L’accession  à l’Indépendance 

  1. A la date prévue du 1er juillet 1962, le Drapeau Belge fut amené et le Drapeau du Rwanda hissé ! Le Rwanda devenait désormais une République Indépendante et Souveraine. Une date inoubliable, marquant un tournant définitif, irréversible.

Nous n’acceptons pas de nous conformer ici à l’usage qui, dans les Déclarations les plus solennelles et les plus officielles, veut que le 1er juillet 1962 le Rwanda devint Indépendant ou accéda à l’Indépendance. Nous préférerions, quant à nous, dire que le Rwanda recouvra alors son Indépendance. Ce pays, en effet, à la différence de territoires ex-coloniaux, ne fut pas une création Allemande ou Belge. Ce ne fut pas le colonisateur qui en rassembla les différentes zones en une nouvelle unité politique composite, à laquelle il aurait imposé un nom de son invention. Il l’a trouvé tel quel, Indépendant depuis toujours, sous son nom RWANDA. Le 1er  juillet a donc été en réalité la date à laquelle le Rwanda se vit restituer son Indépendance temporairement mise en veilleuse, arbitrairement confisquée, par le colonisateur. C’est là un aspect culturel, pour ainsi dire, doctrinal que le langage courant, qui va de soi dans les milieux politiques internationaux, ne devrait pas nous faire perdre de vue. La célébration en liesse de notre Ir juillet, Fête Nationale par excellence, n’est pas plus enthousiasmante en tant que mémorial d’un Don supposé que l’étranger aurait accordé au Peuple Rwandais, que comme mémorial de la Restitution de notre Bien national le plus précieux.

L’Aménagement des Structures de la République

 1) La République et L’élection du Chef de l’Etat.

 794. Une fois célébrées les festivités de l’Indépendance recouvrée, l’Assemblée Nationale, dès le 30 juillet, reprit ses débats sur la révision de la Constitution, tâche commencée depuis quelques 5 mois auparavant. Le texte initial à réviser (cfr no 753) totalisait 80 articles ; celui de la Constitution définitive qui sera votée le 2 août et promulguée le 24 novembre 1962 en totalisera 111. Son art. Ier consacre plus explicitement la dénomination de « République Rwandaise », déjà édictée par l’Assemblée Législative le 26 oct. 1961. Pourquoi cette forme qui écarte celle de « République du Rwanda »? Dans cette dernière, la juxtaposition des deux noms impliquerait une certaine distinction entre le pays et le régime. Dans la première, au contraire, le qualificatif « rwandais » identifie le pays et le régime, en incarnant, pour ainsi dire, ce dernier dans le premier.

L’art. 2 déclare que « le régime mwami est aboli et ne peut être restauré ». On pourrait se demander pourquoi à cette disposition claire et radicale fut ajouté un 2ème alinéa qui comporte un défaut, du double point de vue du fond et de la forme : « Le mwami Kigeli et toute sa dynastie, est-il dit, sont déclarés déchus de leurs prérogatives royales ».

En citant nommément une personne dans la Constitution, en effet, les Constituants lui confèrent matériellement un privilège enviable contre leur intention décimée. On peut supposer qu’à sa mort ils devront siéger à nouveau en Constituante pour retoucher l’article en conséquence, en radiant son nom. « Toute sa dynastie » aurait dû se limiter à sa descendance, ou viser du moins formellement les membres actuels et à venir de la Maison naguère régnante. Comme ces derniers ne constituent cependant pas la dynastie, la formule examinée semblerait matériellement viser également les ancêtres de Kigeli, qui n’ont aucune possibilité d’être déclarée déchus de privilèges historiquement révolus.

Dans les art. 25-30, d’autre part, la Famille a été définie dans le sens européo-américain, ne correspondant pas à la signification africano-rwandaise du terme, que les Députés avaient en vue. La notion qu’ils visaient était le Foyer (père, mère et leurs enfants), tandis que la Famille, chez nous correspond à l’ensemble des Foyers dont les chefs se réclament du même ancêtre éponyme. La méprise survenue résulte de la non-décolonialisation du langage qui est lefait généralisé chez les Francophones d’Afrique.

