Envoûtement

Envoûtement vient du latin in: dans, et de vu/tus: visage, car les envoûteurs, au moyen-âge notamment, confectionnaient une figurine de cire dans laquelle ils piquaient des épingles dans le but d’apporter un mal mortel à la personne représentée. Pour le magicien LÉVI, envoûtement ou envoutement est l’action de prendre pour ainsi dire et d’envelopper quelqu’un dans un vœu, dans une volonté formulée. L’envoûtement est l’œuvre des sorciers professionnels ou occasionnels, qui appliquent les règles de la magie à tenter de porter préjudice non seulement aux personnes, mais également à leurs biens : bétail, récoltes, etc. Bien que l’envoûtement tende à obtenir les mêmes résultats que les attentats directs à la personne humaine et aux biens, par la maladie, la mort ou la destruction, l’envoûtement s’en distingue dès l’abord par le fait que pour arriver à ses fins, le sorcier ne fait pas usage de moyens matériels directs, mais uniquement d’une volonté déterminée de mal faire matérialisée le plus souvent par certaines manœuvres concrètes d’ordre purement magique. Au Ruanda-Urundi, envoûtement s’intitule uburozi ; le sorcier, umurozi ; l’action d’ensorceler se dit kuroga, kwabura. Kurogora veut dire désensorceler et s’emploie notamment lorsqu’on boit le premier à une cruche de bière ; ceci nous donne une idée de la crainte d’ensorcellement qui se trouve constamment à l’esprit de l’indigène.

En ce qui concerne l’élément spécifique mis en œuvre dans la sorcellerie ou magie noire, nous pouvons affirmer qu’il consiste entièrement dans l’imagination à laquelle vient souvent s’associer un certain apparatus matériel. Nous trouvons, tant chez le sorcier que chez l’agent qui se croit envoûté, en premier lieu, la croyance à la toute-puissance de l’idée ou de la volonté, de la parole, du geste et du mauvais œil ; en ordre subsidiaire, la croyance à la magie en ce qu’elle concerne la vulnérabilité du nom, la rémanence de la personnalité sur les objets touchés, la valeur de la partie pour le tout, la loi de l’analogie, etc., toutes notions que nous avons étudiées au chapitre précédent.

Objectivement parlant, les sorciers ne disposent d’aucun pouvoir réel ; les résultats qu’ils obtiennent parfois ou qu’on leur attribue, relèvent d’ordre purement psychique se basant sur l’autosuggestion et l’émotivité d’êtres infériorisés qui développent en eux un véritable complexe d’autodestruction ; à ce point de vue, on pourrait affirmer qu’il n’existe de pouvoir aux sorciers que dans l’esprit des ensorcelés.

La question se pose de savoir si un indigène convaincu d’être ensorcelé peut en mourir réellement. La question ainsi posée semble bien devoir être résolue par l’affirmative. PARRINDER déclare avoir vu, en Afrique occidentale, un homme mourir presque d’épouvante à la vue de ce qui n’était que de la suie parfaitement inoffensive; c’est une manœuvre des sorciers, dans ce pays, de déposer en travers de la porte d’un ennemi une traînée de terre « préparée » ou bien d’en mettre tout autour de la cabane qu’il habite. A de nombreuses reprises, au Ruanda-Urundi, nous avons été saisi de plaintes d’indigènes nous déclarant que leurs enfants mouraient de sorts jetés par une vieille veuve habitant le voisinage, et nous demandant de procéder à son incarcération; ces sorcières n’étaient cependant jamais accusées d’avoir mis en œuvre des moyens matériels. La conviction des autochtones est ancrée à tel point qu’ils en arrivent à accuser les Européens d’homicide par envoûtement. En 1933, l’administrateur du territoire de Shangugu, après avoir fait plusieurs remarques à un clerc qui se révélait manifestement incapable de tenir correctement le recensement, se vit dans l’obligation de le licencier ; peu de temps après, le clerc décéda et la rumeur publique accusa l’administrateur de l’avoir ensorcelé et d’être la cause de sa mort.

Existerait-il des facteurs d’ordre physiologique qui, conjugués avec les facteurs d’ordre psychique, seraient de nature à entraîner la mort par autosuggestion ?

C’est ce que croit HOWELS, professeur d’anthropologie à l’Université de Wisconsin. Il déclare qu’en Polynésie, Australie, Afrique occidentale et en Amérique du Sud, il a été enregistré des décès imputables au tabou, à la magie noire ou à la sorcellerie ; il s’agit d’affaires bien instruites dans lesquelles il n’y a aucun motif de suspecter le poison ni aucun autre agent que cet unique facteur psychologique : la peur. Imaginez d’abord l’épouvante sans issue qui prend possession d’un homme devenu irrémédiablement tabou pour avoir touché à la nourriture du chef et qui ne peut espérer ni secours ni même sympathie de la part de ses proches et de ses amis. Ceci posé, le Dr Walter CANNON a décrit le processus susceptible d’entraîner la mort. L’issue fatale peut être le fait du système nerveux sympathique du sujet, lequel, stimulé par la terreur, prépare le corps à une crise en débitant par excès du sucre et de l’adrénaline et en provoquant la contraction de certains vaisseaux sanguins. Si la réaction physiologique que ces modifications sont destinées à provoquer ne se produit pas, et si la crise ne s’amortit pas, la surexcitation prolongée du système sympathique est nocive, produisant des effets de choc : la tension artérielle décroît, le cœur tend à désamorcer, et la contraction des artérioles superficielles réduit la proportion d’oxygène sous la peau et laisse le plasma sanguin filtrer dans les tissus, les globules rouges demeurant échoués. Le manque de nourriture et de boisson ne pourrait qu’aggraver ce cercle vicieux, et la prolongation de l’état de terreur, incapable de maintenir le supplément d’adrénaline, augmenterait l’anomalie jusqu’à la mort. Une grande variété de maladies réelles peut être provoquée par l’hystérie ou la suggestion, et il s’agit bien d’affections organiques et non imaginaires.

