1. XI. Reconnaissance du pays pour le mérite
  1. Partage du butin et prix de la bravoure.
  1. Dès que la dernière armée a eu sa réception nocturne, le lendemain commence le dénombrement du butin. Des fonctionnaires de la Cour suspendent, dès le matin, la hache appelée Rwamukire sur l’un des pisés de l’entrée principale de la capitale, pour symbolier la peine de mort réservée à quiconque osera cacher ne fût-ce qu’une vache du butin. Pour information : (Cette hache s’appelait Rwamukire (litt. celle appartenant à Mukire), parce qu’elle servit, la toute première fois, à l’exécution d’un homme du nom de Mukire, fils de Sekadili, sous Yuhi IV Gahindiro. Elle a dû remplacer, sous ce règne, celle dont on se servait précédemment et dont personne n’a pu nous parler).

181 — Le Roi dispose toujours de l’arc de l’expédition ; c’est-à-dire de la totalité du butin saisi par les bâtonnistes. Quant au butin privé (art. 158-159), il ne doit pas paraître devant le Roi.

182 — Le Roi peut, à sa guise, ou bien adjuger tout l’arc de l’expédition à l’armée la plus pauvre en vaches, ou bien se le réserver lui-même pour apanager ses résidences chef-lieux de districts civils (art. 339), ou bien l’abandon-ner à toutes les armées, chargeant leurs chefs de faire le partage équitable entre ceux qui les auront accompagnés. Pour information : (Le butin remporté par l’expédilion dite du Bumpaka, qui se chiffrait par des dizaines de milliers de vaches, fut déclaré arc du Roi; il en préleva les troupeaux dont il apanagea ses résidences : 1° de GATSIBO, part qui donna origine à, l’armée bovine appelée Ndushabandi (je dépasse les autres), que commande ,actuelleruent le chef Lyumugabe; 2° GASABO, à la pointe occidentale du lac Muhazi : ce devint l’actuelle armée bovine appelée Ingaju z’i Gasabo (bruns marrons de Gasabo), qui relève du chef Rwubusisi. 3° de KABUYE au Buriza et 4° de GISEKE au Busanza-Nord ; les deux ensemble, fief d’une métne reine, formèrent l’armée bovine dite Ingaju z’i Giseke (les bruns marrons de Giseke) que, de l’ex-chef Kayondo, détient son fils le chef Rutaremara. 5°L’excédent de l’arc fut abandonné à l’armée Abarasa du Gisaka, comme fief, car cette région dé récente conquéte avait été appauvrie par les razzias complètes qu’y avaient efectuées les invasions rwandaises d’il y avait à peine vingt ans. Ce fief de grande-envergure forma l’armée bovine appelée Ingaju z’i Gisaka (bruns marrons du Gisaka) actuellement commandée par le chef Faustin Gacinya ; le butin saisi ‘an Bumpaka fut toutefois si abondant, que les armées du Rwanda entier en furent richement pourvues (art. 158) et que le général de l’expédition (c’est l’un de ses neveux qui me le raconta) rentra dans son foyer avec des centaines de vaches réparties en quatre troupeaux, au titre de ce prix de bravoure de l’art. :183b.

  1. Dans l’un et l’autre cas, le Roi aura eu soin de prélever un certain pourcentage sur le butin saisi, en vue des récompenses militaires. Il donnera des dizaines de vaches au général de l’expédition, au titre de prix de bravoure. Il donnera également une vache au même titre, à chaque chef d’année revenant de l’expédition; ensuite, autant à chaque bâtonniste et à chaque guerrier s’étant distingué sur le champ de bataille et spécialement à tous ceux qui auront tué au moins un ennemi. Pour information : (Depuis le règne de Yuhi IV Gahindiro, ce sont les batonnistes qui doivent recevoir leur prix de bravoure immédiatement après le chef et avant les héros de l’armée. Le monarque en a décrété ainsi, parce que les batonnistes s’exposaient les premiers au danger, les combats ne se déroulant qu’après la saisie des bovidés).

