L’indigène non civilisé ne se contente pas seulement de manœuvres passives telles que le port d’amulettes et les prières propitiatoires aux esprits familiaux ou divinisés ; il croit pouvoir s’attaquer, par des moyens magiques, aux mauvais sorts qui le guettent et à ceux qui sont censés les envoyer, que ces derniers soient morts ou vivants. Aussi toute une série d’individus prétendant posséder des qualités de magiciens conjurateurs se présentent dans la société traditionnelle pour lutter contre les sortilèges et les esprits malins. Leurs services ne sont jamais gratuits et l’occupation européenne, si elle fit diminuer leur nombre, n’eut toutefois pas pour résultat de les supprimer tous.

La détection des maux dont on se sent accablé et des sorciers dont ils proviennent, s’oriente tout naturellement dans une société croyant à la magie, vers l’emploi de moyens magiques fournissant un arsenal considérable à la divination, moyens auxquels les juridictions autochtones avaient régulièrement recours et que les particuliers emploient encore.

L’ordalie, couramment pratiquée naguère par ces juridictions et dont nous avons encore pu constater le recours par des particuliers en 1943, n’est en soi qu’une modalité de divination appliquée au prévenu par la torture réelle ou supposée. Afin d: e avouer le sorcier présumé qui s’obstinait

à nier sa culpabilité, on recourait à l’application de la torture jusqu’à l’obtention éventuelle d’aveux. Enfin, comme il se conçoit aisément dans une société convaincue des pouvoirs nuisibles et mortels des sorciers, ceux-ci étaient poursuivis et condamnés par les juridictions coutumières, à moins que l’ensorcelé ou ses parents ne se fussent rendu justice entretemps par le recours à la vendetta sanglante.

Moyens magiques de protection.

La crainte de l’ensorcellement rend excessivement soupçonneux les Banyarwanda et les Barundi. La première méthode de défense contre les mauvais sorts consiste dans le port d’amulettes et d talismans dont l’indigène est d’ailleurs pourvu depuis sa naissance jusqu’à sa mort.

Lors de sa naissance, l’enfant sera d’abord soigneusement tenu à l’abri du mauvais œil et on lui donnera un nom qui ne sera connu que de lui-même et de ses parents. On lui attache ensuite au poignet le charme uruvondo que sa mère portait durant sa grossesse : «Ce sera sa protection contre l’emprise des mauvais esprits ».

Afin de le protéger contre les envoûtements, on lui adaptera des clochettes inzogera aux pieds et on lui placera de petits bracelets et des anneaux de pied ; on lui suspendra à la taille un charme inkondo se composant d’une multitude de bâtonnets d’une vingtaine de centimètres de longueur, attachés par le haut sur deux rangées ; autour du cou, on lui attachera des colliers de cauris, des pièces de monnaie trouées, des épingles de sûreté, une douille de cartouche, des amulettes et des talismans divers.

Devenu adulte, l’indigène continue à porter bracelets, colliers, anneaux, amulettes, talismans ; il place des pointes para-démoniaques sur sa hutte et ses annexes. Afin de se préserver contre les entreprises des esprits malins, la femme mariée porte, autour du ventre, une ligature de vie, simple corde pourvue d’un charme uruyondo. Elle portera également un ndibu, fruit bénéfique du bananier sauvage. Future mère, elle suspendra un charme igiheko au mollet et s’entourera le ventre d’une ceinture de perles. De son côté, le futur père portera également une ligature de vie autour du corps et enfilera des petits anneaux de fer, impigi, à son vêtement.

La femme s’entoure les jambes d’anneaux ubutega (de gutega, tendre les pièges), elle se met des bracelets et des ceintures ; enfin, une fois mère, elle se coiffe de la ligature de vie urugore. Contre les mauvais sorts, les indigènes s’enduisent de poudre talismanique inzaratsi et, à l’occasion de certaines cérémonies rituelles, ils s’entourent la tête de l’herbe fétide umwishywa. Ils ont également recours au port des métaux et des minéraux bénéfiques : fer, cuivre, perles et pierres. Ils emploient l’eau lustrale, recourent aux purifications par l’isubyo, à la prise et à la purge magiques ainsi qu’à la coupe des poils. Ils se méfient constamment du mauvais œil et de la louange. En vue de boire une bière qui ne soit pas ensorcelée, ils veillent à ce que leur hôte y goûte le premier ; cette règle de politesse s’intitule d’ailleurs kurogora : désensorceler. L’indigène évite de laisser se perdre des objets qui furent à son contact ; dans cet ordre d’idées, « il est poli de remettre à quelqu’un le » pou ou la puce qu’on prend sur lui, pour qu’il les tue » lui-même ».

On place des pièges magiques dans les champs, autour des huttes et l’on tient près de soi la corne bénéfique qui écarte les esprits malins. Si ceux-ci se présentent néanmoins de nuit, à la suite de mauvais présages, l’on jettera aussitôt dehors des herbes répandant une fumée nauséabonde de façon à les faire reculer. On place dans les champs une corne qui les préservera contre hs incursions des maraudeurs. On recourt à l’emplpi de couleurs bénéfiques. Les lances et les bâtons enduits de beurre magique constituent un moyen puissant de protection utilisé par les indigènes convoqués par un Européen. On redouble d’attention dans le port des charmes lors de l’apparition de la maladie. A la mort, on dépose des poils de mouton, gage de paix, et des poils de vache dans la main du cadavre, ainsi que de l’herbe calmante ishyoza et parfois des cendres noires. Les jambes du défunt sont ointes de beurre magique ou de bouse de vache.

Mais le port d’amulettes et de talismans n’est pas tout, et l’indigène entoure encore de tout un rituel para-démoniaque les grands événements de sa vie : naissance, naissances gémellaires, mariage, décès, enterrement ; ainsi que ses travaux importants : construction de hutte, culture des champs, chasse, pêche, forge, etc. Dans ce rituel interviennent les gestes, les cris, les danses, les chants et tout l’arsenal des moyens que la bonne magie comporte.

Si malgré ces multiples précautions, la malchance, la maladie et la mort font leur apparition, on recourt aux bons offices des devins, des guérisseurs, et des exorciseurs ; en outre, l’on pratiquera le culte aux ancêtres et aux esprits divinisés : RYANGOMBE alias KIRANGA, BINEGO, MAKASA, MASHYIRA, etc.

L’utilisation des formules talismaniques et des pantacles n’est pas connue au Ruanda-Urundi du fait que les autochtones ignoraient l’écriture, mais il faut s’attendre à les voir apparaître de nos jours. Le recours aux statuettes, vulgairement appelées fétiches, est également inconnu, la sculpture n’étant pas pratiquée dans ce pays.

Les innombrables tabous qui enserrent la vie indigène comme dans un étau, apparaissent, ainsi que nous l’avons vu, comme autant de restrictions que l’on s’impose pour échapper aux mauvais sorts, à la maladie, à la stérilité, à la gale amahumane et à la mort.

Les magiciens. Le faiseur de pluie. — Umuvubyi (Ru.), Umuvurati (Ur .).