Le vrai « magiste », nous dit E. LÉVI, envoûte sans cérémonie, par sa seule réprobation, ceux qu’il réprouve et qu’il croit nécessaire de punir ; il envoûte même par son pardon ceux qui lui font du mal. Cette méthode est bien connue au Ruanda-Urundi où l’on a même peur d’être l’objet de la louange et du regard qui dissimulent des intentions malignes ; a fortiori, maudire ( kuvuma ) est-il craint avec la plus grande frayeur par les autochtones.

Il existe au Ruanda-Urundi des méthodes d’envoûtement nécessitant la mise en œuvre d’un apparatus matériel dérivant directement des pratiques magiques : c’est la magie noire. Elles consistent à se procurer une partie de l’individu exécré ou un objet qu’il détient : cheveux, ongles, peaux, déjections, bâton, parure, etc., et à les mettre au contact de choses nauséabondes, répugnantes, nuisibles, leur faisant subir ainsi une véritable torture, tout en énonçant des formules imprécatoires. A ce point de vue, l’envoûtement peut être comparé, dans l’esprit du sorcier, à un empoisonnement, à un assassinat.

Mais si le sorcier n’est pas parvenu à se procurer des biens ayant appartenu à la victime envisagée, il déposera à proximité de son habitation des objets dans lesquels, grâce à des paroles et à des gestes véhéments, il croit avoir incorporé sa volonté maléfique.

Enfin nous trouverons l’envoûtement psychique ou sorcellerie pure où le sorcier ne fait appel à aucune machination matérielle.

Envoûtement par l’entremise d’objets appartenant à l’ensorcelé.

Gutegera umuntu inkoko, faire l’ensorcellement par le poussin, consiste à récolter un peu de salive expectorée par la victime envisagée et à l’introduire dans le bec d’un poussin que l’on égorge ensuite. Après l’introduction de la salive, le sorcier parle au poussin et lui demande, contrairement à ce qui se passe dans la bonne magie concernant la divination par aruspicine, de révéler des entrailles défavorables, « noires ».

Dans le cas présent, ce n’est évidemment pas à la couleur noire proprement dite qu’il est fait allusion, mais cet adjectif est ici synonyme de sorts défavorables, comme nous disons : « J’ai des idées noires ; je suis plongé » dans une misère noire ; je broie du noir ». Le poussin est alors dépecé selon le rituel propre à l’aruspicine ; s’il révèle des sorts défavorables, ses entrailles sont jetées et enterrées dans l’enclos de la victime, au milieu d’imprécations murmurées à voix basse. On est convaincu que l’ensorcelé mourra sous peu, presque inopinément.

Une autre modalité de l’ensorcellement consiste à se procurer une poignée de cheveux, des bracelets, des anneaux de jambe ou tout simplement des herbes jonchant la hutte d’une femme mariée, de les nouer et d’en faire un coussinet (ingata) pour que la femme devienne stérile comme si elle était nouée sur elle-même. Ce procédé porte différentes appellations : kumanikira undi ngo atabyara : nouer, suspendre la fécondité — kubanga ingata : ensorceler le coussinet — kuzingira amasunzu : enrouler les cheveux.

Afin d’essayer de faire réintégrer la hutte conjugale à son épouse infidèle, le mari confectionne un coussinet à l’aide d’herbe uruburamajyo (de kubura kujya : n’avoir pas où aller), au sein duquel il verse du beurre ou de l’huile de ricin ayant été au contact de sa femme ; il formule alors quelques imprécations contre cette dernière. Le coussinet est ensuite caché sous une pierre et changé de place de mois en mois ; on est convaincu que par analogie, l’épouse sera également obligée de changer de camp.

Pour se venger d’un voleur, on recherche l’empreinte de son gros orteil et l’on y dépose une poudre maléfique, puis une feuille que l’on coupe en deux, tout en disant : « Que ton orteil soit coupé, que tu tombes, que tu boites, que tu meures ».

Afin de supprimer la fertilité d’un champ, on va prendre un peu de terre de ce champ et on la dépose dans sa propriété personnelle ; comme dans les vases communicants, on est convaincu que la fécondité de l’un passera à l’autre, à condition que l’on ait prononcé les paroles comminatoires requises.

