L Ruanda Sous Tutelle Belge (2ème partie)
Le développement de l’économie monétaire
Le Rwanda, le Burundi et le Congo s’étant trouvés durant la guerre entièrement coupés de la Belgique, leur monnaie avait été temporairement rattachée par le Gouvernement belge de Londres à la zone sterling.
Une fois la paix revenue, les autorités économiques belges décidèrent de solidariser à nouveau la monnaie des trois pays et celle de la Belgique et, face à un monde bouleversé et devenu agressivement protectionniste, de les soumettre toutes deux à une politique commune.
Rwanda, Burundi et Congo furent donc détachés de la zone sterling en vertu d’un nouvel Accord anglo-belge signé le 5 octobre 1944, et englobés dans la « zone monétaire belge ». Et lorsque la Belgique eut, en son nom et en celui des trois pays, signé le27 décembre 1945 les Accords de Washington instituant la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) et le Fonds Monétaire International (FMI), la parité des monnaies respectives se trouva confirmée.
Ainsi, lorsque le franc belge eut, en septembre 1949, dévalué de 12,34 % à la suite de la livre sterling, la monnaie des trois pays suivit-elle le même mouvement.
Au sein de l’Union Monétaire Rwanda-Burundi-Congo, les organes de la politique monétaire furent progressivement adaptés à l’expansion de l’après-guerre.
La Banque du Congo belge fut en 1952 remplacée par une Banque Centrale du Congo belge et du Rwanda-Burundi. De nouvelles banques privées s’établirent au Rwanda-Burundi, limitant toutefois leur présence à la ville de Bujumbura. Et cette même année, la Caisse d’Épargne du Congo belge et du Rwanda. Burundi, instituée depuis peu, ouvrit une succursale à Bujumbura et organisa ses procédures de dépôt et de retrait par l’intermédiaire de tous les offices postaux du pays.
L’économie monétaire rwandaise prit dans les années suivantes une ampleur nouvelle grâce à l’accroissement des dépenses publiques en même temps que des productions agricoles d’exportation, des productions minières et industrielles, et de l’emploi salarié au Rwanda même et dans les pays voisins.
De l’accroissement des dépenses publiques et des productions agricoles, il a déjà été question dans les pages qui précèdent. Quant à la production minière, après être montée jusqu’à près de 3 200 tonnes dans les premières années de la guerre, elle retomba quelque peu, se stabilisant vers 2 000 tonnes. En 1950, elle remonta jusqu’à 2 600 tonnes (dont 2 300 de cassitérite); en 1955, à 5 500 tonnes (dont 2 800 de cassitérite et 1 350 d’amblygonite) ; et en 1960, à 4 900 tonnes (dont 1 750 de cassitérite et 2 300 d’amblygonite). La prospection publique, fermée depuis 1941, avait été rouverte en 1950, et le Rwanda avait connu dès lors une nouvelle phase de prospection intense. Mais le développement de la production minière était apparu bientôt conditionné par un changement radical des méthodes d’exploitation. En effet, les gisements miniers superficiels et détritiques, qui avaient été découverts et exploités les premiers étaient appelés à s’épuiser peu à peu, en raison surtout de leur exploitation intensive durant les années de guerre. L’avenir de la production minière était donc dans l’exploitation des gisements primaires en profondeur, constituant l’essentiel de la richesse minérale du pays. Cela signifiait d’importants travaux en sous-sol : puits, galeries, installations de broyage… En d’autres termes, des moyens mécaniques puissants, une importante alimentation en eau pompée, et donc une énergie motrice abondante et bon marché.
Ayant constaté cette nécessité, les auteurs du Plan Décennal avaient défini comme objectif essentiel à atteindre endéans les 10 ans la création d’une ou plusieurs grandes centrales hydro-électriques et d’un réseau de distribution bien réparti à travers le pays. Plusieurs sites à vocation hydro-électrique avaient déjà fait l’objet d’études, à l’initiative des sociétés minières. D’une part, les chutes du Nil-Kagera à Rusumo, situées à proximité des mines de Rwinkwavu à la frontière du Tanganyika Territory. Ensuite, les chutes de la Ntaruka, situées dans le Nord du Rwanda, entre les lacs Bulera et Luhondo. Et enfin, divers sites sur le parcours torrentiel de la Rusizi, à la frontière du Rwanda et du Congo. C’est sur la Rusizi que se porta le choix de l’Administration belge, et parmi trois sites reconnus sur le parcours de cette rivière, c’est celui de Mururu qui fut choisi pour être le premier mis en valeur. Ce choix, inspiré par un syndicat d’exploitants miniers des trois pays 1, correspondait à la politique d’intégration économique poursuivie par la Belgique à l’égard de ceux-ci.
Une centrale hydro-électrique fut donc construite à Minium, à cheval sur la frontière du Rwanda et du Congo, et à la fin de 1958 entra en production avec deux groupes de 6 300 kw. Cette centrale, excentrique pour le Rwanda, et située par-delà la crête Congo-Nil, ne put en réalité desservir que le Kivu congolais (et notamment Bukavu), la ville de Bujumbura au Burundi, et une petite région du Rwanda située à toute proximité du site (Cyangugu et Kamembe).
