IV. L’emprise de l’armée sur ses membres.

  1. Personne ne peut se séparer de son armée en dehors des cas prévus par les art. 30 à 32; 66 b; 71 8; 107.
  2. Les jeunes gens présentés au nouveau Roi (art. 16 a) sont par le fait même définitivement séparés de l’armée à laquelle appartiennent leurs parentèles. Ces jeunes gens n’entraînent cependant dans l’armée en formation ni un membre quelconque de leur famille, ni leurs compagnons dont il est question dans l’article 21.
  3. Un chef d’armée reste toujours membre de celle à laquelle il appartenait avant sa promotion ; de la sorte, il demeure au milieu de ses guerriers comme un fonctionnaire étranger. Le Roi est toutefois libre de placer, à la tête d’une armée, un chef pris parmi ses membres.
  4. Lorsqu’un chef d’armée a des enfants en âge d’être enrôlés, il doit, d’après la stricte interprétation de la coutume, les présenter aux compagnies de sa propre milice ; à savoir celle qui l’a formé lui-même.

Il a cependant le droit de choisir, parmi ses enfants, celui qui sera auprès du Roi (art. 16 et 19) en vertu du Contrat de Servage Pastoral existant entre lui et la Cour.

  1. Dans le cas où le chef d’armée n’aurait qu’un fils unique, il le placera à la Cour et le remplacera auprès de son supérieur guerrier par un autre jeune homme de sa parentèle. Si le supérieur guerrier tient absolument à avoir tel jeune homme déterminé, déjà engagé dans une compagnie de la Cour, ledit jeune homme appartiendra aux deux compagnies et sera tenu à s’y présenter à tour de rôle. Pour information : (Ces cas n’étaient pas rares, comme ou serait tenté de le croire ; ainsi les héros suivants ; ‘Semulina fils de Sayinzoga appartenait simultanément à la. compagnie Imbungiramihigo (les assoiffés de hauts faits) de l’armée Abashakambe (les impétueux) et à celle appelée Abakwiye, abréviation de Abakwiye-(Umwasni} (les dignes du Roi), compagnie initiale de l’armée ainsi appelée, garde royale de Mutara II Rwogera. Aux mêmes compagnies appartenait le héros Mbanda, fils de Samakokero. Et pour ne pas allonger davantage cette liste aux noms si barbares pour le lecteur étranger, rappelons que sous le roi Yuhi V Musinga, tons les fils du Chef ‘Nturo avaient été simultanément engagés dans la compagnie Inshogoza-bahizi et les suivantes, de l’armée Indengabaganizi).
  2. Toutefois le supérieur guerrier a le droit d’exempter entièrement son collègue vassal des obligations onéreuses en cette matière. Et dans ce cas le chef pourra faire enrôler ses fils où il voudra. Si cependant le chef d’armée se permettait, de son propre mouvement, de présenter tous ses fils au Roi sans l’autorisation préalable de son supérieur guerrier, celui-ci aurait le droit de les réclamer et le Roi le devoir de les lui céder, sauf celui dont il est question dans l’art. 42 b.

Il appert de tout ceci, que la promotion de tel ou tel guerrier à la dignité de chef d’armée ne modifie en rien les devoirs lui incombant en tant que membre de telle ou telle parentèle.

  1. Les parents et les enfants du chef d’armée peuvent profiter de son élévation pour acquérir des fiefs tant bovins que terriens appartenant à la milice en question. Mais cette perception de bénéfices leur impose des obligations sociales vis-à-vis des chefs futurs de l’armée.
  2. Les fils du Roi restent membres de l’armée à laquelle appartient leur père, aussi longtemps qu’ils ne sont pas apanagés. Ils en sont définitivement séparés soit à leur mariage, soit à leur promotion éventuelle à la dignité de chef d’armée.
  3. Cette séparation nette d’avec l’armée de leur père se base sur le fait qu’ils reçoivent alors, en apanage, des fiefs pastoraux et terriens dont le Roi dispose à des titres étrangers à son armée. Les princes ainsi apanagés lieront définitivement leur sort et celui de leurs descendants à l’armée qui commande les fiefs dont le Roi les aura investis.
  4. Par l’acquisition de fiefs indépendants appartenant à des armées distinctes (la plupart du temps, par suite du cas indiqué dans l’article 43 b) un même homme peut être vassal de plusieurs armées ; voir art. 62
  5. V. Le chef et le capital bovin de sa milice.

