1. Les pointes et les armes.

L’idée qui préside à l’emploi des pointes, et subsidiairement des armes en magie, dérive de la transposition dans le domaine des esprits de la propriété qu’elles ont de faire mal aux êtres vivants.

Les pointes, tout spécialement, auront le pouvoir de chasser les mauvais esprits. A titre d’exemple, le trône des rois d’Assyrie reposait sur des pieds en forme de pommes de cèdre ou de pin dirigées vers le sol par leur pointe. La tiare des rois d’Assyrie était surmontée d’une pointe plus ou moins haute, à titre de protection. En 1914, les militaires allemands portaient un casque à pointe, d’ailleurs encore employé à l’heure actuelle dans certaines armées bien que sa signification première soit méconnue. Les pointes servant de breloques, les doigts projetés en avant pour conjurer le mauvais œil, attestent la confiance que l’on met dans leur pouvoir.

En Mésopotamie, on retrouva des pointes en cuivre, en bronze ou simplement en terre cuite, dans les fondations, ou enfoncées dans les édifices. En Égypte, les pyramides sont des tombeaux piquant leur pointe vers le ciel.

On retrouve fréquemment l’usage des pointes au Ruanda-Urundi notamment dans les amulettes qui sont d’ailleurs souvent de petites cornes.

Chaque hutte est pourvue d’une pointe agasongero, plantée au faîte, dirigée vers le ciel, et indépendante du pilier central. Les huttes des Batutsi comportent trois pointes : une au sommet, les autres au-dessus de l’entrée. On retrouve ces pointes au-dessus des greniers à vivres, des cabinets et même des porcheries. Le fait pour un chef d’enlever la flèche surmontant le toit était un signe symbolique signifiant à l’occupant qu’il était banni du pays : il avait ainsi perdu toute protection.

Lors de la mort du mwami, cette pointe était enlevée du toit de son habitation, cette opération fut exécutée en 1931 à la déposition du mwami MUSINGA, lors de son départ en relégation.

Si de l’intérieur de la hutte on voit, suite à la dégradation de celle-ci, la pointe qui la surmonte, c’est que l’on mourra bientôt, a fortiori si l’agasongero tombe fortuitement à l’intérieur de l’habitation ; si cette pointe en s’affaissant apparaît sous le toit, c’est que la maîtresse de céans mourra sous peu, et il faut s’empresser d’enlever ce charme qui n’est plus qu’un portemalheur. On ne peut jeter cette pointe au feu sinon il faudrait abandonner la hutte.

Tous les paniers destinés à contenir des vivres possèdent un couvercle terminé en pointe.

Les femmes du mwami du Ruanda portaient sur la tête deux fines cornes amahembe, parfois des espèces de fourchettes en cuivre amashyoro à deux ou quatre branches, ou des bâtonnets ubusasa. Les prêtres de RYANGOMBE portent sur la tête une pointe constituée d’une queue de mangouste, de putois ou de lièvre.

Les hommes, même sur le seuil de leur hutte, portaient en main une lance pourvue d’un fer pointu à la base ; parfois c’était un simple bâton ikibando muni, vers le bas, d’une pointe ferrée sans utilité pratique apparente.

Le bouclier ingabo est pourvu en son centre d’une grosse pointe icondo, dirigée vers l’ennemi, sans utilité pratique.

Les pagnes, notamment ceux des danseurs, sont composés d’une peau longuement effilochée de haut en bas.

Le sceptre du mwami est pourvu d’une pointe ferrée à sa base.

Dans le culte et l’initiation de RYANGOMBE- KIRANGA, le prêtre doit se munir d’une lance à deux bouts ferrés, ou d’un glaive pointu.

Les cérémonies de l’initiation à RYANGOMBE-KIRANGA se déroulent sous un arbre à épines, l’umuko (ou umulinzi, de kurinda : monter la garde, s.-e. contre les mauvais esprits).

Pendant les danses rituelles, on lance les doigts en l’air ou sur les côtés, en forme de pointes. Pour préserver une habitation contre la foudre, le magicien umukingizi, plante des sansevières, des agaves aloès et des roseaux aux pointes acérées. Pendant qu’il tonne, on sort la lance et la serpette en disant : « Ne passe pas sur ce qui est tranchant ».

La corne est considérée soit comme charme offensif, soit comme talisman défensif. En 1942, à Shangugu, on nous amena un indigène ayant une réputation d’envoûteur ; il se trouvait encore en possession d’une corne de bouc contenant une mixture innommable. Mgr GORJU consacra plusieurs pages à l’emploi magique des cornes en Uganda.

Au Bugoyi (T. Kisenyi), les Bahutu Bashobyo détiennent une corne d’antilope contenant des plantes aux vertus magiques. Cette corne est un objet de vénération publique. Elle est sortie pour conjurer la grêle ; on en dirigeait la pointe vers l’ennemi en temps de guerre ; enfin, elle est censée exorciser les personnes envoûtées et malades. Les Bahuma, parents des Bashobyo, détenaient une pointe d’ivoire pourvue, croyait-on, des mêmes vertus que la corne précitée.

Les maudisseurs anoblis abahenyi portaient au cou des fruits de l’arbuste épineux intobo ; le comte VON Götzen fut attaqué à l’aide de ces fruits à Byahi (Kisenyi) en 1894.

En Urundi, on signale l’emploi d’une corne igiheko préservant contre les maléfices des sorciers, corne qu’il suffit de prendre en main lorsqu’on entend des bruits anormaux, la nuit, à l’extérieur de la hutte. Tous les motifs décoratifs des vanneries sont lancéolés.

Les armes jouent un rôle important dans la défense contre les esprits. La femme accouchée doit porter, durant sa période de réclusion, soit une faucille umuhoro, soit un coutelas imbu gita dès qu’elle éprouvait la nécessité de quitter la hutte. Pour se préserver de la foudre, il faut déposer, contre les pierres du foyer, une faucille, le tranchant en l’air.

  1. Les odeurs et les goûts nauséabonds.

On admet que le démon a les mêmes goûts, les mêmes susceptibilités que les êtres vivants, et les substances choisies pour lui faire échec seront désagréables et nauséabondes; c’est ce que les Allemands ont appelé la DreckeApothek. Cette thérapeutique qui fait appel aux amers, aux substances carbonisées, pourries, aux sécrétions et même, aux excréments animaux ou humains, s’est plus ou moins maintenue dans la médecine populaire orientale ( 1 ). Le procédé mis en œuvre relève de l’emploi des antidotes, des contrepoisons : Contraria contrariis curantur.

On a souvent recours, au Ruanda-Urundi, aux odeurs repoussantes dans la composition de charmes défensifs : si elles sont de nature à incommoder les vivants, elles peuvent donc nuire aux esprits.

Pour éloigner les mauvais esprits de la mariée, des initiés au culte de RYANGOMBE-KIRANGA, des prêtres de ce culte, des animaux de divination, on les revêt d’une couronne ou d’un collier d’herbe rampante umwishywa (Momordica foetida) à odeur acre et fétide. La même herbe sert également à ceindre les paniers contenant des cadeaux d’amitié.