Le Plan Décennal avait bien prévu l’installation d’une ligne électrique à haute tension vers l’intérieur du pays (Mururu-Kibuye-Kabgayi-Kigali, avec embranchements à moindre tension Kabgayi-Nyanza-Butare, Kabgayi-Gatumba, Kigali-Rutongo et Kigali-Musha-Rwinkwavu), mais les vastes régions économiquement inactives qu’une telle ligne aurait eu à franchir, de même que certaines difficultés techniques, lui firent préférer ‘aménagement immédiat du site de la Ntaruka. Une centrale hydro-électrique y fut donc construite également, et entra en production fin 1959 avec deux groupes de 3 500 kW et une ligne à haute tension de 70 km alimentant directement les mines de Rutongo, de Musha et de Rwinkwavu, en même temps que la ville de Kigali.
Une troisième centrale hydro-électrique, de moindre puissance (1000 kw) avait entre-temps été installée sur la Sebeya près de Gisenyi, et alimenta, à partir de 1958, Gisenyi en même temps que, au-delà de la frontière, la petite ville congolaise de Goma.
A côté de la production minière, quel fut le développement des autres activités industrielles? Le Plan Décennal avait conçu ce développement avec un réel dynamisme. Considérant la densité exceptionnelle des populations du Rwanda et du Burundi, il avait souligné l’avantage que les deux pays pourraient en tirer un jour à la fois sous la forme d’une main-d’œuvre abondante et progressivement qualifiée, et sous la forme d’un marché de consommation concentré et progressivement enrichi. Selon le Plan, l’avenir du Rwanda comme du Burundi serait non pas d’exporter indéfiniment sa main-d’œuvre, mais bien de traiter industriellement les matières premières locales (et importées des pays voisins), et d’exporter des produits travaillés : des produits enrichis par une incorporation de travail. « Quel que soit l’angle sous lequel l’avenir économique du pays est considéré, affirmaient les auteurs du Plan, une même conclusion se dégage : le Rwanda-Burundi doit être orienté vers l’industrialisation, c’est-à-dire vers l’application de techniques permettant la valorisation des produits bruts, la transformation de produits pauvres en produits riches. »
Ayant abouti à cette conclusion, le Plan mentionnait comme premières possibilités industrielles, d’abord une industrie de traitement de la viande, de ses sous-produits, et des cuirs et peaux; ensuite une industrie de fabrication d’engrais; et enfin, une industrie de fabrication de sucre. A côté de ces possibilités particulières, étaient mentionnées les possibilités industrielles basées sur les cultures dites industrielles (café, pyrèthre, ricin,arachide, soja, riz, fibres…) et sur les produits de l’élevage (lait, beurre, fromage…) ; de même, les possibilités industrielles destinées à satisfaire les besoins de masse (outils agricoles et ustensiles de ménage, quincaillerie et clouterie, textiles, vêtements de confection et couvertures, bicyclettes, emballages métalliques) et particulièrement les besoins dans le domaine de la construction (ciment, charpentes, matériaux divers…).
Dans la pratique, le développement industriel devait être l’œuvre de l’initiative privée, l’Administration se bornant à lui assurer son appui. Celle-ci prit donc diverses mesures d’encouragement. Elle mit d’abord en place le dispositif d’électrification déjà mentionné. Ensuite, elle institua un Office central pour la Valorisation des Produits des cultures et élevages du Ruanda-Urundi (OVAPIRU), et lui confia une série de tâches : d’abord, effectuer toutes les études industrielles qui pourraient être utiles; ensuite, entreprendre des fabrications expérimentales; et enfin, constituer soit des coopératives, soit des régies, pour assurer les productions industrielles rentables, éventuellement avec le concours de firmes ou de techniciens privés spécialisés. Pour favoriser le développement industriel, l’Administration entreprit enfin de constituer des coopératives de productions rurales : café, coton, bétail…
En réalité, à part les entreprises d’extraction minière, les premières unités de traitement du café et du thé, une importante brasserie à Gisenyi (fondée en 1959), une minoterie à Ruhengeri, une fabrique de casseroles en aluminium à Cyangugu, une petite cigarerie à Rwaza, et l’une ou l’autre imprimerie, savonnerie, briqueterie ou laiterie, l’industrialisation resta minime.
L’une des études effectuées durant le Plan Décennal en vue de réalisations industrielles, a présenté un intérêt assez extraordinaire pour l’avenir du pays: il s’agit de l’étude du gisement de gaz méthane et d’autres substances chimiques découvert dans le lac Kivu. La présence de gaz dissout dans les eaux profondes de ce lac avait été remarquée en 1937 par le Pr H. Damas.
Cette étude fut entreprise pour le compte de l’Administration par les chercheurs du laboratoire de l’OVAPIRU d’abord, puis à partir de 1959 par l’Union Chimique Belge (UCB) : carte bathygraphique, prélèvements en profondeur, évaluation, et enfinunité pilote d’extraction, qui a commencé ses essais au Cap Rubona, près de Gisenyi, en 1962. Le gisement du lac Kivu put être ainsi évalué, aux conditions ambiantes à la surface (250 et 640 mm Hg), à 270 milliards de m3 d’anhydride carbonique (CO.), 61 milliards de m3 de méthane (CH4), 1 milliard de m3 d’hydrogène sulfuré (H²S) correspondant à 1,4 million de tonnes de soufre, 10 milliards de m3 d’azote (N²), 10millions de tonnes de phosphates, 455 millions de tonnes de sels divers (de soude, de potasse, de magnésie et de chaux).