Le faiseur de pluie est un magicien qui tient une place considérable dans de nombreuses sociétés noires africaines. Il est bon de se rappeler que dans un pays à la fois agricole et pastoral comme le Ruanda-Urundi, la pluie est d’une nécessité vitale absolue ; c’est son absence et son irrégularité qui causèrent tant de famines et de disettes autrefois et l’on a pu dire à juste titre : pas d’eau, pas de vie. Dans cet ordre d’idées, l’umuvubyi apparaît comme le magicien le plus indispensable à la vie des groupements ; il occupe une place de premier plan, sinon la toute première. Aussi les’ faiseurs de pluie sont-ils qualifiés en Urundi de bahagababa d’IMANA : les proches de Dieu, baravubisha IMANA : ils font donner la pluie par Dieu. Les cadeaux (amasororo) affluaient vers eux ; toutefois leur métier était assez aléatoire en ce sens que si la pluie tant attendue ne survenait pas, le peuple courroucé se retournait contre eux et c’est bien souvent la peine de mort qui sanctionnait leur incapacité.

Au Ruanda, les bami chefs des paysanneries bahutu avaient la réputation de savoir faire la pluie. Le mwarni du Ruanda lui-même était considéré comme le premier et le grand faiseur de pluie ; jadis, c’est, de lui que le peuple attendait la pluie ; on disait qu’un pays sans mwami devait inévitablement connaître la famine. Il s’agit là plutôt d’un titre honorifique.

Nous envisageons ici plus spécialement le cas des faiseurs de pluie se présentant de prime abord comme magiciens professionnels. On devient le plus souvent faiseur de pluie par héritage paternel. L’une des plus célèbres familles de faiseurs de pluie du Ruanda était celle du mwami NDAGANO régnant sur le Bukunzi (Shangugu). NDAGANO avait élu domicile à plus de 2.000 mètres d’altitude sur l’une des pointes du volcan Cyamutongo constamment battue des vents, de la pluie et des brouillards. Il faisait figure de faiseur de pluie officiel pour tout le Ruanda et, afin d’entourer sa personne de mystère, il ne sortait jamais de chez lui.

On ne cultive pas, lors de l’apparition des premières pluies de la saison, de crainte de l’empêcher de tomber par la suite.

Mais il arrive assez souvent, semble-t-il, que d’initiative, un indigène s’arroge la qualité de faiseur de pluie à moins qu’elle ne lui soit attribuée d’office par le voisinage. Une façon courante de devenir faiseur de pluie consiste à faire un long apprentissage chez un professionnel.

Les instruments du métier sont simples : lance en fer, un bâton avec anneaux de fer, de petits pots, un sifflet au son strident et aigu, une queue de buffle, des cailloux très blancs, et, en Urundi, du bitume provenant du lac Tanganika. Ce bitume s’intitule inyama y’inkuba (chair de la foudre) ou amavyi y’inkuba (excréments de la foudre).

On croit que le faiseur de pluie dispose de pouvoirs spéciaux sur les nuages ; non seulement il peut faire tomber la pluie, mais également l’arrêter, la détourner, et conjurer la grêle. Le faiseur de pluie qui reçoit des cadeaux de bière, haricots, etc., en jette une partie dans le trou hanté par les mauvais esprits, et ces derniers mangent à satiété et se saoulent ; le magicien en profite pour se battre avec eux ; vainqueur, la pluie tombera en abondance, vaincu il ne pleuvra pas.

Le processus mis en œuvre par le faiseur de pluie consiste en premier lieu à se faire des incisions sur le front : elles regarderont le ciel ; puis sur le bras, pour indiquer son chemin à la pluie, et enfin sur l’œil mais jamais sur le ventre, car la pluie y entrerait et tuerait le magicien. Celui-ci croit qu’une force d’attraction réside dans ces incisions : si la pluie commence à tomber, il se jette par terre et se cache la tête dans les bras de peur de tuer la pluie par son regard.

En second lieu, le magicien fait appel à la pluie par des incantations et par l’exercice de la magie sympathique. Sa lance est purifiée à l’aide des couleurs blanche et rouge. Il emplit un petit pot et une calebasse d’eau puisée avant le lever du soleil en un endroit où elle ne tarit jamais. Il fait de l’écume en soufflant à l’aide d’un chalumeau dans les récipients, imitant ainsi les nuages qui par la suite se réduisent en eau. Il fait bouillir le bitume et y mélange du miel. Tout en s’accompagnant du bruit de grelots, il danse, psalmodie un chant magique et appelle la pluie ; il tire des sons stridents de son sifflet, crache en l’air et jette le mélange de bitume et de miel dans la direction d’où doit venir la pluie. Si celle-ci tombe en trop grande abondance et risque de compromettre les récoltes en occasionnant leur pourriture sur pied, le magicien s’emploie alors à « tuer » la pluie. A cette fin, au milieu d’imprécations diverses, il jette différents talismans dans sa direction, siffle, et dirige la pointe de sa lance vers les nuages en les adjurant de rebrousser chemin. Pour arrêter la pluie, certains magiciens, mus par une pensée mimétique, se chauffent les bras au feu tout en priant le soleil d’envoyer ses rayons les plus chauds sur les cultures et de sécher les récoltes. Parfois, il fait un trou dans le sommet de sa hutte d’où s’échappera la fumée du foyer et par où il passe sa lance. On peut encore pointer une lance munie d’un fruit d’intobo dans la direction habituelle de la pluie, griller une petite motte de boue dans un tesson de cruche, car cela séchera la pluie, faire un signe de croix sur une pierre meulière ingasire à l’aide de terre rouge inhume et de suie et à cette occasion jeter la veille un brin de papyrus dans la direction de la pluie en disant : « Qu’il fasse beau temps ».

En quelques endroits du Ruanda, on trouve des cruches attire-pluie, enfoncées dans le sol. D’après l’historien KAYIJUKA, l’emploi de ces cruches viendrait du Buha. Par contre, d’après une certaine légende du Ruanda, leur usage remonterait au mwami YUHI MAZIMPAKA qui envoya Son fils RUSHARA chez le faiseur de pluie NYAMUHAMA WA KIJYA du Bukunzi (Territoire de Shangugu) (ce qui constitue un véritable anachronisme, car KIJYA vécut au temps du mwarni KIGERI-NDABARASA et pour le reste, il existe des cruches à pluie bien antérieures à ce dernier mwami). Il en ramena une baratte pleine d’eau de pluie qu’il enfonça en terre à Bweramvura bwa Kinihira. Depuis lors, cette méthode s’appelle kubyara imvura : engendrer la pluie, et l’endroit où elle se pratique s’intitule kw’ivubiro : où se fait la pluie.

