Les Pères Blancs qui, en 1900, fondèrent la première mission au Ruanda, Save, avaient eu besoin de quatre mois pour effectuer leur voyage, à partir de Marseille. Après trois semaines de bateau, ils avaient débarqué à Zanzibar et de là, gagné Bagamoyo, où s’organisaient les caravanes pour l’intérieur. De cette station des Pères du Saint-Esprit, nos confrères se rendirent, en neuf semaines, à Bukumbi, poste au sud lac Nyanza.
En 1900, ils prirent une route détournée pour entrer au Ruanda, afin de se présenter au roi du pays munis des recommandations très opportunes de l’officier allemand du centre d’Usumbura, dans l’Urundi.
Quand fut construit, par les Anglais, l’Uganda Railway, de Mombasa à Kilindini, à l’est du Victoria Nyanza, les Pères empruntèrent cette voie ferrée, s’épargnant ainsi les fatigues d’un long périple à travers les forêts, les savanes et les marécages. De Kilindini, un steamer de modeste tonnage les déposait à Bukoba, sur la rive opposée. Une quinzaine de jours de marche à pied, et ils atteignaient le Ruanda.
Après la guerre de 14-18, cet itinéraire fut lui-même abandonné par les missionnaires destinés au Ruanda, lesquels utilisèrent le chemin de fer de l’Océan Indien à Kigoma, sur le Tanganyika. Cette confortable ligne de communication, construite par les Allemands, alors maîtres de la Colonie, devait être inaugurée officiellement fin août 1914. On sait les événements tragiques qui mirent obstacle aux grandioses fêtes projetées.

Depuis que le Ruanda a été confié en mandant à la Belgique, ses nationaux, les missionnaires en particulier, débarquent à Albertville, également sur le Tanganyika, après avoir suivi, alternativement, depuis Matadi, port de mer à l’embouchure du Congo, la route fluviale et la voie ferrée. De Kigoma ou d’Albertville, un bateau les conduit à Usumbura, important centre administratif, à la pointe septentrionale du lac.
Aujourd’hui l’avion offre aux missionnaires des facilités énormes. Des compagnies belges, anglaises, françaises, hollandaises les transportent en peu de jours à proximité du Ruanda. La ligne belge, la plus directe, dépose ses passagers à Usumbura. De ce point terminus, et des bateaux et des avions, les Pères, par un service automobile, se dirigent à travers l’Urundi, vers le nord. Une fois passée l’Akanyaru, ils foulent le de leur champ d’apostolat.
La contrée où ils viennent d’entrer, d’une superficie de 24.500 km carrés seulement, située sous les 1er et 2e degrés de latitude sud et sous les 30 et 31e degrés de longitude est de Paris, est limitée : au Nord, le protectorat anglais de l’Uganda – à l’Est, le Karagwé (Tanganyika Territory) – au Sud, l’Urundi (mandat belge) – à l’Ouest, le Congo belge. 6 Les circonscriptions ecclésiastiques qui entourent le Ruanda sont : au Nord, le Vicariat de Ruwenzori ; à l’Est, celui de Bukoba ; au Sud, celui de Ngozi (précédemment l’Urundi) et à l’Ouest, le Vicariat du Kivu, tous confiés aux Pères Blancs.
Le Ruanda présente de multiples contrastes. Au Sud et à l’Est, à une altitude moyenne de 1.400 à 1.600 m, des plateaux aux larges croupes s’en vont mourir dans les vallées fertiles, où coulent des ruisseaux rarement taris : plateaux laissés en pâturages d’une nuance agréable sauf quand, à la fin de l’été, les herbes calcinées prêtent au sol un vêtement lugubre ; plateaux où des plantations de bananiers étalent ici et là des taches vert clair et voisinent avec des bosquets de salubres eucalyptus. Une promenade à travers le Bugessera donnerait presque aux Européens l’illusion de s’être égarés dans un parc, mais ici les larges allées tracées par une nature capricieuse sont entretenues uniquement par les lourds sabots des troupeaux.
Si nous portons nos pas vers l’Ouest, s’offrent à nos yeux des montagnes gigantesques de 2.500à 3.000 m. qui gardent approximativement la direction nord-sud et constituent la ligne de partage des eaux entre le bassin du Nil et celui du Congo. Deux Pères Blancs qui avaient fixé chacun sa tente sur l’une et l’autre de ces pentes pouvaient se flatter, en versant leur cuvette, de grossir… virtuellement la Méditerranée et l’Atlantique.
Tout au nord un spectacle impressionnant nous attend : la chaîne d’une douzaine de volcans, bien visibles de tout le Ruanda et même des pays éloignés, surtout lorsque l’atmosphère a été libérée de ses brumes épaisses par un violent orage ou des pluies torrentielles.
Comment se défendre d’une vive admiration devant ces masses majestueuses qui, à une hauteur de 4 à 5.000 m., s’incrustent dans un ciel idéalement pur. Leur groupement, leurs silhouettes étranges, les panaches de fumée qui s’échappent de certains cratères à l’activité ralentie produisent dans l’âme une image que rien ne pourra jamais effacer.