Une industrie d’un genre un peu particulier qui commença à s’affirmer dans le pays au début des années 1950, fut celle de l’hôtellerie et du tourisme. A Gisenyi d’abord, une plage naturelle de sable fut étendue et aménagée, tandis qu’étaient construites des routes asphaltées en bord de lac. Divers hôtels s’élevèrent bientôt face au lac, et purent très vite accueillir un nombre relativement important de touristes, venus surtout du Congo à la recherche du climat vif et de la sereine beauté du lac Kivu. De petites hôtelleries privées se construisirent également à Kigali, Nyanza, Butare, Ruhengeri, Cyangugu, et Gitarama, tandis que l’Administration en créait une à Gabiro pour la visite du Parc de la Kagera (institué en 1934) et pour la grande chasse dans le Domaine du Mutara (institué en 1954). Une plus petite hôtellerie fut encore organisée à Kibuye à partir de 1956. Quoique ce premier mouvement touristique ait mis en lumière une possibilité d’avenir particulièrement brillante pour l’économie du pays, il n’en resta pas moins extrêmement limité en raison de l’inadaptation au grand tourisme des moyens de communication de cette époque. Le Parc de la Kagera, et plus encore la partie du Parc Albert qui s’étendait sur la région des volcans au Nord du pays, restèrent en conséquence davantage des réserves scientifiques que des centres d’exploitation touristique.
Un autre facteur de l’expansion de l’économie monétaire du Rwanda après la guerre, fut l’accroissement de l’emploi rémunéré si bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Le nombre moyen des emplois rémunérés au Rwanda-même pouvait être évalué en 1950 à environ 50 000; en 1955, à quelque 63 000; et en 1960 à quelque 50 000 de nouveau (dont 18 000 au service de l’Administration et des autorités décentralisées; et 8 000 dans les mines).
Au début de la période de Tutelle, l’écrasante majorité des travailleurs manuels des entreprises se caractérisait toujours par l’absence d’une formation qualifiée, par un rendement très moyen, en même temps que par une faible rémunération.
Jusqu’en 1954, le pays ne disposa en réalité d’aucun établissement d’enseignement technique professionnel; seules existaient tout au plus de méritoires mais modestes institutions de formation artisanale de niveau rural. Résultat de cette carence l’Administration tout comme les entreprises, avaient recruté leur main-d’œuvre qualifiée au Congo, c’est-à-dire là où la formation technique était depuis longtemps organisée. C’est en 1954 que s’ouvrit à Kicukiro près de Kigali la première école technique officielle d’un niveau réellement approprié.
En ce qui concerne le rendement des travailleurs, il était resté généralement assez limité, non seulement en raison de l’absence de formation professionnelle, mais aussi en raison des insuffisances alimentaires et sanitaires, d’une certaine inaccoutumance psychologique au travail de rendement pour autrui, et de la médiocrité des salaires. Divers facteurs contribuèrent toutefois à l’améliorer peu à peu : la sélection naturelle de l’offre et de la demande d’emploi, l’extension des services sanitaires des entreprises (dispensaires et hôpitaux privés), et le paiement d’une partie des salaires sous la forme de provisions alimentaires suffisamment substantielles. Quant à la répression pénale des infractions à la discipline du travail contractuel, telle qu’elle était en vigueur depuis 1917, elle fut supprimée à partir de 1955. En remplacement, faculté fut donnée aux employeurs de retenir des amendes sur le salaire de leur personnel, sous réserve d’en tenir une comptabilité spéciale et d’en verser mensuellement Je montant à une institution philanthropique.
Enfin, quant à l’insuffisance des rémunérations et des conditions de travail, l’Administration s’efforça d’y remédier progressivement, introduisant peu à peu dans le pays les conquêtes sociales acquises dans le reste du monde et généralisées grâce aux multiples conventions internationales proposées aux Etats par l’O.I.T. Ainsi s’institutionnalisa au fil des ans la protection des travailleurs : en 1946, par la reconnaissance du droit de grève (après l’échec d’une procédure obligatoire de conciliation); en 1947, par la formation au sein des entreprises les plus importantes de conseils d’entreprise composés de travailleurs choisis à nombre égal par l’employeur et par le personnel; en 1948, par la reconnaissance du droit d’association des travailleurs (quoique, en réalité, aucun syndicat ne se forma sur cette base parmi les travailleurs rwandais); en 1949, par la création, à l’échelon du pays, d’une Commission du Travail et du Progrès Social, composée de représentants de l’Administration et d’un nombre égal de représentants des travailleurs et des employeurs choisis par le Gouverneur; et enfin, en 1953, par l’entrée en activité d’un service permanent d’inspection du travail. En ce qui concerne concrètement la rémunération du travail, sa durée, et le droit à des congés payés, les mesures prises furent les suivantes. A partir de 1950, un salaire minimum vital fut périodiquement calculé par la Commission du Travail et du Progrès Social, sans toutefois être rendu obligatoire pour les employeurs. La politique suivie en la matière était selon le Plan Décennal, de « tendre vers le minimum vital » parallèlement à l’amélioration de la main-d’œuvre. Entre-temps fut fixé périodiquement un minimum légal, qui restait inférieur au salaire minimum vital d’un travailleur célibataire.