Les Batwa chasseurs qui viennent de tuer un éléphant, en enterrent rituellement l’organe viril qui est censé être le siège de l’esprit vindicatif de l’animal dont ils implorent alors la clémence ; à cette occasion, ils adornent l’organe de guirlandes d’umwishywa et de la cucurbitacée amère umutanga.

Les prêtres de RYANGOMBE-KIRANGA portent sur la tête une queue de mangouste igiharango à odeur répugnante. Dans le culte et dans l’initiation à ce culte, on emploie constamment, en Urundi, l’umubamba, cucurbitacée dont la graine empeste l’atmosphère dès qu’elle est jetée au feu ; les excréments humains sont fréquemment utilisés pour exorciser les novices et les femmes stériles.

En Urundi, lors de la naissance de jumeaux, la mère porte sur la tête des oignons à forte odeur, tandis que le père prend un bâton d’umubirizi, arbre odoriférant.

Les bahenyi, exorcistes anoblis par les bami du Ruanda, avaient pour mission de lâcher de mauvaises odeurs à la face de l’ennemi auquel ils tournaient préalablement le dos. Des excréments de Batwa sont parfois placés à l’intérieur de charmes défensifs impigi.

Si le Murundi entend des bruits suspects, la nuit, à l’extérieur de sa hutte, « il n’osera pas sortir, mais se  contentera de prendre de l’herbe pourrie, un bout  d’étoffe allumée et jettera le tout dehors, pour que la  fumée nauséabonde chasse le sort ».

Seul le beurre rance était employé comme onguent tant par les hommes que par les femmes, voire sur les cadavres.

Pour éloigner la foudre, on jette dans le feu l’ibamba, fruit de l’umubamba, dont la fumée empeste la hutte.

Au cours de l’initiation au culte de RYANGOMBE, le candidat est l’objet d’un exorcisme interne ; à cette fin, il doit boire de la bière devenue amère au contact de la chair d’une cucurbitacée umutanga, amertume accentuée par un mélange d’urine ; en outre, l’initiateur lui crache une partie de ce liquide au visage. Au Kinyaga, la jeune mère s’administre journellement d’abondantes prises liquides par le nez : l’ikijoka, se composant de tabac et de cendres du foyer que l’on a fait macérer dans l’urine de veau.

Selon la conviction populaire, ces prises répétées constituent une sécurité pour l’enfant et le préservent du malheur. La même médication servait de lavement à la reine-mère et aux grandes dames, notamment pour préserver l’enfant lorsqu’elles étaient enceintes.

Le guerrier qui avait tué son vingt-et-unième ennemi devait, au cours d’une cérémonie où sa lance était brûlée, manger de la courge amère grillée umwungu w’ibamba. La sanie des chairs en putréfaction, les os de serpents, la peau des crapauds morts, des fragments de tibias et des membranes vitellines : imirundi y’abapfuye, ingobyi y’ abana, les crottes de chèvre, les cendres, entrent dans la composition des charmes défensifs ou offensifs.

  1. Les ligatures de vie.

Elles comprennent les bagues, bracelets, colliers, anneaux, ceintures et les couronnes ; elles poursuivent deux buts concordants :

1) Nouer ou lier plus étroitement la vie au corps ; l’échange de bagues dans certaines sociétés, au moment des fiançailles ou du mariage, aura pour résultat de lier deux vies entre elles ;

2) Servir de rempart, de ligne d’arrêt contre les esprits maléfiques, et les mauvais sorts.

En Afrique occidentale, les enfants malingres portent de lourds anneaux et des bracelets s’entrechoquant afin d’écarter les mauvais esprits; les anneaux aux orteils et aux doigts imitant la forme d’un serpent, évitent les morsures de cet animal.

Au Ruanda-Urundi, on porte des anneaux aux pieds ; ils sont fabriqués à l’aide de laiton, de bronze, de fer ou de fibres végétales spécialement pour les femmes ; ce sont les ubutega dont l’étymologie ne laisse aucun doute quant au but poursuivi, ce mot dérivant de gutega: tendre un piège. L’on porte également des bracelets en cuivre imiringa, et des colliers inigi (de huniga, serrer la vie au cou).

La femme enceinte doit porter autour des reins un mince rang de perles ; on est convaincu que si elle négligeait cette précaution, l’enfant qui naîtra mourrait des vers, tandis que la mère contracterait les maladies dont sont affligées les autres femmes qui viendraient boire et manger en sa compagnie.

On met, au cou des bébés, un collier en cuivre urunyereri (de bunyereri : terre glissante) comme charme préventif contre la gale amahumane qu’ils pourraient contracter s’ils étaient approchés d’une femme ayant ses règles.

La mariée, les prêtres de RYANGOMBE-KIRANGA, les animaux de divination sont munis, avant la cérémonie qui les concerne, d’une couronne ou d’un collier d’herbe fétide umwishywa.

La jeune mariée portera au cou un collier muni d’un fruit indibu, symbole de fécondité. Le père et la future mère qui assistent à un enterrement, doivent se ceindre le ventre ne fût-ce que d’un simple rhizome d’herbe. Mère, la femme portera sur la tête une couronne urugore en paille de sorgho, symbole de fécondité, afin de préserver sa propre fécondité.

L’on vit tout récemment un évolué souffrant de violentes céphalées se ceindre la tête d’une corde serrée à l’excès, afin que la vie ne puisse s’en échapper ; pour la même raison, il craignait de se pencher.

Afin d’écarter le mauvais sort de leur bicyclette, on voit à présent des évolués y attacher de petits colliers de perles ; lorsqu’on leur en demande le pourquoi, ils répondent : « Vous placez bien des amulettes dans vos voitures ».

  1. Le rouge et les couleurs sombres.

Puisque le rouge est la couleur du sang dont la perte peut signifier la disparition de toute vie, la vue du rouge suscitera un profond sentiment d’inquiétude. A ce sujet, l’expression « il a vu rouge » a été conservée en français. C’est la couleur d’arrêt ; le rouge est encore utilisé de nos jours pour aviser d’un danger imminent qu’il convient de n’approcher qu’avec précaution ou mieux d’éviter. On utilise des feux rouges à l’arrière des véhicules, des drapelets rouges pour signaler la présence de cantonniers au travail, des fanions rouges pour indiquer les camions chargés d’explosifs, des croix rouges pour les hôpitaux en temps de guerre, etc. En Mésopotamie, le deuil était porté en rouge, couleur terrifiant les démons. Il semble qu’il y ait là non une manifestation conventionnelle de la douleur, mais une méthode de défense contre les esprits, à commencer par celui du défunt. En Assyrie, le deuil était porté en rouge. En Égypte préhistorique et au plateau iranien, on saupoudrait les cadavres d’ocre rouge. Les Israélites répandaient le sang du taureau de sacrifice sur l’autel et sur le peuple (Exode, XXIV, 5). Les morts chez les Watchaga (Kilimandjaro) sont oints de graisse et d’ocre rouge. Les parois de la cavité de la pyramide de Palenque (Mexique) dans laquelle se trouvait le sarcophage d’un souverain Maya, étaient couvertes de peinture rouge vif. Au Basutoland, chez les Bushmen, les morts ont d’abord la tête ointe de poudre rouge mêlée de graisse fondue.

