A Kimenyi (I) Musaya (ou Musaza), dont la vie nous est surtout connue grâce à la place que ce souverain gisakien occupa dans l’histoire du Ruanda, succède une lignée de Bami Bazirankende plus obscurs, dont les règnes s’étendent de la fin du XVe à la fin du XVIIe siècle : Kabunda (alias Kabumba), Mutuminka, Ntaho, Kwezi – dont les noms ont été retenus par les « anciens » du Gisaka ; Kimenyi (II) Shumbusho – qui ne nous est connu que par la tradition historique ruandaise ; Kimenyi (III) Rwahashya, dont le règne a été situé, avec non moins de précision, mais que les banyagisaka confondent, tantôt avec Kimenyi Musaya, tantôt avec Kimenyi Shumbusho.

Kabunda doit s’être borné à assimiler les conquêtes de son père Kimenyi I. Quant au successeur de Kabunda, Kimenyi II Shumbusho, nous noterons, à la suite de l’abbé Kagame, qu’il régna sur le Gisaka à l’époque où régnaient sur le Ruanda le grand Mwami Mibambwe I Sekarongoro, dit Mutabazi et sur le Bugesera – le Mwami Sangano (donc vers 1525-1550).

C’est sous les règnes respectifs de ces trois souverains que le Ruanda, le Bugesera, ainsi que la partie Ouest du Gisaka (Mirenge et Bwiriri) furent dévastés par les Banyoro, conduits par un guerrier redoutable de la dynastie des Bacwezi, le Mwami Cwa. Celui-ci avait su profiter des dissensions intestines de ses frères de race méridionaux ; mais il ne sut point exploiter son triomphe et dut, bientôt, abandonner les territoires conquis.

Plus tard, c’est Kimenyi Shumbusho également qui va accaparer le Bwanacyambwe (le mont sacré de Kigali y compris), au détriment de Mibambwe pendant que celui-ci, de son côté, consolide son pouvoir sur le Nduga. Et c’est ce Kimenyi encore qui ravira le Sud du Mubari aux Bazigaba basangwabutaka, alors que les Bahinda proprement dits en occuperont le Nord.

A Kimenyi II succédèrent Mutuminka et Ntaho, Bami dont les règnes doivent avoir été aussi prospères que paisibles… car on n’en a pratiquement gardé aucun souvenir.

En ce qui concerne le troisième Kimenyi, Rwahashya, il a été établi que ce souverain vécut un siècle plus tard que Kimenyi Shumbusho, à l’époque du Mwami du Ruanda Kigeri IINyamuheshera et de son fils Mibambwe II Gisanura (milieu du XVIIe siècle).

C’est à l’époque de la minorité de Kimenyi IIIque le Gisaka fut contrait de rendre au Ruanda le Bwanacyambwe qu’il avait conquis sous Kimenyi II. Cela se fit à la suite d’une guerre malheureuse que le Gisaka avait menée contre le Ndorwa. Ces deux pays avaient à leur tête des reines qui se vouaient une haine implacable. La bataille décisive avait eu lieu à Kumuzizi (non loin de Gahini), dans la partie orientale du Buganza. Les forces banyagisaka y ayant été écrasées, leurs chefs abandonnèrent la Reine-mère Kabonde (veuve du Mwami Ntaho) et celle-ci, capturée, eut les seins tranchés sur l’ordre de sa rivale.

Après cette défaite, brûlant de venger sa mère et repoussé dans ses derniers retranchements, le jeune Kimenyi Rwahashya avait appelé à son aide le Mwami du Ruanda Kigeri II, lequel promit de le secourir à la condition qu’en retour, Kimenyi lui restituât le Bwanacyambwe. Celui-ci ayant accepté le marché, les troupes ruandaises intervinrent dans la lutte aux côtés des banyagisaka, repoussèrent les envahisseurs, raffermirent sur son trône la dynastie chancelante des Bagesera et… prirent possession du territoire, prix de leur intervention.

Cependant, Kimenyi Rwahashya n’oublia jamais les circonstances cruelles à la faveur desquelles son sauveur avait obtenu qu’il se dessaisît du Bwanacyambwe et les Biru du Ruanda ont conservé le souvenir de l’échange d’insultes -par envoi d’objets symboliques (enfermés dans des outres ou des étuis)- auquel se livrèrent, par la suite, le Mwami du Gisaka Kimenyi Rwahashya et le Mwami du Ruanda Mibambwe Gisanura, successeur de Kigeri Nyamuheshera.