  1.  Les art. 52-53, enfin, déterminent que le Président de la République est élu au suffrage universel et que son mandat est de 4 ans. Nous devons nous arrêter davantage sur l’art. 54 concernant les candidatures à la Présidence de la République. Les candidats doivent être âgés de 35 ans au moins et de 60 ans au plus. On ne peut reprocher aux Constituant d’avoir manqué de réalisme sur ce point: ils étaient animés du récent et généreux courant de la Démocratie enfin acquise de haute lutte ! Il était dès lors compréhensible qu’ils n’aient même pas voulu prendre en considération la conception populaire du Pouvoir suprême et de son détenteur à la tête du pays.

Cette conception était pour eux un mythe ! Or ne venaient-ils pas de renverser le mythe de la monarchie ? Mais ce mythe, si mythe il y a n’est pas limité au Rwanda : il s’étend à toute l’Afrique Sub-Saharienne : et il a été confirmé par les faits qui s’étalent sous nos yeux depuis le stade des Indépendances nationales. Aux yeux des masses populaires, en effet, le Chef de l’Etat, en qui s’incarne le Pouvoir suprême de la Nation, devient une personne sacrée: il a été prédestiné par Dieu à cette dignité. Croirions-nous que ce soit là une erreur ? Or ceci n’est pas une conception magique, mais une croyance culturelle dans la ligne de la Religion traditionnel

  1. On peut dire, sans crainte d’être valablement contredit, que c’est peut-être le seul, ou du moins le principal point, où l’Afrique Sub-Saharienne a clairement rejeté les expériences que, fort tardivement d’ailleurs, les Européens ont prétendu réaliser en imposant aux colonisés leur propre idéologie culturelle opposée. Imaginons donc que le Président sortant se représente devant les Electeurs en vue de faire renouveler son mandat, et que s’oppose à lui un autre candidat ! Ce dernier serait considéré, aux yeux de la masse, comme un intrus, un mécréant, digue d’être lynché séance tenante. Les politiciens en général, et les Députés en particulier, se rendent parfaitement compte de ce grave risque, y compris ceux du Rwanda malgré 1e fameux article 54 de la Consitution. Bien entendu, il n’y a pas que le sentiment des masses populaires : il y a également le fait que quiconque est en place n’accepterait pas volontiers d’être bousculé. Mais dans le cas qui nous occupe, le candidat éventuel, si fort soit-il politiquement parlant, sait que, en raison de cette conception populaire, le premier occupant tient les masses entre ses mains. Il n’aurait qu’à faire un petit geste et l’opposant serait immédiatement un isolé, abandonné de ses partisans hier les plus chauds. Encore une fois, il ne s’agit pas du seul cas du Rwanda, si bien qu’il faut étendre à l’Afrique Sub-Saharienne en général ce qu’affirme M. Lemarchand (cfr Lemarchand : Rwanda and Burundi, p. 264 ssv) sous le titre de The Kingdomreborn(la Royauté ressuscitée). Bien entendu, réviser le dit article de manière à proclamer les Présidents à vie serait maladroit et parfaitement superflu.

2) Réorganisation territoriale

  1. L’Assemblée Nationale s’occupa de la réorganisation des Préfectures et des Communes (cfr Doc. no 109, p. 1-14 ; du 2-4-1963, et Doc. n-° 110, du 3-4-1963, p. 1-13). Sous le régime de la Tutelle, les chefs-lieux des Territoires étaient désignés sous des appellations déformées, à l’encontre des règles de la langue rwandaise. Ainsi disait-on Shanguguau lieu de Cyangugu, Kisenyi au lieu de Gisenyi, Biumbaau lieu de Byumba,- Kihungu au lieu de Kibungo. Toutes ces fautes furent corrigées.

La localité Astrida, seule à avoir été baptisée ainsi en mémoire de la Reine Astrid, reprit le nom traditionnel de Butare. La Préfecture de Nyanzafut supprimée. Le Ministre de l’Intérieur, M. Bicamumpaka, qui présentait et défendait le projet de loi, élaboré par le Gouvernement, dut répondre évasivement aux Députés qui tentaient de faire maintenir Nyanza et l’appellation d’Astrida. Les défenseurs de cette dernière localité présentaient leurs arguments en toute liberté ; quant à la minorité de l’UNAR qui défendait Nyanza, ils sous-entendaient les vraies raisons de leur zèle : Nyanza était pour eux la capitale de la monarchie d’hier. Pour le Gouvernement le territoire devait être supprimé, parce qu’il était devenu ingouvernable dans le cadre républicain, au sein duquel les monarchistes voulaient en faire un îlot de résistance. Mais le Ministre ne le disait pas explicitement, apportant des arguments peu convaincants, si bien que c’était de part et d’autre un dialogue de sourds. L’appellation même de Nyanzadevait être remplacée par celle de Nyabisindu, si bien que celle de Nyanza restait uniquement à la colline ainsi appelée, siège de la paroisse catholique. Les bâtiments officiels situés en cette importante localité furent partagés entre les services de la Cour Suprême et du Procureur de la République, siégeant désormais à Nyabisindu.