Mais l’envoûtement n’atteint pas seulement les vivants et leurs biens ; il peut également porter sur les esprits des défunts. De nuit, le sorcier s’approche de la tombe et frappe le sol à l’aide d’une certaine racine, en ordonnant au mort : « Vyuka, vyuka : Lève-toi, lève-toi ». Le trépassé se lève, dit-on, et apparaît au sorcier qui le questionne : « Dis, est-ce que tu fais encore le difficile ? »

Dès qu’il entend la réponse, le sorcier assomme l’esprit» en frappant à nouveau le sol à l’aide de la racine, le supprimant pour de bon. On prétend même que certains sorciers mangent des lambeaux de chair du cadavre afin de s’immuniser contre lui, et que ce serait parfois toute une bande de maléficiers qui se réunissent pour accomplir semblable sabbat.

Envoûtement par l’entremise d’objets appartenant au sorcier.

Les baheretsi (de guhereka : tendre un piège) et les bakagizi (de gukagira : empêcher) posent des pièges magiques au milieu des champs et des bananeraies, tout en énonçant des paroles imprécatoires à l’adresse des maraudeurs éventuels. Ces pièges portent les noms d’urukagiro, uruheko, urutsiro ou ikinanira, ayant le sens d’empêchement, de barrage, d’obstacle. Ils se composent d’objets appartenant au propriétaire du champ : pierre meulière, pierre à aiguiser, spatule de cuisine. On est convaincu que le voleur qui viendrait à s’aventurer dans le champ serait automatiquement ensorcelé, qu’il serait figé sur place, puis malade, et enfin qu’il mourrait.

Les batezi (de gutera : jeter, s.-e. un mauvais sort) disposent, croit-on, du pouvoir d’envoûter par analogie. Le mutezi met son art au profit de ceux qui furent victimes d’un vol. Ces derniers présentent une chèvre en cadeau au mutezi. Après l’avoir dépecée, il s’empare de la vessie et la gonfle d’air, puis il la suspend au plafond.

A ce moment, elle est censée incarner le voleur. Selon que la vessie est plus ou moins fortement frappée, le voleur souffrira plus ou moins fort de son côté ; la vessie est-elle transpercée d’un coup de couteau, s’affaisse-t-elle par terre, c’en est fait de la vie du coupable. Si dans le voisinage, un décès vient à se produire subitement et que le défunt présente un ventre gonflé immédiatement après, il n’y a plus de doute, c’était bien lui le coupable.

Une autre méthode d’envoûtement s’intitule kubang’ umuheto : bander l’arc. Le sorcier se procure un nerf sur un cadavre humain et une lamelle de bois prélevée sur une tombe. A l’aide de ces objets, il confectionne un petit arc qu’il dépose dans un fossé creusé au travers du sentier qu’emprunte habituellement la personne envisagée. Le petit arc est adroitement dissimulé sous des herbes et de la terre. Dès que la personne passe au-dessus de l’arc, le sorcier qui s’est caché à distance, s’écrie : « Fatzva = Sois pris ». On est convaincu que le malheureux sera aussitôt saisi de violentes crampes d’estomac mettant sa vie directement en péril.

Les bacuraguzi (de gucuragura : accomplir une danse macabre) viennent effectuer, de nuit, une danse dans l’enclos de leur ennemi. A cette occasion, ils sont simplement vêtus d’une vieille natte et tiennent en main un tibia humain. Ils apportent une cruche contenant du charbon de bois incandescent ; celui-ci symbolise la vie à éteindre. Après avoir brisé cette cruche et éteint le feu, le mucuraguzi jette, sur la hutte de sa victime, une poignée de terre prélevée sur une tombe, et prononce cette imprécation : « Sinshaka ibishyimbo byawe, icyo nshaka ni amagara yawe = Ce ne sont pas tes haricots que je désire, ce que je veux, c’est ta force (s.-e. ta vie) ».

D’autres sorciers se servent d’une corne de bouc dans laquelle ils placent des ingrédients d’odeur, de couleur et d’aspect répugnants : fiente d’oiseau, excréments de chèvre, peaux de crapaud, cendres diverses, bleu de lessive, des os et des lambeaux de chair prélevés sur les cadavres humains. Tout en énonçant des malédictions, il leur suffit de répandre cette poudre autour des enclos, dans les huttes ou sous le lit de leur ennemi pour que celui-ci en meure bientôt. En 1942, on nous amena à Shangugu l’un de ces sorciers qui opérait à Bukavu. Convaincu que son mélange n’était que parfaite supercherie, nous l’avons obligé à l’avaler lui-même. Une bonne centaine de curieux suivaient la scène des yeux ; les visages reflétaient la plus grande anxiété, les traits étaient crispés, tendus à l’extrême, car ces indigènes croyant à la valeur nocive du mélange, étaient convaincus que le sorcier en mourrait sur le champ. Mais celui-ci absorba sa mixture avec un large sourire, la mort ne se produisit pas et sa santé n’en fut nullement altérée. Nous profitâmes de l’occasion pour faire l’éducation du peuple en lui dénonçant la parfaite inefficacité objective de la sorcellerie. Ce furent ensuite des cris de mépris et un fou-rire général à l’adresse du soi-disant sorcier.