A partir de 1950 également, la rémunération globale des travailleurs dut obligatoirement comprendre, outre le salaire proprement dit et une indemnité de logement, une ration alimentaire hebdomadaire (ou son équivalent en espèces) destinée à obliger les travailleurs à se nourrir solidement. Cette rémunération globale ne comportait pas d’indemnités familiales. Quant à la durée du travail, une ordonnance de décembre 1954, vint confirmer les pratiques antérieures : journée de 8 heures et repos hebdomadaire. Elle y ajouta le droit à 6 jours de congé payé par an. Enfin, la sécurité sociale fut progressivement organisée en 1950 d’abord, fut rendue obligatoire l’affiliation des employeurs et des travailleurs auprès d’un organisme d’assurance maladie-invalidité; en 1957 ensuite, devint obligatoire l’affiliation à un organisme d’assurance pension et survie; lesquels organismes se trouvaient communs au Rwanda, au Burundi et au Congo. Ce régime de sécurité sociale ne couvrait pas, et pour cause, les risques de chômage.
L’expansion de l’économie monétaire rwandaise, due, ainsi que nous venons de le voir, à l’accroissement des dépenses publiques, des productions agricoles, des productions minières et industrielles, et de l’emploi salarié sur place, se trouva également encouragée après la guerre, par la stabilisation des émigrations temporaires de main-d’œuvre du Rwanda vers les pays voisins. Y compris les travailleurs saisonniers, ces émigrations vers l’Afrique orientale (Uganda et Tanganyika) et vers le Congo se chiffrèrent en 1950 respectivement à 12 800 et 6 700, en 1955 à 16 000 et 2 700, et en 1960 à 20 000 et 1 000′. Si ces émigrations procuraient au Rwanda-Burundi des avantages économiques non négligeables, et notamment un apport en devises estimé, en 1949, à quelque17 500 000 francs’, elles présentaient en même temps de sérieux inconvénients du point de vue social et surtout familial. Dès 1948, l’Administration fut amenée à obliger les organismes de recrutement à embaucher 90 % de travailleurs mariés volontairement accompagnés par leurs épouses. Puis, l’importance et la régularité de ces migrations vers l’Uganda et vers le Tanganyika amenèrent les autorités administratives, sociales et sanitaires du Rwanda-Burundi et de l’Afrique orientale britannique à se réunir périodiquement pour assurer aux émigrants par diverses mesures un minimum de sécurité et de confort. Des conférences se tinrent ainsi à Gisenyi en 1948 puis, les années suivantes, à Entebbe, Tabora, Bujumbura, etc. Il en résulta notamment que l’on entreprit de compléter la chaîne des camps-relais sur la principale route des migrations, et de les échelonner en moyenne tous les 30 km. Il en résulta aussi que les employeurs des émigrés en Afrique orientale furent astreints à respecter un certain nombre d’obligations minima visant le logement, la ration en nature, les soins médicaux, les équipements de santé, l’indemnisation des accidents du travail, le rapatriement des accidentés, des malades 3, et des successions des travailleurs décédés.
Le développement de l’économie monétaire du Rwanda, stimulé par les différents facteurs dont il vient d’être question, se manifesta par l’extension progressive de son commerce intérieur et extérieur. Les auteurs du Plan Décennal évaluaient le potentiel de consommation du marché du Rwanda et du Burundi en 1949 à environ 600 millions de francs, dont 360 millions (60%) en habillements.
En vue de favoriser l’expansion commerciale, et d’amorcer autant que possible la formation d’une classe moyenne commerçante proprement rwandaise, l’Administration décida de multiplier à travers le pays les centres d’activité commerciale. A côté de la vingtaine de marchés campagnards où s’échangeaient les produits de l’agriculture, de l’élevage et de l’artisanat, et à côté de la vingtaine de centres commerciaux où s’exerçait le commerce de produits d’importation, elle décida en 1944 d’autoriser la constitution de centres commerciaux secondaires, appelés Centres de Négoce. Ces nouveaux centres, qui comprenaient des constructions en matériaux provisoires contrairement aux Centres Commerciaux, furent disséminés autour de ceux-ci, dont ils devinrent les satellites.
Dans un but de « rwandisation », l’installation dans les Centres de Négoce ne fut autorisée qu’aux commerçants rwandais, travaillant soit pour leur propre compte, soit pour le compte d’un occupant du Centre Commercial le plus proche. Dans la réalité, faute de disposer d’un minimum de capital au départ et de pouvoir donc constituer un premier fonds de commerce, les commerçants rwandais de ces nouveaux Centres ne furent que les agents des commerçants étrangers installés dans les Centres Commerciaux. L’objectif visé par l’Administration ne fut donc pas atteint. En 1947, les Centres Commerciaux et de Négoce étaient au Rwanda respectivement 25 et 9; en 1950, 23 et 31; et en 1960, 25 et 56.