Bien souvent, l’on plante à côté de la cruche des arbustes imirinzi, gardiens magiques, se composant d’une érythrine umuko et d’un ficus umuvumu qui, à cette occasion, prend le nom liturgique d’umutaba (qu’il ne soit pas, s.-e. le malheur). Voici d’après KAYIJUKA une liste des cruches attire-pluie qui se trouvaient au Ruanda :

  1. Kamonyi (Rukoma) 1 cruche du mwami KIGERI-RWABUGIRI
  2. Giseke (Busanza-Nyanza) idem
  3. Gasabo (Bwanacyambwe) 1 cruche de KIGERI-NDABARASA & 1 cruche de KIGERI-RWABUGIRI
  4. Rubengera (Bwishaza) 2 cruches de KIGERI-RWABUGIRI
  5. Nyamasheke (Cyesha) 1 cruche de KIGERI-RWABUGIRI
  6. Muyumbo (Buberuka) idem
  7. Gatsibu (Mutara) idem
  8. Zina (Nduga) 1 cruche de CYILIMA-RUJUGIRA
  9. Bweramvura (Kabagali) 1 cruche de YUHI-MAZIMPAKA
  10. Nzaratsi (Nyantango) 1 cruche de YUHI-GAHIMA
  11. Bubanga (Buhoma) 1 cruche de GIHANGA
  12. Gitovu (Mayaga) 1 cruche de KIGERI-RWABUGIRI
  13. Busigi (Rukiga-Byumba) 1 cruche de MINYARUKO faiseur de pluie
  14. Nyamubembe (Bukunzi) cruches de NDAGANO, mwami local, faiseur de pluie.

La confiance des indigènes dans les faiseurs de pluie était ancrée à tel point que, lors de la mort de NDAGANO, le magicien du Bukunzi, le 30 mars 1923, plusieurs sacrifices humains furent accomplis à l’intention d’apaiser son âme tandis que les cultures étaient suspendues en signe de deuil. La région fut alors placée sous occupation militaire qui ne prit fin qu’en septembre 1926. L’ivubiro est considéré comme un endroit inviolable : c’est le temple en plein air où le culte est rendu à RYANGOMBE pour invoquer son intercession en faveur de la pluie et où le magicien pratique ses incantations. Un sous-chef chrétien affranchi des coutumes païennes installa son enclos à l’endroit de l’ivubiro lyo kwa MINYARUKO YA NYAMIKENKE à Busigi ; la fatalité voulut qu’une famine éclatât dans la région voisine du Buganza en 1929-1930: on l’intitula RWAKAYIHURA, appellation tirée du nom du sous-chef considéré par son sacrilège comme l’auteur de la disette due au manque de pluie.

On trouve à Gasabo (Ruanda) des restes ibigabiro d’enclos d’anciens bami notamment de KIGERI RWABUGIRI et de KIGERI NDABARASA. Ces restes sont composés de cactus candélabres ibiduha et de dragonniers. La terre appartient à des Bahutu Bazigaba parmi lesquels se recrute de père en fils l’umwiru (gardien du secret) qui surveille deux cruches enterrées jusqu’au col et qui sont censées provoquer la chute de pluie grâce à l’eau qu’elles contiennent en permanence, même en saison sèche, eau qui y fut déposée, croit-on, par Dieu ‘MANA. Ces cruches portent le nom d’ivubiro : celles qui provoquent la pluie. La plus ancienne de ces cruches, dite de KIGERI NDABARASA, est plantée au sommet de Gasabo, non loin de l’endroit où résida ce mwami. Elle est enterrée dans le sol jusqu’au col et elle semble excessivement vieille ; elle est noirâtre et toute patinée par le temps. Elle est abritée par des plantes magiques, notamment par un buisson d’ikiziranyenzi à fleurs blanches bénéfiques et de ricin (ikibonobono). La seconde cruche, dite de KIGERI RWABUGIRI, est une grosse poterie provenant de l’endroit Rushoka près de Nyanza (abreuvoir qui donne de l’eau en abondance aux vaches) ; on prétend qu’on y aurait déposée au temps de RWABUGIRI afin de susciter la pluie. L’emplacement de cette seconde cruche était abondamment planté de sansevières antidémoniaques. Dans chacune des cruches se trouvent quelques cailloux de quartz amasarabgayi qui sont censés repousser la grêle. En outre s’y trouvaient également un chalumeau et une petite poterie urwabya (de kubyara : enfanter) en forme d’organe féminin valant vraisemblablement signe mimétique de fécondité, mais cette poterie a disparu. Les bami du nom patronymique de KIGERI ont tout spécialement la réputation de faiseurs de pluie. L’umwiru, gardien des cruches à Gasabo, était titulaire d’un tambour que le mwami actuel MUTARA RUDAHIGWA lui a repris et qui fait maintenant partie du trésor royal. Nous avons examiné à Rubengera (Territoire de Kibuye) les deux grandes cruches intango (de gutanga:

offrir) ou ivubiro, enfoncées dans le sol au sein d’un boqueteau sacré composé de rejets de bois de l’enclos où le mwami KIGERI RWABUGIRI tint sa résidence ; elles datent, semble-t-il, de 1880. Toutes deux contiennent de l’eau. Au sein de celles-ci se trouvent des charmes : dans l’une d’elles ont été déposées dix pierres de quartz amasarabgayi ; dans la seconde, nous avons trouvé 48 pierres de quartz, une corne magique contenant des ingrédients de nature indéfinissable et fermée par un petit cristal de quartz améthyste pyramidal, et enfin un beau cristal de quartz de forme prismatique hexagonale, parfaitement transparent, haut d’une dizaine de centimètres et épais de deux centimètres. L’une des cruches contenait une poterie urwabya qui aurait été enlevée vers 1927 sur l’ordre du mwami YUHI MUSINGA.

Les indigènes précisent que, vers la fin de la saison sèche, en septembre (tumba), alors que le ciel commence à se charger de nuages, l’eau des cruches augmente de volume à tel point qu’elle déborde et que c’est ce dernier phénomène qui entraîne la chute des nouvelles pluies. Ces faits corroborent pleinement la thèse développée par l’abbé KAGAME selon laquelle le mwami du Ruanda était considéré comme le premier et le grand faiseur de pluie du pays. En 1931, lors de la déposition et de la relégation du mwami MUSINGA, certains indigènes prétendirent que la pluie cesserait de tomber. Devant ces vases dédiés à des ancêtres défunts des bami, on se trouve en présence d’un complexe de rites magicoreligieux : d’une part, par mimétisme, on croit pouvoir attirer la pluie, d’autre part, on invoque l’intercession et l’on rend un culte à un prédécesseur déterminé.

Umuhamagazi.

Cette appellation dérive de guhamagara : appeler, convoquer.

La spécialité de ce magicien consiste à rechercher les choses volées. Il agit un peu à la manière des radiesthésistes.

Aidé d’un bâton divinatoire, l’umuhamagazi semble irrésistiblement entraîné vers l’objet volé et, à la suite de sa découverte, il détermine le voleur dans la plupart des cas. Le R. P. DUFAYS signala que « les plus criantes » injustices sont perpétrées de cette façon contre des » innocents qui n’ont pas les moyens de guider le bâton » et son suiveur dans une autre direction ». Il s’est trouvé néanmoins des Européens pour ajouter foi aux capacités de l’umuhamagazi : SIMONS atteste qu’à Nyanza-Lac (Urundi) existait un de ces magiciens dont les investigations furent contrôlées par des Blancs dignes de foi ; il n’en reste pas moins vrai que l’on demeure dans le domaine de la magie, le bâton étant pourvu de quelques amulettes, morceaux de bois creux contenant des mélanges inconnus.