Le territoire de l’ancien Nyanza fut attribué partie à la Préfecture de Gitarama au Nord et partie à celle de Butare au Sud. La région excentrique du Bunyambilili, à l’Ouest, fut attribuée à la Préfecture nouvelle de Gikongoro créée à la même occasion, dont le territoire était principalement formé des zones occidentales prélevées sur celle de Butare. Ainsi Nyanza supprimé et Gikongoro érigé, les Préfectures restaient au nombre de 10, comme étaient les Territoires sous le régime de Tutelle.

  1. Ces aménagements étaient cependant superficiels en soi : la vraie réforme se situa au niveau des Communes. A n’en pas douter, les Constituants entendaient défaire la structure administrative antérieure, de manière à l’effacer de 1a mémoire des hommes. Les Communes antérieurement délimitées par le Conseil Spécial en vue des Elections Communales (cfr n° 719) étaient 227 et se trouvaient à l’intérieur des limites des Chefferies. Comme nous l’avons rappelé plus haut cependant (cfr no 609), les Chefferies furent introduites par la Tutelle: elles étaient inconnues de l’Administration rwandaise traditionnelle. Toutefois, elles existaient depuis 46 ans, inaugurées qu’elles furent en 1926. Cette structure, en toute hypothèse, avait marqué les 2 règnes précédents, au point de pouvoir être considérée comme traditionnelle. Les Sous-chefferies furent, en conséquence, détruites : en réduisant les 227 Communes antérieures, les nouvelles, — au nombre de 144, — furent créées de manière qu’elles chevauchaient sur les anciennes limites et des Sous-chefferies et des Chefferies, dans le but avoué d’en effacer le souvenir. Cette opération fut effectuée le 5 avril 1963 par la fixation des limites entre les Préfectures et entre les Communes (cfr Doc. no 112, p. 1-17). Une fois le dépècement achevé, on ne pouvait plus s’y reconnaître L’organisation administrative de base du Rwanda devenait une véritable nouveauté.

En d’autres mots, l’organisation républicaine supprimait la Chefferie du stade colonial pour reprendre le deux échelons administratifs traditionnels : le District (cfr no 604 ssv) remplacé par la Préfecture, et la Sous-administration = igikingi, désormais appelée Commune, avec cette différence que cette dernière était renforcée à l’extrême et incomparablement plus étendue.

3) Le Régime électoral

  1. Enfin, du 6 avril au 15 mai 1963, l’Assemblée Nationale tissa les 223 articles de la Loi Electorale (cfr Doc. 113 à 126, chacun des 14 comportant sa pagination indépendante). Il s’agissait en fait d’ amplifier et d’indigéniser les ordonnances antérieures (de la Tutelle) qui avaient réglementé les Elections Communales et Législatives avant l’Indépendance. L’Assemblée Nationale décréta le principe général que le vote aux trois échelons (Elections Communales, Législatives et Présidentielles) est obligatoire pour tout citoyen âgé de 18 au moins (art. 15) ; tout inscrit qui ne se présenterait pas aux urnes, sans raison motivée, serait frappé d’une amende de 500 francs (art. 18). Mais la dernière révision omet ladite amende. Pour les trois échelons, le mandat est de 4 ans.

Les Communales sont organisées pour élire les membres du Conseil Communal et le Bourgmestre. La fonction de Conseiller communal est très importante sur le plan local, cela se comprend sans peine ; mais elle l’est encore sur le plan national, puisque personne ne peut se porter candidat aux Législatives s’il n’a pas été préalablement élu par les populations de sa Commune parmi les Conseillers. Il se fait ainsi que même le Président de la République est, à la base, membre élu du Conseil de la Commune où il a sa résidence privée. La Loi portant Organisation des Communes (cfr Doc. 145, du 3-10-1963, p. 35-50, cette fois-ci la pagination étant uniformisée pour tout le volume) en son art. 2, devait préciser qu’il y aura un Conseiller par tranche de 1000 électeurs et par fraction de plus de 500 ; qu’il devait y avoir un minimum de 5 Conseillers et 25 au maximum par Commune.