En 1949, sous l’impulsion des idées nouvelles, fut adoptée une législation organisant les sociétés commerciales du type coopératif, et leur assurant un certain nombre d’avantages. Selon cette législation, d’une conception encore expérimentale, les sociétés coopératives devaient, durant une vie légale limitée à cinq ans, rester sous la tutelle directe de l’Administration. Exonérées d’impôts les trois premières années de leur existence, puis taxées à 50 % les deux années suivantes, elles pouvaient aussi obtenir du Trésor des prêts à des conditions très favorables (sans intérêts la première année, à 2 % la deuxième année, et 4 % dans la suite). Les trois premières coopératives de consommation du Rwanda se constituèrent au début des années 1950, à Kigali et dans les centres miniers de Rutongo et de Rwinkwavu.
En 1956, après quelques années d’expérience, la législation de 1949 put être modifiée. La durée maxima de vie accordée aux coopératives fut portée à 30 ans, et leur tutelle par l’Administration fut sensiblement allégée. L’année suivante, elles furent exonérées d’office de l’impôt personnel et de l’impôt sur les revenus pendant leurs cinq premières années. En 1960, le Rwanda comptait sept coopératives soumises à ce nouveau régime : quatre coopératives de consommation, à Rutongo, Rwinkwavu, Kamonyi, et la «Trafipro » (Parmi les promoteurs de cette coopérative fondée en décembre 1956, se retrouvaient plusieurs leaders de la future démocratie rwandaise, et en premier lieu le président de son Conseil d’Administration, M. Grégoire Kayibanda. La Trafipro devint ainsi l’une des cellules de base à partir desquelles rayonna le mouvement d’émancipation démocratique) à Kabgayi; et trois de production de café (Impara, Nkora et Abahizi).
La Trafipro, dont le nom exprimait trois grands objectifs communautaires (travail, fidélité et progrès), s’efforça rapidement d’atteindre à une envergure régionale, puis nationale. Elle fut la première entreprise rwandaise à s’imposer par le jeu de la solidarité coopérative démocratique — mais non sans de grandes difficultés — sur le marché commercial.
Quant au commerce extérieur, il s’était réactivé au lendemain de la guerre, la valeur des exportations et celle des importations passant respectivement de 300 millions et 221 millions de francs en 1945, à 1 083 et 1 175 millions en 1950, 2 006 et 2 005 millions en 1955, et 2 251 et 2488 millions en 1960. Les circuits d’importation d’avant 1940 avaient été en grande partie restaurés, mais la Belgique n’était toutefois redevenue le premier pays fournisseur qu’en 1956′. Jusqu’à cette année, les États-Unis conservèrent la première place qu’ils avaient acquise pendant la guerre. En ce qui concerne le commerce d’exportation, abstraction faite de l’Union Douanière avec le Burundi et le Congo, la Belgique redevint très vite le premier pays client des États-Unis passant au second rang, et les exportations vers l’Afrique du Sud se réduisant d’année en année. Mais, alors que depuis 1924 les produits originaires du Rwanda et du Burundi avaient bénéficié comme ceux du Congo de la franchise douanière à leur entrée en Belgique, lors de la formation du Benelux en 1947, ce régime préférentiel fut réaménagé, et réduit à une liste de produits déterminés.
Tout comme le commerce de détail était resté, à de rares exceptions près, inaccessible aux nationaux, le commerce de gros et d’import-export a fortiori resta le domaine exclusif de firmes étrangères. En réalité, une rwandisation à ce niveau n’eût été réalisable et praticable que dans les toutes dernières années de la Tutelle, par le biais des sociétés coopératives.
Les progrès de l’enseignement
Suivant le renouveau général qui succéda à la guerre, l’enseignement fut entièrement réorganisé en 1949. Deux ans plus tôt, un Service Administratif spécial avait été créé pour ce secteur d’activité et avait entrepris l’étude des améliorations à y apporter. La réorganisation de 1949, qui porta essentiellement sur l’enseignement primaire, accrut considérablement les obligations en même temps que les subsides conférés aux congrégations religieuses. Bientôt l’enseignement primaire comporta uniformément un premier degré commun de deux années d’études et un second de trois années à l’issue duquel était opérée une sélection pour l’accès à une 6e, puis, à partir de 1953, à une 7e préparatoire à l’enseignement secondaire.
A partir de la 3e année, était prévu auparavant déjà l’enseignement du français, mais en réalité seules quatre écoles primaires centrales étaient à même de le donner en 1947.
Selon le système de l’enseignement libre contrôlé et subsidié en vigueur, les écoles primaires étaient en pratique regroupées par Paroisses. Chacune de ces dernières comportait un prêtre ou pasteur spécialement chargé de diriger, contrôler et payer les moniteurs, au moyen des fonds fournis par l’Administration. L’inspection de l’enseignement s’effectuait à l’échelon du Diocèse par du personnel religieux.
D’une façon générale, l’enseignement primaire connut une forte expansion durant la Tutelle. Le nombre des élèves y passa de 112 000 en 1949 à 265000 (dont 31 % de filles) en 1960.
En 1954, pour suppléer au manque d’écoles dans certaines régions et à l’insuffisance des moyens financiers disponibles,Le Vicaire Apostolique de Kabgayi suggéra aux parents désireux d’avoir à tout prix une école pour leurs enfants, de les créer et de les subventionner eux-mêmes. Un bon nombre d’écoles nouvelles naquirent en cette occasion.