Pour empêcher magiquement une jeune fille de se marier, il faut déposer, à la croisée de deux sentiers, des graines de courge, les unes de courge amère, les autres de courge douce ; on laisse une distance entre elles, et on dit : « La jeune fille N… ne se mariera que lorsque ces graines se rencontreront ».

Au Ndorwa (Ruanda) existent des sorciers qui possèdent, dit-on, le pouvoir de provoquer une invasion de serpents et de lézards dans les habitations. Ils agissent d’abord en qualité de magiciens-détectives et ensuite comme sorciers. Dans l’exercice de leur rôle de magiciens, ils se coiffent d’une lanière de peau ornée de perles et de cauris ; ils endossent une peau de chacal ou de chien, et se couvrent d’une vieille natte.

Ils agitent sans cesse un charme bruyant urunyege se composant d’une branche à trois tiges dont chacune est pourvue d’une petite courge emplie de grains noirs et de clochettes, tandis qu’une couronne d’herbes tressées surmonte le tout. Ils tiennent encore en main une corne magique. Il s’agit en l’occurrence d’une corne de vache dont l’ouverture est recouverte d’un lambeau de peau pourvue en son centre d’un petit trou par où le magicien interroge un esprit supraterrestre imandwa, et par lequel il lui donne à « manger » de la viande et du sang de chèvre. Arrivé à la demeure de la victime, le sorcier s’agite nerveusement ; tout son corps entre en transes ; il questionne sa corne et ne cesse de faire tinter son urunyege ; la corne finit par lui confier s’il s’agit d’un voleur. Après avoir été comblé de cadeaux, le magicien se mue en sorcier et envoie ses serpents et lézards envahir l’habitation du présumé malfaiteur. Celui-ci se rend compte, après quelques jours, de l’invasion maléfique dont il est l’objet, et conclut à l’envoûtement. Rien d’étonnant dès lors que sa femme tombe malade ainsi que ses enfants, que son bétail dépérisse et que lui-même finisse par mourir, à moins que s’étant rendu chez un devin, il n’apprenne les soupçons qui pèsent sur lui et consente, pour être délié de l’envoûtement, à offrir des dédommagements pour le vol commis. Le R. P. PAUWELS décrivit l’état dans lequel il rencontra un ensorcelé à Tovu, au Ndorwa, en ces termes : «Je l’ai trouvé assis devant sa case, dans un état de prostration et de dénuement extrême ; il avait perdu successivement ses enfants et tout son petit bétail ; sa femme, pour échapper à la mort, avait fui ; sa hutte tombait en ruines ; de tous côtés circulaient des lézards que » les gens disaient envoyés par le sorcier ». Pour ensorceler un champ, il suffit d’y traîner la corde dont fut entouré un cadavre.

En Urundi, forcé de quitter son champ, un paysan ne manquera pas d’en emporter magiquement la fertilité. Le rituel déployé à cette occasion est mimétique : le fermier évincé dépose de la bouse de vache dans une peau de veau qu’il entoure de cordes servant habituellement à entraver les pattes arrière des vaches lors de la traite ; il en frappe le sol de son champ en s’écriant : »Vyuka tugende : Lève-toi, allons nous-en ».

On raconte que le mwami RWABUGIRI, ayant surpris l’une de ses femmes, NYAMBIBI, occupée à manipuler des charmes, et présumant qu’elle tramait un acte de sorcellerie contre lui, la fit tuer aussitôt, ainsi que le nommé SENGANO de qui elle les avait reçus. Il parait que NYAMBIBI voulait tout simplement reconquérir les faveurs royales.

A l’heure actuelle, dans toute la partie occidentale du Ruanda notamment, on croit fermement que l’on peut faire mourir une personne en l’envoûtant par l’entremise de la filière akadigi. Ce petit instrument en fer forgé, long d’une dizaine de centimètres, possède en son centre une partie renflée au sein de laquelle se trouve un trou minuscule au travers duquel l’on étire facilement le fil de laiton. Préalablement à l’emploi magique de la filière, on en obstrue le trou. Il suffit alors de la mettre au contact de la bière ou des aliments de la personne à envoûter ; on est convaincu qu’elle mourra infailliblement d’hydropisie (ascite) urushwima. On se trouve à nouveau ici en présence d’une application de la loi d’analogie : l’envoûté présentera un ventre gonflé comme le renflement de la filière et, à l’exemple du trou de cet instrument, son urètre s’obstruera. Le simple fait qu’un conjoint découvre semblable filière dissimulée dans la hutte à son insu, constitue irrémédiablement une cause de séparation de corps, sinon de divorce. Dans l’après-midi du 25 décembre 1951, une chrétienne de Nyundo fut noyée dans la Sebeya, avec l’enfant qu’elle portait sur le dos, par les frères de son mari qui venait de mourir d’hydropisie ; leurs soupçons d’envoûtement s’étaient portés directement sur la veuve.

En 1894, le comte VON GâTZEN, tandis qu’il campait à Byahi (Kisenyi), fut l’objet d’une attaque armée dirigée par le chef mututsi BISANGWA. Préalablement à la manœuvre, on lança dans la direction de l’explorateur des fruits ensorcelés du buisson épineux intobo.