Certaines populations du Congo belge s’enduisent le corps d’une poudre rouge extraite de l’arbre ngula ; le fait pour les Indiens chasseurs d’Amérique de se couvrir de la même couleur, ce qui les fit appeler PeauxRouges, revêtait certainement un but magique.

Les innombrables prescriptions auxquelles les femmes des primitifs sont soumises pendant leurs menstrues sont motivées par la crainte superstitieuse du sang. Au Ruanda-Urundi, le sang des règles (irungu) dont les indigènes ont une peur extrême, passe d’après l’opinion publique pour déterminer un empoisonnement quand on a réussi à le faire absorber à un ennemi en le mélangeant à ses aliments. Ce même sang sert à confectionner des charmes défensifs de toute première valeur (inzaratsi). La femme réglée est considérée comme impure ; s’approchant d’un enfant à la mamelle, qui ne soit le sien, elle pourrait avoir une influence dangereuse sur lui.

Le sang de l’otage, recueilli et déposé en pays ennemi, ne pouvait que porter malheur à celui-ci. Le sang des anormaux, des avortons et des monstres ibimara, le sang impur de la vierge aux seins non développés impenebere, ne pouvait que gêner et paralyser l’adversaire pendant la bataille : aussi plaçait-on ces êtres disgraciés sur le front de combat pour que, atteints les premiers par ses coups, leur sang rejaillît sur lui pour sa perte. En Urundi, on craint la lune rousse ukwezi kwirabura. Le rouge est largement employé pour écarter les esprits maléfiques. Une grande partie des boucliers était peinte en rouge. C’est sous l’érythrine à fleurs rouges que les initiés à RYANGOMBE-KIRANGA s’abritent pour pratiquer leur culte.

Cet arbre est planté auprès des huttes et des tombes à exorciser ou des huttes à construire, à l’entrée du kraal. Une bûche d’érythrine est consumée lentement dans la case mortuaire afin de la purifier, durant toute la période de réclusion consécutive au décès.

Le sang des taurillons de divination de bon augure était répandu sur le tambour Karinga, enseigne du Ruanda.

En Urundi, on enduisait les cheveux ibisagi des jeunes enfants, de beurre amalgamé d’ocre rouge agahama.

L’herbe fétide umwishyzva qui sert à confectionner des colliers et des couronnes bénéfiques, comporte un magnifique fruit rouge.

La couleur du deuil, en Urundi, était le tissu neuf en écorce rouge de ficus battu. Le père de jumeaux portera des épis de sorgho rouge sur son bâton durant la période de réclusion consécutive à la naissance.

On conçoit aisément la raison pour laquelle les tissus rouges et les colliers de perles rouges aient obtenu grand succès dans le pays. Les musiciens batwa souffleurs de corne et batteurs de tambourins qui précèdent les danseurs du mwami sont vêtus de pagnes rouges. La perle rouge isheshe portée sur le ventre par une corde d’umutaba est censée repousser les mauvais sorts et constituer un rempart contre les maladies.

Les couleurs sombres telles le bleu foncé et le noir, symboles des ténèbres inquiétantes hantées par les mauvais esprits et les démons, joueront dans bien des cas, et spécialement dans le deuil, le même rôle que les rouges. La moitié du fer de lance portée par KIRANGA lors des initiations culturelles, devait être peinte en noir.

C’est une perle noire que la jeune fiancée enchâssera dans le charme uruyundo qu’elle portera à la ceinture. Kwirabura (noircir) signifie porter le deuil qui, en principe, est composé de tissus noirs au Ruanda.

On nous signala récemment le cas d’un jeune homme de l’Urundi, relativement évolué, qui se traçait une ligne verticale de cendres noires au milieu du front afin de conserver sa chance.

Il est interdit de boire le lait de la vache roussâtrenoirâtre inyombya: il fait office de poison. C’est grâce à lui que le mwami MIBAMBGE-MUTABAZI put se débarrasser de KIMARI, roi des Barenge au Ruanda.

Lors du pacte de sang entre le postulant au culte de RYANGOMBE et le grand-prêtre, on lui fait boire une décoction d’umwiseke, herbe à feuilles et à fleurettes rouges qui, séchées au soleil, donnent à l’eau une teinte sanguinolente. C’est un puissant exorcisme interne.

  1. Les roches, perles et coquillages.

La croyance en la vertu magique des pierres est à la fois universelle et de tous les temps ; plus elles sont rares, plus elles sont précieuses. Leur emploi en magie semble tenir au fait que, comme à l’égard des métaux, les esprits malins n’oseront pas ou ne tenteront même pas de s’y attaquer, car ils seront repoussés par la solidité et par la couleur du matériau mis en œuvre. Les personnes superstitieuses attribuent à l’opale une influence malfaisante eu égard à sa teinte trouble et changeante qui ne peut engendrer confiance.

Au Ruanda-Urundi, où l’on ignore l’existence des pierres précieuses, on a cependant recours à des roches dures comme les galets de quartz blanc et les pierres meulières en grès bleu. D’une nature relativement semblable aux pierres, les concrétions calcaires telles que perles et coquillages posséderont les mêmes vertus magiques ; toutefois ici, seules les couleurs blanche, rouge et bleue seront recherchées.

Les pierres et leurs similaires constituent en quelque sorte une carapace mettant ceux qui les portent hors d’atteinte des mauvais esprits ; dans cet ordre d’idées, les charmes les plus rares : amasimbi, ibirezi, seront portés sur la poitrine, à la hauteur du cœur.

Le rôle du kaolin blanc pour composer l’eau lustrale se retrouve dans toutes les cérémonies où une purification s’impose de prime abord. Lors de l’ordination à la prêtrise dans le culte de RYANGOMBE, le consécrateur place de la terre ramassée près du feu de purification, dans deux couvercles de paniers juxtaposés qu’il remet au récipiendaire, en disant ces mots : « De même que la terre ne » peut sortir de ces couvercles, de même les sorciers » seront impuissants à te nuire. Va, garde cette terre » et qu’elle te protège ». Religieusement, l’élu reçoit la poussière sacrée qu’il déposera sous son oreiller, afin qu’elle écarte les mauvais sorts de sa demeure.

Dans ce pays, les tambours possèdent, à l’intérieur, une âme umutima, c’est un gros galet dont les caractéristiques constituent un secret connu seulement du roi et du conservateur en chef umwiru mukuru du code ésotérique de la cour, d’où le dicton : akali munda y’ingoma kamenya umwiru na nyirayo : ce qui se trouve au sein du tambour est connu (seulement) du gardien des coutumes et de son possesseur.

En Urundi, on recueille dans le lit des ruisseaux, une petite pierre assez rare et très blanche : nyambiragizu à l’aide de laquelle on fabrique un charme pour être aimé. La femme qui craint d’accoucher avant terme, en cours de route, se place des petits galets ronds en bouche.

Pour se préserver du malheur et obtenir de la nourriture: kuzingira ivyo kurya, ceux qui vont rendre visite à leurs amis prennent une petite pierre en cours de route, la placent sur un coussinet d’herbe et déposent le tout au bord du chemin, de préférence sur une termitière. Avec la lance, ils tracent une ligne sur la terre, en prononçant ces paroles magiques : « Tuzingire ivyokurya dusange bataravirya = Garde-nous de la nourriture, que nous arrivions avant qu’ils l’aient mangée ».