799. Nous devons noter que l’art. 26, déterminant les empêchements d’éligibilité aux Communales, déclencha une lutte épique. En son dernier alinéa, en effet, ledit article stipule que les polygames et ceux qui vivent dans le concubinage ne peuvent poser leur candidature de Conseiller communal, ni par conséquent de Député national aux élections Législatives (cfr Doc. no 116, p. 1-14). Or certains membres de l’Assemblée Nationale étaient concernés. Après des discussions chaudes et prolongées, on proposa une voie de compromis : un amendement fut introduit qui tentait de laver de polygamie et de concubinage ceux qui s’y sont engagés avant le 24-11-1962 (date à laquelle a été promulguée la Constitution sous révision dont l’art. 29 prohibe la polygamie). L’amendement fut rejeté par 19 voix contre 18, et le vote global de l’article fut acquis finalement par 22 voix contre 0 et 11 abstentions.

L’art. 32, d’autre part, détaille les catégories de Fonctionnaires de l’Etat dont la charge est incompatible avec celle de Conseiller communal : Membres de la Cour Suprême, Magistrat de carrière, etc. Mais nos Constituants y inclurent « les Ecclésiastiques et les Religieux ». Aucune raison valable ne peut justifier cette exclusive, sinon le désir, explicitement avoué, de se débarrasser de concurrents trop favorisés. Ils y reviendront d’ailleurs à l’art. 112, à propos des Législatives, mais ce sera alors l’effet d’une distraction, bien explicable ! Puisque personne ne peut se porter candidat aux Législatives, en effet, sans être déjà Conseiller Communal, la barrière constituée par l’art. 32 suffisait amplement.

  1. En ce qui concerne le Bourgmestre, son élection se fait en même temps que celle des Conseillers communaux ; les candidats, au nombre de 3, doivent être âgés d’au moins 21 ans et se trouver déjà sur la liste des candidats Conseillers. L’art. 102 détermine que l’élu est celui qui a obtenu le plus de voix ; la liste sur laquelle il figure devient gagnante. En cas d’empêchement ou de vacance, le Bourgmestre sera remplacé par un membre à désigner, en son sein, par le collège des Conseillers sur la liste gagnante.

Aux termes donc de cette Loi, le Bourgmestre est élu au premier degré par les populations de son ressort. Cette Loi Electorale sera revue deux fois en 1967 et en 1969. En vertu dela 2ème révision, l’élection se fera au second degré : les candidats Bourgmestres seront d’abord élus par les populations de la Commune en même temps que les Conseillers. Cette procédure cependant équivaudra pratiquement à confirmer la candidature préalablement posée par les intéressés, puisqu’il revient désormais au collège des Conseillers de désigner définitivement leur Bourgmestre parmi les 3 candidats. Or, comme nous l’avons constaté en 1971, cette élection ultime ne doit pas tenir compte de la préférence des populations intéressées. Le candidat qui aura, par exemple, obtenu 1500 voix sera désigné Bourgmestre aux dépens de celui qui aura obtenu quelques 3500 voix. C’est dire, en d’autres mots, que les populations expriment clairement leurs préférences, mais que les Conseillers communaux se livrent ensuite au jeu des intrigues politiques.

En toute hypothèse cependant, il eût été préférable de soustraire le Bourgmestre au jeu des élections. S’il était nommé purement et simplement comme Fonctionnaire prolongeant l’action du Préfet, il serait complètement indépendant, au lieu que certains, pour se ménager la popularité en pensant aux futures élections, sont exposés à:fermer les yeux sur bien des abus qu’ils devraient réprimer. En ce qui regarde les Législatives (art. 104-149), il n’y a pas de remarque spéciale à relever. Ni sur les Présidentielles du reste (art. 150 ssv) sinon que l’art. 153 exclut toute candidature d’un membre de la dynastie nyiginya.

Démission du Président de la République, par souci de légalité

  1. Un entracte d’ordre juridique vint s’insérer dans les travaux de l’Assemblée Nationale. L’art. 52 de la Constitution promulguée le 24-11-1962, stipule que le Président de la République est élu au suffrage universel direct. Or le Président en exercice, M. Grégoire Kayibanda, avait été au par l’Assemblée Législative, antérieurement à l’Indépendance, le 26 octobre 1961 (cfr n° 782).