En 1896, les Banyarwanda attribuèrent leur échec à Shangi (Shangugu) contre la colonne du lieutenant belge SANDRART, au fait que les magiciens adjoints aux troupes indigènes de combat avaient omis de décocher dans les rangs de l’adversaire, une flèche pourvue d’une plume ensorcelée de la pintade inkanga possédant le pouvoir d’annihiler magiquement les forces de l’ennemi (de gukanga = faire peur, effaroucher, dresser un obstacle).

Tandis qu’il était résident de l’Urundi, M. le gouverneur général honoraire P. RYCKMANS reçut la plainte d’un chef qui se prétendait envoûté par l’entremise d’un objet trouvé chez lui. Voici comment l’auteur nous narre l’incident : «Je fais déballer à l’air, sur l’herbe ; c’était une énorme coquille d’escargot, pleine d’une pâte noirâtre et puante. Le parfum révélait une base de beurre indigène ranci, complété sans doute par les ingrédients traditionnels : peaux de lézard, excréments divers, yeux de grenouille séchés et pilés et autres horreurs du même genre. Voilà, me dit le chef ému, ce qu’on a ramassé dans l’arrière-cour de mon kraal. Heureusement qu’on avait découvert la coquille d’escargot avant que le sortilège eût le temps d’agir. Le chef était certain d’avoir échappé à un péril aussi grave que la tentative d’empoisonnement, et à un péril du même ordre, exactement. Pour désigner le poison mortel, et le fétide mais inoffensif mélange, il n’avait qu’un mot : burozi ».

Envoûtement psychique ou sorcellerie.

Ce mode d’ensorcellement ne met en œuvre aucun rite, aucun moyen matériel, aucun enchantement et n’utilise aucune drogue. L’acte de sorcellerie est, dans le cas présent, purement psychique, il se produit, dit-on, à distance. Il est encore un signe de la toute-puissance que le primitif accorde à l’idée et à la volonté. La sorcellerie est une offense imaginaire parce qu’impossible. Un sorcier ne peut accomplir ce qu’on suppose qu’il fait, c’est-à-dire lancer de mauvais sorts. Les sorciers souffrent de l’obsession que leur cause la pensée d’avoir la capacité de nuire à autrui en lui voulant du mal.

L’une des modalités de la sorcellerie au centre du Ruanda-Urundi, s’intitule kuroga ihembe (envoûter par la corne ; en réalité aucune corne n’intervient en l’occurrence) ; c’est un sortilège qui affecte la forme d’un serpent après avoir été détecté et expulsé de l’ensorcelé. On ne précise pas à quel animal appartient la corne en question ; on croit simplement qu’elle pénètre dans le corps de la victime et y provoque des désordres mortels s’ils ne sont pas combattus à temps par le recours à la bonne magie. Quelques exemples récents éclairciront mieux cette modalité.

A Save (Astrida), en 1947, le nommé MPYISI, mari de NYIRANGENDO, partit au travail dans les mines et se mit à courir les femmes. Par la suite, NYIRANGENDO, pratiquement délaissée, dépérit peu à peu. Elle finit par vomir du sang ; elle se roulait par terre en proie à de violents spasmes de l’estomac, et elle faisait ses besoins sur place. NYIRANGENDO allait sans doute mourir lorsque ses parents firent appel à un magicien spécialiste en la matière : umumenyi, un savant (de kumenya : savoir, connaître). Celui-ci donna à boire à la patiente des remèdes magiques à base d’herbes dont il tenait le secret ; il brûla sous son nez d’autres herbes et des poils d’animal dégageant une odeur repoussante, tout en ordonnant au mauvais sort : « Va mo, sohoka, tubwire uwo uriwe : Va-t-en, sors, dis-nous qui tu es ». Les indigènes demeurent convaincus que plus la médication employée est énergique, plus vite se révèle l’esprit ensorceleur. Dans le cas présent, notre informateur nous assure qu’on entendit distinctement une voix provenant de l’intérieur du corps de NYIRANGENDO, disant : «Je suis envoyé par MPYISI pour vous tuer, mais je constate que vous avez fait appel à un magicien, aussi je m’en vais ». Le magicien fit alors déposer à terre des substances de nature à attirer l’esprit : tabac et bière. Puis l’on vit rôder un petit serpent dans les environs de l’enclos : c’était l’incarnation du sortilège s’enfuyant vers les champs.

A Save, en 1952, un cultivateur nommé SEMABUKA vomissait du sang ; il tremblait à tel point qu’il tombait par terre ; il ne mangeait plus et faisait ses besoins d’une manière incoercible. Son entourage était convaincu que si ses douleurs persistaient encore un ou deux jours, c’en était fini de ses jours. On estima qu’il était envoûté et on fit appel à l’umumenyi qui fit absorber des remèdes par voie buccale et aspirer de la fumée exorciste. Enfin le mauvais esprit se révéla et déclara : «Je suis envoyé par SEMPABUKA avec qui vous avez eu des contestations au sujet des limites d’un champ ; je suis venu pour vous tuer ; mais puisque je suis découvert, je m’en retourne chez SEMPABUKA ». On déposa alors du tabac et de la bière, par terre, à l’intention du mauvais esprit et l’on aperçut bientôt, dans les environs, un petit serpent disparaissant vers la brousse. Quant à la santé de SEMABUKA, elle fut rétablie sur l’heure.