Parmi les volcans éteins, citons le Karisimbi : 4512 m., le Mikeno : 4.486 m., le Muhavura : 4.350 m.,, le Sabyinyo : 3.479 m. Le Mikeno est demeuré jusqu’à présent inaccessible. Sa pointe élancée, gigantesque rocher de plus de 350 m., défie les plus hardis explorateurs.
Les flancs de ces volcans, à partir d’une certaines altitude, ne se prêtent pas à la culture, mais, à leurs pieds, et sur les plateaux environnants, engraissés par la poussière, les traînées de lave, s’étendent des champs connus pour leur fécondité inépuisable. Le Ruanda avec ses deux saisons de pluie, au printemps et en automne, produit presque partout bananiers, haricots, petits pois, ignames, patates douces, sorgho, éleusine, ainsi que du tabac renommé. Pourtant les à-coups du climat occasionnent des disettes ou des famines d’autant plus redoutables que les lots de terrains dévolus à chaque famille suffisent à peine à son entretien et que les indigènes imprévoyants songer peu à amasser des réserves pour les mauvais jours.
Un grand fleuve, rapide, impétueux même, dans la région montagneuse, paresseux dans les plaines encombrées de papyrus, le Nyavarongo-Kagera, court à travers le Ruanda et va se déverser dans le lac Victoria. Un explorateur allemand, le Dr Kandt, a pu, en faisant état de mensurations scrupuleuses, remonter jusqu’à la source extrême du Nil, la Rukarara.
« Parvenu, écrit le voyageur, au mince filet qui donne naissance au grand fleuve méditerranée, au Caput Nili que, depuis la plus haute antiquité, on avait tant désiré connaître et qui, d’après Hérodote, venait d’un autre monde, je tombai à genoux, envahi par le respect et l’émotion (1).»
Dans les lacs, dont les principaux sont le Kivu,le Mugessera et Tshohoha, le Bolera, le Luhondo, s’ébattent généralement des hippopotames, des crocodiles et des poissons d’espèces variées. Ceux-ci prolifèrent et se développent d’autant plus facilement que, par suite de préjugés inexplicables, les indigènes refusent presque tous ces mets succulents et considèrent comme impurs les bateliers assez osés pour s’en nourrir. Sur les bords des lacs ou des rivières, on n’apercevra pas de pêcheurs à la ligne, mais en revanche on se heurtera aux chasseurs d’amphibies, surtout aux chasseurs des loutres à la riche fourrure.
Au nord et à l’ouest du Ruanda, la forêt équatoriale, la luxuriante forêt vierge, aux arbres de quarante mètres de hauteur, sous les branches desquels s’étagent à profusion des frondaisons vivaces. A côté des sombres futaies, on admire, se détachant d’un ton plus tendre, des bois de bambous qui, sous l’action du vent, ondulent gracieusement, telles des nappes d’eau agitées de vagues régulières.
Dans ces repaires et dans d’autres maquis éparpillés à travers le pays, les éléphants (2), les lions, les léopards, les buffles, les gorilles, les cynocéphales, les colobus sont maîtres. L’intérieur du Ruanda, à population très dense, ne souffre que de loin en loin des incursions des grands fauves égarés ou chassés du troupeau par la jalousie. Jadis des milliers d’hyènes troublaient le silence des nuits de leurs sinistres ricanements, tout en assurant le service de la voirie dans les charniers humains. Depuis que, par ordre du gouvernement colonial, les morts reçoivent une sépulture, elles ont presque disparu.
Parmi les oiseaux, presque toujours muets, ornés par compensation d’un plumage éclatant, signalons : aigles, éperviers, grues huppées, serpentaires, perdrix, canards, ou tardes, pintades et d’autres de taille plus modeste, comme les cardinaux, les moineaux, les bergeronnettes, les hirondelles.
Les reptiles foisonnent dans les bas-fonds, dans les halliers, depuis le python de cinq mètres et plus jusqu’à de minuscules spécimens de vingt centimètres en passant par les cobras et les serpents cracheurs.
En raison de son altitude, le Rwanda offre aux Européens un climat supportable, bien plus, agréable. La température nocturne, même en janvier, le mois le plus chaud, ne reste guère au-dessus de 14° : gros appoint pour un sommeil réparateur. Aussi de jeunes Pères Blancs porteurs d’un certificat médical pessimiste ont pu fournir au Ruanda une carrière longue et active. On comprend, dès lors, que les Supérieurs de notre Société se soient arrêtés quelque temps à la pensée d’établir sur les contreforts du nord ou de l’ouest des sanatoria destinés à recevoir, des différentes circonscriptions ecclésiastiques des Grands Lacs, les missionnaires épuisés qui eussent été par là dispensés d’un voyage et d’un séjour en Europe, au bénéfice des finances souvent déficitaires des Vicariats. Mais comme si les avantages de ce climat devaient être achetés par d’autres sacrifices, les courses apostoliques à travers un pays sillonné de vallées profondes réclamaient, du moins avant l’introduction des moyens modernes de locomotion, de grosses dépenses d’énergie.