Pour harmoniser sa haute Fonction avec l’esprit et la lettre de la Constitution, M. le Président, en date du 7 juin 1963, adressa une lettre en ce sens à M. Rugira, Président de l’Assemblée Nationale. Il y expliqua que, dès la promulgation de la Constitution, il avait pensé à ce problème, mais qu’à son corps défendant il avait longuement attendu des circonstances plus favorables. Que s’il avait démissionné dès les premiers mois de l’Indépendance, peut-être le Rwanda aurait pu pâtir d’intrigues des colonialistes. Puisque désormais les institutions du pays reposaient sur de solides assises, il avait décidé de démissionner, et de se présenter devant les Electeurs pour se conformer aux prescriptions de la Constitution. Les circonstances lui paraissaient particulièrement favorable, vu les prochaines Elections Communales ; en organisant en même temps les Présidentielles, on réaliserait une économie non négligeable de temps et d’argent (cfr Doc. n° 133, du 12-6-1963).

Ayant examiné le contenu de la lettre Présidentielle et les articles concernés de la Constitution, l’Assemblée Nationale décida de repousser la démission. Siégeant en Constituante, elle vota la motion suivante qui complétera l’art. 108 de la Constitution (Titre IX : Disposition provisoire) : « Le Président de la République en exercice lors de la promulgation de la Constitution est confirmé dans son mandat qui débute à la première Législature. Les dispositions de l’art. 52 relatives à l’élection du Président de la République au suffrage universel ne lui sont pas applicables. Le présent amendement sort ses effets en même temps que la Constitution du 24 novembre 1962 ». Cette motion fut votée à l’unanimité. Ainsi les Présidentielles qui allaient désormais coïncider avec les Communales resteront liées comme auparavant, aux Elections Législatives.

802.L’Assemblée Nationale poursuivit ses travaux en discutant, les 16, et 17 mai 1963 et en votant le projet de Loi déterminant les principes de la Nationalité Rwandaise (cfr Doc. no 127, p. 3-7, et no 128, p. 1-9). Elle adopta ensuite, le 7-6-1963, la Loi portant création de la Caisse d’Epargne du Rwanda, et le 13 celle portant création du Fonds Routier du Rwanda. Mais à la reprise des travaux parlementaires, le 9-9-1963, l’Assemblée se buta à un Arrêté de la Cour Suprême déclarant inconstitutionnels certains articles de la Loi sur la Nationalité Rwandaise. Dans une critique bien documentée, M. Makuza, Ministre de la Justice qui présente le texte dudit Arrêté, démontre que certaines affirmations de la Cour Suprême étaient peu fondées ; mais l’Assemblée Nationale dut retoucher les articles incriminés (cfr Doc. no 135, du 9-9-1963, p. 3-16).

 Démission et révocation : MM. Rugira et Nzeyimana

803.Tandis que l’Assemblée Nationale discutait encore le texte dont question ci-avant, coup de théâtre : M. Rugira, son Président, porte à la connaissance de ses collègues qu’il présentait sa démission, en raison des mesures disciplinaires que le Congrès de son Parti venait de prendre à son encontre. Sa démission fut acceptée par 31 voix contre 0 et 5 abstentions (cfr Doc. no 135, p. 15-16). Dès le lendemain, 10 septembre, le PARMEHUTU avança la candidature de M. Makuza, Ministre de la Justice, en remplacement du démissionnaire. Le candidat fut accepté par 34 sur 37 votants.

Ce même jour, séance extraordinaire de l’Assemblée Nationale pour la prestation de serment du nouveau Président, de 9 Député suppléants et — nouveauté du jour — de 2 Députés de l’UNAR MM. Rwagasana et Ndutiye, qui vont s’engager solennellement  à servir fidèlement la République. M. le Président de la République honora de sa présence la cérémonie, en conclusion de laquelle il prononça un discours en Kinyarwanda. L’examen de la Loi sur la Nationalité Rwandaise reprit son cours.

804. La démission de M. Rugira n’était cependant pas un fait isolé : le lendemain, 11 septembre, M. Nzeyimana, Président de la Cour Suprême, fut démis de ses fonctions, à la suite de graves accusations portées contre lui. Or les deux hommes sont originaires de la Préfecture de Butare. La double disgrâce y provoqua une certaine fermentation de l’opinion en leur faveur, car on disait qu’ils avaient été victimes de la jalousie, de la part de certains de leurs collègues. Personne ne savait au juste la nature des manquements qu’on leur reprochait et l’imagination du public se fit inventive. Il fut propagé qu’on les avait accusés d’avoir mis sur pied une faction clandestine destinée à saboter leur propre Parti. Cette faction imaginaire fut dénommée Nzeru(initiales de NZEyimana et RUgira).