Au Mwami Kimenyi III Rwahashya succéda le Mwami Kwezi kw’i Rusagwe son fils. Nous ne savons pas grand-chose de son règne. Il doit avoir été notablement moins long – mais surtout plus heureux que celui de son prédécesseur.

Les trois derniers règnes : Ruregeya, Bazimya, Kimenyi IV (± 1685 à + 1800)

Avec le Mwami Ruregeya, fils de Kwezi, nous prenons enfin pied sur de la terre ferme : les souvenirs gisakiens rejoignent la chronologie ruandaise et ils ne nous feront plus défaut.

Ruregeya transporta sa principale résidence du fond du Migongo (Remera suivant les uns, Ntaruka suivant les autres) à Murama, à l’emplacement même du futur poste d’occupation (actuellement gîte d’étape)de Rukira, point central du Gisaka.

Par la conquête complète du Mubari et de la partie méridionale du Mpororo sur une fraction avancée du clan des Bahinda, il réussit à rendre à son Royaume l’importance qu’il avait eue avant la perte du Bwanacyambwe. A l’entrée du XVIIIe siècle ses possessions territoriales comprennent- en plus du Gisaka proprement dit – des contrées hétérogènes très étendues, disposées en éventail à sa périphérie : le Rukaryi, le Buganza, le Mubari.

 

C’est alors que pour mieux encadrer et dominer ces volumineuses conquêtes, le Mwami Ruregeya  s’inspira de ce qui existait depuis des générations au Ruanda – vint à doter les trois provinces originelles du Gisaka d’une organisatin militaire nettement hiérarchisée, appuyée sur un noyau permanent de guerriers professionnels.

L’innovation était judicieuse… mais rien ne pouvait prévaloir contre l’inéluctable loi historique qui veut que les grands états commencent à se décomposer dès l’heure où ils ont dépassé un certain point de saturation expansionniste.

Cette heure devait sonner pour le Gisaka sous le règne du Mwami Bazimya, fils et successeur de Ruregeya. Le règne de ce monarque débutait (vers 1725) sous les plus heureux auspices et le futur Mwami du Ruanda, Cyilima II Rujugira, alors exilé à Kazo (Gihunya), se sentait honoré d’obtenir en mariage sa cousine Rwesero( L’abbé Kagame (en se basant sur le poème généalogique cmposé à l’avè-nement de Kigeri III Ndabarasa) affirme que Rwesero, épouse du Mwami Cyilima II Lujugira, n’était pas soeur mais seulemnt cousine du Mwami Ba-zimya, étant fille non de Ruregeya (père de Bazimya), mais de Muhoza (oncle de Bazimya), tous deux fls du Mwami Kwezi kw’i Rusagwe).

Mais le cours des événements ne tarda pas à changer.

Ce fut, tout d’abord, l’émancipation du Mpororo Sud, la plus récente conquête du Gisaka. Le jeune Mwami réagit à peine parce que, délesté de la meilleure partie de son bétail, le Mpororo ne paraissait guère intéressant à défendre.

 

Cependant, l’attitude absentéiste que le Mwami du Gisaka avait adoptée à l’égard des événements du Mpororo fut interprétée comme un signe de faiblesse et bientôt après, éclatait un soulèvement des Bazigaba du Mubari, groupés autour d’un certain Nyabayombe, personnage aussi hardi que féroce.

 

La majeure partie de ses troupes se trouvant rivée aux frontières démesurément allongées du Gisaka, le Mwarni Bazimya se laissa gagner de vitesse et – chassé du Mubari, puis du Migongo – il dut, à l’instar de son aïeul Kimenyi Rwahashya, implorer l’assistance militaire du Mwami du Ruanda.

 

A l’époque régnait sur le Ruanda le Mwami-Poète Yuhi III Mazimpaka, déjà en proie à ces crises de démence qui assombrirent la fin de sa vie.