Enfin chaque chef lui présentera un guerrier ayant fait preuve d’un courage exceptionnel et considéré comme le héros de l’armée durant l’expédition ; à celui-là le Roi donnera une vache au titre de prix de prouesse exceptionnelle inka y’ubumanzi. Pour information“. (La qualification de cette prouesse exceptionnelle dépend de plusieurs considérations ; il est arrivé, par exemple, que ce prix soit attribué à un héros blessé à la jambe dès le premier engagement ; comme il ne pouvait ni marcher, ni étre ramené à l’arrière, ses compagnons renoncèrent à battre en retraite pour ne pas l’abandonner. Cette circonstance ayant décidé de la victoire, il reçut le prix de prouesse exceptionnelle.

  1. Chaque chef d’armée ira, à son tour, passer des nuits de hauts faits à sa résidence de Cour et donnera à chaque guerrier une vache prix de bravoure, à commencer par ceux qui auront été récompensés par le Roi.
  2. Les vaches que distribuent ainsi les chefs d’armées sont celles prélevées sur le butin privé ; art. 159 b. Si tel chef prévoit qu’il ne disposera pas d’un nombre suffisant de vaches, il en dira un mot au Roi ; celui-ci lui en procurera du bétail prélevé sur le butin des armées plus favorisées par les razzias. Le Roi veillera spécialement à la livraison d’un nombre suffisant de vaches s’il s’est réservé l’arc de l’expédition. Le principe est que chaque guerrier de valeur rentre chez lui avec au moins une vache.
  3. Si l’arc de l’expédition est abandonné à chaque armée, les chefs récompenseront leurs guerriers respectifs et l’excédent du butin servira à former des troupeaux qui seront confiés à certains membres de la milice ou à des nkoma-mashyi du chef ; tous ces bénéficiaires passent par le fait même dans la section des pasteurs de l’armée ; art. 49 b, 62 et 96. Agira de même le chef en faveur duquel le Roi aura livré tout l’arc de l’expédition ; art. 128 b.

 

  1. DÉMOBILISATION EN CAS D’ÉCHEC.

 

  1. Si l’expédition aboutit à un échec, le messager dont il est question dans l’art. 163 annoncera la nouvelle à la Cour et toutes les armées seront démobilisées et rentreront chez elles sans autre cérémonie. Le général de l’expédition rentrera à la Cour avec les chefs d’armée modestement escortés et ils expliqueront au Roi la cause de l’insuccès. Le général de l’expédition recevra alors une vache pour honorer la dignité dont il avait été revêtu.

 

  1. DISTINCTIONS HONORIFIQUES.

 