Les nageurs qui doivent traverser une rivière infestée de crocodiles se placent des galets en bouche.

En entrechoquant deux galets pilons intosho, de préférence l’un provenant du Ruanda et l’autre de l’Urundi, on repousse les tentatives d’ensorcellement. Dans le même sens, les Bahuku du mont Huye (Astrida) détiennent un bloc de quartz hyalin qui siège sur un bourrelet de spath dans le kraal d’un membre du clan.

Le bitume que l’on trouve au lac Tanganika constitue le matériau de base des faiseurs de pluie en Urundi ; ils l’intitulent inyama y’inkuba: chair de la foudre ou encore amavyi y’inkuba : excrément de la foudre.

A la fin de la période de réclusion consécutive au mariage, le mari, le frère et la tante paternelle de la mariée, lui font toucher des mains les trois pierres du foyer ; ce rite s’intitule : kumukoza amashiga.

Le charme défensif contre les incendiaires, en Urundi, est constitué par une pierre ibuye ry’umujabu recueillie dans le lit d’un ruisseau et fixée ensuite en terre en dessous du foyer.

La pierre à aiguiser ityazo jouit de propriétés bien curieuses. Placée sous le siège personnel de l’inculpé, elle constituera un obstacle ikinanira qui éloignera de lui les mauvais sorts pendant qu’il se défend à l’audience. Il y a danger de mort à transporter cette pierre dans la demeure d’autrui. On doit sevrer immédiatement l’enfant qui, même accidentellement, a craché sur la pierre à aiguiser. Il est interdit d’enjamber ou de s’asseoir sur cette pierre : son propriétaire pourrait en mourir. Si elle venait à se briser, ses morceaux comme les mauvais sorts dont on chargeait le bouc émissaire de l’Écriture, devraient être jetés dans un endroit désertique en les confiant à un étranger sans qu’il connaisse le contenu du colis qu’il transporte ; à cette fin, on le recouvre de victuailles. Enterrer cette pierre dans un champ que l’on désire protéger, est un moyen puissant, croit-on, pour écarter les voleurs ; la pierre meulière ingasire joue le même rôle.

Signalons enfin l’innombrable usage qui est fait des perles, des coquillages dont les cauris, à l’occasion de la fabrication de charmes tels que bracelets, colliers, anneaux, ceintures, pendentifs, et pour confectionner la gaine protectrice des talismans amamana qui recelaient les entrailles bénéfiques d’animaux de divination. Contre les maux de ventre, on fait avaler quelques perles au malade afin de le guérir.

Le charme igiheko que les femmes enceintes suspendent à leur ceinture, se compose notamment d’un coquillage isimbi blanc et d’une perle rouge ; il doit jouer un rôle protecteur pour la mère et l’enfant qu’elle porte, empêcher l’avortement, faciliter la naissance et protéger la croissance du bébé. Le mwami de l’Urundi portait au cou des charmes ibirezi composés de coquillages. Certaines chansons relatent que des grands chefs plaçaient des pierres sous leur oreiller. Le postulant à l’initiation au culte de RYANGOMBE doit se parer d’un collier de perles blanches. On retrouvait des cauris notamment sur les anneaux encerclant les jambes des grandes dames, et sur le charme inkondo que portaient les enfants.

  1. Les métaux.

C’est le fer qui retiendra particulièrement notre attention au Ruanda-Urundi ; éventuellement, le cuivre peut lui être comparé dans ses propriétés, mais son emploi est relativement restreint étant donné qu’on ne le trouve pas sur place à l’état de minerai. Les indigènes de ce pays ignoraient l’existence des métaux précieux.

Le fer, avant de parvenir à son état définitif d’instrument, doit, en sa qualité de minerai, subir l’épreuve purificatrice et transformatrice du feu : grâce au travail pénible des fondeurs d’abord et des forgerons ensuite qui lui ont communiqué leur force et leur virilité, il devient un métal tout désigné pour l’accomplissement de besognes où se déploiera l’activité souvent destructrice des hommes. Chez les anciens Romains, le dieu du feu et du métal était évidemment un homme : VULCAIN; l’on croyait qu’il avait établi ses forges sous le volcan Etna où il travaillait avec les CYCLOPES. Certains fondeurs, pour assurer une production féconde à leur haut-fourneau, lui donnent une forme de poitrine de femme, notamment chez les Tchokwés, les Rotsés et les Kalangas.

Par ailleurs, le soufflet à deux outres affecte une forme phallique, sans aucune équivoque.

Le fer, qui constitue le métal le plus dur que les primitifs connaissent, est considéré comme un symbole de force et de virilité. En Europe, on croit qu’un fer à cheval placé comme ornement dans une maison, assurera la prospérité de la famille.

Les soldats allemands qui avaient fait preuve de courage sur les champs de bataille, étaient décorés de la croix de fer. Dans certains pays, la remise d’ordres honorifiques s’accompagne d’un attouchement à l’aide du fer de l’épée. Chez les Baluba, le rétablissement de la partie lésée dans la plénitude de sa force s’accompagne aussi d’un attouchement par un objet en fer. Au Ruanda-Urundi, le jour où le mari apprend qu’il sera père, il enfile à la ceinture de son vêtement de peau, une série de petits anneaux plats en fer, qui seront la marque extérieure de sa virilité.

En Urundi, quatre lances portant les mêmes noms de règne que les souverains de ce pays : NTARE, MWEZI, MUTAGA et MWAMBUTSA, ainsi que diverses ferrailles et une longue fourchette à quatre dents, montent la garde autour du tambour enseigne Karyenda, symbole du pouvoir.

Le mwami du Ruanda devait constamment dormir sur les charmes en fer NYARUSHARA, même au cours de ses déplacements ; pour leur ajouter une vertu de fécondité, deux seins leur ont été forgés. Lors du deuil du mwami avec lequel disparaissait momentanément un symbole de virilité, on ne pouvait plus se servir d’instruments en fer, mais en bois pour planter et pour récolter. C’est également en fer que, dans ce pays, était fabriquée la breloque umudende destinée à être portée, pour renforcer la virilité, par le guerrier qui avait tué sept ennemis, par la femme ou le père qui venaient d’avoir leur septième enfant, par la vache qui avait vêlé pour la septième fois et enfin par le chien chef de meute qui à la chasse, avait capturé sa septième bête d’une même espèce. Faute de porter ce charme, ceux qui devaient le recevoir risquaient fort de devenir aveugles ou de perdre la mémoire.

La décoration umudende consistait pour les guerriers en un collier en fer auquel pendaient des grelots en nombre pair : 2, 4, ou 6 à la hauteur de la poitrine. Le guerrier ayant tué son quatorzième ennemi recevait un charme appelé impotore (torsade) consistant en une tige de fer et une tige de laiton enroulées l’une sur l’autre. La lance était l’insigne de la force du chef de famille ; lors du décès, sa propriété passait à l’héritier au droit d’aînesse.