Il se fit, à l’époque, que le Préfet de Butare, M. Sezirahiga, fût transféré à la tête de la Préfecture de Gisenyi ; l’opinion inventa le motif du transfert : M. le Préfet était pénalisé, pure invention, pour avoir nié l’existence de cette faction dans le territoire qu’il dirigeait. D’où 1a fantomatique Nzerudevint Nzeruse (se : initiale de SEzirahiga). Quelque temps plus tard, son successeur à Butare, M. Kalinijabo, reçut une autre affectation. L’opinion, toujours à l’affût attribua l’événement au fait qu’il aurait été de l’avis de son prédécesseur. Du coup la fameuse faction perdit son « se » final et devint Nzeruka(ici ka, initiale de KAlinijabo). Cet épisode, tout tissé d’élucubrations passionnées, démontrait du moins la popularité des deux intéressés dans la zone Sud. Bientôt réhabilités d’ailleurs par les Instances supérieures du Parti, MM. Rugira et Nzeyimana devaient être triomphalement élus Députés aux Elections qui suivirent de près les événements.

805. Entre-temps, pour donner un successeur à M. Nzeyimana limogé de la Cour Suprême, une séance extraordinaire, réunissant en commun l’Assemblée Nationale et les membres du Gouvernement, avait été convoquée le 12 septembre. Deux candidats étaient en présence : MM. Ahorukomeye, Président de la Cour d’appel et Fulgence Seminega, récemment promu à Louvain Docteur en Droit. Celui-ci obtint 39 voix sur 48 votants. Il prêta serment le lendemain, 13 sept. et entra aussitôt en fonction. (cfr Doc. 138 et 139, des 12 et 13 sept. 1963).

Une fois les remous apaisés, l’Assemblée Nationale reprit ses travaux. Elle discuta et vota (24 et 26 sept.) la Loi sur les Passeports nationaux (24 et 26 sept.), ainsi que celles relatives à l’immatriculation des étrangers, à la police de l’immigration, aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers sur le territoire de la République (27 et 28 sept). Elle clôtura ainsi les travaux de sa 2ème Session 1963, après avoir doté le Rwanda de ses structures essentielles de tout ordre. A la 2ème Session de l’Année Parlementaire suivante (1963-1964), elle devait compléter son oeuvre en votant la Loi portant création de la Banque Nationale du Rwanda (cfr Doc. 159 du 14-4-1964, p. 271-277) et celle portant création de l’Université Nationale du Rwanda. (Doc. no 175, du 6-5-1964, p. 475-481).

Notre intention a été d’indiquer les Lois-types des débuts de l’Indépendance, sans devoir détailler toutes celles, si importantes soient-elles, qui furent votées et promulguées dans la suite. A son Président actuel, son Exc. Monsieur Thaddée Bagaragaza, ancien Ministre de la Coopération Internationale, nous devons ce détail récapitulatif que, jusqu’en ce 1972, ont été voté 148 Lois dont 2 seulement n’ont pas été promulguées. Nous terminerons notre paragraphe par le vote concernant la Capitale du Rwanda.

806. KIGALI fut fondé comme chef-lieu sous le Protectorat Allemand en 1908 (cfr de Lacger, po. cit. )A partir de 1917, le régime Belge du Mandat confirmait la localité en cette même fonction. Au recouvrement de l’Indépendance, le Gouvernement Rwandais n’avait pas de choix : c’est à Kigali seul qu’il pouvait trouver les quelques bâtiments nécessaires à l’installation de ses Services. Quoique grosso modo située au centre géographique du pays, la localité pouvait être supplantée dans la suite par Gitarama, mieux situé au centre de la zone à haute densité de peuplement, carrefour également d’un axe routier en forme de croix Est-Ouest, Nord-Sud, ce dernier tracé traversant sur toute sa longueur la fourmilière humaine entassée depuis les Volcans au Nord jusqu’à la Kanyaru au Sud. Les représentants diplomatiques accrédités au Rwanda, entre autres, pouvaient en conséquence se demander s’il était prudent d’installer définitivement leurs Ambassades dans une Capitale non garantie comme telle. En toute hypothèse, l’Ordonnance-Loi du 26 juin 1965 concédait à la ville de KIGALI le privilège de Capitale du Rwanda. De son côté l’Assemblée Nationale, en date du 21-3-1966, confirmait solennellement la décision antérieure, en votant la Loi conçue dans le même sens.