 

Dans la gestion des affaires publiques, comme dans le commandement de ses armées, il était représenté par son fils aîné Rwaka, jeune homme brillant, extraordinairement doué pour l’art de la guerre, qui devait, à la mort de son père, gouverner pendant plusieurs années le Ruanda, sans être investi de la dignité royale (Fort de l’autorité personnelle qu’il avait su acquérir en administrant le Royaume du vivant de son père Yuhi III Mazimpaka, Rwaka, usurpa à sa mort le pouvoir, au détriment de l’héritier légitime Rujugira et le garda – au mépris de l’opposition des Biru – jusqu’au jour où, frappé d’une maladie honteuse, il dut céder la place à son frère, l’opinion publique ayant vu dans son infortune un châtiment du Ciel. L’opposition des Biru était motivée par le fait que Rwaka avait pour mère Rukoni, umunyiginya de naissance, ce qui lui interdisait de devenir jamais Reine-mère).

 

Répondant à l’appel de Bazimya, Rwaka lui dépêcha une armée à la tête de laquelle il plaça son frère Rujugira, cousin par alliance (et non point beau-frère, comme on l’a écrit) de Bazimya. Ainsi Rujugira revenait en sauveur dans ce Gisaka où il avait vécu, durant de longues années, en exilé.

Bazimya fit un accueil enthousiaste à son parent et les deux alliés eurent tôt fait de mettre en pièces l’armée improvisée de Nyabayombe, qui s’était avancée cependant jusqu’aux abords du lac Sake, pillant et massacrant tout sur son passage.

Nyabayombe ayant été empalé et ses bandes dispersées, tout rentra dans l’ordre. Mais cette mésaventure de Bazimya avait fait mesurer à Rujugira la faiblesse croissante de la dynastie du Gisaka.

Au moment où Bazimya rejoignit ses ancêtres dans un monde meilleur, (vers 1745-1750) Rujugira – devenu dans l’entretemps le Mwami Cyilima II du Ruanda – se débattait dans une lutte désespérée contre le Burundi, dont le sort se trouvait, pour lors, aux mains du Mwami Mutaga III Semwiza.

 

Au Gisaka, le Mwami Kimenyi i Kimenyi Umuheto, dit Getura, avait succédé à son père Bazimya. Ce jeune souverain possédait des alliances de famille puissantes : non seulement, il était apparenté d’assez près au Mwami du Ruanda régnant, mais encore l’une de ses soeurs avait été épousée par le Mwami umushambo du Ndorwa Gahaya Muzora (fils de Murari) et lui-même avait pour femme une princesse de la dynastie régnante du Burundi.

 

Caressant le projet de reconquérir le Bwanacyambwe, il conclut avec les Bashambo du Ndorwa un pacte d’alliance dirigé contre le Ruanda ; – pacte d’alliance qui devait être rendu public aussitôt que la victoire du Burundi sur le Ruanda paraîtrait certaine. En attendant, les deux alliés allaient se contenter d’une attitude de neutralité expectante.

 

Longtemps indécis, le sort de la lutte parut finalement pencher en faveur des barundi. C’est alors que Gihana, fils de Cyilima II, décida de devenir Mutabazi et que s’enfonçant, avec une petite troupe, au coeur du Burundi il s’y fit massacrer.

 

En apprenant la mort de Gihana, mais ignorant son caractère salvateur, Kimenyi crut le moment venu de mettre bas le masque et – oublieux des services rendus à son père par Cyilima Rujugira – il adressa à celui-ci une provocation en règle.

Le Mwami Cyilima releva aussitôt le gant. Il avait sacrifié, en mutabazi, son fils Gihana, mais il lui en restait plusieurs autres, dont son héritier Ndabarasa (le futur Kigeri III) et le valeureux Sharangabo (Il y a lieu de ne pas confondre ce Sharangabo, fils du Mwami Cyilima II Rujugira avec un autre Sharangabo, fils du Mwami Kigeri IV Rwabugiri et frère du Mwami Musinga, qui avait été dépêché en 1894 au devant du comte von Gôtsen et qui, après sa disgrâce, vécut encore de longues années au Buganza, dans les environs immédiats de la Mission de Rwamagana (entre l’actuel tribunal de Chefferie et le marché du Centre Commercial).

 

C’est ce dernier qui fut désigné par Cyilima II comme chef suprême (umugaba) de la première expédition dirigée par le Ruanda contre le Gisaka.