C’est le fer qui, par le truchement des houes, sert à consolider les relations sociales chez les Bahutu, préalablement au mariage.

C’est en fer ou en cuivre que sont confectionnés les charmes formant ligatures de vie : anneaux de jambe, bracelets, etc.

  1. Facteurs de purification.

L’eau, la couleur blanche ou ocre, se raser les cheveux, le feu et les purges magiques sont autant de facteurs aidant à faire disparaître un état d’impureté, au RuandaUrundi.

  1. L’eau.

L’eau est le plus puissant facteur de fécondité des champs, d’autre part elle sert à préparer les repas et à boire ; on a pu dire avec juste raison : pas d’eau, pas de vie. L’eau est limpide ; venant du ciel, elle est pure, elle lave tout sur son passage. Chez les peuples primitifs, on croit que l’eau, qui enlève les souillures matérielles, enlèvera également la souillure morale. Depuis les temps les plus reculés, l’eau est employée comme moyen de purification : immersion, ablutions, boisson. A cette fin, il faut qu’elle soit froide ; car bouillie, son principe vital aurait été tué.

Au Ruanda-Urundi, les gardiens de bétail avant de traire les vaches doivent se purifier les mains à l’eau, non point pour se les laver, mais afin d’éviter de contaminer les bêtes par des états d’impureté dont ils seraient porteurs. Le trayeur du mwami en Urundi, après s’être soigneusement lavé les mains à l’eau froide, ne pouvait plus rien toucher avant la fin de l’opération. Il devait se les laver à nouveau après avoir trait. Le lavage de la bouche fait partie des rites de purification par l’eau, notamment avant de boire et de manger.

Celui qui a enfourné des bananes pour en brasser de la bière doit, s’il arrive un décès dans le voisinage, prendre un bain le même jour. La clôture de l’initiation au culte de RYANGOMBE consiste en un bain du récipiendaire.

A la fin du deuil, ceux qui ont habité avec le défunt, doivent prendre un bain.

Le blanc et le jaune.

Le lait est blanc ; la farine de sorgho, les haricots dépulpés sont blancs ; ce sont les bases mêmes de l’alimentation dans ce pays. Elles contribuent à entretenir et à conserver la vie ; leur couleur sera donc un signe de pureté ; et, par extension, tout ce qui lui ressemble : le kaolin, les étoffes et les peaux blanches. Le beurre et le miel sont jaunes ; le beurre est un principe vital retiré du lait, le miel est le résultat de l’activité laborieuse d’innombrables abeilles ; en conséquence, leur couleur sera aussi bénéfique que leur contact, de même que toute teinte identique : ocre, cuivre, fruits de l’intobo.

Chez les Babyloniens, on employait le lait et le beurre en onction pour purifier les malades.

Au Ruanda-Urundi, la sortie du deuil s’appelle ukwera : blanchir ; entre autres cérémonies, les étoffes sombres sont rejetées et sont remplacées par des tissus clairs ; du beurre est appliqué aux jambes, les vaches sont traites et les bapfumu apportent un balai d’herbes icyuhagiro enduit d’eau lustrale à base de kaolin afin d’exorciser les lieux.

L’umugangahuzi (purificateur public) jette de l’eau lustrale sur la hutte d’un indigène mort de la lèpre, puis il incendie cette habitation. Le mwami défunt recevait pour linceul une peau de taureau blanc au Ruanda.

A la mort d’un homme, tous les objets qui lui appartenaient deviennent impurs ; ils doivent être exorcisés à l’aide d’eau lustrale. Le lendemain du défilé, devant le mwami, des troupes rentrant d’une expédition guerrière, les combattants devaient s’enduire de kaolin, des pieds à la tête.

Après la traite du matin, les vaches doivent avoir leurs trayons enduits de kaolin.

Les objets gardant le tambour palladium Karyenda, symbole du pouvoir du mwami en Urundi, 6 tambours, 4 lances, etc., étaient peints en blanc au moyen de kaolin.

Lors de l’avènement du mwami de l’Urundi, tous les participants, nous dit SIMONS, portent sur le visage un trait blanc, barrant le front en deux, verticalement audessus du nez. Les propriétaires de bétail ont en outre une ornementation jaune ocre aux tempes.

Immédiatement après la mort, les cadavres humains sont oints de beurre.

Lors d’une naissance gémellaire, considérée comme une calamité dans le pays, le purificateur prépare une eau lustrale à laquelle il incorpore le suc de trois plantes écrasées (umugombe, umubamba, umutanga ) et en asperge tout venant, tant que dure la cérémonie de l’exorcisme. Les gardiens des troupeaux devaient se marquer le visage au kaolin blanc.

La coupe des cheveux et des poils.

Avant de paraître devant le monarque égyptien, il fallait se purifier (Genèse, XLI, 14), cette purification consistant à se raser ; les prêtres, les personnes de condition se rasaient non seulement la barbe, mais également la tête. Chez les Israélites (Nombres, VI, 9), la mort d’une personne souillait la tête du voisin qui devait se purifier en se rasant les cheveux après sept jours.

Au Ruanda-Urundi, on se rase les cheveux à la fin du deuil, en signe de purification. On se coupe également tous les poils et les ongles, puis on les brûle. Celui qui a tué une bergeronnette, totem des Bagesera, doit se raser les cheveux.

La femme adulte se trouve fréquemment en état d’impureté ; dès lors, elle ne portera jamais de cheveux longs, mais aura la tête rasée aussi fréquemment que possible ; dans aucun cas, elle ne peut revenir à la coiffure des jeunes filles ; elle doit demeurer chauve chez les Bahutu et les Batwa.

L’enfant qui vient de naître a subi le contact d’une femme qui, ayant perdu du sang, est considérée comme impure, d’où sa réclusion de sept jours ; de ce fait, il est également impur. Aussi, en Uganda, est-il ondoyé, ou baptisé ; « un enfant le tenait sur ses genoux au rebord » de la hutte, un ancien s’approchait et versait de l’eau » sur la tête du nouveau-né tout en lui imposant un » nom ». Au Ruanda-Urundi, dès le matin du huitième jour succédant la naissance, le père se met en devoir de raser la tête du nouveau-né ; il humecte la petite tête d’un peu d’eau, puis il lui rase les cheveux avec une lame de fer flexible ; c’est ce jour-là que l’enfant sera doté d’un nom.

Le feu. La chaleur est un signe de vie, aussi le feu, comme l’eau, est-il un élément sacré ; il purifie tout ce qu’il touche soit directement, soit indirectement par sa fumée. Il était regardé par les Anciens comme le plus noble des éléments, celui qui se rapprochait le plus de la divinité, et comme une vive image de l’astre du jour.

La mythologie grecque faisait du feu une conquête de l’homme sur les dieux, œuvre de PROMÉTHÉE ; son culte suivit de près celui du soleil. Le feu ne devait jamais s’éteindre sur l’autel du foyer familial. Les Romains, à l’imitation des Grecs, adoptèrent ce culte, et NUMA fonda un collège de vestales chargées d’entretenir le feu sacré. Le feu sacré de VESTA, déesse qui n’était autre que le feu même, se conservait non seulement dans les temples, mais encore à la porte de chaque maison particulière, d’où vient le nom de vestibule. Chez les Romains, le foyer était considéré comme symbolisant la maison, le groupement où l’enfant devait vivre désormais. A la naissance, le père prenait l’enfant dans ses bras et solennellement, lui faisait faire le tour du foyer, lui présentant l’enfant afin qu’il portât toutes les forces vivifiantes dont le foyer était le siège.