 

  1. L’armée comprend en principe deux sections : celle des combattants et celle des pasteurs. La section des pasteurs est l’ensemble des membres de l’armée auxquels a été confiée l’armée bovine (art. 200), ont été donnés des troupeaux provenant de butin (art. 186), les nkoma-mashyi dont il est question dans l’art. 61 a; et enfin les personnes mentionnées dans l’art. 60 b. La section des combattants comprend les membres de l’armée n’ayant pas été l’objet des bénéfices que nous venons de mentionner ou n’ayant reçu que les dons indiqués dans l’art. 75 tout au plus.
  2. Au moment de son entrée en charge, le chef d’armée recevra une vache de chaque parentèle au titre de l’ïndabukirano ; art. 23. Les parentèles de l’armée composées de simples Bahutu donneront au chef, comme indabukirano, des brebis ou des houes.

51. Dans diverses circonstances les membres de l’armée pourront faire à leur chef des cadeaux de bovidés dites ituro (présent à son supérieur) pour solliciter quelque faveur. Ceci n’est cependant pas obligatoire : ce sont des prestations volontaires dont le code social ne s’occupe pas.

  1. Le refus du présent indabukirano équivaut à la non-reconnaissance de l’autorité du chef ; ce dernier déposera plainte au tribunal du Roi. La même attitude vis-à-vis du représentant du chef d’armée doit être déférée au tribunal de ce dernier dont la décision sera observée par les intéressés.
  2. A la nomination du chef d’armée, la section des pasteurs se préparera au murundo c’est-à-dire le dénombrement du gros bétail qu’elle détient. Le dénombrement du gros bétail s’effectue, non pas dans l’intérêt personnel du chef d’armée, mais pour le Roi dont il est l’intendant en matière pastorale (art. 201) et pour le prestige du fonctionnaire en charge.
  3. Le dénombrement doit se faire, les vaches groupées par parentèle, sous le couvert du patriarche respectif de chacune d’elles. Les patriarches des parentèles s’y prépareront par le dénombrement de tout le gros bétail appartenant à leurs subordonnés respectifs.
  4. Si telle ou telle parentèle possède un si grand nombre de vaches qu’il est impossible de les exhiber à la fois, le chef d’armée pourra ou bien en organiser l’exhibition en plusieurs tranches, ou bien se contenter d’apprendre le nombre approximatif des vaches qu’il aura été impossible de toucher. Le chef d’armée prélèvera un certain pourcentage sur les troupeaux présentés ; il imposera, le cas échéant, un nombre déterminé de bovidés que le patriarche de parentèle donnera pour le bétail qu’il aura été impossible de présenter.
  5. Si un membre quelconque de la parentèle prétend devoir exhiber ses vaches séparément, la coutume le favorisera, selon l’axiome : « Ceux qui provoquent la scission des parentèles multiplient les prestations. Toutefois le chef d’armée ne favorisera cette scission que dans le cas où sera réalisée la condition mentionnée dans l’art. 11 b; agir autrement serait provoquer l’indiscipline dans l’armée.
  6. Si au contraire, tel membre de la parentèle possède un fief pastoral indépendant du fief familial, il sera obligé à contribuer d’abord au dénombrement partiel sous le couvert de son patriarche ; puis au dénombrement partiel sous son propre nom, en vertu du fief indépendant qu’il détient par ailleurs; art. 68. et 62.
  7. Si le bénéfice pastoral indépendant détenu par tel membre de la parentèle relève d’une armée distincte, (art. 48), le vassal en question réservera la partie de ses vaches qui ne sont pas soumises au dénombrement et le chef n’a aucun droit sur elles.
  8. Les vaches prélevées lors du dénombrement sont appelées ïntorano. Elles doivent être divisées en plusieurs troupeaux, constituant les biens officiellement détenus par le dignitaire en charge dans l’armée. En cas de destitution du chef, ces troupeaux passent d’office au successeur nommé par le Roi.
  9. Les troupeaux ainsi constitués peuvent être confiés soit à des membres de l’armée, soit à des étrangers à l’armée, appelés inkoma-mashyi. Pour information : ((inkoma-mashyi, c-à-d ceux qui battent des mains, geste par lequel la coutume prescrit de saluer le Roi et qui signifie par extension reconnaître l’autorité. Ici le mot composé signifie ceux qui, de leur propre volonté, viennent se constituer sujets).

Les membres de l’armée de la section des combattants, bénéficiant de ce fief, ont des attributions mixtes ; c’est-à-dire qu’ils passent dans la section des pasteurs sans être exonérés des prestations du service d’ost (art. 106 et sv.) et de la palissade royale (art. 100), qui leur incombaient précédemment.