  1. C’est au Roi qu’il appartient de décerner les distinctions honorifiques. Tout guerrier ayant abattu son septième ennemi recevra la distinction appelée Umudende (Collier de la Septaine). Cependant l’obtention de cette distinction dépend des conditions suivantes : les sept tués doivent être des étrangers ; on ne comptera pas les adversaires tués durant les expéditions punitives ou les combats occasionnels ; ils doivent avoir rendu le dernier soupir sur le champ de bataille, et non ailleurs à la suite des blessures reçues. Si l’ennemi expire après avoir reçu plusieurs coups, sa mort est attribuée à celui qui l’aura blessé le premier, même si son coup avait été léger.
  2. La décoration Umudende est un collier de fer, auquel pendent des grelots en nombre pair 2, 4, ou 6, à la hauteur de la poitrine. Par décision de Kigeli IV ‘Rwabugili ont été abolies les obligations trop onéreuses attachées à cette distinction et qui la rendaient inaccessible aux héros de médiocre fortune. Pour information : (Le décore’ était obligé, par exemple, de sacrifier un taurillon à chaque nouvelle lune, cérémonie qui s’accompagnait d’un simulacre de mariage, Or personne, chez les propriétaires vachers, ne peut s’exposer à l’obligation de tuer une vache à chaque nouvelle lune, sans savoir d’avance à quelle époque il en sera libéré ; art 191).
  3. Le guerrier ayant tué son quatorzième ennemi dans les conditions de règle, recevra la distinction appelée : Impotore (torsade). La Torsade consiste en un bracelet formé d’une tige de fer et d’une tige de laiton roulées l’une sur l’autre en torsade régulière. La Torsade n’impose aucune obligation à celui qui la reçoit.
  4. Les distinctions honorifiques en question s’excluent: le guerrier décoré de la Torsade ne peut plus porter celle du Collier de la Septaine.
  5. Les deux objets doivent être conservés avec grand respect dans une case à part et ne peuvent pas être déposés à terre.
  6. Le guerrier ayant abattu son vingt-et-unième ennemi, dans les mêmes conditions, sera l’objet du grandiose cérémonial dit Crémation du Javelot et deviendra ainsi un héros national. La Crémation du Javelot (Gucana uruti) est décrétée par le Roi et son cérémonial se déroule sur la plus haute montagne de la région qu’habite le héros. Pour information : (Ce cérémonial consistait en ceci : on allumait un grand feu sur la montagne et on y grillait une espèce de courge amère (umwungu w’ibamba). Le héros mordait à cette courge dont il détachait une petite portion qu’il avalait, introduisait en même temps son javelot dans le foyer et disait : « Je me suis distingué dans la bataille engagée en tel lieu et j’y ai tué un tel ! » Les mêmes gestes recommençaient et ainsi de suite, jusqu’au moment ou les premières lueurs de l’aurore pointaient à l’horizon. Alors la partie restante du javelot était complètement poussée dans le foyer et le héros déclamait son dernier haut fait.C’était alors une vaste acclamation sur la montagne, de laquelle on dévalait au lever du jour pour fêter le héros durant trois jours et trois nuits de suite.

Les poètes, bardes, chantres guerriers, en un mot, tous ceux qui rehaussent les solennités de la Cour, y participent, par ordre du Roi.

  1. Toute la parenté du héros devra y être invitée avec tous les troupeaux de vaches lui appartenant et appartenant à ses vassaux. Toute personne de sa parenté ou de ses vassaux n’ayant pas pris part au cérémonial ne pourra plus se présenter devant le héros. La cérémonie commencera à la nuit tombante et se terminera à l’aube ; on veillera à ce que personne ne dorme sur la montagne et chaque vache s’y trouvant aura un homme qui l’empêchera de se reposer. Les bébés seront de même secoués continuellement pour les tenir éveillés.

195 – a) Le Roi ne peut être décoré que du Collier de la Septaine. Pour information : (Le Collier de la Septaine ayant appartenu à Kigeli II Nyamuheshera a disparu, il n’y a pas bien longtemps : il était suspendu à un arbre du bosquet marquant l’ancienne résidence royale de RBumbogo près Gutamba, dans la province du Nduga, en territoire de Nyanza. — Celui de Kigeli  III Ndabarasa  tramait de même dans le bosquet de son ancienne résidence de Munyaga, en bordure du Gisaka. Comme il était tombé à terre, sous Kigeli IV Rwabugili, les gardiens du bosquet vinrent annoncer l’événement à la Cour ; l’inquiétude et la consternation du Roi et de ses courtisans ne connurent plus de bornes. Après consultation divinatoire, on décida la création des deux compagnies uburunga  et Inkongi, qui accompagnèrent les dépositaires du code ésotérique, délégués pour relever la distinction honorifique de l’ancêtre et la replacer sur une branche plus ferme d’un arbre du bosquet. Ces dernières années, sous le règne de Yuhi V Musinga, un administrateur du territoire de Kibungo (appelé alors territoire de Rukira), aurait enlevé le Collier en question et l’aurait envoyé on ne sait plus où ! Je crois que, si l’information est exacte, tout Rwandais révérant la grandeur de ces petits riens du passé, aimerait que ce souvenir de Kigeli III ait été envoyé plutôt au Musée de Tervueren. On a complètement perdu la trace des Colliers de la Septaine ayant appartenu à Ruganzu II Ndoli et à son fils Mutara I Semugeshi. On ne parle pas d’un autre roi qui ait été décoré. Kigeli IV ‘Rwabugili s’est gratifié de cette distinction et il en a prodigué aux tambours emblèmes de son intronisation (art. 179) ; mais les dépositaires du code n’en tiennent pas compte, parce que ce monarque agissait à sa guise dans ce cas comme dans les autres. Il ne tenait pas compte de la règle mentionnée par l’art. 195b ; pour lui, même un simple muhinza (art. 195d) suffisait. Ce qui fait dire, aux dépositaires du code, que ce Roi a orné certains tambours emblèmes de trophées impurs ; c.-à-d, prélevés sur des princes étrangers n’ayant pas le titre de Roi et dont le sang n’avait par conséquent pas le caractère sacré qui est exigé.