Ainsi que nous l’avons vu, au Ruanda-Urundi, l’umugangahuzi, après avoir exorcisé, à l’aide d’eau lustrale, la hutte d’un individu mort de lèpre, en pratiquait l’incendie.

Le feu qui crépite annonce de bonnes nouvelles.

La vache du pardon, c’est-à-dire de purification des mauvaises actions commises à l’égard du mwami ou d’un patron vacher, est intitulée vache du feu (inka y’umuliro).

Lors de la famine 1943-1944, les parents brûlaient les mains et les avant-bras de leurs enfants qui avaient volé des vivres, voulant à la fois les punir et les purifier du vice dont ces membres étaient atteints.

Dans le cas où un taurillon, lors de la divination par les aruspices, s’était révélé de bon augure, ses os et sa peau étaient incinérés afin de parfaire sa pureté.

C’est près d’un feu purificateur igicaniro que l’on trait les vaches. On a parfois tenté d’expliquer cette coutume par le fait que le feu repousserait les mouches ; au contraire, celles-ci sont attirées par la chaleur qui, d’autre part, favorise l’éclosion de leurs œufs.

Après la traite des vaches, le gardien reçoit de son maître des verges en nombre pair ; il en touche les bêtes, puis les ramène à son patron ; celui-ci, pour les purifier, et de ce fait le bétail, les passe au-dessus du feu. Un homme, une vache, une bananeraie, une hutte frappés par le feu de la foudre étaient considérés comme « épousés », sanctifiés par le dieu du tonnerre.

Le feu est employé pour exorciser certains lieux déterminés, comme ceux où l’on projette de construire une hutte, ceux d’un culte à RYANGOMBE-KIRANGA, l’endroit où une femme accouche. A la cour du Ruanda, un feu perpétuel intango était entretenu en l’honneur du mwami mythique GIHANGA par un collège d’abiru (conservateurs du code ésotérique), de jour et de nuit ; son extinction eût compromis le sort du pays. A l’heure actuelle, un feu perpétuel est entretenu chez le mwami du Ruanda dans la hutte dédiée à CYILIMA-RUJIJGIRA, en l’honneur des tambours enseignes de la monarchie. Il faut également allumer un feu de protection magique lors des semailles de sorgho et à l’occasion d’une partie de chasse.

La purge et la prise magiques.

On se débarrasse des vices, des malheurs, des mauvais, sorts, du tabou, de l’emprise des esprits malins, en recourant à des moyens matériels de purification dont la purge constitue le plus puissant. Chez les Bahima du Ndorwa-Mutara, tout étranger était rituellement purgé avant de pouvoir consommer du lait de leurs vaches.

Le chef murundi BARANYANKA me déclara qu’ayant bu du lait et mangé des pois de pair, tandis qu’il était petit, conjoncture qui constitue un tabou pour les éleveurs, son père le soumit non seulement à une purification externe par l’eau, mais également interne par l’administration d’une purge réellement drastique. L’isubyo (de gusubira : faire retourner en arrière) est une liqueur talismanique fabriquée par des magiciens, exorciseurs spécialistes en la matière, qui s’intitulent abahanyi (de guhana : punir, rétablir l’ordre), abashumburuzi (de gushumburura : chasser les mauvais esprits du corps d’un malade), abahuzi (de guhura : deviner la maladie), etc.

Cette liqueur se compose d’extraits de certaines plantes qui sont préalablement broyées, pilées, puis brûlées; les cendres de ces extraits sont à la base de l’élixir. Chaque magicien possède le secret des plantes qu’il utilise, mais parmi celles-ci nous connaissons l’isubyo, euphorbe herbacée dont on emploie la racine, l’urugombyi, exsudat de sorgho à saveur de miel, et l’agatumura, champignon desséché dont l’emploi relève de la magie sympathique par suite de l’étymologie (de gutumura, s’envoler en poussière) ; on espère qu’a son contact, le mauvais sort se dissipera comme la poussière s’envole au vent.

L’isubyo était bue chaque matin par le mwami qui s’en rinçait la bouche. Elle est prise par toute personne dans le but de s’exorciser, de se purifier des malheurs et des pseudo-malheurs ishyano qui

se sont abattus sur elle : foudre, incendie, envoûtement, naissance d’enfants anormaux, monstres, hermaphrodites, jumeaux ; l’isubyo est encore prise en cas de transgression volontaire ou involontaire des tabous. Il est à noter que dans ces deux derniers cas, l’absorption de l’isubyo est toujours précédée d’une confession auprès du magicien exorciseur, du malheur supporté ou de la faute commise contre les tabous. Par exemple, chez les Batutsi, le chasseur qui avait tué un grand animal dont il devait porter le deuil, consommait d’abord l’acte sexuel avec une servante et absorbait enfin l’isubyo. La femme qui est enceinte et qui vient à perdre son mari, doit absorber l’isubyo. La femme adultère doit prendre l’isubyo pour se purifier de la faute qu’elle a commise.

Revenant de la guerre, le combattant qui avait tué son vingt-et-unième ennemi devait se purger en avalant une espèce de courge amère préalablement grillée : umwungu w’ibamba. Un rite identique se retrouve dans l’initiation à la secte religieuse de RYANGOMBE.

Lorsqu’une femme est enceinte, elle doit fréquemment prendre des prises se composant de tabac qui macéra dans de l’urine de veau ; la même mixture sera journellement administrée en guise de lavement aux grandes dames batutsi, car « cela fait du bien à l’enfant ». Ce lavement s’intitule umubagabaga (de kugaba : tuer un animal, s.-e. le mauvais sort).

La femme enceinte qui fortuitement assiste à un enterrement, doit se moucher le nez dans une feuille de l’érythrine et la jeter dans la direction de la tombe.

  1. Le signe de croix (Umusaraba)

L’emploi du signe de croix est bien connu en magie ; le Ruanda-Urundi y a également recours ; il n’a évidemment rien de commun avec la croix des chrétiens. La signification de la croix magique est donnée par LEVI, elle représente l’insertion du phallus vertical, principe créateur, dans le cteis horizontal, principe créé. Elle constitue donc une représentation d’une force extraordinaire marquant l’opposition de la vie à la mort et aux mauvais sorts ; elle est aussi utilisée, en raison même de sa puissance, à lancer des sorts mortels. Les autochtones du Ruanda-Urundi, nous rapporta l’un de nos informateurs, connaissaient parfaitement bien l’usage du signe de croix en guise de protection contre tous les maux, sans toutefois parvenir à donner la raison de son efficacité.