Le Noir, lui, s’adapte plus aisément que les Blancs aux températures torrides et n’en voit pas sa constitution profondément altérée ; il se porte mieux naturellement sous un ciel plus clément. C’est qui explique l’état sanitaire relativement satisfaisant chez les indigènes du Ruanda, grâce à quoi ils se livrent, avec une force de résistance inconnue sur la côte, à de durs travaux. Il faut ajouter cependant que, malgré des conditions climatologiques avantageuses, le Munya-Ruanda n’échappe pas aux attaques de la variole, de la malaria, des fièvres récurrentes , du pian de la méningite, de la diphtérie et de la tuberculose. La virulence de ces affections atteint même un degré élevé en fonction du manque coupable d’hygiène, de l’abus des boissons fermentées et de la sous alimentation, régime presque habituel autrefois dans les provinces centrales.
Ce Ruanda que nous venons de décrire, non par les aspects pittoresques, grandioses de ses volcans, de ses lacs, de ses rivières – les considérations esthétiques émeuvent peu les Noirs- mais pour des motifs d’ordre sentimental, exerce une si puissante attraction sur ses habitants que jadis ils le quittaient toujours à regret et y revenaient avec passion. Ces habitudes casanières ont été bien modifiées par les conditions nouvelles d’existence : nécessité de verser l’impôt dont on ne trouve pas assez vite sur place le montant, quoique modeste, la perspective d’échapper aux corvées que d’aucuns, à tort ou à raison, estiment exagérées, la certitude de gains supérieurs dans les colonies voisines, avec un meilleur standard de vie, autant de mobiles qui invitent les Banya-Ruanda à s’expatrier, au moins pour un temps. On en voit même qui disent un adieu définitif au Ruanda, résolution qui, chez des sujets honnêtes, eût paru autrefois incompréhensible. Des milliers sont ainsi installés dans l’Uganda et aux environs de Bukoba, pays de maigre population et en quête de main-d’œuvre. Là, ils ont vu la fortune leur sourire et elle promet de leur rester fidèle.
Si l’éloignement spontané du Ruanda provoque tant d’émotion, que penser de celui auquel on condamnait les esclaves ? Le pays dont nous parlons n’a, il est vrai, jamais été dévasté par les hordes esclavagistes. Des groupes compacts d’Arabes et Indigènes musulmans, armés de fusils et dont les effectifs se montaient à 500 assaillants au moins, ont été tenus en respect par les Banyarwanda, dont le courage suppléait au manque d’armes à feu. C’est le seul coin de cette contrée, ajoute le P. Coulbois, dans son livre : Dix ans au Tanganyika, qui n’ait pas été victime des incursions arabes ; mais des expéditions plus sournoises s’organisaient, de connivence avec les chefs, même parfois grâce à la complicité des familles. On a vu, au cours de famines prolongées, des enfants cédés par leurs propres parents pour des aliments. Vers 1910, les esclaves étaient encore dirigés sur Biaramulo, dans l’Usuwi, et de ce vaste entrepôt partaient pour la côte. En 1925, la Société des Nations fut saisie d’un cas lamentable : on avait, dans un petit port de la Mer Rouge, mis la main sur un bateau chargé d’esclaves africains. Dieu seul sait s’il se trouvait parmi eux des gens du Ruanda ! En tout cas les pays civilisés purent apprendre que la traite clan-destine continuait, malgré la suppression officielle du commerce de chair humaine

1. Voici exactement comment procéda le savant géographe :
Le Nil s’échappe de la partie nord du Victoria-Nyanza, aux Rippons-Falls. Ce lac, vraie mer intérieure, a pour tributaire de loin le plus important, la Kagera, venant de l’Ouest. Le Docteur Kandt s’y engage en pirogue ou bien longe les bords. A quelque 200 km. De l’embouchure, il se voit en présence de deux larges rivières : le Ruvubu, originaire de l’Urundi, et la Nyabarongo Comme celle-ci, issue du Ruanda, présente un débit plus puissant, l’explorateur néglige le Ruvubu, simple affluent, et suit la Nyabarongo ; Il élimine également comme secondaire l’Akanyaru, affluent de la rive droite, puis la Mukungwa, affluent de la rive gauche, qui descend torrentueux du Mulera. S’offrent enfin la Muhogo et la Rukarara. Après un examen attentif, le Docteur reconnaît à ce dernier le volume d’eau le plus considérable. Il touche ainsi au terme de ses longues et pénibles recherches.
Si l’on prenait comme critérium la latitude et non le débit, on devrait considérer comme extrême source du Nil le Ruvubu plus méridional.

2. Avant l’arrivée des commerçants arabes, les pointes d’ivoire, lesquelles ne trouvaient pas de débouchés, étaient utilisées comme muraille, par les grands chefs, pour entourer et protéger leurs kraals.

destine continuait, malgré la suppression officielle du commerce de chair humaine.