formative du travail manuel. Tous les jours, les enfants devaient travailler manuellement une heure le matin et une heure le soir. Ils devaient entretenir les bâtiments scolaires ou s’occuper des cultures. Mgr Roelens attacha une importance considérable à la fonction éducative du travail. Il revint à maintes reprises sur ce sujet. Citons ici, à titre d’exemple, un extrait d’un rapport que le vicaire apostolique du Haut-Congo adressa au ministre Renkin en 1909:

« Tout en s’appliquant à développer l’intelligence des Noirs par l’instruction élémentaire les Pères Blancs s’appliquent, avec tous les moyens qui sont en leur pouvoir, à faire d’eux des travailleurs solides et intelligents. Ils sou, qu’on ne fera jamais rien de bon des indigènes, si l’on ne réussit à leur donner l’habitude du travail ».

Le grand séminaire de Baudouinville

Deux jeunes gens de la région de Baudouinville entamèrent leurs études philosophiques en 1905. Le P. Huys avait songé un instant envoyer ces deux élèves à Maison-Carrée pour y poursuivre leur formation ecclésiastique. Ce projet était inspiré surtout par la nécessité où il se trouvait de déménager Je séminaire de Mpala à Lusaka, à cause de la maladie du sommeil. Cet aspect pratique n’était sans doute pas la seule raison qui poussait Huys à agir de la sorte. Des considérations plus importantes devaient le pousser. Il espérait très probablement voir entrer les jeunes Africains dans la Société des Pères Blancs. C’est ce qui ressort de la lettre que Mgr Roelens adressa quelques années plus tard à Mgr Livinhac. Le vicaire apostolique était d’un avis contraire et totalement opposé à une pareille éventualité. Il estimait préférable de garder les séminaristes dans leur pays d’origine. Les missionnaires devaient, selon lui, leur donner sur place la meilleure formation possible et « les employer plus tard comme auxiliaires » dans leur propre région.

Entretemps, on avait commencé à Baudouinville les cours pour le seul élève qui restait au séminaire en 1907. Ce jeune homme, Stéphano Kaoze, était, selon le père Huys, non seulement pieux et docile, mais également « doué de qualités surprenantes ». Huys s’en occupait personnellement et d’une façon continue, ce qui provoqua, comme nous le verrons encore, une certaine irritation chez quelques missionnaires, qui jugeaient excessifs les soins dont le père Huys entourait son disciple. Le grand séminaire s’organisa et se structura progressivement. À partir de 1907, il se mit à fonctionner d’une façon assez stable d’après un plan élaboré par le père Huys.

«Il faut, écrivait ce dernier, que l’on consacre au moins deux ans à la philosophie et s’arrêter longtemps à la logique. La philosophie se fait en latin ; dans la soirée, un répétiteur se rendra compte du résultat, remettra la leçon en tableau synoptique et fera faire un devoir écrit sur la matière. Un cours de sciences est mené de front avec la philosophie. L’on y voit les principes élémentaires de physique, de chimie, de botanique, de zoologie, d’anatomie et de médecine pratique (…). Le matin, le séminariste fait à l’église une petite méditation d’environ vingt minutes (prière du matin comprise), il passe sept à huit minutes à l’examen particulier, dit le chapelet et fait une visite au Saint Sacrement. Le missionnaire lui explique un peu la vie spirituelle en guise de lecture. Il communie quatre fois par semaine. Après deux ans de philosophie, il commence l’étude de la théologie dogmatique. Il pourra peut-être recevoir la Sainte Tonsure après un an de théologie ».

On retrouve dans ce programme du P. Huys les caractéristiques habituelles des maisons de formation cléricale dirigées par les Pères Blancs. On constate par exemple que toute la vie des élèves du séminaire est rythmée par les exercices spirituels traditionnels. Une différence qu’il faut souligner concerne les études. Dès le début de l’existence du séminaire de Baudouinville, des cours de sciences sont prévus au programme L’orientation des études en acquiert une direction plus pratique. Elle révèle aussi la largesse de vue de Huys.

Trois ans plus tard, Mgr Huys ressentit le besoin de rédiger un nouveau règlement pour le grand -séminaire. Il envoya un résumé de celui-ci à Maison-Carrée. L’aîné des séminaristes, Stéphan° Kaoze, avait maintenant terminé sa théologie dogmatique. Il fallait donc s’occuper des dernières années du séminaire. Les études théologiques devaient s’étaler, selon Mgr Huys, sur une durée d’au moins cinq ans. e Deux années de théologie dogmatique, notait l’évêque auxiliaire, deux années de théologie morale, une année de dogme et de morale des sacrements ». Et il ajoutait : « on pourra prolonger le temps des études pour celui qui n’aurait pas compris suffisamment, sans exiger une science de docteur ».