  1. Les ïnkoma-mashyi bénéficiant de ce fief de troupeaux passent purement et simplement dans la section des pasteurs. Il est évident que ces nkoma-mashyi restent membres de leurs armées, auxquelles ils doivent les prestations qui leur incombaient avant ‘ qu’ils ne vinssent se recommander au chef leur bienfaiteur.
  2. Le droit social reconnaît au guerrier la possibilité de cumuler des bénéfices indépendants, même dans la section des pasteurs d’armées distinctes ; cf. art. 48, 59 et parallèles. Pour information : (Les exemples ici sont si nombreux que les cas contraires formeraient des exceptions. Donnons simplement un exemple des plus récents : Sebagangali, fils de Runanira (sous-chef à Kiramuruzi, au Buganza), a été pasteur en chef du troupeau Izamuje (les sveltes) de l’armée bovine Ingeyo (blanc de colobe), et pasteur en chef du troupeau Ntagishika (pas d’inquiétude) de l’armée bovine umuhozi (le vengeur) ; on voit donc qu’il appartient à la section des pasteurs de deux armées bovines distinctes).
  3. Le chef d’armée ne peut procéder au dénombrement à son entrée en charge que si son prédécesseur ne l’a pas effectué depuis un certain nombre d’années. Agir autrement serait contraire au but de cette institution, ordonnée pour la multiplication des vaches dans l’armée, puisque les parentèles seraient ruinées par des prélèvements successifs dont les effets n’auraient pas eu le temps d’être réparés.
  4. En plus du dénombrement initial, le chef d’armée a le droit d’en imposer de supplémentaires à l’un ou l’autre pasteur accusé de malversation bovine ou d’incurie, risquant de faire disparaître les troupeaux dont il est détenteur, mais sans le prélèvement de l’art. 55 b. Si l’accusation est trouvée fondée, le chef d’ar- mée aura le droit de destituer le pasteur.
  5. Si le pasteur destitué est de la catégorie des nkoma-mashyi (art. 61), le chef d’armée lui enlèvera, à volonté, toutes les vaches relevant de son autorité et les confiera à qui lui plaira. Si, au contraire, le pasteur appartenait à l’armée sans être patriarche de parentèle, le chef d’armée lui enlèverait le bénéfice indépendant, laissant la part du bénéfice familial à la disposition du patriarche de la parentèle, suivant les règles mentionnées dans l’art. 108.
  6. Si le destitué était le patriarche de parentèle, le chef d’armée le priverait de cette dignité en faveur d’un autre membre de la famille. Le chef a également le droit, si la malversation a été générale dans la parentèle, de la destituer toute, en faveur d’un autre groupement familial et de la chasser de son armée.
  7. Dans le cas où le chef d’armée lui-même serait accusé de malversation bovine, soit parce qu’il gaspillerait le gros bétail de son ressort pour ses besoins personnels, soit parce qu’il distribuerait les fiefs à l’encontre des règles reconnues en faveur de ses familiers, de ses amis ou de ses parents, il serait relevé de sa charge par le Roi. ,

VI. Les devoirs du chef vis-à-vis de sa milice.

  1. En retour des avantages que le chef d’armée retire de l’exercice de sa charge, il doit assistance à ses subordonnés en toute occurrence, agissant en propre ou par ses représentants. Il doit porter caution pour les membres de son armée et même les racheter s’ils sont insolvables en cas de vol ou de procès.

 