A Save toujours, en 1952, la fille de SEMPABUKA précité, fut prise à son tour d’agitations, de vomissements de sang ; elle sautait en l’air et faisait ses besoins partout. SEMPABUKA fit appel à l’exorciseur de Nkubi, mais trop tard ; son enfant décéda. L’inimitié entre SEMABUKA et SEMPABUKA s’aggrava à tel point que le second incendia la hutte du premier, convaincu qu’il était que SEMABUKA était l’auteur moral de la mort de sa fille par envoûtement. Nous trouvons-nous en présence d’une maladie à symptômes nettement caractéristiques ou bien des résultats de l’autosuggestion ? Nous ne disposons d’aucun élément objectif pour répondre à ces questions, les cas précités n’ayant pas été portés à la connaissance des autorités médicales européennes cependant toutes proches. Ceci prouve à quel point les autochtones étaient intimement convaincus d’être l’objet d’ensorcellement, alors que Save comporte la première mission catholique créée au Ruanda il y a plus de cinquante ans par les Pères Blancs.

Les indigènes croient au gitega (de gutega : tendre un piège), autre modalité d’ensorcellement psychique. Ils pensent que celle-ci s’amène sous forme de vent, mais sous l’impulsion d’un esprit humain maléfique. Son arrivée est annoncée par les craquements sinistres des piliers de la hutte lors des ouragans. Aussi, voyant venir un orage, le Murundi pointe-t-il sa lance dans la direction du vent et le menace : « Ntuce kuri, songore : Ne passe pas sur le tranchant ». On retrouve ici un usage des armes en magie défensive. Le gitega rend les gens malades et cause fréquemment leur mort ; les indigènes en ont une frayeur extrême. C’est un peu ce que les Anciens appelaient les démons des éléments (PLATON), les élémentaux (PARACLITE), les démons dont la nature est pleine (HÉRACLITE), esprits élémentaires sans être individualisés, qui remplissent l’atmosphère et sont en quelque sorte les âmes des éléments (SCHURE).

Certains magiciens prétendent avoir le pouvoir non seulement de localiser, mais encore de capturer le gitega; ils s’intitulent bateguza (de gutegura : enlever) et banyagitega (ceux du gitega). Bien peu de magiciens possèdent ce pouvoir, aussi se font-ils rémunérer grassement. En principe, il faut d’abord qu’un devin ordinaire ait déclaré que l’ensorcellement était dû au gitega ; il conseille ensuite à son client de se rendre auprès du magicien spécialiste en la matière. Ce dernier, revêtant la coiffure de fourrure intutu, se démène, crie, hurle, invective. Il asperge d’eau lustrale la hutte et ses occupants, puis il se jette par terre en proie à des convulsions et prie l’esprit tutélaire des magiciens, Sabuhemba, de venir à son secours. Bien souvent il désigne un bouc de l’ensorcelé comme étant porteur du gitega; il faut que ce soit un bouc possédant un toupet de poils entre les cornes.

Il se le fait envoyer dans son propre troupeau. Les services du spécialiste sont rémunérés par de nombreux cadeaux : vaches, hydromel, bière, vivres, argent qu’il a soin de déclarer ensorcelés par le gitega. Le magicien remet aux occupants de la hutte un talisman constitué par une houe en fer et par une médication magique. Au Moso, le gitega est censé avoir une femme, Nyabuleza, qui ensorcelle également ses victimes. On l’honore en lui sacrifiant une chèvre.

Dans la nomenclature des envoûtements psychiques, citons pour mémoire, car ils appartiennent maintenant à des temps révolus, le cas des bahenyi, exorciseurs officiels qui étaient envoyés au-devant de l’ennemi lors des guerres et, lui tournant le dos, lançaient des mauvaises odeurs dans sa direction tout en prononçant des formules imprécatoires On était convaincu que grâce à leurs manœuvres, l’ennemi serait gravement handicapé dans ses mouvements assaillants.

Les bakenyi (de gukena : maudire) énoncent des imprécations contre ceux qu’ils veulent envoûter, lancent des menaces de mort, de maladie et de destruction. On prétend que l’ensorcelé voit alors fondre sur lui, les siens et son bétail, tous les maux dont il a été menacé.

Les sorciers bahoryo prétendent avoir la faculté d’envoyer des mauvais sorts sur les cultures en provoquant l’invasion d’insectes et d’oiseaux déprédateurs. Chez les Bahororo du Ndorwa (Ruanda), se rencontrent des sorciers qui, croit-on, ont le pouvoir d’invoquer des divinités locales imandwa dans le but d’aller frapper de malheur un ennemi envisagé. Dans ce cas, l’imandwa porte le nom spécial de muta go; il signalerait sa présence à l’ensorcelé en criant d’une manière violente, de nuit, près de sa hutte. L’ensorcelé, saisi de la plus noire épouvante, va immédiatement consulter un devin exorciseur. En Urundi, certains sorciers ont la réputation de s’adresser directement à l’esprit divinisé KIRANGA pour lancer leurs sortilèges. Quelques sorciers ordonnent, dit-on, à la foudre d’aller frapper telle ou telle personne. E. Magie noire involontaire. Cette variété de la magie noire relève de la transgression des tabous par inadvertance ; elle porte aussi bien sur les personnes que sur les animaux et les biens.