Umucunnyi.

Umucunnyi vient de gucuna : préparer, s.-e. des remèdes ou des talismans. Le mucunnyi est à la fois guérisseur et magicien.

Il fournit aux malades des plantes dont le secret se transmet de père en fils. Il est hors de doute que certains de ses remèdes jouissent d’une valeur réellement efficace ne relevant pas seulement de l’autosuggestion. Bon nombre de nos médicaments tels la quinine ne nous viennent-ils pas de peuplades « primitives » qui les utilisaient couramment ? Mais à côté des simples qu’il ordonne, l’umucunnyi, en sa qualité de magicien, fabrique des talismans impigi portés pour se préserver contre les maladies. Ces talismans consistent en bouts de bois, de fer, de laiton, etc., auxquels l’umucunnyi, grâce à ses incantations et à son formulaire magique, a consacré une valeur préservatrice ou thérapeutique spéciale. Toutefois l’absorption des remèdes et le port de talismans remis par l’umucunnyi sont conditionnés par lui à l’observance de tout un rituel composé à la fois de rites d’obligation et de rites d’interdiction. Ce rituel constituera une échappatoire aisée pour le magicien en cas d’échec, car en magie, « la négligence d’une seule de ces cérémonies difficiles et arbitraires en apparence fait avorter tout le succès des grandes œuvres de la science ». L’association de la médecine et de la magie dans les mains d’un même individu ne doit pas nous étonner : dès que l’on croit que la maladie constitue un envoûtement et relève de la magie, il doit en être de même de la cure. Chez un peuple qui croit à la magie noire, le diagnostic se tourne nécessairement vers des causes du même ordre.

Umuhinza.

Les anciens bami, chefs des paysanneries bahutu, possédaient non seulement la réputation d’être des faiseurs de pluie, mais également celle de pouvoir présider aux récoltes. A ce titre, ils portaient le nom d’abahinza (de guhinga : cultiver). A l’aide de procédés magiques, ils mettaient en fuite les déprédateurs des cultures : singes, phacochères, éléphants, buffles et plus spécialement les insectes : sauterelles, pucerons et chenilles inkungu. En récompense de leurs services, leurs administrés leur faisaient périodiquement parvenir des tributs à l’occasion des récoltes.

Mais à côté de l’exercice de la bonne magie, les bahinza étaient censés pratiquer la magie noire. Ils pouvaient, croyait-on, envoûter les récoltes (kuvuma : maudire, ensorceler ou encore gutera umwaku : jeter le mauvais sort). Le R. P. DUFAYS signale que les gens racontent. « Comment on dessèche à ces malédictions, comment le bétail périt, les mères pleurent leurs enfants morts et deviennent stériles et comment des plaies infectes  couvrent la victime de la rancune du muhinza ».

Umugangahuzi-Umukingizi.

Umugangahuzi vient de kugangahura : préserver contre la foudre. Le rôle de ce magicien exorciseur fut examiné lors de l’étude consacrée à la foudre.

Umupfumu

Umupfumu vient de gupfumura: percer (s.-e.l’inconnu). Le mupfumu est un devin, son rôle consiste essentiellement à rechercher les sorciers et à détecter la sorcellerie en signalant la cause des malheurs.

Umucumbi

Les magiciens abacumbi se recrutaient dans le clan des Basinga. Ils occupaient à la cour du mwami du Ruanda la charge de devins et de chasseurs des mânes malfaisants. Dans l’exercice de leur art, ils employaient un balai magique composé de branches d’ umucuro, uruheza, urubingo, igitovu, umuzibaziba et d’ umwisheke enroulées dans une herbe d’umucaca et une autre d’ishushu ou incucu, balai à l’aide duquel ils expulsaient les mânes malfaisants.

Umushyitsi.

L’umushyitsi (de gushyika: disparaître) est un magicien à la fois devin et exorciseur ; il dispose de la faculté d’expulser d’une hutte ou du corps d’un malade, l’esprit d’où vient le mal. A cette fin, il fait usage d’un faisceau de plantes magiques et d’une corne avec lesquels il s’empare de l’esprit malfaisant. Les moyens d’action de rumushitsi seront étudiés d’une manière plus approfondie lors de l’examen des différents procédés de divination.

Umuhuzi.

Le muhuzi est un remarquable charlatan, médecindevin, qui prétend avoir le pouvoir d’enlever les mauvais sorts après les avoir décelés. Il se sert de petites cornes bourrées de poudres magiques. Appelé auprès d’un malade, il lui applique ses cornes en guise de ventouses sur des scarifications d’où, par une habile prestidigitation, il retirera, devant les yeux ébahis des spectateurs, des poils de rat, des plumes d’oiseau, des osselets, des cailloux symbolisant les mauvais esprits qui s’étaient introduits dans le corps du patient.

Umuhannyi.

C’est l’exorciseur par excellence, il doit exercer son art sur les lieux mêmes du malheur. Le muhanyi est un devin qui se donne pour spécialité de déceler les monstruosités ishyano (malheurs), terme sous lequel on classe toutes les pratiques entachées d’interdictions et les tabous divers. L’umuhannyi prétend en outre disposer de moyens pour éliminer ces ishyano. Une foule d’événements provoquent, en effet, des interdits ishyano ; ce sont, par exemple, la foudre, un incendie, une grue huppée se posant sur une hutte, la naissance de jumeaux, etc. Les parents qui ont perdu un jeune enfant sont frappés d’un ishyano causé par la perte de leur petit mort (akanapfu).

Consulté, l’umuhanyi prescrira aux parents, dans ce dernier cas, de boire une décoction du breuvage magique isubyo, en même temps qu’il leur ordonnera d’effectuer un simulacre de relations intimes kumara ishyano ou kulya akanapfu : en finir avec le mauvais sort, ou manger la mort du petit.

L’isubyo est une mixture composée d’eau et du suc de diverses plantes. L’umuhanyi en verse d’abord un peu dans sa main gauche et, en rejetant le contenu en arrière, par-dessus son épaule, il s’écrie : Narenze akabi: « J’ai dépassé (s.-e. j’ai éloigné) le malheur ». Ensuite, il s’en verse un peu dans le creux de la main droite en disant : «Inzira n’ebyili, hali ijya ibgami, n’ijya ku buliri, ntawuyanduriramo : Il existe deux chemins, l’un va chez le roi, l’autre vers le lit, qu’aucun d’eux ne te porte malheur ». Ensuite, les consultants absorbent l’isubyo ; ils redisent les mêmes paroles et refont les mêmes gestes que l’umuhannyi; ces opérations ont pour résultat de les délier du mauvais sort qui s’était abattu sur eux.

La divination (Kuragura).

Il convient en tout premier lieu de ne pas confondre la divination avec l’ordalie ni avec le poison d’épreuve. Le but poursuivi par la divination n’est pas constitué par la recherche de la culpabilité d’un prévenu, mais consiste à trouver les causes d’une maladie, d’un état malchanceux, les pièges tendus par les mauvais esprits ou par les sorciers, et enfin à détecter les événements qui se produiront dans un avenir rapproché.