Mais le grand problème dans l’enseignement primaire fut de trouver un nombre suffisant de moniteurs et de monitrices qualifiés, c’est-à-dire disposant en principe d’un diplôme de 4 ans d’école normale.
Pour cette raison, l’effort de développement de l’enseignement secondaire porta d’abord sur l’enseignement normal. De nouvelles écoles de moniteurs vinrent s’ajouter à celle de Zaza : en 1951 à Byimana, en 1952 à Byumba, et en 1955 à Save. De même, à l’école de monitrices de Save s’ajoutèrent celles de Muramba en 1952, de Byimana en 1957, et de Kigali en 1959.
Cet effort ne pouvant porter ses fruits qu’après un long délai, nombreux furent encore les enseignants qui continuèrent à professer sans avoir le diplôme requis. Leur formation empirique resta contrôlée par de fréquentes inspections et soutenue par l’abonnement à un bulletin pédagogique.
A côté des écoles pour moniteurs et monitrices, l’enseignement secondaire comportait essentiellement au lendemain de la guerre le Groupe Scolaire d’Astrida-Butare et le Petit Séminaire de Kabgayi. Dans le but d’organiser bientôt un enseignement secondaire général complet, pouvant déboucher directement sur l’enseignement supérieur et universitaire, le cycle de 3 ans qui précédait l’accession aux sections spécialisées (administrative, médicale, agricole, etc.) fut, en 1949, transformé en un degré secondaire inférieur scientifique. Quant au degré secondaire supérieur, il restait à créer à côté des sections spécialisées. En attendant cette création, une dizaine d’élèves rwandais furent dès cette année envoyés poursuivre leurs études à l’école secondaire latine de Bukavu au Congo.
Quant à l’école secondaire complète que l’Administration projetait de construire pour le Rwanda-Burundi, prévue pour être établie d’abord à Gatagara (Rwanda), elle fut finalement installée à Bujumbura en 1954.
Cet enseignement nouveau reçut, fin 1955, un prolongement pré-universitaire puis, l’année suivante, un prolongement universitaire, par l’ouverture à Lubumbashi (alors Élisabethville) au Congo, d’une Université Officielle du Congo et du Rwanda-Urundi. Cette même année, s’ouvrit à proximité de Kinshasa (alors Léopoldville) l’Université catholique de Lovanium, qui accueillerait bientôt elle aussi un certain nombre d’étudiants rwandais.
En 1957 enfin, fut décidée la création à Butare d’un Institut Universitaire Agronomique et Zootechnique dépendant de l’Université Officielle de Lubumbashi-Élisabethville; cet institut ferma malheureusement ses portes en 1959.
L’enseignement secondaire apparut terriblement insuffisant lorsque l’évolution politique du pays s’accéléra dans les dernières années de la Tutelle. De nouveaux établissements furent alors créés : deux collèges pour garçons, à Nyanza (Christ-Roi) en 1956, et Kigali (St André) en 1957; et pour les filles, un lycée à Gisenyi en 1955 (transféré plus tard à Muramba) et une section latine inférieure à Kigali en 1959.
Puis en 1959, 60 et 61, furent organisées diverses formations accélérées en fonctions des besoins les plus urgents en cadres administratifs rwandais. La création tardive d’un enseignement secondaire et supérieur officiel dans le pays, fut heureusement compensée par l’existence, depuis un demi-siècle, de l’enseignement des Petits et des Grands Séminaires catholiques. Grâce à ceux-ci, le Rwanda put disposer, à l’heure de sa Révolution et de son indépendance, d’un certain nombre de personnalités Hutu de grande valeur, moralement prêtes à assumer les plus hautes responsabilités. Trois nouveaux Petits Séminaires furent ouverts à Nyundo, Rwesero, et Kansi (cycle supérieur), respectivement en 1952, 56 et 57.
Quant à l’enseignement technique enfin, il ne comporta jusqu’en 1954 que de petits établissements dispensant une formation artisanale pour les garçons (ou ménagère pour les filles) d’un niveau modeste (cycle de 2 ans, sauf l’Institut Léon Classe qui depuis 1948 donnait près de Kigali une formation artisanale de 4 ans). C’est en 1954 que s’ouvrit à Kicukiro, près de Kigali, une école technique officielle d’un niveau réellement utile pour l’économie rwandaise, répartie en quatre sections : travail du bois, travail du fer, électricité (cycles de 4 ans) et couture (cycle de 2 ans). L’enseignement secondaire technique se limita donc à cet établissement, sans comprendre notamment de formation dans le domaine commercial.
Croissance du Christianisme
Au lendemain de la guerre, le Christianisme connut au Rwanda un regain de dynamisme. L’ancien titulaire du Vicariat Apostolique du Rwanda, Mgr Classe, décédé en janvier 1945, reçut pour successeur Mgr Déprimez.
Celui-ci, quelques mois après son entrée en fonction, organisa un synode au cours duquel furent décidées diverses réformes portant principalement sur le catéchuménat, c’est-à-dire la période préparatoire au baptême catholique. Cette période, d’une durée de 4 ans, fut scindée en plusieurs phases, comprenant chacune un programme d’instruction doctrinale renforcée.