Ceux qui assistèrent au décès d’une personne constituent un danger pour la société : ils devront observer des rites de réclusion et de purification.

La femme réglée ne peut boire par mégarde du lait de vache, car celle-ci donnerait du sang au lieu de lait, puis crèverait.

Sous peine qu’il leur arrive malheur, le mari ne peut enjamber par mégarde la ceinture de sa femme, ni le hamac de son bébé. Il ne peut creuser une tombe si sa femme est enceinte, faute de quoi elle succomberait lors de l’accouchement ou avorterait.

Sous peine qu’il arrive malheur à son mari, la femme ne peut l’enjamber.

Une femme réglée ne peut entrer dans une hutte où l’on allaite un bébé : celui-ci contracterait une maladie dont il mourrait peut-être, même si la femme avait complètement perdu de vue l’état d’indisposition dans lequel elle se trouvait.

Le père du bébé dont les dents n’ont pas encore poussé ne peut prendre une nouvelle épouse sans faire courir le risque à son enfant de contracter une maladie de la peau amahumane, bien qu’il n’éprouve aucune mauvaise intention à l’égard de son enfant.

Au cours des guerres, des enfants monstres ibimara, et des filles aux seins non développés, impenebere, étaient envoyés au-devant des troupes : on était convaincu que tombant les premiers, leur sang aurait le pouvoir d’envoûter l’ennemi à tel point que la défaite de celui-ci serait certaine. On se trouve ici en présence d’un cas parfait de magie noire involontaire de la part de l’agent employé.

Force occulte nocive du regard.

Au Ruanda-Urundi, lors de la traite des vaches du mwami, tout le monde devait s’éclipser à l’exception des trayeurs et de leur chef. Ils recueillaient soigneusement le lait et, une fois le pot rempli, ils le recouvraient immédiatement avant de le transporter sur l’étagère du roi, uniquement réservée à lui, et cachée aux yeux de tous. De même, la fabrication du beurre destiné au souverain se pratiquait loin des yeux des profanes.

Les repas, dans ce pays, se prennent toujours strictement à l’écart de tout spectateur, afin que nul œil malin ne puisse venir envoûter la nourriture du mangeur. Le paysan qui bat des haricots en gousses s’arrange de façon que personne ne vienne au-dessus de son aire pendant qu’il est occupé à ce travail. Il était interdit aux sacrificateurs de taurillons et de béliers de divination, d’opérer leur art aux yeux du public. Au sujet de la lune rousse, on dit en Urundi, en parlant de ceux qui éprouvent du malheur quand elle apparaît : « Ukwezi kuramusemye, kuramubonekeye nabi : La lune lui a été défavorable ; elle l’a regardé d’un mauvais œil ». Au Ruanda, les premiers Pères Blancs qui vinrent à Nyanza le 2 février 1900, saluer le mwami, ne purent voir ni celui-ci ni sa mère, ni son oncle maternel KABARE. Un Mututsi du nom de MPAMARUGAMBA se présenta à eux comme étant le roi. Pour avoir désigné la reine-mère NYIRAYUHI aux regards du R. P. BRARD, le conservateur du code ésotérique royal KAYIJUKA eut les yeux brûlés. C’est également la crainte du mauvais œil se posant sur les parties essentielles à la vie qui, outre les conditions climatiques, amena l’homme à se vêtir. Dans certaines tribus primitives, le vêtement se réduit parfois à un simple cache-sexe ou à un étui phallique, comme chez les Souguis. Au Ruanda-Urundi, le port de vêtements n’a lieu qu’à la puberté ; jusque là, les enfants peuvent courir entièrement nus ; or, si l’on voulait arguer d’un sentiment de pudeur, c’est bien au jeune âge qu’il conviendrait de l’inculquer.

Certains groupes sont porteurs du mauvais œil congénitalement. Au Ruanda, on cite les Bahozi, les Bungura, les Bashingo, les Basita, les Bahanyi, les Bayiruntu, et les Bgwitira, « baterumwaku » : ils portent malheur. On ne peut prononcer le nom de ces groupes sans s’entourer des précautions d’ordre magique : il faut avoir bu ou mangé quelque chose au matin si l’on veut éviter la malchance durant tout le reste de la journée ; en outre, il faut avoir prononcé le nom d’autres groupes ne portant pas malheur. Pour avoir omis de s’entourer de ces précautions, des serviteurs encouraient la disgrâce de leur maître, ou bien étaient regardés eux-mêmes avec méfiance. Si des chasseurs croisaient sur leur route un Mwitira par exemple, ils devraient rebrousser chemin et, en tous cas, ne pas lui adresser la parole. Passer outre à ces interdictions, serait s’exposer à revenir bredouille ou même à risquer de subir de graves accidents au cours de la chasse. Si un membre des groupes précités posait les yeux sur un complexe magique de fécondité agricole iremo, il en détruirait immédiatement tout le pouvoir et le complexe ne serait plus bon qu’a être jeté ; il ne peut non plus poser son regard sur les greniers à vivres ni sur les champs récemment ensemencés. Il ne faut pas s’imaginer que ce sont là des conceptions ressortissant à des temps désormais révolus, au contraire, les indigènes les ont étendues aux Européens. Récemment X… avait pris une « ménagère » umushingo ; tant qu’il fut avec elle il connut des malheurs : il perdit son père, son chien fut renversé par une voiture et eut la patte cassée ; il eut des ennuis avec l’Administration ; ses enfants furent malades. Ses malheurs ne cessèrent qu’après la répudiation de la ménagère umushingo. En fait, les indigènes des clans au « mauvais œil » ne trouvent jamais à se marier en dehors de ces clans : si un étranger épousait une femme de ces groupes, il verrait ses biens disparaître, ses vaches crever, ses enfants tomber malades, ses champs se stériliser et ses récoltes s’amenuiser.