Sharangabo avait sous ses ordres le corps d’armée Abakemba

(«les écorcheurs ») qui tenait garnison au Sud-Ouest du lac Muhazi et qu’il venait de créer, ainsi que le corps d’armée Intarindwa («les irrésistibles ») qui campait au Nord-Ouest du lac et qui avait à sa tête Muhuzi (fils de Sendakize), muzirankende transfuge(Dans la descendance du Mwami Ruregeya ou compte plusieurs branches ruandaises : celle issue de Rwamakombe, fils de Biruyi, lui-même fils de Mahire, frère de Kimenyi IV ; celle issue de Sendakize, fils de Nkomero, lui-même quatrième fils de Ruregeya ; celle issue de Nyakabwa, fils, semble-t-il de Byuma, lui-même fils de Nyacyenda, lequel eut pour père Bihondwa, frère de Kimenyi IV (auquel l’Administrateur Territorial Verhulst — dans sa note concernant le Territoire de Gabiro, datée de 1935 — donne erronément pour père « Nyacindo, fils de Kimenyi i Kimenyi

Voici ce qu’en dit la tradition :

1° Nyakabwa, évincé de la succession de Kimenyi IV, alla se mettre au service du Mwarni Yuhi IV Gahindiro. Sa descendance se dispersa dans tout le Ruanda, lui donnant plusieurs chefs et sous-chefs, dont les chefs Rukarakamba et Lyumugabe, qui commandèrent, l’un après l’autre, le Ndorwa, le Mutara et le Migongo et dont le second est, actuellement encore, chef du Mutara, en territoire de Byumba.

2°Sendakize, qui était cousin germain de Kimenyi IV, s’était expatrié à une époque antérieure et avec plus d’éclat. Ayant tenté en vain de ravir son royaume au jeune Kimenyi et traqué ensuite par les hommes de celui-ci, il s’enfuit au Burundi, d’où il passa bientôt au Ruanda. En effet, il ne se sentit plus en sûreté au Burundi, dès le jour ou Kimenyi avait épousé une princesse de ce pays.

Général de valeur, ses qualités sont bientôt reconnues par le Mwami Cyilima II Rujugira, lequel lui confie, d’importants commandements militaires.

C’est son fils Muhuzi que nous trouvons à la tête de l’armée ruandaise Intarindwa, au cours de la premièr campagne du Ruanda contre le Mwami Kimenyi.

La descendance de Muhuzi est peu connue. Actuellement elle a pour chef patriarcal un certain Bitende (établi au Buganza Nord de Kigali), lequel est, en même temps, chef de la parentèle (igitsina) de Nkomero. Quant à la descendance des frères de Muhuzi, elle a fourni au Ruanda plusieurs notables, dont Gasherebuka qui fut chef du Bugoyi. -Actuellement 5 descendants de Sendakize sont en charge de commandements territoriaux, dont 1 sous-chef en Territoire de K ibungu, 1 en Territoire de Kigali, 2 en Territoire de Ruhengeri et 1 en Territoire de Kisenyi.

3° Rwamakombe- aux dires de son descendant direct, le sous-chef Gahondogo – passa du Gisaka au Ruanda au temps du Mwami Mibambwe III. Gahondogo exerce actuellement un commandement au Bugoyi, en Territoire de Kisenyi. (C’est le seul notable mugesera de confession protestante). Un autre descendant direct de Rwamakombe, Rwamasirabo, commande de son côté, une sous-chefferie au Rusenyi, en Territoire de Shangugu.).

En face d’eux se trouvaient respectivement, le général du Mirenge Mudirigi (au Sud) et Yoboka, dit Kirenga, fils aîné de Kimenyi (au Nord). Mudirigi, profitant de l’effet de surprise, avait déjà envahi tout l’Est du Bwanacyambwe ; quant à Kirenga, il s’apprêtait à opérer sa jonction avec ses alliés du Ndorwa, au Nord de Gakenke.

Après quelques escarmouches d’avant-garde, les troupes de Mudirigi sont contraintes d’accepter le combat à hauteur de Karama (Bwanacyambwe). L’engagement est dur, la victoire longtemps indécise. Finalement l’aile gauche des gisakiens est culbutée, entraînant la retraite du reste du dispositif, menacé d’être contourné par le Sud et coupé de ses bases.