L’année suivante, le nouveau Vicaire Apostolique entreprit d’utiliser au maximum ce moyen de promotion culturelle qu’était la presse écrite. Il institua une « journée de la presse », et réussit à faire doubler en moins d’un an le tirage du « Kinyamateka », périodique mensuel catholique en Kinyarwanda fondé en 1933, qui passa ainsi de 4400 à 9000 exemplaires en 1947, pour atteindre 20000 six ans plus tard. D’autres publications périodiques se développèrent parallèlement : « L’Ami » d’abord, qui s’adressait à un public rwandais de langue française avec un tirage de 2 à 3 000 exemplaires’; puis un périodique destiné aux moniteurs de l’enseignement « Kurerer’Imana », et tiré à quelque 3000 exemplaires également; et enfin, « Hobe » une petite publication destinée aux enfants des écoles, dont le tirage atteignit 35 000 exemplaires en 1953.
En 1950, fut fêté par toute la communauté catholique rwandaise le cinquantenaire de l’implantation chrétienne et de son extraordinaire épanouissement au Rwanda : 358 000 baptisés, 168 000 catéchumènes, répartis en 40 Paroisses, autour de 90 prêtres rwandais et de 87 prêtres étrangers.
En 1952, cette grande communauté étant devenue trop vaste pour ne former qu’un seul Vicariat, un second Vicaire Apostolique fut désigné en la personne de Mgr Aloys Bigirumwami. Celui-ci eut à exercer son ministère, à partir du siège de Nyundo, surla partie septentrionale et occidentale du Rwanda, tandis que Mgr Déprimoz exerçait le sien sur tout le reste du pays à partir de Kabgayi. Le nouveau Vicariat de Nyundo fut cette même année consacré à la Vierge des Pauvres et des Nations.
En 1953, trois mouvements laïcs furent reconnus comme mouvements mandatés d’action catholique, soutenus par un secrétariat et par un bulletin de liaison communs : la Ligue du Sacré-Cœur, fondée en 1930 et progressivement étendue à toutes les Paroisses; la Croisade Eucharistique, lancée vers 1930 également pour tous les enfants des écoles, et qui fut remplacée en 1956 par le mouvement des Xavériens ; et enfin, la toute neuve Légion de Marie.
En 1955, le Vicaire Apostolique de Kabgayi, fort affaibli par un accident, démissionna de sa charge, et fut remplacé jusqu’à l’année suivante par un Pro-Vicaire, le R. Père A. Dejemeppe, qui fut à son tour remplacé par Mgr Perraudin, sacré Vicaire Apostolique en 1956.
Alors qu’en 1955 déjà le nombre des baptisés et celui des catéchumènes avaient atteint respectivement 486 000 et 259 000, ils se montèrent en 1960 jusqu’à 698 000 et 435 000.
Afin de suivre ce grand mouvement, il importait d’augmenter au plus vite le nombre des Paroisses, et pour y parvenir, de mieux répartir le personnel religieux. Grâce à cette mesure, le nombre des Paroisses put être porté à 58 en 1960.
Entre 1950 et 1960, près d’une vingtaine de Congrégations et associations catholiques vinrent au Rwanda fonder de nouveaux établissements religieux ou participer à l’effort de développement de l’enseignement secondaire. Tandis qu’en 1956, une nouvelle Congrégation était fondée dans le pays : celle des Soeurs Bizeramariya, qui se donnait pour tâche le secours aux vieillards et infirmes abandonnés.
En 1959, se constituèrent au Rwanda les mouvements de la Jeunesse Ouvrière Catholique et de la Jeunesse Rurale Catholique.
Le 10 novembre 1959 enfin, les Vicariats Apostoliques du Rwanda se transformèrent respectivement en Archevêché de Kabgayi et en Evêché de Nyundo. Et dans les deux années suivantes, furent fondés deux Evêchés nouveau, l’un à Ruhengeri, confié à Mgr Bernard Manyurane (qui devait malheureusement mourir peu après) et l’autre à Butare, confié à Mgr Jean-Baptiste Gahamanyi.
Dans les années qui précédèrent et suivirent la Révolution de novembre 1959, le Christianisme joua dans le pays, ainsi qu’on le verra plus loin, un rôle très important à la fois pour orienter l’évolution du pays vers la justice sociale et pour modérer les esprits et limiter au maximum les violences.
Organisation de l’action sanitaire
La politique adoptée en 1939 dans le domaine de la santé publique, et qui visait à couvrir l’ensemble du pays d’un réseau d’installations fixes, fut reprise et renforcée dans le cadre du Plan Décennal. Selon celui-ci, l’objectif à atteindre était d’équiper chaque Territoire de deux hôpitaux ruraux en moyenne et d’un nombre de dispensaires suffisant pour qu’aucun habitant n’ait à parcourir plus de 10 km à pied pour y parvenir.
La réalisation de cet objectif signifiait, concrètement, que le nombre des hôpitaux du pays devrait passer en 10 ans de 15 à 21, et celui des dispensaires de 49 à 90.