Au Ruanda-Urundi, on trace une croix au lait de kaolin blanc sur le front du taurillon qui sera sacrifié au culte de RYANGOMBE. Après avoir abattu le taurillon de sacrifice à RYANGOMBE, d’un coup de hache à la nuque, le prêtre lui trace des croix aux aisselles avant de le dépecer. Lorsqu’on met cette peau à sécher, on y dessine une croix au kaolin en traçant un trait d la tête à la queue et un autre entre les épaules ; sur la peau tendue on place des stolons d’umwishywa en forme de croix. Les cornes de la bête sont enterrées devant le seuil de la hutte ; l’endroit est respecté et pourvu d’une croix peinte au kaolin blanc. Un autre signe de croix pour les membres de la secte religieuse de RYANGOMBEKIRANGA, consiste à, confectionner une croix en bois d’érythrine umuko, et à la placer à l’entrée de l’enclos en disant : « Ngabitinze : Que je les (malheurs) vainque ». Les femmes mariées se confectionnent un philtre d’amour à l’aide d’une branche d’un arbuste à suc laiteux urulira (de kulira : pleurer). Elles s’en touchent en signe de croix au front, à la poitrine, entre les seins et au dos, en énonçant la formule magique suivante : «Comme cette plante laisse couler sa sève, qu’également mon mari pleure toujours pour moi »; dans ce pays, les larmes constituent un signe d’amour. Quiconque rencontre dans la journée un serpent mort, s’il veut s’éviter une nuit de cauchemars, doit le toucher de l’auriculaire, puis se signer en portant le doigt au front et en disant : « Sinkurote ku manywa : Que je ne rêve pas de toi durant le jour », puis à la poitrine : « Na n’injoro : ni la nuit », puis à l’épaule droite et à l’épaule gauche : « Hose nicaye sinkwibuke : Que partout où je suis, je ne me souvienne pas de toi ». On peut encore toucher le serpent crevé à l’aide du gros orteil du pied droit à la tête, à la queue, sur le flanc droit, puis sur le flanc gauche, en prononçant les paroles précitées. Lors de l’apparition des premières voitures automobiles, les femmes enceintes les touchaient, puis se signaient en prononçant les mêmes paroles afin de ne pas avorter. Bien souvent les boucliers en bois ainsi que les cithares inanga portent des croix ; il en est de même des courges charmes musicaux ibinyuguri qui sont percées de trous en forme de croix d’où s’échappe, lorsqu’elles sont agitées, le son trépidant des graines qu’elles contiennent ; les ibinyuguri sont surtout utilisées à l’occasion du culte kubandwa rendu aux esprits nationaux divinisés RYANGOMBE, KIRANGA, etc. Un passant qui, dans un sentier, aura enjambé des brindilles de bois posées en forme de croix, s’imaginera fermement que sous peu il mourra envoûté. Un homme mort sans enfant, dont l’esprit serait désigné comme causant du trouble dans sa famille, n’a pas droit aux offrandes ; on se contente de déposer à son intention une poignée de charbons de bois éteints au croisement de deux sentiers. Un étranger mort dans le voisinage sera traité de la même façon : on dépose à la bifurcation de deux sentiers un paquet d’herbes et un tesson de cruche en terre cuite.

Lorsque les entrailles de l’animal d’aruspicine s’étaient révélées de bon augure, on les conservait soigneusement dans une calebasse qui était imposée en signe de croix au consultant en le touchant à l’épaule gauche, au front, à l’épaule droite, et à la poitrine tandis que le devin énonçait à chaque attouchement une formule magique bénéfique.

Chaque soir, avant de se coucher, le mwami du Ruanda était signé en forme de croix à l’aide de deux burins en fer amashinjo (de gushinja : protéger le mwami), gardiens magiques des tambours enseignes ingabe, en prononçant les paroles rituelles suivantes :

A l’épaule droite : « Akabega ubugera abakeba : Epaule (s.-e. mwami), que tu fasses l’aumône à tes rivaux » ;

A l’épaule gauche : « Umusumba usumba abanzi » : Insurpassable, que tu dépasses tes ennemis »;

Au front : « Urutwaro utwara inka n’ingabo : Toi qui commandes, (puisses-tu) commander à (toutes) les vaches et à (tous) les guerriers ;

A la poitrine : « Utura mu Rwanda : Que tu demeures au Ruanda ».

Parmi le trésor royal du mwami du Ruanda se trouvent cinq charmes en fer nyarushara en forme de croix dont la partie centrale est verticale, tandis que les branches latérales urushara sont recourbées et représentent des seins de femme, symboles de fécondité.

Il arrive au Ruanda-Urundi que les pluies soient tellement abondantes qu’elles risqueraient, en se prolongeant, d’occasionner la pourriture des récoltes sur pied ; afin de les arrêter, on exécute un signe de croix sur la pierre meulière ingasire au moyen de terre rouge inkurwe et de suie.

Les pointes de feu et les scarifications sont souvent faites en forme de croix (ukubusanya) sur le corps.

  1. La vie de l’ombre.

L’ombre projetée reproduit la silhouette, les traits de l’homme ; or le semblable vaut le semblable ; en conséquence, pour beaucoup de peuples primitifs, l’ombre vaut la personne qui la projette et, par conséquent, elle est censée vivre de la même existence que l’individu dont elle émane.

Les Banyarwanda et les Barundi l’intitulent igicucu.

Ces indigènes croient que les mânes abazimu sont constitués par l’ombre que le défunt projetait de son vivant, car, ajoutent-ils, les cadavres que l’on transporte en hamac au cimetière ne projettent plus d’ombre de forme humaine. Aussi, pour apaiser l’âme vindicative des morts, si l’on ne peut leur sacrifier une bête, il suffit de leur présenter notamment l’ombre de vaches tout en énonçant la couleur de celles-ci : « Ngiyo Rutare (c’est une blanche), Ruhogo (une rousse), Rusine (une grise) ». Point n’est besoin que l’orant soit propriétaire de l’animal présenté, car, étant de la race des ombres, le mort se contente d’ombres. Un indigent n’ayant pas de quoi se procurer la chèvre nécessaire à l’apaisement des mânes familiaux en achètera l’ombre à un voisin. A cette fin, ce dernier, contre une légère redevance, laissera égorger sa chèvre près de la hutte votive du défunt, puis elle lui sera ramenée vide de son sang et de son ombre. Cette transaction s’appelle kugura igicucu : vendre l’ombre.

Le fait de qualifier un indigène d’igicucu constitue une véritable insulte, car elle l’assimile à un homme mort.

Lorsqu’un os a été fracturé ou qu’une articulation a été foulée, il suffit de soigner la partie correspondante de l’ombre du patient. A cette fin, on se sert de deux plantes : le gutwikurure et l’ubushwima ; on les pile dans un récipient ou sur une pierre et le produit exprimé (ubwungo) est introduit dans des incisions pratiquées sur l’ombre du membre malade.

On prononce alors la formule magique suivante en pensant au mal : « Va ku giti, jya ku muntu : Quitte l’arbre et passe sur l’homme ». Le patient est assimilé à un arbre, victime sans importance, et l’ombre est prise pour la véritable personne. On jette ensuite par-dessus l’épaule du malade le restant de la médication en direction du soleil couchant en disant : « Imvune n’irengane n’izuba : Que l’entorse se couche avec le soleil ». Cette opération s’intitule kunga igicucu (réduire une fracture sur l’ombre).