C’est bientôt la débandade générale des banyamirenge, qui n’arrivent à se reformer qu’à l’abri des forêts du Rukaryi, abandonnant tout le Bwanacyambwe à l’ennemi.

Quant à Kirenga, il attendit en vain l’arrivée des banyandorwa, ceux-ci étant tenus en respect par l’armée Ababito («les pointus»), commandée par Ndabarasa.

Désireux d’exploiter son succès, Sharangabo se hâte de combler les brèches que la bataille avait creusées dans ses effectifs. Puis, il dispose devant le Rukaryi, un mince cordon de troupes et, lui-même, avec ses intrépides Bakemba, fonce sur le Buganza, en passant sans encombre, au sud du lac Muhazi ; cependant que l’armée Intarindwa, débouchant soudainement du Mutara (au Nord du Muhazi), refoule les troupes de Kirenga de Gakenke, vers le Sud jusqu’à Kayonza. Là, Kirenga se trouve pris entre les deux armées ruandaises.

Il ne peut refuser le combat et celui-ci se termine par une victoire décisive des forces adverses. Kirenga lui-même, est fait prisonnier et ensuite exécuté sur l’ordre du Mwami Cyilima, ordre reposant sur une méprise, Cyilima ayant pris Kirenga pour le « prince héritier désigné » du Gisaka et ayant décidé de le supprimer à ce titre.

Cependant Kimenyi accourait à la rescousse de son fils, avec son corps d’élite Imbogo (les Bufles), suivi par d’importants effectifs de l’armée du Migongo ; mais, arrivé à hauteur de Kabarondo, il rencontre les premiers fuyards de l’armée du Gihunya, apprend la mort de Kirenga, s’exagère l’importance de l’échec subi et renonçant à contre-attaquer, plante sa tente sur la colline voisine de Remera, qu’il transforme en camp retranché.

Dans l’entretemps, les détachements de l’armée du Mirenge, qui – après la bataille de Karama – avaient été chargés de la défense du Rukaryi, se croient tournés par l’Est et se replient précipitamment sur le Gisaka, abandonnant à l’ennemi la province dont la garde leur avait été confiée.

Au cours de cette expédition, au prix de pertes en hommes minimes, Sharangabo avait mis en déroute ou réduit à l’inaction, les trois armées du Gisaka et récupéré, du même coup, les deux provinces d’origine ruandaise encore au pouvoir des Bazirankende : le Buganza et le Rukaryi.

C’est en vain que le Mwami du Gisaka attendit à Remera l’assaut de l’adversaire : celui-ci ne se produisit point ; plutôt que d’user ses troupes dans un siège sans signification stratégique, Sharangabo préféra – une fois de plus – organiser ses arrières.., suivant en cela l’exemple de Kimenyi I, dont les leçons n’avaient cependant guère servi à Kimenyi IV.

 

Dès lors, la frontière Nord du Gisaka se fixe sur une ligne allant de la rive septentrionale du lac Mugesera au Mubari, en passant par Kirwa, Gasetsa, Rundu, Rubira, Cyinzovu, Kabarondo, Rusera, Rugwagwa et la brousse du Rweya. Cette frontière ne se modifiera plus dans son tracé essentiel, jusqu’à la fin de l’indépendance du Gisaka… si ce n’est à l’extrême-Est, où le Mubari sera perdu tout au début du XIXe siècle.

Peu après la fin victorieuse de la première expédition du Ruanda contre le Gisaka (vers 1760) le Mwami Cyilima Rujugira vient à décéder et c’est à son fils Ndabarasa, intronisé sous le nom de Kigeri III,que Kimenyi IV va offrir des propositions de paix.

Kigeri III – qui tient à parachever l’assimilation de ses récentes conquêtes avant d’en entreprendre d’autres – reçoit favorablement ces ouvertures, mais exige, comme condition sine qua non, l’abandon définitif et solennel des territoires conquis sur Kimenyi IV par les armées de Cyilima II.

Kimenyi, de son côté, s’y refusant énergiquement, les deux parties finissent par se contenter d’une trêve, solution de compromis essentiellement provisoire, n’engageant pas l’avenir et n’engendrant aucune conséquence de droit.

 

A quelque temps de là, Kimenyi réussit à renouer son alliance avec le Ndorwa et à pousser celui-ci à prendre l’offensive contre le Ruanda, ce qui force Sharangabo à tourner précipitamment ses armées vers le Nord.