Le mot « devin » se traduit par umupfumu en kinyarwanda et par umupfumu en kirundi; la plupart du temps, il exerce également les fonctions d’exorciseur et de médecin. Il ne faut pas le confondre avec le sorcier envoûteur umurozi : traiter un devin-médecin de ce nom serait lui faire la pire injure, son rôle consistant, en effet, à soulager les misères humaines et non point à les provoquer.

En Urundi, le devin porte encore le nom de mumenyi : celui qui sait, de rumenyi (idem), d’igihizi : celui qui comprend, de nyamuragura : devin, de sabubemba : celui qui a du flair. Les bakongori étaient les devins au service du mwami du Rua.nda.

Ne devient pas devin n’importe qui. L’exercice de cet art suppose une initiation, et ses représentants seront, en principe, toujours des affiliés à la secte religieuse semisecrète de RYANGOMBE-KIRANGA. La charge de devin se transmet la plupart du temps de père en fils, de mère en fille. On peut encore y accéder de deux autres manières :

1) Dans un but lucratif, car on s’imagine posséder les aptitudes requises ;

2) Suite au choix prétendu de l’esprit RUBAMBO 011 RUBORE présidant la corporation des devins. De toute façon, il faut s’initier préalablement chez un autre magicien du même acabit.

Le mobilier du devin comporte les instruments nécessaires à son art ; ils varient selon la spécialité qu’il se donne ; on y trouvera un couvre-chef en peau de colobe intutu, des peaux de serval imondo, de putois agasamunyiga, de taupe iluku, une chaise de stabilité intebe y’umugumya, un sac isaho, une calebasse à gros col intenderi, un grand van urutaro rw’imisuri, des courges emplies de graines crépitantes inyagara, des grelots inzogera, la spatule de ménage umwuko, une pièce d’étoffe de ficus ikiremo cy’imanda, etc.

Les conceptions suivantes présideront aux méthodes de divination :

1) Le devin doit être ou se prétendre initié à l’art qu’il exerce et se trouver hors d’atteinte des mauvais esprits ;

2) Il instrumentera sur des objets ou des animaux purs, sinon mis à l’abri, des mauvais esprits par des purifications; il en tirera des conclusions quant aux sorts probables selon les aspects qu’ils revêtiront au cours de la séance de divination ;

3) La personnalité du consultant devra être incorporée à ces objets afin qu’ils puissent parler en son nom. A cet effet, on emploiera une substance, et tout spécialement la salive imbuto, appartenant au client ; ou à l’objet sur lequel porte la divination, par exemple : de la terre lors du choix d’un emplacement à habiter. Le choix de la salive n’est pas l’effet du hasard, mais le produit d’un raisonnement d’ordre magique : puisqu’elle est au contact des organes de la parole, elle permettra de faire parler les instruments de divination. Eu égard à la toute puissance de la parole, des prières rituelles devront être prononcées durant l’opération ainsi que l’objet précis de la demande justifiant la séance de divination.

4) La divination a essentiellement pour but de dépister, de dénoncer et de neutraliser les mauvais esprits, en ordre principal les mânes abazimu, qui tracassent les êtres vivants ou qui hantent les lieux maudits.

MÉTHODES DE DIVINATION.

  1. Osselets (kuraguza inzuzi).

C’est la méthode la plus communément employée. Matériel : un auget imbehe, en bois, long de soixante à quatre-vingts centimètres, large d’une dizaine, et des osselets en nombre pair. Le choix du bois entrant dans la fabrication de l’auget n’est pas laissé au hasard : il est recueilli sur l’arbre umuvumu (ficus dont l’écorce fournit une étoffe rouge) ou sur l’ umuko (érythrine à fleurs rouges et à épines) ; il faut voir dans ce choix la volonté d’éloigner les mauvais esprits de l’instrument employé. Les osselets sont empruntés à la dépouille d’un taurillon de divination qui se révéla bénéfique ; eu égard à la difficulté de se les procurer, ils sont bien souvent remplacés par des graines de courge ; de toute façon, ce matériel doit être de couleur bénéfique blanche. On emploie également des jetons en fer provenant d’une vieille houe. Une natte sur laquelle le devin instrumentera le séparera ainsi que son matériel, de la terre, refuge des esprits malins ; en Urundi, c’est un grand van urutaro, véritable bouclier contre les esprits, qui est employé à cet effet. Des grelots sont attachés aux chevilles du devin qui les agite sans cesse afin de charmer les esprits et de fasciner le consultant.

RITUEL DE LA DIVINATION PAR LES OSSELETS.

  1. a) Rite du Guharika : faire le point.

La séance de divination a lieu soit au domicile du devin, soit chez le requérant, tous deux prenant place sur une même natte. Il s’agit de savoir si le consultant est en paix ou s’il a été atteint par un mauvais esprit ; à cette fin, le devin fait déposer de la salive du client sur les osselets. Lançant ceux-ci dans l’auget, il tirera toutes conclusions utiles d’après la position qu’ils prendront.

  1. b) Rite du Guculika : preuve de la maladie.

Il s’agit maintenant de rechercher si la personne est malade. Les osselets sont mis en contact avec de la salive du patient. Jetés, les osselets indiqueront s’il y a réellement maladie.

  1. c) Rite du Atewe n’iki: diagnostic.

Les osselets doivent, cette fois, indiquer si la maladie est envoyée par un esprit divinisé, par un esprit familial umuzimu ou enfin par la volonté d’un être vivant ayant lancé un mauvais sort. Le devin nommera un à un aux osselets les esprits et les individus sur lesquels pèsent les soupçons.

  1. d) Rite du Kwanamuka: antidote.

Les osselets jetés à nouveau, décideront, par leur position, s’il convient :

  1. a) De faire un présent ou un sacrifice (guterekera) aux mânes de l’ancêtre mécontent ;
  2. b) De pratiquer le culte du kubandwa en faveur de la divinité courroucée ;
  3. c) D’exécuter une vengeance sur une personne suspectée de sorcellerie ou tout au moins de mettre en œuvre les moyens propres à annihiler sa volonté maléfique.
  4. Graisse d’animal et fleurs sèches : Kuraguza urugimbu

Matériel :

  1. a) De la graisse de taurillon ou de bélier amamana, c’est-à-dire dont les entrailles ont fourni une réponse propice lors d’une séance précédente de divination.
  2. b) Une herbe odoriférante jaune pâle : ubujuri. Couleurs bénéfiques, odeur et présomption favorables sont donc réunies.

Méthode :

Graisse et fleurs sont intimement mélangées, le produit est divisé en un nombre pair de parts imitavu: huit à vingt-quatre. L’une des parts, préalablement enduite de salive du consultant, est déposée dans un petit récipient en argile cuite (igicumbi). Celui-ci est placé dans un pot sur le foyer de la hutte. Tandis que des paroles rituelles et des demandes sont exprimées, les portions de graisse sont mises à feu les unes après les autres. De la direction que prendra leur flamme seront tirées les conclusions recherchées. Les restes des imitavu de bon augure serviront à confectionner des amulettes.