Les bagombozi, apprivoiseurs de serpents, ont la réputation de savoir en soigner les morsures non seulement sur le corps de la victime, mais encore sur son ombre projetée.

Au Ndorwa, on croit qu’il est possible d’ensorceler une personne par la pratique de l’envoûtement sur son ombre. A cette fin, on prend des produits qui sont nocifs pour les êtres vivants et après avoir pratiqué, à la dérobée, des incisions sur l’ombre de l’un des membres vitaux de la personne envisagée, on y dépose les produits qui, croit-on, la tueront infailliblement.

On peut encore ensorceler par l’ubukande (de gukandagira : piétiner). On recueille un peu de terre qui fut piétinée par la victime envisagée. A cette terre on mélange le suc de plantes vénéneuses ou un poison quelconque, puis on la remet sur l’empreinte du pied de la victime avec la conviction que celle-ci mourra sans tarder.

  1. Amulettes — Talismans — Fétiches — Charmes.

Amulettes, talismans, fétiches, charmes sont des instruments matériels utilisés en magie ; on est convaincu de leur efficacité à l’égard des buts pour lesquels ils ont été confectionnés. Leur liste serait inépuisable et il est préférable de tenter une classification permettant d’employer ces mots d’une manière rationnelle au cours de l’ouvrage. Amulettes (du latin amuletum, provenant de amoliri : écarter).

L’amulette est un objet qui par lui-même possède la propriété, aux yeux du primitif, d’écarter la maladie, le malheur, les maléfices. Il est choisi par l’individu lui-même, selon les croyances populaires dans son efficacité.

L’amulette porte différents noms au Ruanda-Urundi : impigi, insinzi, ibiheko, urutsiro, ikinanira. Ce sont des bâtonnets, des dents de carnassiers, des perles de verroterie blanches, rouges ou bleues, des ligatures de vie, des morceaux de fer, de cuivre, des bouts de peau, des herbes médicamenteuses ou d’un aspect physique déterminé, qui sont portés depuis les jambes jusqu’à la tête, mais le plus souvent suspendus au cou.

Talisman (du grec  rite). Il diffère de l’amulette en ce sens que le talisman est raisonné et qu’il ne tire pas son pouvoir, comme la première, de l’instinct qui l’a fait adopter ; non seulement on croit qu’il protège celui qui le porte, mais on suppose qu’il lui confère une puissance particulière quoique limitée.

Ordinairement, le talisman est fabriqué, consacré et ordonné par un médecin-devin (umupfumu), après qu’il l’ait chargé de paroles et de gestes rituels.

On pourrait traduire talisman, au Ruanda, par amamana, en prenant comme prototype le ganglion grisâtre bénéfique découvert dans les intestins des animaux de divination par les devins, nodule que le mwami et ses femmes notamment, portaient sur la poitrine, suspendu au cou, soigneusement emballé dans un ouvrage recouvert de perles, en guise de porte-bonheur. Ce sera encore Firent°, complexe de fécondité, que l’on met au contact des semences de sorgho afin d’assurer leur germination.

Fétiches (terme employé d’abord par les Portugais, il y a quelques siècles, lorsqu’ils cabotaient l’Afrique, sous le nom de feitiço, du latin facticius).

En principe, c’est un objet matériel vénéré comme une idole. Le fétichisme confond l’idée religieuse avec l’objet qui la symbolise. PARRINDER a écrit : « Le mot a été si bien condamné et cloué au pilori par les savants que son abandon général ne saurait se différer davantage», et il a ajouté : « On admet généralement aujourd’hui qu’aucun païen, dans son aveuglement,  ne s’agenouille devant le bois et la pierre, et les Africains eux-mêmes ne sont pas seuls à repousser l’imputation d’idolâtrie ». Le mot fétiche servit souvent à désigner les charmes, amulettes, talismans ainsi que certaines figurines païennes. Le seul cas à notre connaissance dans lequel on pourrait parler de fétiche au Ruanda-Urundi est signalé par DE LACGER : il regarde les poupées en argile mises au contact du mwami et de la reine-mère et destinées à les représenter à l’occasion de l’expiation publique de juin gicurasi.

Charmes (du latin carmen, enchantement magique). Ce sont des créations complexes auxquelles on attache, chez les primitifs, la force de paralyser en bien ou en mal, la volonté de celui ou de l’esprit contre lequel elles sont dirigées. Ce seront donc des objets que l’on portera pour se protéger contre les maladies, les envoûtements, les agressions, la mort ; ou, en sens inverse, pour les provoquer. Les charmes tirent leur puissance, croiton, de la parole ou de la toute-puissance de l’idée qui a présidé à leur création. Ils seront donc classés en deux catégories : charmes défensifs et charmes offensifs.

Au Ruanda-Urundi, les charmes défensifs ibiheko sont basés sur la croyance que les objets dont le toucher, l’odorat, l’ouïe, la vue et la saveur sont nuisibles aux personnes physiques seront tout aussi nuisibles aux esprits maléfiques réels ou supposés. Ils seront une résultante de la conception que l’identique repousse l’identique.

Les charmes inzaratsi sont des poudres destinées à attirer, à maintenir ou à augmenter l’affection de quelqu’un. Ce sont les vieilles filles qui en usent, ainsi que les femmes jalouses et les clients, pour consolider l’amitié de leur patron. Entrent dans la composition de ces poudres : des plantes, des arbustes, des poils d’animaux, de petits lézards, des excréments, etc. Le choix des plantes qui entrent dans ces mélanges n’est pas indifférent ; en vertu de la loi d’analogie on emploiera des végétaux dont le nom, par assonance, concourt au but recherché : ce seront, par exemple, des poudres de l’arbre umukunde (de gukunda, aimer), de l’umuravumba que les femmes surnomment umuvumbura impfizi : qui réveille le taureau, etc.

En Urundi, pour défendre un champ contre les voleurs, le magicien confectionne un charme comportant une tige pointue de roseau urubingo au sommet de laquelle pendent de petits paquets, ou une calebasse, ou un petit pot en terre cuite contenant des poudres à effet nocif. Malheur à celui qui pénétrera dans le champ avec de mauvaises intentions : il restera cloué au sol, paralysé, contractera une maladie incurable ou même tombera raide mort. Au Ruanda, enfouir en terre la pierre à aiguiser irkyazo ou le moulin en pierre ingasire est un acte qui aura pour résultat d’inhiber ( guhereka) la volonté du maraudeur qui s’aventurerait dans l’aire que ces pierres défendent : elles le cloueraient sur place (kurangangara).

Les charmes offensifs uburozi comprennent tous les objets employés par les sorciers professionnels ou d’occasion, pour la réalisation de leurs mauvais desseins. En tout premier lieu, ils utiliseront des biens ayant appartenu à la personne qu’ils croient pouvoir ensorceler : ses cheveux, poils, ongles, lambeaux de vêtements, bâton qu’elle porte habituellement, des herbes enlevées de la natte sur laquelle elle dort, etc. En ordre subsidiaire, le sorcier emploiera des substances maléfiques soit par leur aspect répugnant, soit par leurs propriétés physiques : épineux, animaux dangereux, déjections diverses, plantes vénéneuses, etc.