A peine Sharangabo a-t-il quitté les rives du Muhazi que Kimenyi rompt ouvertement la trêve, pénètre profondément dans le Buganza et – désespérant de pouvoir s’y maintenir – s’offre la satisfaction d’en razzier le bétail. Opération sans grandeur qu’il allait finir par payer bien cher.

 

Kigeri III réagit péremptoirement, en mobilisant les ngabo (armées) du Buliza (région située au Nord-Ouest du Bwanacyambwe, dans l’actuel territoire de Kigali) à la tête desquels il place Kalisa (Lumaherwa, neveu du Mwami Kigeri) et, une fois de plus, les guerriers banyarwanda foulent le sol du Gisaka. Mais, dès la colline-frontière de Gasetsa, avant d’avoir pris contact avec l’ennemi, ils sont arrêtés par un terrible orage. Leur commandant en chef est foudroyé et ce mauvais présage suffit à les faire battre en retraite. Ainsi finira la deuxième cam-pagne ruandaise.

 

Le sort semblait donc pencher, enfin, en faveur de Kimenyi Getura. Mais… ce n’était qu’une illusion. Sentabyo, fils du Mwami Kigeri (qui régnera lui-même, un jour, sous le nom de Mibambwe III) prend la tête d’une nouvelle expédition – la troisième -assisté par Ruzamba, fils de Sharangabo et il écrasera bientôt les troupes du Gisaka réunies, au grand combat de Kabirizi (1765).

 

C’est en vain que le Gisaka avait dépêché au-devant de Sentabyo, en qualité de Mutabazi, le frère même du Mwami Kimenyi, appelé Muhutu et c’est en vain que Muhutu se fit tuer, avec ses fils Sekamana et Semitari, pour amorcer favorablement la campagne.

A la suite du désastre de Kabirizi, les banyagisaka se trouveront forcés de rendre, non seulement le butin dont ils s’étaient emparés au Buganza, mais aussi la plus grande partie de leur propre bétail.

Quant à Kimenyi, il cherchera refuge dans les marais insalubres de Nyamuganda (à l’Est de Kibungu) dans la brousse d’épineux du Rweya (entre Rwinkwavu et le Mubari). L’abbé Kagame rappelle qu’un poème dynastique (igisigo) du règne de Mibambwe III Sentabyo dit que le Mwami du Gisaka, Kimenyi IV Getura, alla «s’accroupir dans une futaie, ayant été chassé de ses résidences de Mukiza et de Rundu». Par la suite, Kimenyi en fut réduit à mendier la clémence de son vainqueur et il le fit en ces termes piteux : «Je suis ton parent. Aie pitié de moi. La honte est tombée sur moi et, dans la brousse où j’ai été repoussé, les nkende, ennemis de mon clan, me narguent en s’oubliant sur ma tête».

 

Kimenyi est alors contraint d’accepter un traité de paix (Il s’agissait ici, plutôt que d’un réel traité de paix (conception étrangère aux traditions politiques du Ruanda), d’un pacte de non agression (imimaro). Et encore, le Ruanda ne prit-il jamais d’engagement de non-agression absolu que vis-à-vis du Karagwe (par gratitude, affirme-t-on, ce pays ayant donné asile, en des temps reculés, au Mwami du Ruanda Ruganzu II Ndori, alors que celui-ci était pourchassé par des rebelles) désastreux, dont la première clause est le renoncement définitif au Bwanacyambwe et au Buganza. Il s’incline cette fois et peut sortir du maquis.

 

Voici le Gisaka sur le flanc et dorénavant il ne fera plus que dépérir, car aux revers militaires, succéderont les troubles intérieurs.

Vers 1790 (époque de la mort de Mibambwe III Sentabyo et de l’accession au trône de Yuhi IV Gahindiro), à la faveur de la décrépitude croissante de Kimenyi, son royaume commence à se désagréger et – dans les années 1800 à 1805 – il s’émiettera définitivement, en petites principautés rivales, lesquelles – à leur tour – ne subsisteront guère plus de cinquante ans et tomberont les unes après les autres, sous les coups redoublés des armées du Mwami Mutara II Rwogera, fils et successeur de Yuhi IV.