Aruspicine par le poussin : Kuraguza inkoko

Ce procédé était spécialement en honneur chez les Batutsi et les Bahutu anoblis occupant un commandement politique. Tout récemment certains chef et souschefs y avaient encore recours lorsqu’ils étaient convoqués par l’Administrateur.

 Matériel.

Des poussins de trois à quatre jours réquisitionnés chez les Bahutu.

Méthode.

Un peu de salive du consultant mélangée à de l’eau, est introduite dans le bec du poussin. L’aruspice, tout en prononçant des paroles rituelles, dicte à l’oreille de l’animal les souhaits que l’on formule. Le poussin est déposé sur une feuille de bananier et, après l’avoir purifié à l’eau, le devin en pratique l’autopsie. Les entrailles sont à nouveau purifiées à l’eau. L’examen du foie, du cœur, de l’intestin, du gésier, etc. révélera une foule d’événements bénéfiques ou maléfiques ainsi que leurs causes.

A l’aide des entrailles du poussin bénéfique, on confectionne des amulettes impigi que le devin impose d’abord au consultant en signe de croix en prononçant des formules bénéfiques.

  1. Aruspiclne par le bélier (isekurume): Kuragaza amamana.

Cette méthode était en honneur tout spécialement chez les Batutsi riches occupant des commandements politiques. Ils se procuraient les béliers par des réquisitions ou plus exactement par des prélèvements dont le choix était effectué par des spécialistes abatora.

Matériel.

De jeunes béliers, parfaitement sains et sevrés, jamais des brebis.

Méthode.

L’opération a lieu dans la cour arrière (igikari) de l’enclos afin de la mettre à l’abri du mauvais œil. L’aruspice verse dans la bouche du bélier un peu de lait contenant de la salive du consultant, tout en énonçant des paroles rituelles et, à voix basse, contre l’oreille de l’animal, les vœux formulés. Comme chez les Israélites, la bête était rituellement mise à mort en lui sectionnant l’artère carotide et en la saignant à fond. L’aruspice pratiquait ensuite l’autopsie et procédait par l’eau à la purification des entrailles. Leur bonne présentation et la présence d’un nodule blanc-grisâtre ishyira sur le mésentère constituaient autant de signes favorables aux buts recherchés. Si le bélier était de bon augure, il prenait le nom d’imana et était qualifié de yeze : favorable, pur, blanc. En pareille occurrence, sa peau ne servait jamais de hamac portatif pour les bébés, mais de parure aux médiums de RYANGOMBE-KIRANGA ; à l’aide de ses entrailles et d’un os inyundo de la patte avant droite, l’on confectionnait des amulettes amamana qui, peintes en blanc, étaient portées suspendues au cou, après avoir été imposées par le devin en signe de croix au consultant en prononçant des formules rituelles.

Néfaste, irabuye, la dépouille du bélier était abandonnée au complet aux Batwa qui la mangeaient. De toute façon, seuls les Batwa peuvent manger la viande de mouton, celle-ci étant tabou pour les indigènes de races mututsi et muhutu.

Aruspicine par le taurillon (ikimasa) : Kuraguza ikimasa.

Avec cette opération, on atteint le sommet de la divination au Ruanda ; en effet, elle était réservée exclusivement au mwami. Quiconque l’eût pratiquée dans le pays, aurait commis un crime de lèse-majesté puni de bannissement ou de mort.

Matériel employé.

Des taurillons absolument sains, sans défaut et sevrés.

Méthode employée.

Elle est identique à celle mise en œuvre à propos des béliers de divination. Les aruspices royaux s’intitulaient abakongori ou abagisha, et les abatteurs intalindwa ; ce personnel échappait à la juridiction des chefs pour ne relever que de celle du mwami.

Avant de donner sa salive, le mwami devait rituellement se purifier la bouche à l’aide d’eau ( 2 ). Cette salive était préalablement mélangée à un peu de lait, et le mélange était donné à boire au taurillon. La bête n’était pas tuée par jugulation, mais frappée d’un coup de couteau au cervelet. L’autopsie avait lieu à l’écart et les curieux dont on pouvait toujours craindre le mauvais œil, étaient éloignés.

Si la bête était de bon augure, sa dépouille était remisée dans sa peau et le tout était présenté au mwami qui en prenait un premier contact du bout des doigts. La terre ayant absorbé une partie du sang (car celui-ci était soigneusement recueilli) était déposée dans des paniers ramenés également à l’enclos royal. Le lendemain matin, une nouvelle consultation des entrailles, de confirmation, était effectuée par les aruspices.

Certaines pièces bénéfiques étaient conservées dans une calebasse (igisabo) présentée au mwami qui la recevait les mains tendues ; ensuite, elle lui était imposée, en signe de croix, en prononçant les paroles rituelles rimées suivantes :

Au front : Indahangargwa, ntuhangargwa n’umwanzi n’umurozi ; « Invulnérable, ne sois pas atteint ni par l’ennemi ni par le sorcier » ;

A l’épaule gauche : Akabega, ubegera abakeba ; « Épaule, que tes bienfaits rejaillissent jusqu’aux pays environnants (rivaux) » ;

A la poitrine : Igituza, utura mu Rwanda ; Poitrine, demeure (s.-e. pacifiquement) au Ruanda » ;

A l’épaule droite : Umusumba usumba abanzi ; « Etre puissant, que tu vainques tes ennemis ».

Les mêmes points étaient ensuite touchés à l’eau lustrale. La calebasse était cernée de l’herbe fétide umwishywa pour en éloigner les esprits malins. La tête et les cornes du taurillon ne faisaient qu’accompagner la calebasse ; celle-ci était ensuite remisée dans la hutte royale parmi d’autres.

Le sang du taurillon bénéfique était répandu sur les quatre tambours ingabe enseignes du mwami : Karinga, Cyimumugizi, Kiragutse et Mpatsibihugu. La peau du taurillon servait de couverture au mwami et à la confection de tambours.

Les os de la patte antérieure droite servaient à la fabrication d’amulettes. La viande du taurillon fournissait la base d’un repas de communion effectué dans l’enclos royal, le mwami se réservant une partie de la poitrine. Un lavage purificateur de bouche prenait place avant et après le festin ; enfin le mwami devait opérer une copulation rituelle avec l’une de ses femmes.

Les os, la terre ensanglantée, les déchets provenant des viscères étaient purifiés par le feu à l’intérieur du kraal ; ensuite, un trou était creusé en dessous des restes calcinés et les cornes y étaient enterrées. Des boutures de ficus umuvumu en nombre pair, de deux mètres de hauteur, étaient plantées à l’endroit même ; en grandissant elles ne formaient plus qu’un seul arbre : imana, qu’il était interdit de couper.

Mais le plus souvent, il arrivait que les présages présentés par le taurillon fussent néfastes. Dans ce cas, ses abattis étaient abandonnés aux bouchers intalindwa et aux Batwa. D’après notre informateur MAZINA, on immolait parfois jusqu’à cinquante taurillons pour n’en trouver qu’un seul favorable.