 Il reçoit pour sept rois ou roitelets, intronisés sous le signe d’un tambour et portant, en leurs pays, le titre de Roi, tués sous son règne. Pareil prince ne peut être tué que par une expédition officielle (art. 128 a) à la suite de consultations divinatoires engagées expressément à cette intention, car un sang royal ne peut être versé sans un oracle favorable certain. D’où il appert que les incursions armées (art. 128 b) ne peuvent attenter à la vie d’un prince étranger ayant porté le titre de Roi. Un prince autochtone non-roi, appelé Umuhinza (président des cultures) n’a rien du caractère sacré et le code ésotérique ne s’en inquiète pas.

  1. Lorsque l’expédition est dirigée contre un pays étranger, en vue de l’annexer, il est absolument nécessaire qu’elle soit précédée d’un libérateur offensif. On appelle libérateur offensif (Umucengeli) le héros désigné par consultation spéciale d’oracle divinatoire pour remplacer le Roi et aller verser volontairement son sang sur le champ de bataille, en vue de donner au Rwanda le droit d’annexer un territoire acheté au prix du sang royal. On appelle libérateur défensif (Umutabazi) le héros désigné de la même manière pour verser son sang à la place du Roi en vue de sauver l’indépendance du Rwanda menacé par un pays étranger. Le libérateur offensif n’est requis que pour l’annexion d’un territoire régi par un monarque régnant dans les conditions de l’art. 195 b. L’annexion d’un pays étranger s’effectue légalement par la capture de son tambour dynastique ou à la longue par l’extinction radicale de sa lignée, car l’extermination complète de tous les descendants directs du dernier régnant met le pays dans l’impossibilité de ressusciter légalement sa dynastie.
  2. Les trophées prélevés sur les dépouilles des rois étrangers (art. 195 b) doivent parer, comme souvenir des victoires remportées, les tambours-emblèmes de la dynastie. Pour information : (Les tambours-emblèmes de la dynastie sont ceux qui symbolisent l’autorité suprême de la royauté aussi bien au Rwanda que chez les peuples environnants de l’Afrique centre-orientale. Chaque dynastie a son tambour et ne peut être reconnu comme Roi que son seul détenteur. Au Rwànda, les rois règnent sous le signe du KAKINGA. Les autres tambours emblèmes, compagnons secondaires du Karinga, sont les suivants : le Cyimumugizi : « le pays est régi par un omnipotent » ; tambour intronisé de temps immémorial ; la Mpatsibihugu: «  Je suis maître des nations »s, et le Kiragutse : «  le pays est très vaste «  ; ces deux derniers intronisés par Kigeli IV Rwabugili).

Pour chaque trophée, il y aura des consultations divinatoires destinées à déterminer lequel des tambours dynastiques en sera orné. Le tambour dynastique qui aura atteint le nombre de trophées indiquées à l’art. 188 b recevra la décoration du Collier de la Septaine.