Ajoutons encore un mot sur l’organisation des programmes. Quelle langue utilisait-on au grand séminaire pour l’enseignement? Les cours de philosophie et de théologie se donnaient en latin, tandis  qu’on utilisait le français pour les branches secondaires. Ces derniers cours comprenaient les sciences, c’est-à-dire « les mathématiques élémentaires et les sciences naturelles e, l’histoire de l’Église et l’Écriture sainte. On avait abandonné au grand séminaire le swahili comme langue d’enseignement.

Le nombre des élèves du grand séminaire resta très limité. Ils n’étaient que deux en 1908. Ceci eut comme conséquence de rendre la formation très personnelle et presque familiale. Il s’établit entre le maître et les disciples des liens dépassant de loin les rapports habituels entre professeur et élèves.

Malgré le nombre très limité de grands séminaristes, Mgr Huys crut cependant devoir faire appel à Maison-Carrée en vue d’obtenir un renforcement du personnel.

« Comme l’oeuvre du grand séminaire semble vouloir prendre de l’extension, écrivait-il à Maison-Carrée, nous aurions besoin d’un missionnaire sérieux, pieux et capable pour le préparer à la direction de ce séminaire. Il commencerait par y exercer les fonctions de professeur jusqu’à ce que son expérience lui permette d’assumer la direction des séminaristes ».

Une année après, en 1911, Mgr Huys demandait un deuxième père pour s’occuper de la formation des grands séminaristes.

« Le programme du séminaire, notait-il, sans être surchargé exige toutefois une dose de travail qui pourrait être au-dessus des forces d’un missionnaire non acclimaté. Ce père donne personnellement une heure de philosophie, une heure de théologie, une heure d’Écriture Sainte, sans compter le temps consacré aux cours secondaires. C’est énorme pour un missionnaire »

De plus, estimait l’évêque auxiliaire, si à la fin de l’année 1911, deux nouveaux élèves allaient faire leur entrée à Baudouinville, il serait impossible de charger un seul père de tous les cours. Mgr Huys insistait beaucoup auprès de son supérieur général sur la nécessité d’obtenir ce professeur supplémentaire. Il faut se souvenir, écrivait-il « de l’intérêt primordial que présente la question du grand séminaire au point de vue de l’extension de notre sainte religion.

En 1912, quatre élèves suivaient les cours du grand séminaire. On venait de construire un bâtiment spécial pour eux près de l’église dé la station. Mgr Huys continuait de suivre l’oeuvre de très près. L’aîné des séminaristes, Stéphano Kaoze était en cinquième année de théologie.

« Il finira sa théologie l’année prochaine, notait l’évêque auxiliaire. C’est un modèle du séminaire. Rarement, je pense, d’ici longtemps on trouvera tant de qualités réunies sur la tête d’un nègre. Je ne parle pas de son intelligence vraiment lucide, de son esprit profond, ni de son jugement excessivement droit, mais ce qui est extraordinaire, c’est le tact et la délicatesse de sentiment de ce jeune séminariste. Je dois vous avouer en toute sincérité, Monseigneur, qu’il surpasse plusieurs missionnaires prêtres ».

Cette grande sympathie de Mgr Huys pour l’ensemble des séminaristes et pour leur aîné en particulier provoqua, comme nous l’avons déjà mentionné, des critiques acerbes de la part de certains missionnaires. Des conflits éclatèrent. Un père fut à cette occasion déplacé de Baudouinville vers un poste de l’intérieur. Celui-ci s’en plaignit à Mgr Roelens, estimant avoir été injustement jugé par Mgr Huys. Le- vicaire apostolique n’appréciait guère la façon d’agir de son auxiliaire. Il estimait que ce dernier s’attachait trop à une oeuvre dont les résultats lui semblaient fort aléatoires.

« L’affection qui lie Mgr Huys à ses séminaristes, écrivait Mgr RoeIens, a sans doute un fondement surnaturel et elle est guidée par les pures intentions ; mais le cœur y a trop de part. Dès qu’on laisse parler le cœur et qu’on l’écoute, il égare la tête. L’affection que Mg Huys a pour ces jeunes gens, et surtout pour rainé, l’empêchera de voir avec assez de clarté leurs défauts ; elle le porte à trop les écouter ; à être à leur égard trop aux petits soins ; à en faire, comme me le disent les confrères, des enfants gâtés. 11s ne peuvent mal faire ; personne ne peut jamais dire un mot qui ne leur soit pas favorable, sinon c’est mal reçu ; quand il y a quelque difficulté avec un missionnaire, celui-ci a tort, les séminaristes sont excusés 5). Et Mgr Roelens concluait : s Tous les confrères de Baudouinville ont été unanimes à exprimer leur avis que le séminaire aboutira à un insuccès par un excès de soins ».