CIRCONSTANCES JUSTIFIANT LE RECOURS A CETTE ARUSPICINE.

Cette divination avait lieu à n’importe quel moment désigné par le mwami ou par ses devins, et notamment lorsque l’intégrité au royaume était menacée ou que le trône était convoité.

Le R. P. ARNOUX signala qu’en 1911, les devins de MUSINGA battirent le pays à la recherche de taurillons amamana, le Ruanda étant menacé d’usurpation par le compétiteur NDUNGUTSE. Ce dernier et ses séides ayant été arrêtés par l’Administration allemande, MUSINGA n’en crut pas moins que leur neutralisation était le résultat de la divination par les taurillons.

Cette divination avait encore lieu lorsqu’il s’agissait de trouver un emplacement pour une nouvelle capitale, avant de partir en guerre, ou lorsque la guerre était déclarée au pays. Le commandant en chef umugaba s’avançait dans la bataille accompagné de la calebasse contenant les viscères du taurillon bénéfique. Pour vaincre l’ennemi, il suffisait, croyait-on, d’enterrer dans son pays les restes d’un taurillon ou d’un bélier de divination propitiatoire.

  1. Planchette : Kuraguza inkondo.

Ce moyen est surtout employé par les vieilles femmes.

Matériel.

Une planchette d’érythrine (umuko), de quatre centimètres de longueur sur deux de largeur et une écuelle à manger (imbehe) contenant de l’eau.

Méthode.

La planchette est mise à flotter après avoir été enduite de salive ; si elle surnage sans difficulté, les sorts seront favorables ; si elle demeure immobile, tombe de l’écuelle ou si de l’écume apparaît au fond de celle-ci, les sorts seront défavorables.

  1. Pépins de courge : Kuraguza inzuzi.

Matériel.

Une assiette intara en herbes tressées, de 25 à 30 centimètres de diamètre, garnie d’éleusine et de kaolin ; six pépins inzuzi de courge et parfois une lamelle d’ivoire urwasa.

Méthode.

S’accompagnant de paroles rituelles, le devin jette les pépins et la lamelle d’ivoire au milieu de l’éleusine ; s’ils y demeurent groupés, les sorts seront favorables.

  1. Herbe fétide umwishywa : Kuraguza umwishywa.

Matériel.

Une guirlande d’umwishywa et un bâton.

Méthode.

L’umwishywa ayant été enduite de salive par le consultant, si elle glisse facilement sur le bâton, les sorts seront favorables.

  1. Umugombe :Kuraguza umugombe.

Matériel.

Du suc d’umugombe, une écuelle, un anneau d’écorce de bananier, un bâton.

Méthode.

L’anneau est imbibé du suc de l’umugombe et de salive du consultant ; s’il glisse facilement sur le bâton, les sorts seront favorables.

  1. Par l’esprit divinisé de Nyabingi : Kuraguza Nyabingi.

Se tenant caché et parlant d’une voix de ventriloque, le médium, prêtre ou prêtresse de NYABINGI, répond aux questions du consultant concernant le point de connaître des vérités cachées présentes ou futures.

  1. Beurre : Kuraguza amavuta.
  2. a) Pour le choix de l’emplacement d’une construction.

Une première divination est exécutée à l’aide de l’écuelle et des inzuzi, ceux-ci ayant été préalablement mis en contact de la terre extraite de l’emplacement convoité. Ensuite, des boulettes de beurre, en nombre pair, enchâssés sur des bâtonnets imitozo sont fichées en terre à la surface du terrain envisagé où elles passeront une nuit d’épreuve ; le lendemain matin, on procède à leur examen :

  1. a) Elles ont toutes été mangées par les fourmis : endroit néfaste ;
  2. b) Aucune n’a été attaquée par ces insectes : endroit maudit ;
  3. c) Une seule est demeurée intacte et debout tandis que les autres furent grignotées : endroit excellent.
  4. b) Pour une nécessité quelconque.

De l’eau bouillante est versée sur une chaise à fond concave, et le devin, tout en prononçant des paroles rituelles et des demandes, y dépose des boulettes de beurre en nombre pair. Si elles se réunissent pour former une masse parfaitement continue et blanche, les sorts seront favorables et ce beurre sera recueilli pour servir à confectionner des amulettes impigi z’amavuta que l’on portera au cou. Si la masse fondue présente des solutions de discontinuité ou une teinte jaunâtre, les sorts seront défavorables.

  1. Divination mentale : Kuraguza umutwe.

Ce mode de divination doit être complété par celui des osselets ou de la graisse. Le devin se contente, d’initiative, d’énumérer des présages de pure invention au consultant.

  1. Sauterelles : Kuraguza intondwe. Matériel.

Une douzaine de petites sauterelles grises intondwe.

Méthode.

Le devin se place à l’abri d’un arbuste umucucu ; il prononce des paroles rituelles et énonce les requêtes à l’une des sauterelles. Les sorts seront favorables si la sauterelle se précipite sur les feuilles de mucucu, très favorables si elle s’envole des mains du client, défavorables si elle tombe par terre, très défavorables si elle s’abat sur les yeux du consultant.

  1. Chevilles de bois : Kuraguza imibondwa.

Matériel.

Six ou huit petits bouts de bois pointus de neuf centimètres de longueur et de deux de diamètre, et une peau de mouton.

Méthode.

La peau de mouton est déposée, le poil contre le sol, au milieu de paroles rituelles et de demandes ; le devin y jette les chevilles de bois. Si les pointes occupent toutes une position identique centrifuge ou centripète, les sorts seront favorables ; ils seront défavorables dans le cas contraire.

  1. Évocation des mânes des défunts : Gushika abazimu.

Méthode.

Le devin mushitsi, la tête recouverte d’une peau de lièvre, animal qui par ses terriers hante le domaine des morts, tient en mains un grelot et une courge ikinyuguli bourrée de petites graines qu’il agite en chantant pour charmer les esprits. Il opère dans le coin le plus obscur de la hutte et commence par invoquer l’un des esprits divinisés subordonnés à RYANGOMBE-KIRANGA : GACAMUTWA, RUBAMBO, RUBOBA RWA BINEGO. La divinité invoquée répond à l’appel du devin qui imite le son de sa voix et indique nommément les mauvais esprits familiaux qui hantent l’habitation. Ceux-ci, invoqués à leur tour, exposent leurs raisons et leurs instances grâce à une nouvelle imitation de voix de la part du devin. Ce dernier, pour les amadouer, leur promet tout ce qu’ils demandent. Le devin « enferme » les esprits malfaisants sous sa clochette au fur et à mesure qu’ils se présentent, et il effectue le simulacre de les ligoter à l’intérieur d’un paquet (rutsiro : obstacle) constitué de branches et d’herbes vertes : urubingo (roseau aux tiges acérées), igitovu (chardon épineux) et uruheza (épineux à fleurs rouges). Le tout est ensuite jeté dans un endroit désert.