Si ces chiffres ne purent être atteints dans la réalité, l’effort accompli n’en fut pas moins remarquable. Grâce aux nouveaux moyens financiers dont put disposer l’Administration durant cette période, le nombre des formations hospitalières atteignit la vingtaine en 1960, tandis que les dispensaires se chiffraient à 67. Chaque hôpital comporta dorénavant un service de maternité, une consultation prénatale et de nourrissons, et fut équipé d’une ambulance pour le transport des malades graves. Quant aux dispensaires, un système de fiches personnelles de traitement y fut instauré et généralisé, permettant de suivre chaque malade avec une réelle efficacité; et des consultations de nourrissons y furent organisées.
Par ailleurs, conformément aux prévisions du Plan, furent également construites une demi-douzaine de maternités, un sanatorium à Rwamagana (en 1955), et un nouveau laboratoire médical à Astrida-Butare. Une léproserie avait été projetée, mais ne put être réalisée.
Cette multiplication des hôpitaux et dispensaires exigea un grand effort aussi en ce qui concernait le personnel médical. De nouveaux médecins furent recrutés, et l’enseignement médical sur place dut être renforcé : à côté de la formation d’Assistants Médicaux au Groupe Scolaire d’Astrida-Butare, des écoles d’infirmiers fonctionnèrent à Kigali et Ruhengeri, et d’aides-infirmiers à Nyanza; et des écoles d’infirmières-accoucheuses à Kabgayi, et d’aides-accoucheuses à Kabgayi et Astrida-Butare.
A côté de ce dispositif de médecine curative, le Service de la Santé Publique organisa de grandes campagnes préventives, dont l’effet fut considérable à travers le pays.
Contre la malaria d’abord, fut réalisée à partir de 1947 une vaste opération de dédétisation, visant toutes les régions de moins de 2 000 mi: des centaines de milliers d’habitations et des centaines d’hectares de marais furent ainsi débarrassés des larves de moustiques vecteurs de la malaria. En même temps, dans chaque consultation de nourrissons, furent distribués des anti-malariens prophylactiques. De cette opération résulta une spectaculaire diminution des cas de paludisme : de 340 000 cas traités au Rwanda-Burundi en 1955, l’on passa à 155 000 cas en 1960; et le nombre des décès décrut parallèlement, passant de 485 en 1955 à 118 en 1960.
Contre la variole, après une épidémie en 1944 au cours de laquelle la moitié des populations du Rwanda-Burundi avait été vaccinée, un service permanent de vaccination fut organisé, dans tous les centres de consultations de nourrissons, pour les enfants de 6 mois et plus.
Contre la tuberculose, des équipes prophylactiques mobiles bien équipées par la CEMUBAC entreprirent à partir de 1950 le recensement des malades (par microradiographies et tests à la tuberculine) ainsi que leur vaccination dans les Territoires de Byumba (Buberuka et Mutara), de Kibungo (Buganza-Sud) et aux alentours de Kigali. Cette action se compléta par l’ouverture du sanatorium de Rwamagana en 1955, et par l’inauguration à partir de 1957 d’une vaste campagne de vaccination à travers les mêmes régions : en 1959 et 60, plus de 500 000 vaccinations ont été faites au Rwanda et au Burundi, et il semble que dans lesrégions les plus atteintes par cette campagne, la maladie ait alors régressé de quelque 50 %.
Contre la poliomyélite, une importante campagne de vaccination par le vaccin buccal Koprowski fut également entreprise à partir de 1958, visant la généralité des enfants de moins de 5 ans. En 1960, 380 000 enfants avaient ainsi été immunisés au Rwanda et au Burundi. Et pour compléter le dispositif contre cette maladie, une belle initiative chrétienne permit l’ouverture à Gatagara en 1960 d’un Hôme de la Vierge des Pauvres pour la réadaptation des enfants handicapés.
La lutte contre le pian fut également poursuivie dans les deux pays et, grâce aux nouveaux antibiotiques, le nombre des cas put être réduit de 150 000 en 1949 à 32 000 en 1960, ce dernier chiffre ne comprenant plus que des manifestations non contagieuses.
Contre la lèpre, maladie peu répandue dans le pays, l’action sanitaire fut à partir de 1957 confiée à la Fondation des amis du Père Damien, qui organisa bientôt un service itinérant, surtout dans les régions situées à l’Ouest de la crête Congo-Nil.
La tripanosomiase, ou maladie du sommeil, n’existait au lendemain de la guerre que dans les régions basses de la vallée de la Rusizi, en Territoire de Cyangugu, où son éradication était systématiquement organisée depuis de longues années. A partir d’avril 1955 toutefois, un nouveau foyer de quelque 20 cas de cette maladie apparut dans le Sud du Bugesera, provenant du Territoire de Muhinga au Burundi; et plus tard de nouveaux cas furent encore recensés en Territoire de Kibungo. Une opération d’éradication de la mouche tsé-tsé fut en conséquence entreprise au Bugesera et, en 1960, quelque 3 000 ha y furent traités par épandage aérien.
Enfin, contre le Kwashiorkor, maladie de carence alimentaire des nourrissons, le Service de la Santé Publique organisa avec l’aide du Fonds International de Secours à l’Enfance (FISE) la distribution de lait entier et écrémé dans tous les hôpitaux.