Cette lettre est révélatrice d’un état d’esprit : on a l’impression très nette que l’ensemble des pères du vicariat était plus ou moins, oppose à l’oeuvre même de la formation d’un clergé local. Mgr Roelens lui-même semblait douter du succès de l’entreprise. Mg Huys dut lutter à peu près tout seul contre les autres missionnaires, le vicaire apostolique compris, pour faire aboutir le séminaire. « II est indéniable, notait Mgr Huys quelques années plus tard; que certains missionnaires manquent de sympathie pour les futurs prêtres noirs. C’est un fait regrettable, mais malheureusement trop vrai ». Et il ajoutait tristement : « J’estime que certains missionnaires n’aiment pas assez les Noirs ».

Les réflexions de Mgr RoeIens nous amènent encore à une autre considération. Celles-ci nous semblent révélatrices d’un complexe de supériorité de la part de plusieurs missionnaires vis-à-vis des populations africaines. Il y avait chez la plupart des pères comme une opposition, inconsciente sans doute mais réelle, à toute émancipation et promotion des Africains. On voulait bien à la rigueur former des catéchistes, mais la constitution d’un clergé local semblait effrayer beaucoup de missionnaires.

Mgr Roelens, qui avait fait un long séjour en Europe, revint au début de l’année 1914 dans son vicariat. Il prit lui-même en main la direction du grand séminaire et en écarta temporairement son auxiliaire. « Je préfère ne pas avoir de séminaristes si je ne puis en avoir de bons, écrivait-il à Mgr Livinhac. Plutôt pas de prêtres noirs que des médiocres ». L’abbé Kaoze fut envoyé en probation dans le nord du vicariat. Deux ans phis tard, Mgr Roelens dut bien reconnaître la valeur exceptionnelle de ce candidat. « Je compte renvoyer à Baudouinville notre premier séminariste, Stéphano Kaoze, écrivait-il, afin qu’il fasse encore une année, ou à peu près, de séminaire et y reçoive les ordres sacrés. Il a été placé ici à l’épreuve, après avoir achevé ses cours. Il a été chargé d’une classe spéciale pour la formation de futurs catéchistes pour le Kivu. On n’a eu qu’à se louer de son travail et de sa conduite ».

Le 21 juillet 1917, après dix-huit années de formation religieuse, l’abbé Kaoze fut ordonné prêtre à Baudouinville par Mgr Roelens.

L’ordination suivante n’eut lieu qu’en 1921 : l’abbé Joseph Faraghit, fils du médecin-catéchiste Charles Faraghit, fut ordonné prêtre, le 1er  novembre de cette année.

Conclusion

Les séminaires du Haut-Congo sont nés de l’initiative et de 1a persévérance de Mgr Huys. Homme sensible et intelligent, aimant profondément le peuple parmi lequel il travaillait, Mgr Huys était convaincu de la valeur et de la nécessité de l’oeuvre du séminaire. Il dut lutter durement contre l’ensemble des missionnaires du vicariat pour pouvoir réaliser son but.

Mgr Roelens ne semble pas avoir été opposé à la constitution d’un clergé local, mais sa méfiance vis-à-vis des Africains, que nous avons déjà signalée plus haut, le rendait fort hésitant quant à l’efficacité de l’action de son évêque auxiliaire.

Il est typique aussi de noter que le premier intérêt de Mgr Roelens se porta vers les stations missionnaires de son immense vicariat. Laissant à Mgr Huys la tâche de s’occuper du séminaire, il passait une grande partie de l’année à voyager dans la région pour inspecter les postes et rechercher des emplacements pour d’éventuelles fondations. Sous cet aspect, son action était très différente par exemple de celle d’un Hirth. Négligeant même une partie du territoire qui lui était confié ou l’abandonnant plus tard à son auxiliaire, le vicaire apostolique du Nyanza méridional consacra toute son énergie à son séminaire.

Le fait que l’abbé Kaoze fut ordonné prêtre à Baudouinville en 1917 fut un événement très important. Celui-ci revêt une portée beaucoup plus grande quand on sait qu’en 1930 encore, le vicariat du Haut-Congo était le seul de tout le Zaïre de l’époque à compter des prêtres africains. Comment expliquer ce phénomène étonnant? Il est d’ailleurs d’autant plus étonnant que nous venons de voir comment dans l’ensemble des vicariats confiés aux Pères Blancs en Afrique centrale, des séminaires avaient été créés et des jeunes Africains amenés au sacerdoce. Il nous semble certain que les recommandations de Lavigerie de former des auxiliaires pour la mission, ont poussé les Pères Blancs à créer très tôt en Afrique centrale, soit des écoles de catéchistes, soit des séminaires. L’exemple de l’Uganda et l’action continue et persévérante de Mgr Hirth ont sans doute également contribué à promouvoir l’instruction d’un clergé local, entraînant les plus réticents à tenter l’expérience chez eux. Mgr Huys, convaincu personnellement de la nécessité de constituer un clergé local, se sentait ainsi porté et stimulé par un ensemble plus grand qui confirmait ses propres convictions.