  1. Eau : Kuraguza amazi.

Le devin souffle à l’aide d’un chalumeau dans un vase contenant de l’eau ; des bouillonnements ainsi produits seront tirées des conjectures concernant les sorts. Q. Chalumeau (Kuraguza umuheha) et bâton de jugement (Kuraguza intahe). Le devin, tenant le chalumeau ou le bâton en main, par son milieu, lui imprime un mouvement de giration d’où des conclusions seront tirées quant aux sorts.

  1. Herbes : Kuraguza imicuro, ivubwe.

Les sorts sont déduits de la direction que prennent les feuilles de ces plantes au repos.

  1. Poupée : Kuraguza Nyabukobwa.

Ce procédé est en honneur en Urundi.

Matériel.

Une poupée (umukobwa : jeune fille) consistant en une calebasse à double renflement pourvue de perles, d’anneaux, de cauris comme en portent les femmes ; des graines, signe de fécondité, sont introduites à l’intérieur.

Méthode.

Le devin, ventriloque, expose à la poupée les cas posés par les consultants et la fait répondre.

  1. Sorciers : Gushika abarozi-gushika ibinyege.

Ce mode de divination ne s’opère que de nuit, dans les huttes, tous feux éteints, dans une ambiance de mystère. Au milieu du bruit de ses grelots, le devin fait comparaître l’esprit du sorcier et, l’interrogeant, effectue tous aveux recherchés en ses lieu et place.

  1. L’ordalie : Gushora.

L’ordalie est une véritable forme de torture réelle ou supposée, appliquée à une personne, ou, le plus souvent, à une partie telle que sa salive, qui vaut pour la personne entière. Le présumé sorcier ou la partie de son individu, subissant victorieusement l’épreuve est réputé innocent ; Les devins pratiquant l’ordalie s’intitulent abashozi ; ils intervenaient non seulement en matière de droit commun, mais également pour détecter les sorciers.

  1. Datura (urwiziringa).

Le devin fait boire au patient une bière de banane réchauffée et contenant des graines de Datura; si le patient tombe à terre, c’est qu’il est coupable. Le Datura est parfois mélangé au tabac à fumer. C’est l’épreuve la plus courante, et nous en avons encore constaté l’application à Shangugu, en 1943.

  1. Tambour (ingoma).

De la bouse de vache est déposée sur un tambour et, au-dessus d’elle de l’eau ; le prévenu doit boire celle-ci. Le devin lui déclare : « Que les mânes des ancêtres et de RYANGOMBE demeurent à l’écart, quant à toi, sois soumis à cette épreuve ». S’il est coupable, le patient doit éprouver une colite violente.

  1. Clochette (inzogera).

Le prévenu doit boire de l’eau dans laquelle on a plongé une clochette. Le devin prononce ces paroles rituelles : « Puisse ce breuvage te donner la mort si tu es coupable ». Le patient répond : « Que j’expire »; on est convaincu qu’il contracterait une maladie de la peau s’il était coupable.

  1. Paniers (urutete).

Le présumé sorcier doit s’asseoir sur ce panier à clairevoie et tenir en main un glaive de prêtre de RYANGOMBE ; autour de lui, on fiche des lances en terre, et l’on dépose une poignée d’herbe urushinge auprès du panier. Le prévenu déclare : « Si je suis coupable, que je devienne la proie des lances ».

  1. Serpe chauffée (umuhoro)

L’inculpé dépose un peu de salive sur une serpe que l’on chauffe à blanc. Si des plaques noirâtres apparaissent ensuite aux endroits mis au contact de la salive, c’est la preuve irréfutable que le prévenu est coupable.

  1. Eau magique (amazi).

Dans un vase en terre cuite, le devin dépose une mixture contenant des ingrédients disparates et répugnants : bouse de vache, crottes d’oiseaux, feuilles de ricin et un morceau de fer destiné à renforcer la puissance de ce poison d’épreuve. Deux lances sont plantées en terre afin d’écarter de la cruche les esprits malins. Le prévenu doit boire une partie du breuvage ; s’il le vomit, c’est qu’il est coupable.

  1. Poussins (inkoko).

Des poussins d’un jour sont remis aux prévenus qui doivent les tenir en mains sans pouvoir les nourrir, conjoncture qui est étroitement surveillée par le devin. Le premier poussin qui meurt indique que son détenteur était coupable. On emploie également le procédé ordinaire de divination par la consultation des entrailles des poussins.

  1. Eau bouillante (amazi ashyushye).

Les prévenus sont conviés à plonger un bras dans un pot d’eau bouillante, et celui qui s’y brûle est convaincu de culpabilité.

  1. Fer rouge (icuma cy’umuliro).

Pendant qu’on met le fer à chauffer, le devin donne une mixture à l’aide de laquelle les prévenus se lavent les mains. Ensuite, il les touche à la langue et aux mains avec le fer rouge ; est déclaré coupable celui d’entre eux qui porte des traces évidentes de brûlure.

  1. La torture.

Quand les présomptions acquises semblaient suffisantes au juge et à ses assesseurs, et que le prévenu persistait à nier ce qui leur paraissait être l’évidence, l’arrêt tombait : « Ni mumukubite : Que vous le frappiez ». Pour lui délier la langue, on lui enfonçait parfois des orties dans la bouche. Le prévenu recevait la peine de la bastonnade ou subissait d’autres tortures jusqu’à l’obtention d’aveux. Mais il arrivait qu’il persistât à nier, si bien que le juge ordonnait d’arrêter la torture : « Ni musigeho : Que vous cessiez ». Dans ce cas, le prévenu était acquitté, à moins que le juge n’ordonnât le recours à la divination ou à l’ordalie.

  1. Les sanctions prises à l’égard du sorcier.

Des sanctions pénales étaient appliquées d’une manière courante aux sorciers vrais ou supposés, volontaires ou involontaires.

Quelles étaient les juridictions compétentes pour connaître du crime de sorcellerie ? Toutes : celle des familles, du sous-chef, du chef ou du mwami. Il est évident que, sans attendre la mise en œuvre de ces juridictions toujours lentes, les victimes se rendaient bien souvent justice elles-mêmes par l’exercice du droit de vengeance consistant dans l’assassinat du présumé coupable, par la lance, le glaive, le poignard, etc., ou par l’incendie nocturne, de sa hutte. L’exercice du droit de vengeance n’était suspendu que moyennant le paiement d’une compensation débattue entre les familles ou sur ordonnance du mwami rendue publique par voie de proclamation. La présomption d’envoûtement était de la compétence des tribunaux surtout s’il y avait eu mort d’homme. La punition prévue en ce cas pour les sorciers était la peine de mort. La simple présomption de sorcellerie valait déjà à l’auteur supposé d’être banni par l’autorité administrative.

Étaient également passibles de sanctions judiciaires ceux qui n’avaient pas observé les tabous : violation de l’interdiction de cultiver et d’avoir des rapports conjugaux durant une période de deuil national, violation de l’interdiction de cultiver tandis qu’un chien était mort sur la colline, etc. En Urundi, la violation de l’interdiction de cultiver le sorgho avant la fête des semailles, était passible de la spoliation complète des biens. La violation de l’interdiction à un homme d’entrer dans la hutte de sa nièce umwishywa était punie du bannissement.