Force occulte nocive de la louange.

Allant de pair avec le regard lui-même, la louange, surtout exagérée, a les mêmes effets. Vanter les qualités de la beauté d’un enfant attire sur lui le malheur. On conjure l’effet par quelques souhaits péjoratifs conventionnels. BLACKMAN cite des cas du genre pour les enfants et les chameaux chez les Fellahs d’Égypte. La louange sous un aspect fascinateur et charmeur, est censée dissimuler bien souvent des vœux maléfiques.

Au Ruanda-Urundi, c’est un rite à la naissance, pour une mère, que d’insulter son enfant. Par la suite, on donnera à celui-ci un mauvais nom : Semabyi (le merdeux), etc., de nature à détourner de lui les esprits malins.

Si une passante a dit au bébé : « Que tu es mignon, un amour d’enfant » pour faire plaisir à la maman et pour provoquer par un geste cajoleur le sourire de l’enfant, elle sera accusée d’ensorcellement si par après l’enfant est tombé malade et surtout si la mort est survenue. Elle paiera son imprudence par toutes sortes de misères, parfois par la mort. On ne peut se vanter d’avoir de la chance, de posséder de nombreux biens et de connaître d’excellentes récoltes, car toute manifestation de contentement que l’on exprimerait risquerait de causer de sérieux revers de fortune ; la plus grande réserve s’impose en vue de s’éviter des sorts néfastes : ici également la roche Tarpéienne est proche du Capitole. Bien que ce soit un événement heureux, il ne convient pas, au RuandaUrundi, que le propriétaire d’une chèvre se réjouisse lorsqu’elle a mis bas, car il croirait ne jamais devenir détenteur de gros bétail.

Force occulte nocive du nombre sept et du dénombrement.

Nous avons vu précédemment que le nombre sept porte en lui une influence néfaste et qu’il faut se munir d’un charme en fer dès qu’on doit le franchir, qu’il s’agisse d’une femme ayant accouché de son septième enfant, d’une vache qui vêle son septième veau, du chien de chasse qui attrape sa septième bête d’une même espèce à la chasse, du guerrier qui abattait son septième ennemi.

Nous avons vu également que les jours impairs portent malheur ; les relevailles notamment n’ont lieu qu’un jour pair après l’accouchement.

Enfin, il n’est pas d’usage de dénombrer ses enfants, spécialement les tout petits, ni son bétail, ni ses biens, car cela porterait malheur et risquerait de faire disparaître les personnes, les animaux ou les objets  énumérés.

Cette crainte du dénombrement d’une part et l’interdiction de prononcer le nom des défunts d’autre part, nous font comprendre avec quelles réserves il convient d’accueillir les résultats des enquêtes démographiques actuelles, basées uniquement sur des déclarations d’indigènes, effectuées a posteriori, et non sur les données certaines d’un état civil valable.

Force occulte nocive des naissances gémellaires.

La naissance de jumeaux est diversement interprétée en Afrique noire. En Haute-Volta, les jumeaux sont les bienvenus partout ; dans le Haut-Niger par contre ils représentent l’émanation malfaisante des mauvais esprits ; chez les Damaras de l’Afrique du Sud, on ignore l’horreur pour les jumeaux ; mais chez les Bochimans, on pratiquait le meurtre des jumeaux ou de l’un d’entre eux, eu égard à la croyance qu’ils portent malheur.

Au Ruanda-Urundi, les jumeaux de même sexe, impanga, sont les bienvenus ; par contre ceux de sexes différents, imbagurane ou amahasha, constituent une véritable calamité et jadis on tuait l’un d’eux, de préférence le garçon, parce qu’il portait malheur, croyait-on, à la famille de son père et à celle des voisins. Chez les vaches, en cas de vêlement jumelé, les deux veaux sont conservés s’ils sont de même sexe ; par contre, s’ils forment un couple de sexes différents, on tue la femelle. Seule la famille possédant la vache mère de jumeaux, peut en boire le lait, sinon on exposerait la bête à tarir et au gonflement du pis (gusangura). A la mort de la vache, il est absolument interdit d’en manger la chair hors de l’enclos du propriétaire.