  1. Si pour une raison ou pour une autre, un membre de telle armée est arrêté et est menacé d’être mis à la torture, son chef d’armée ou son autre vassal présent, s’y opposera en déclarant : « Que personne ne mette les liens sur ses bras, car ils sont à moi (ou à mon chef d’armée) et au Roi. Nous donnerons l’équivalent des tortures. » Si quelqu’un néglige cette injonction, le chef guerrier du torturé portera l’affaire devant le Roi ; le tortionnaire payera certainement une amende honorable au Roi, pour avoir mis les liens sur les bras déclarés du Roi et le litige sera annulé en faveur du torturé.
  2. Le chef d’armée ne peut refuser assistance à l’un de ses subordonnés que s’il prouve au préalable, et devant témoins, la félonie obstinée du sujet antérieurement manifestée.
  3. Dans ce cas le sujet renié pourra s’adresser à n’importe quel chef d’armée qui voudra le prendre sous sa protection, quelque soit l’issue de l’affaire engagée. Par le fait même, le désavoué deviendra membre de l’armée de son nouveau protecteur, en tenant compte cependant des prescriptions mentionnées dans l’art. 108.
  4. Il résulte de ces derniers cas que l’autorité judiciaire du Roi ne peut jamais s’exercer en faveur des insoumis, c’est-à-dire qui se présenteraient à son tribunal sans l’appui de leurs chefs d’armées respectifs. Chacun doit dès lors observer scrupuleusement ses devoirs de fidèle vassal ; art. 84 a-b, et 380 b.
  5. Comme pendant du droit dont jouit le chef d’armée de destituer pour des raisons justes certains de ses guerriers, ces derniers ont également le droit de faire destituer leur chef en traduisant ses contraventions sociales devant le Roi et celui-ci est obligé d’obtempérer à la demande de l’armée. Pour information : (C’est ainsi que l’année Abashakamba, deux fois dans son histoire, rejeta l’autorité de ses chefs ; une première fois sous Yuhi IV Gahindiro, elle refusa obéissance à Rugaju et fut donnée au prince Nkusi ; puis elle rejeta le chef Muhamyangabo, sous Kigeli IV ‘Rwabugili, et passa sous le commandement du prince Rutarindwa. De son Coté, l’armée Nyaruguru fit destituer le chef Karama sous Kigeli IV Rwabugili et fut confiée au chef Nyantaba, son ancien commandant ; sous Yuhi Musinga, elle réclama la destitution du chef Rwamanywa et passa sous le commandement du chef ‘Sebagangali. L’armée Abakemba, sous Kigeli IV ‘Rwabugili, rejeta, en pleine expédition guerrière, l’autorité du chef Rutambuka et la Cour confia sa direction au guerrier Buki, l’un des délégués qui avaient réclamé la destitution du chef).
  6. Les fautes pouvant faire destituer un chef d’armée, sont les suivantes : ou bien le manque d’assistance non motivé dont le chef se serait rendu coupable vis-à-vis de ses subordonnés en procès ; ou bien d’arbitraires impositions de redevances sociales ; ou bien la destitution injuste de ses guerriers en faveurs de ses parents, etc…ou bien la vexation de la veuve et de l’orphelin ou le fait de négliger leurs intérêts menacés, (voir art. 4 b) et ceux des infirmes.
  7. Il résulte de ce droit des membres de l’armée sur la fortune du chef, que non seulement il doit éviter de les offenser, mais encore qu’il doit faire son possible pour gagner leur confiance et leur attachement afin qu’ils en disent du bien au Roi et se montrent disciplinés et dévoués à la cause de leur chef. Pour gagner la bienveillance de ses subordonnés et se concilier chez eux cette amitié de rapports propre à susciter le dévouement, le chef d’armée devra donner, de temps en temps, soit à certains de ses guerriers, soit à leurs enfants en formation dans les compagnies, une ou plusieurs têtes de gros bétail, au titre de récompense militaire, d’encouragement ou de félicitation (ingororano).

Mais ces dons ne constitueront jamais le gage de Contrat en Servage pastoral, et n’impliqueront pas, pour les bénéficiaires, les obligations incombant à la section des pasteurs de l’art. 49 c.

  1. En cas de destitution du chef d’armée, on doit se trouver devant les cas suivants :
  2. Les combattants et les pasteurs, soit antérieurs à l’entrée en charge du chef sortant, soit investis par lui, dans le cadre de l’art. 61, passent automatiquement au successeur.
  3. b) Les nkoma-mashyi membres de l’armée s’étant recommandés au chef sortant, suivant les instructions expresses du Contrat de Servage Pastoral, et ayant bénéficié d’une ou de quelques vaches, doivent normalement passer au successeur, suivant les mêmes conditions du Contrat de Servage Pastoral.

c)Les nkoma-mashyi étrangers à l’armée et engagés par Contrat de Servage Pastoral (ayant bénéficié de l’octroi de quelques vaches seulement), membres ou non de la famille du chef sortant, peuvent être ou donnés au successeur, ou à un autre vassal, ou être laissés au chef sortant, selon la volonté du Roi. Pour information :(Lorsque fut destitué Bikotwa, chef des armées Inzirabwoba (les sans peur) et Indara (les campeurs), unies sous son commandement par Kigeli IV Rwabugili (art, 15), la première armée, anciennement dirigée par le prince Nkoronko, passa sans modification à son fils Rugelinyange, tandis que la deuxième fut donnée au chef Kaningu. Mais les ukoma-mashyi investis par Bikotwa furent confiés, comme fief, à ‘Sezikeyi. Le chef Kaningu étant à son tour destitué vers 1903, sa milice passa sous le commandement du chef Rwasamanzi, tandis que la Cour en séparait à nouveau les nkoma-mashyi investis par le chef sortant pour en constituer un fief en faveur du chef Kayondo).

  1. Le chef d’armée destitué de son commandement ne perd pas les fiefs qu’il possédait avant sa promotion, car ils appartiennent à une autre armée ; à savoir celle dont il reste perpétuellement membre ; art. 41 Il ne peut jamais passer sous l’autorité de son successeur : il est appelé Icyake cy’umwami, (le destitué du Roi) ; c.-à-d. dépendant uniquement de la Cour.

 

  1. Si la sentence de destitution laisse le chef sortant en possession de quelques fiefs pastoraux ou terriens, par le fait même ces fiefs sont séparés définitivement de l’armée dont ils dépendaient jusque là. En ce cas, les vaches laissées au chef sortant font partie de l’armée bovine dont il dépend (art. 198 a) ; mais les fiefs terriens ne font pas partie des pâturages concédés à la même armée bovine : ils deviennent fiefs de la Couronne (art. 248 et 340).